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Maires - Page 7

  • Guillaume Peyrusse, baron de l'Empire et maire, accusé de fraude électorale !

    La recherche historique nous apprend dans bien des cas, qu’il ne faut pas s’en tenir aux jugements hâtifs, portés par une unique voix surtout quand celle-ci peut être jugée comme partisane. Jean Amiel, érudit de notre ville en son temps, publia en 1929 dans un livre la biographie de six Carcassonnais célèbres. Parmi eux, le baron Guillaume Peyrusse (1776-1860) qui avait été trésorier de Napoléon 1er pendant les Cent jours, semblait devoir profiter de toutes les considérations honorifiques de la part de l’auteur. Il est vrai pourtant que ce proche de l’Empereur dans ses derniers jours de l’exil à Saint-Hélène, avait été accusé prétendument à tort de s’être enrichi sur la caisse de Sa Majesté Impériale. Le maître déchu n’avait pas laissé, il faut en convenir, un bon souvenir à Peyrusse dans le troisième codicille de son testament ainsi retranscrit : « J’avais chez le banquier Tortonia, de Rome, deux à trois cent mille francs en lettres de change produit de mes revenus de l’île d’Elbe ; depuis 1815, le sieur de la Peyrusse, quoiqu’il ne fut plus mon trésorier et n’eût pas de caractère, a tiré à lui cette œuvre, on la lui fera restituer. » Cette affaire, comme un cailloux dans la chaussure, embarrassa longtemps le baron Peyrusse ; il dut s’en défendre, prouver sa bonne foi et renouveler son argumentaire après chaque attaque dont il fut l’objet au cours de sa vie politique : « Je me suis empressé dès l’arrivée en France des exécuteurs testamentaires (Bertrand, Montholon et Marchand, NDLR) de l’Empereur, de remettre l’état des fonds chef M. Tortonia (banquier) et ceux qui n’avaient pas été employés pour le service de Napoléon, dit-il. » Afin de compléter la justification, Guillaume Peyrusse publia les comptes dans un mémoire qui fut inséré dans le n°122 de « La France méridionale ». Les dépôts des pièces comptables furent, d’après lui, déposés chez un notaire. Ceci tendit à prouver que les fonds de Napoléon réalisés à la caisse du banquier, n’en étaient jamais sortis et que les lettres de change n’avaient pas été acquittées. Quant au codicille, l’Empereur a sans doute été mal informé ; on ne lui a pas annoncé que ces valeurs étaient mortes. Voilà donc pour l’explication de M. Peyrusse. A cela s’ajoutent les trois lettres des exécuteurs testamentaires attestant de la probité du trésorier, dont celle de Bertrand le 24 avril 1829 :

    « Sur la demande de M. le baron Peyrusse, ancien trésorier de l’Empereur Napoléon dans l’île d’Elbe, je déclare qu’il résulte des faits à ma connaissance, des renseignements qui m’ont été donnés, ainsi que des comptes de M. Tortonia, duc de Bracciano. Que les sommes provenant des lettres de change envoyées à Rome en 1814 et 1815 pour le service de l’île d’Elbe, et dont la valeur a pu être réalisée, ont été dépensées par M. Tortonia, conformément aux dispositions qu’il a reçues à cet effet, et qu’aucune partie n’en a été remise à M. Peyrusse. Que les autres lettres de change ayant été protestées, et ce banquier n’ayant pu par la suite des évènements de 1815 en faire effectuer le paiement, il les renvoya à M. Peyrusse qui s’empressa de les faire mettre à la disposition des exécuteurs testamentaires à leur arrivée en France. Que le deuxième paragraphe du troisième codicille au testament de l’Empereur, a été rédigé par Sa Majesté dans une supposition qui s’est trouvée sans fondement et qui tenait à la difficulté où s’est trouvé le testateur d’avoir des nouvelles exactes de ses affaires. »

