Il faudra un jour questionner nos historiens locaux sur les raisons pour lesquelles, ils n’ont pas étudié la vie civile et politique de Rose Joseph Teisseire, député-maire de Carcassonne sous la Monarchie de Juillet. Il y a là selon toute vraisemblance une lacune, à laquelle nous avons tenté d’apporter quelques éléments de réponse. Pour se faire, nous avons d’abord mené une recherche généalogique sur la famille Teisseire ; elle nous a offert de grandes surprises du plus grand intérêt. Poursuivant notre quête, les archives de l’Assemblée nationale et les délibérations des conseils municipaux de Carcassonne pour la période 1830-1832, ont été essentielles pour cerner les positions idéologiques et politiques de Rose Joseph Teisseire durant ses mandats électoraux. La question de l’héritage historique de cet homme oublié sera posée en fin de chronique.
La Révolution du 29 juillet 1830
La famille Teisseire construit sa fortune au XVIIe siècle grâce à l’industrie textile - florissante dans la région à cet époque - d’abord avec Jean Teisseire, puis avec son fils Jacques (1668-1730) - Consul de Carcassonne en 1700. Cette lignée de petits négociants devenus bourgeois s’enrichit encore davantage avec Joseph Teisseire (1753-1816) qui avait acquis une charge de Conseiller du roi et de magistrat principal de la Sénéchaussée de la ville. Avec de tels titres et surtout une bourse bien remplie, il est plus aisé d’épouser la fille d’une vieille famille aristocrate désargentée, en la personne Marie Adélaïde Mahul de Roquerlan (1757-1839). Fermons les yeux sur le ci-devant Teisseire ; il amène la dot, nous lui garantissons le titre de noblesse sans crainte de mésalliance. Ces mariages seront monnaie courante chez les bourgeois, qui parfois se feront rajouter une particule à grand frais.
De l’union de Joseph avec Marie Adélaïde naît quatre enfants, dont Jules Melchior « Emmanuel » Teisseire (1791-1855) qui sera juge au tribunal de 1ère Instance de Carcassonne et mourra au château de Senailly (Côte d’Or). Emmanuel vendra au Conseil départemental les terres qu’il possédaient dans l’actuel quartier du Palais, pour construire le Palais de justice.
Le second fils Teisseire voit le jour le 8 septembre 1793 à Montréal d’Aude. Il se prénomme Rose Joseph et un grand avenir politique se dessine devant lui. Apprenti Franc-maçon, initié à la loge La parfaite amitié et les Commandeurs du temple à Carcassonne en 1819, il est encore étudiant. A l’instar des membres de la famille, il est bien marié en 1821 à l’église Saint-Thomas d’Aquin à Paris (VIIe), avec Aurore Mélanie Dejean (1802-1890). La fille du Comte Dejean et de l’Empire, ministre de la guerre de Napoléon 1er, né à Castelnaudary. Excusez du peu !
De cette union naîtront dix enfants, parmi lesquels l’une de ses filles, Anne Aurore Marie, convolera en justes noces avec Eugène Castel (avocat, banquier, Président du Conseil général, etc.). C’est un ascendant des Castel « de la Reille » parce qu’ils habitaient le domaine du même nom. Quand on fait partie du Comité royaliste, il vaut mieux une particule. Si ce mariage n’a pas posé de problème, la perspective de voir la quatrième fille s’unir à Antoine Sarrail, simple fonctionnaire de son état, ne réjouit guère Rose Joseph Teisseire. Le père du fiancé est certes avocat, mais le statut social de la famille Sarrail ne peut être considéré comme suffisant. Aussi, Teisseire se refuse à assister à la noce et ne versera pas un centime de dot. S’il avait su que le fils des tourtereaux allait devenir l’un des plus grands généraux de la Grande guerre et reposerait actuellement aux Invalides, il aurait sans doute changé de visée. Sauf qu’il mourra bien trop tôt pour connaître la gloire de son petit-fils Maurice Paul Emmanuel Sarrail (1858-1928).