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    © Alain Pignon

    Guillaume Peyrusse

    La Gazette du Languedoc aima très souvent se rappeler au bons souvenirs de M. Peyrusse en ce qui concerne l’affaire du testament. Particulièrement, à partir de l’instant où il fut nommé maire de Carcassonne par Louis-Philippe, le 12 décembre 1832. « Ma carrière politique n’a eu qu’un acte. J’ai été de la dernière volonté de l’Empereur, alors que 300 exemplaires du n°122 de la France méridionale et 500 exemplaires du Moniteur et le dépôt de toutes les pièces chez le notaire ont fait connaître à ma ville l’erreur de Sa Majesté à mon égard […] La loi me protège, mais votre loyauté me rassure. » En janvier 1833, « La Tribune des départements » manifeste dans des termes peu élogieux sa désapprobation : « Il faut qu’un pouvoir soit tombé bien bas pour être obligé de livrer les emplois publics à des hommes comme ceux-là, car nous aimons mieux croire à son impuissance à éviter le vice, qu’aux sympathies qu’il pourrait inspirer. »

    Malgré les démentis de toutes sortes, le testament manuscrit de Napoléon menait la vie dure à son ancien trésorier. Ainsi, « L’histoire de France » de l’abbé de Montgaillard (Tome 3, p.158), dont le frère avait été en indélicatesse avec Peyrusse au moment de la chute de l’Empire, rappela ce que ce dernier s’évertuait à vouloir faire disparaître. 

    A l’instar des anciens bonapartistes, Peyrusse avait choisi de se ranger derrière la personne de Louis-Philippe après les évènements de juillet. A ce propos, il ne tarissait pas d’éloges sur le descendant de la branche des Orléans et s’était fait, semble t-il, un grand nombre d’adversaires du côté des légitimistes et des républicains. Pour exemple, citons les louanges à son roi au moment des fêtes organisées le 1er mai pour la Saint-Philippe : « Carcassonnais, nous célébrons le 1er mai la fête de Louis-Philippe. La France ne pouvait confier en de plus dignes mains, le soin de veiller sur son repos, sur sa gloire, sur ses institutions. La noble tâche que le vœu national lui a imposé s’accomplit. » La messe qui s’ensuivit à la cathédrale Saint-Michel fut présidée par le préfet en habit avec l’ensemble des budgétivores, d’après la chronique. Pour autant, l’action municipale de Peyrusse dans les deux premières années de son mandat se passa sans problèmes notables. Là, où les événements se bousculèrent c’est au moment des élections municipales de novembre 1834. A cette époque, un collège électoral élisait le maire et les conseillers municipaux.

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    Louis-Philippe 1er, roi des Français

    Le 27 novembre 1834, les votes avaient débuté dans la salle de hôtel de ville par la 1ère Section selon le découpage électoral de Carcassonne. Deux candidats favorables au maire avait été élus, mais il fallait attendre le lendemain pour se prononcer sur le troisième siège. Le 28 novembre, les électeurs se rendirent aux urnes avec l’idée de surveiller le maire, soupçonné d’être capable de fraude pour éviter l’opposition démocratique des légitimistes et des Républicains. Plusieurs bulletins avaient déjà été remis au président du bureau de vote qui les avait successivement déposés dans l’urne, lorsqu’un membre du bureau crut s’apercevoir que Peyrusse substituait des bulletins cachés dans sa main gauche à ceux, que sa main droite recevait des votants. L’opération répétée trois ou quatre fois, suscita l’émoi chez le secrétaire qui en fit reproche au maire. 

     - Monsieur, répliqua Peyrusse, vous ne soutiendrez pas votre accusation.

    - Je la soutiens sur l’honneur, et j’invoque le témoignage des scrutateurs qui vous assistent.

    Sur leur réponse, le maire suspendit la séance et se retira dans son cabinet.

    - Il faut l’arrêter, disent les uns, puisque nous le prenons en flagrant délit. Il faut le fouiller et faire vider ses poches.

    Dans la foulée, une protestation fut rédigée et adressée au préfet de l’Aude et au procureur du roi. En voici la teneur :

    Nous, membres et scrutateurs du bureau désigné par la loi pour procéder aux opérations de l’assemblée communale de la 1ère section.

    Considérant que, pendant que l’on procédait aux votes, M. le maire, président du bureau, après avoir exigé que MM. les électeurs lui remissent leurs bulletins, y substituait des bulletins étrangers, et les introduisait dans l’urne à la place des bulletins véritables.

    Considérant qu’une pareille fraude a été pratiquée notamment, à l’égard des bulletins remis par MM. Projet Bernard, Saïsset, commandant en retraite.

    Considérant que déjà, dans la journée du 27, les sous-signés avaient cru s’apercevoir de ce qu’il y avait d’équivoque dans la conduite de ce même fonctionnaire, président les élections de cette journée, mais qu’ils avaient dû garder le silence parce qu’ils n’avaient acquis aucune preuve certaine de fraude.

    Considérant qu’à l’appui de cette constatation, les soussignés ont remarqué que M. le maire s’est retiré de l’assemblée et s’est empressé de quitter le fauteuil de la présidence pour passer dans un cabinet particulier, quand il a vu que la fraude était reconnue et signalée aux électeurs votants, par l’un des membres du bureau.

    Considérant qu’un pareil fait porte atteinte grave à la validité des élections de la première section, en même temps qu’il est de nature à livrer au mépris public et à la vindicte des lois, ceux des membres du bureau qui pourraient être soupçonnés de s’en être rendus les complices.

    Considérant qu’il est dès lors de l’honneur et de la dignité du bureau de ne pas continuer de présider à des opérations viciées par un acte frauduleux, quelque extraordinaire qu’il puisse paraître.

    Les soussignés protestent contre la partie de ces opérations, déjà faites, et déclarent se retirer du bureau, afin de ne pas voir leur responsabilité et dignité d’homme et de citoyen compromise.

    En se retirant, les soussignés, formant la majorité du bureau, émettent le voeu que les bulletins déjà reçus, soient mis entre les mains d’un notaire ou autre officier public, afin qu’ils puissent plus tard servir à la justification des faits avancés dans le présent acte.

    En même temps, il demandent l’insertion de la présente protestation au procès-verbal. En foi de quoi, les présentes ont été rédigées et remises, après signature, entre les mains de M. le maire, le tout avant le dépouillement du scrutin. Signé, Boulac, Journet père et Germain père.

    Le 29 novembre 1834, lendemain de l’élection, quatorze électeurs sollicitèrent l’annulation su scrutin des 27 et 28 novembre. Les motifs furent exposés. On constata que le dépouillement de la veille ne donnait que 22 suffrages à M. Marti-Roux - opposant à Peyrusse - alors qu’une enquête réalisée postérieurement au scrutin lui en accordait 40. M. Rouby, électeur de la section, protesta contre le fait que l’urne avait été abandonnée et que trois membres n’étaient plus présents dans le bureau où se tenait le vote. M. Mossel ajouta n’avoir pas pu voter car le bureau avait été abandonné le 28 ; une affirmation complétée par M. Bernard attestant que le bureau était effectivement déserté et que seuls Peyrusse et Germain se trouvaient près de la cheminée.

    Le Conseil de préfecture, présidé par le préfet et MM. Sicard-Blancard, David-Barrière er Renard, fut chargé dans un premier temps d’examiner la requête des plaignants. Dans son délibéré du 9 décembre 1834, il valida l’élection du 27 novembre de MM. Cazanave et Coumes, mais déclara nulle celle du 28 novembre remportée par M. Jaffus. Estimant que l’arrêté « n’examina pas le fond de la question de validité ; c’est-à-dire la fraude coupable qui avait amené un résultat inattendu, le conseil de préfecture cassa uniquement le scrutin du 28 novembre pour irrégularité de forme », l’avocat des parties civiles M. Crémieux, porta l’affaire devant le Conseil d’état. Une réponse à la défense de M. Peyrusse fut même rédigée sur douze pages par les plaignants et signée de MM. Fages (avocat et bâtonnier), Rouby (Propriétaire) et Trinchan (avocat, capitaine de la Garde Nationale et conseiller municipal).