Rose Joseph Teisseire participe à la Révolution de 1830 qui met fin au règne de Charles X ; ce roi jugé comme liberticide par le peuple et dont la gouvernance devait asservir la classe ouvrière. Fallait-il rétablir la République ? Teisseire se contenta d’abord d’adouber Louis-Philippe 1er, roi des Français, considérant ses idées progressistes. Cela ne pourrait pas être pire que sous Charles X, pensait-on. La famille d’Orléans a tellement comploté contre ses cousins Bourbons, que Louis-Phillipe ne prendrait pas le risque d’une disgrâce populaire et finalement de perdre le pouvoir. En remerciement de ses bonnes grâces, le roi des Français signe le décret du ministre Guizot installant Teisseire aux fonctions de maire de la commune de Carcassonne, le 27 août 1930. Le discours qu’il prononce à l’hôtel de ville, entouré de ses adjoints Pierre Pailhiez, Cazes et Jacques Degrand, est le suivant :
« Votre ordonnance royale m’appelle à l’honneur de vous présider et me place à la tête de l’administration municipale. Quelque redoutable que soit ce fardeau, le zèle du bien public, un ardent patriotisme m’aidera à le supporter. Liberté, ordre public, telle est la devise du Roi des Français, telle sera certainement la mienne. Depuis longtemps écrite au fond de mon cœur. Je le reconnais bien volontiers, en proclamant les Droits de l’homme libre, le premier devoir du magistrat est de veiller à la scrupuleuse observation de la loi. Cette tâche deviendra facile dans une Cité où le plus vif amour de la patrie s’unit toujours à une admirable modération ; qu’ai-je besoin d’invoquer vos souvenirs et de vous dire qu’au plus fort des orages politiques, ses habitants accourus sur la frontière prenaient leur part de gloire et de danger dans une lutte héroïque, et tandis que les villes de France, courbées sous le joug de la Terreur, gémissaient sur les coupables excès, aucun crime ne souilla dans Carcassonne la pureté du plus beau triomphe, celui de la Liberté sur le despotisme.
La maison de Rose Joseph Teisseire, Bd Roumens
La génération nouvelle est digne de celle qui la précédée, brûlant du même patriotisme, aussi sage et plus éclairé. Au premier signal de la délivrance elle forme avec transport notre Garde civique ; son attitude fière n’est hostile pour personne ; au milieu d’elle parait le signe chéri de notre indépendance, le drapeau tricolore ; et l’on dirait qu’il se déploie même pour amener la plus étonnante conquête, que pour protéger les membres de la société. Une aussi loyale conduite rallie tous les cœurs ; notre brave garnison sympathise bientôt avec des hommes qui durent toujours faire estimer la franchise de leurs opinions et leur courage personnel ; enfin, et c’est ici le plus beau titre de nos concitoyens, le cours de la justice n’est pas interrompu, chaque loi sortira son plein et entier effet ; la contagion d’un mal voisin ne saurait nous atteindre ; tant que la loi existe, respect à la loi. C’est ainsi que pense et agit cette population généreuse et dévouée, dont je suis fier d’être le premier magistrat. Au milieu d’elle, avec le concours, Messieurs, et sous les auspices du jeune administrateur qu’un mérite précoce et le plus ardent amour de nos institutions, signalé naguère dans les mémorables journées de Juillet, appelle au premier poste de ce département, je l’espère vers d’heureux résultats.
Docile à la voix du roi citoyen qui fera le bonheur de la France, nous déclarerons, comme lui, que le temps des prodigalités est passé, que le règne des abus doit faire place à celui d’une sage économie ; et sans exclure les dépenses utiles nous nous souviendrons toujours que les revenus de la ville doivent être appliqués aux besoins et la propreté de la ville. »
Louis-Philippe 1er en 1842
Après avoir prêté le serment « Je jure fidélité au Roi des Français, obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume », la lune de miel avec Louis-Philippe ne dura que quelques mois. En Juillet 1831, Teisseire est élu député de l’Aude par le collège électoral et siège à gauche dans l’Opposition libérale. Cinq mois plus tard, il est révoqué de son poste de maire en raison de sa contestation du pouvoir.
Le 22 mai 1832, Teisseire fait partie des 39 députés à signer le Compte-rendu, véritable réquisitoire contre la Monarchie de Juillet. Le gouvernement sous la pression de la contestation ouvrière prend des mesures liberticides comme celle remettant en cause la Liberté de la presse, désignée comme « Loi scélérate de 1835 » pour laquelle le député audois votre contre. Le 24 janvier 1837, suite à la tentative de soulèvement des bonapartiste à Strasbourg, Teisseire votre contre la loi de disjonction. Elle prévoyait de séparer les coupables de rébellion en deux catégories. Pour les civils, la cour d’assises et pour les militaires, le conseil de guerre.
L’autre député de l’Aude, le citoyen Alphonse Mahul (1795-1871), futur rédacteur du célèbre Cartulaire éponyme se rangea derrière la majorité ministérielle. Partisan de la soumission à la politique antisociale et liberticide de Casimir Perier, son impopularité fut sans égal dans l’Aude.
Merci à J. Blanco pour sa photo
Rose Joseph Teisseire quitta son mandat de député en 1839, conserva celui de conseiller général avant de rejoindre Draguignan comme préfet du Var en 1840. Il sera révoqué à la Révolution de 1848 et retournera à Carcassonne. Le 7 mai 1858, l’ancien maire meurt dans sa maison de la rue Saint-Michel (rue Voltaire). Il est inhumé au cimetière Saint-Michel dans le caveau familial (Carré 19. Emplacement 525).
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Commentaires
Je suis admiratif ... quel travail de recherche .. merci encore pour tous vos articles qui nous permettent de connaître et de comprendre l'histoire de notre ville
Merci pour vos recherches , toujours très passionnant de découvrir l’histoire de notre ville.
Cordialement