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    Désormais, les soupçons de fraude électorale mettaient Guillaume Peyrusse sous la menace des sanctions prévues par les articles 111,112 et 114 du Code pénal. A Carcassonne, en faisant jouer ses relations, il avait pu obtenir la mansuétude du conseil de préfecture. Qu’en serait-il à Paris ? Poursuivant malgré cela ses fonctions de maire, l’ancien trésorier de l’Empereur articula sa défense autour de la menace. Quiconque osera (journalistes ou scrutateurs) après « toutefois qu’il aura obtenu l’autorisation nécessaire du Conseil d’état », l’accuser de fraude sera immédiatement poursuivi devant la justice pour calomnie. Loin d’avoir été impressionnés, les signataires de la protestation se saisirent de l’occasion pour sommer le maire de venir s’expliquer avant les tribunaux. Quant au préfet, le doute sur sa neutralité n’était plus permis depuis qu’il avait annoncé en janvier 1835 en envoyant au ministre la liste pour nomination du maire et des adjoints : 

    Je ne fais pas de présentation du maire ; il est probable que l’instruction commencée contre M. Peyrusse devant la Cour Royale de Montpellier aura le résultat que nous espérions ; dans ce cas, c’’est M. Peyrusse que je proposerai. » Si fait, qu’en attendant, le gouvernement de Louis-Philippe le nomma Sous-intendant militaire à La Rochelle malgré l’affaire en cours. Guillaume Peyrusse bénéficiait de sérieux appuis auprès du roi et pour l’attaquer devant le Conseil d’état, fallait-il encore obtenir une autorisation royale. Le garde des sceaux présenta une requête afin de savoir si le Conseil d’état devait délibérer pour autoriser le ministère public à poursuivre le maire sur les délits de fraude électorale. Or, le rapporteur n’avait pas encore rendu ses conclusions et Carcassonne s’administrait sans maire. Les adjoints proposés sans être consultés, refusèrent. Les sortants durent cesser leurs fonctions à l’expiration de celles-ci, au commencement de 1835. Peyrusse restait le premier magistrat de la commune, lorsqu’arriva la séance houleuse du conseil municipal du 7 mai exhortant Monsieur le baron à quitter ses fonctions. Le 10 juin, le conseiller municipal Sarrand qui lui succédera déclare : « Quand bien même M. Peyrusse aurait qualité légale pour rester en fonction, les mêmes considérations morales qui l’avaient fait s’abstenir de présider le conseil après l’invitation expresse qui en fut faite dans la séance du 7 mai, lui faisait devoir de ne plus participer à aucun acte d’administration, jusqu’à ce qu’il eût victorieusement repoussé devant les tribunaux et l’opinion publique, l’accusation de faux portée contre lui ! » Le maire sera absent des séances jusqu’au mois d’août et remplacé par Plauzoles et Sarrand.

    Après que le Conseil d’état a déclaré finalement ne pas avoir de motifs suffisants pour « poursuivre M. Peyrusse à raison des fraudes électorales qu’on lui impute », le maire fit une timide réapparition à la fin septembre 1835. On ne reviendra pas sur la chose jugée, on ne s’en tiendra donc qu’aux conditions dans lesquelles elle le fut. Par ordonnance du 12 septembre 1835, le roi Louis-Philippe sur proposition d’Adolphe Thiers, nomma à nouveau Peyrusse au poste du maire de Carcassonne. Dans le mois qui suivit, le baron Peyrusse dut se résoudre à démissionner en raison de la fronde menée contre lui au sein du conseil municipal par ses collègues. Il sera remplacé le 23 novembre 1834 par Louis Sarrand - un ancien des campagnes napoléoniennes, boiteux en raison d’une mauvaise blessure de guerre, qui accepta malgré l’avis défavorable de son conseil de famille.

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    © Alain Pignon

    Louis Sarrand

    Guillaume Peyrusse avait-il réellement faussé les élections communales de la 1ère section de Carcassonne ? Y a t-il eu une kabbale montée contre lui par certains de ses collègues, comme le laisse supposer Jean Amiel dans sa biographie « Six Ataciens célèbres » ? Les conclusions d’Amiel tendant à exonérer l’ancien maire, ne s’appuient que sur ce qu’en dit Mahul dans son Cartulaire. C’est-à-dire seulement quelques lignes : « Des écrits contradictoires sur ces débats furent publiés de part et d’autre, à Carcassonne, par la voie de la presse locale durant le cours de l’année 1835. Les écrits publiés pour l’inculpation sont signés par les chefs habituels de l’opposition politique de l’époque. » Jean Amiel, à son corps défendant, ajoute : « C’est tout. Nous avons fait des recherches personnelles qui ne nous ont rien donné de plus. C’est peu. L’on en conviendra. »

    Et pour cause… Jacques Alphonse Mahul était le cousin germain de Guillaume Peyrusse. Ancien doctrinaire, haï de la population pour ses positions antisociales et contre la liberté de la presse lors de son mandat de député, il dut abandonner la politique et se faire oublier avec son Cartulaire. Que Guillaume Peyrusse ait été attaqué par les légitimistes Bourbons et les Républicains semble acquis, mais le conseil municipal Orléaniste lui était favorable. A moins que quelques anciens bonapartistes comme Sarrand, passés comme lui à Louis-Philippe, n’aient eu une quelconque rancune à son endroit. L’histoire le révèlera t-elle un jour ? La réhabilitation de Guillaume Peyrusse interviendra lors du passage de Napoléon III à Carcassonne avec la remise de la Légion d’honneur en 1852, après avoir chanté les louanges de Louis-Philippe. Les hommes sont ce qu’ils sont, le temps ne les changera pas.

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    Le baron Peyrusse est inhumé dans le cimetière Saint-Vincent. Sa tombe a été restaurée et une plaque apposée par les soins de l'Association des Amis de la ville et de la Cité.

    Sources

    La tribune des départements, La tribune littéraire et politique, La quotidienne, La gazette du Languedoc, Le moniteur universel, Le figaro / 1832 à 1835

    Six Ataciens célèbres / Jean Amiel / 1929

    Délibérations du Conseil municipal de Carcassonne

    Recherches, synthèse et rédaction / Martial Andrieu

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    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2019

  • Rose Joseph Teisseire, Maire de Carcassonne sous la Monarchie de Juillet

    Il faudra un jour questionner nos historiens locaux sur les raisons pour lesquelles, ils n’ont pas étudié la vie civile et politique de Rose Joseph Teisseire, député-maire de Carcassonne sous la Monarchie de Juillet. Il y a là selon toute vraisemblance une lacune, à laquelle nous avons tenté d’apporter quelques éléments de réponse. Pour se faire, nous avons d’abord mené une recherche généalogique sur la famille Teisseire ; elle nous a offert de grandes surprises du plus grand intérêt. Poursuivant notre quête, les archives de l’Assemblée nationale et les délibérations des conseils municipaux de Carcassonne pour la période 1830-1832, ont été essentielles pour cerner les positions idéologiques et politiques de Rose Joseph Teisseire durant ses mandats électoraux. La question de l’héritage historique de cet homme oublié sera posée en fin de chronique.

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    La Révolution du 29 juillet 1830

    La famille Teisseire construit sa fortune au XVIIe siècle grâce à l’industrie textile - florissante dans la région à cet époque - d’abord avec Jean Teisseire, puis avec son fils Jacques (1668-1730) - Consul de Carcassonne en 1700. Cette lignée de petits négociants devenus bourgeois s’enrichit encore davantage avec Joseph Teisseire (1753-1816) qui avait acquis une charge de Conseiller du roi et de magistrat principal de la Sénéchaussée de la ville. Avec de tels titres et surtout une bourse bien remplie, il est plus aisé d’épouser la fille d’une vieille famille aristocrate désargentée, en la personne Marie Adélaïde Mahul de Roquerlan (1757-1839). Fermons les yeux sur le ci-devant Teisseire ; il amène la dot, nous lui garantissons le titre de noblesse sans crainte de mésalliance. Ces mariages seront monnaie courante chez les bourgeois, qui parfois se feront rajouter une particule à grand frais.

    De l’union de Joseph avec Marie Adélaïde naît quatre enfants, dont Jules Melchior « Emmanuel » Teisseire (1791-1855) qui sera juge au tribunal de 1ère Instance de Carcassonne et mourra au château de Senailly (Côte d’Or). Emmanuel vendra au Conseil départemental les terres qu’il possédaient dans l’actuel quartier du Palais, pour construire le Palais de justice.

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    Le second fils Teisseire voit le jour le 8 septembre 1793 à Montréal d’Aude. Il se prénomme Rose Joseph et un grand avenir politique se dessine devant lui. Apprenti Franc-maçon, initié à la loge La parfaite amitié et les Commandeurs du temple à Carcassonne en 1819, il est encore étudiant. A l’instar des membres de la famille, il est bien marié en 1821 à l’église Saint-Thomas d’Aquin à Paris (VIIe), avec Aurore Mélanie Dejean (1802-1890). La fille du Comte Dejean et de l’Empire, ministre de la guerre de Napoléon 1er, né à Castelnaudary. Excusez du peu !

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    De cette union naîtront dix enfants, parmi lesquels l’une de ses filles, Anne Aurore Marie, convolera en justes noces avec Eugène Castel (avocat, banquier, Président du Conseil général, etc.). C’est un ascendant des Castel « de la Reille » parce qu’ils habitaient le domaine du même nom. Quand on fait partie du Comité royaliste, il vaut mieux une particule. Si ce mariage n’a pas posé de problème, la perspective de voir la quatrième fille s’unir à Antoine Sarrail, simple fonctionnaire de son état, ne réjouit guère Rose Joseph Teisseire. Le père du fiancé est certes avocat, mais le statut social de la famille Sarrail ne peut être considéré comme suffisant. Aussi, Teisseire se refuse à assister à la noce et ne versera pas un centime de dot. S’il avait su que le fils des tourtereaux allait devenir l’un des plus grands généraux de la Grande guerre et reposerait actuellement aux Invalides, il aurait sans doute changé de visée. Sauf qu’il mourra bien trop tôt pour connaître la gloire de son petit-fils Maurice Paul Emmanuel Sarrail (1858-1928).

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    Rose Joseph Teisseire participe à la Révolution de 1830 qui met fin au règne de Charles X ; ce roi jugé comme liberticide par le peuple et dont la gouvernance devait asservir la classe ouvrière. Fallait-il rétablir la République ? Teisseire se contenta d’abord d’adouber Louis-Philippe 1er, roi des Français, considérant ses idées progressistes. Cela ne pourrait pas être pire que sous Charles X, pensait-on. La famille d’Orléans a tellement comploté contre ses cousins Bourbons, que Louis-Phillipe ne prendrait pas le risque d’une disgrâce populaire et finalement de perdre le pouvoir. En remerciement de ses bonnes grâces, le roi des Français signe le décret du ministre Guizot installant Teisseire aux fonctions de maire de la commune de Carcassonne, le 27 août 1930. Le discours qu’il prononce à l’hôtel de ville, entouré de ses adjoints Pierre Pailhiez, Cazes et Jacques Degrand, est le suivant :

    « Votre ordonnance royale m’appelle à l’honneur de vous présider et me place à la tête de l’administration municipale. Quelque redoutable que soit ce fardeau, le zèle du bien public, un ardent patriotisme m’aidera à le supporter. Liberté, ordre public, telle est la devise du Roi des Français, telle sera certainement la mienne. Depuis longtemps écrite au fond de mon cœur. Je le reconnais bien volontiers, en proclamant les Droits de l’homme libre, le premier devoir du magistrat est de veiller à la scrupuleuse observation de la loi. Cette tâche deviendra facile dans une Cité où le plus vif amour de la patrie s’unit toujours à une admirable modération ; qu’ai-je besoin d’invoquer vos souvenirs et de vous dire qu’au plus fort des orages politiques, ses habitants accourus sur la frontière prenaient leur part de gloire et de danger dans une lutte héroïque, et tandis que les villes de France, courbées sous le joug de la Terreur, gémissaient sur les coupables excès, aucun crime ne souilla dans Carcassonne la pureté du plus beau triomphe, celui de la Liberté sur le despotisme.

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    La maison de Rose Joseph Teisseire, Bd Roumens

    La génération nouvelle est digne de celle qui la précédée, brûlant du même patriotisme, aussi sage et plus éclairé. Au premier signal de la délivrance elle forme avec transport notre Garde civique ; son attitude fière n’est hostile pour personne ; au milieu d’elle parait le signe chéri de notre indépendance, le drapeau tricolore ; et l’on dirait qu’il se déploie même pour amener la plus étonnante conquête, que pour protéger les membres de la société. Une aussi loyale conduite rallie tous les cœurs ; notre brave garnison sympathise bientôt avec des hommes qui durent toujours faire estimer la franchise de leurs opinions et leur courage personnel ; enfin, et c’est ici le plus beau titre de nos concitoyens, le cours de la justice n’est pas interrompu, chaque loi sortira son plein et entier effet ; la contagion d’un mal voisin ne saurait nous atteindre ; tant que la loi existe, respect à la loi. C’est ainsi que pense et agit cette population généreuse et dévouée, dont je suis fier d’être le premier magistrat. Au milieu d’elle, avec le concours, Messieurs, et sous les auspices du jeune administrateur qu’un mérite précoce et le plus ardent amour de nos institutions, signalé naguère dans les mémorables journées de Juillet, appelle au premier poste de ce département, je l’espère vers d’heureux résultats. 

    Docile à la voix du roi citoyen qui fera le bonheur de la France, nous déclarerons, comme lui, que le temps des prodigalités est passé, que le règne des abus doit faire place à celui d’une sage économie ; et sans exclure les dépenses utiles nous nous souviendrons toujours que les revenus de la ville doivent être appliqués aux besoins et la propreté de la ville. »

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    Louis-Philippe 1er en 1842

    Après avoir prêté le serment « Je jure fidélité au Roi des Français, obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume », la lune de miel avec Louis-Philippe ne dura que quelques mois. En Juillet 1831, Teisseire est élu député de l’Aude par le collège électoral et siège  à gauche dans l’Opposition libérale. Cinq mois plus tard, il est révoqué de son poste de maire en raison de sa contestation du pouvoir.

    Le 22 mai 1832, Teisseire fait partie des 39 députés à signer le Compte-rendu, véritable réquisitoire contre la Monarchie de Juillet. Le gouvernement sous la pression de la contestation ouvrière prend des mesures liberticides comme celle remettant en cause la Liberté de la presse, désignée comme « Loi scélérate de 1835 » pour laquelle le député audois votre contre. Le 24 janvier 1837, suite à la tentative de soulèvement des bonapartiste à Strasbourg, Teisseire votre contre la loi de disjonction. Elle prévoyait de séparer les coupables de rébellion en deux catégories. Pour les civils, la cour d’assises et pour les militaires, le conseil de guerre.

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    L’autre député de l’Aude, le citoyen Alphonse Mahul (1795-1871), futur rédacteur du célèbre Cartulaire éponyme se rangea derrière la majorité ministérielle. Partisan de la soumission à la politique antisociale et liberticide de Casimir Perier, son impopularité fut sans égal dans l’Aude.

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    Merci à J. Blanco pour sa photo

    Rose Joseph Teisseire quitta son mandat de député en 1839, conserva celui de conseiller général avant de rejoindre Draguignan comme préfet du Var en 1840. Il sera révoqué à la Révolution de 1848 et retournera à Carcassonne. Le 7 mai 1858, l’ancien maire meurt dans sa maison de la rue Saint-Michel (rue Voltaire). Il est inhumé au cimetière Saint-Michel dans le caveau familial (Carré 19. Emplacement 525). 

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  • Louis Edouard Bosc, un Saissacois élu maire de Carcassonne

    Louis Edouard Bosc naît à Saissac le 27 janvier 1803 de Paul Antoine, propriétaire, et de Valentine  Valade. Issu d’une famille aisée de riches agriculteurs de la Montagne noire, le jeune Bosc sort diplômé de la faculté de médecine et s’installe à Carcassonne. En 1835, il fait preuve d’un grand dévouement lors de l’épidémie de choléra qui touche les villes de Gruissan et de Castelnaudary dans lesquelles il se porte au chevet des malades. L’année suivante, le docteur Bosc convole en justes noces avec Anne Claire Zoé Roucairol à Carcassonne et de cette union naîtront deux enfants : Abel qui ne survivra que onze ans et Marie, décédée en 1922.

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    L'ancien Hôtel de ville de Carcassonne

    Le 17 juin 1849, le préfet de l’Aude installe le nouveau Conseil municipal qui choisit Louis Bosc pour occuper les fonctions de maire de Carcassonne. A ses côtés, Constantin Fages et François Cazaben comme adjoints et Birotteau, Malbosc, Verguet, Croux, Bellemannière, Vié-Andrieu, Lignières, Pastre, Rolland, Laperrine, Cros, Mandoul et Fourinal comme conseillers municipaux.

    Sous le mandat de Bosc, la municipalité votera le financement des travaux du Palais de Justice. Elle dessinera les contours du futur quartier du Palais. Sur le plan politique, Louis Bosc accueillera Louis Napoléon Bonaparte en grandes pompes à Carcassonne le 2 octobre 1852 par ses mots :

    « Prince,

    La ville de Carcassonne est heureuse de vous recevoir dans ses murs. Chef du corps municipal, je suis fier d’un titre qui naguère me permettait d’être auprès de vous l’interprète de ses sentiments, et me donne aujourd’hui le droit d’offrir à Son Altesse Impériale, les clefs de notre cité.

    Entrez, Prince, les vœux de nos concitoyens vous appellent ; continuez au milieu de nous, cette marche triomphale qui, sur votre passage, fait éclater les transports les plus vifs, résumés tous dans ce cri, symbole de l’ordre et de la gloire : « Vive l’Empereur !

    Ici, comme partout, Dieu empruntera la voix du peuple pour manifester ses desseins sur la France ; puissent nos acclamations, expression d’une respectueuse impatience, hâter le jour où la main puissante qui vous guida pour vaincre l’anarchie posera sur votre front cette couronne héréditaire qui doit clore l’ère de nos révolutions.

    Vive Napoléon ! vive l’Empereur ! »

    La municipalité Bosc issue de la liste de l’Administration, dans laquelle ne se retrouvent que de riches bourgeois de la ville, n’est guère enclin à favoriser la parole ouvrière. Le maire refuse de reconnaître la légalité des Cercles ouvriers, au sein desquels les citoyens ont parfaitement le droit de se réunir dans un but non politique. En 1852, Louis Bosc qui s’était présenté dans le canton de Saissac échoua à se faire élire contre Besaucèle. Il est nommé par décret impérial Chevalier de la légion d’honneur le 21 janvier 1854. Arguant un manque de temps et le désir de s’occuper de ses propriétés, il démissionne de ses fonctions de maire de Carcassonne en décembre 1853. Son premier adjoint Fages assure l’intérim avant que Roques-Salvaza ne soit nommé après les élections du mois d’août 1855.

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    Le château d'Escourrou à Saissac

    Louis Bosc, outre sa profession de docteur en médecine, possède plusieurs propriétés. A Cavanac, le domaine de Lafarguette. A Carcassonne, le domaine d’Alibert à l’entrée de la route de Toulouse. A Saissac, Pratmoulis, Le Poularié, Saigne Villemagne et Escourrou. Dans cette dernière propriété il est le premier à expérimenter le traitement des terres par la chaux en 1856.  Des fours à chaux se sont établis dans les bois de la Montagne noire uniquement en vue de répondre aux demandes croissantes de l’agriculture. Les Mémoires de la Société Centrale d’Agriculture en France dans son édition de 1881, décrivent Louis Bosc comme « Un des meilleurs agriculteurs de la Montagne, et qui mériterait de l’être comme l’un de ses bienfaiteurs. »

    Louis Edouard Bosc meurt dans sa propriété d’Escourrou à Saissac le 8 juillet 1885 à l’âge de 83 ans. Ses obsèques sont célébrées deux jours après dans ce village de la Montagne noire. Depuis ce temps, la République ayant remplacé le Second Empire, Louis Bosc avait été oublié et son passage à la mairie, remisé dans un cul-de-basse-fosse. 

    Sources

    Délibérations du CM de carcassonne

    Etat-Civil / ADA 11

    Le passage de Louis Napoléon dans le Midi de la France

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