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  • Vitalis Cros (1913-1999) : résistant, préfet et écrivain

    Vitalis Cros naît le 13 octobre 1913 à Villeneuve-Minervois dans une famille agnostique profondément ancrée dans l'histoire, les traditions et la culture de ce département. À tel point qu'il est d'usage d'attribuer aux enfants mâles, des prénoms issus des générations précédentes. Vitalis est hérité ainsi de son grand-père qui le tenait déjà du sien...etc. Que dire alors du prénom de son père, Vercingétorix ? Cet homme à la stature inébranlable, revient de la Grande guerre très sérieusement blessé, au point d'en garder un lourd handicap. Il est marié avec Juliette Durand qui tiendra plus tard un kiosque à journaux, puis la librairie Hachette dans Carcassonne qui deviendra le lieu de rendez-vous des premiers résistants.

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    Vitalis Cros fait ses études au lycée de Carcassonne, puis étudie le droit à Toulouse. Une fois diplômé, il s'inscrit au barreau de cette ville et se destine au Conseil d'État. Au moment de l'armistice, cet objectif s'est éloigné avec l'obligation de prêter serment à Pétain. Il entre alors dans la clandestinité et l'opposition farouche au pouvoir de Vichy.

    Le résistant

    À bord de sa camionette 202 qui - bricolée par ami - fonctionne à l'alcool, il use de sa fonction de dépositaire de presse et devient agent de liaison entre les maquis de la région et au-delà : Montpellier, Toulouse, Clermont-Ferrand.

    Notes de V. Cros extraite de son journal de bord

    " 1940 : C'est la débandade - Rentré à Carcassonne, je ne trouve que des gens soulagés... avec deux millions de prisonniers ! J... et G... que j'ai revus, sont effondrés. Je sens la pourriture nous envahir. Il faudrait adorer ce que nous avons brûlé. Et on commence à nous parler de Révolution nationale ! Dans un pays occupé par l'ennemi ! De qui se fout-on ? Autour de nous beaucoup font comme si le destin de la France était d'être ce qu'elle est aujourd'hui, c'est-à-dire ne pas être.

    "Fin 1941 - J'ai arrêté ces notes parce qu'il est impossible de faire le point, mais on sait où on va : La guerre avec la Russie se traduit pour l'Allemagne par de véritables annexions (Ukraine, Pologne...) et en France occupée tout est désormais très clair (en octobre massacre de Châteaubriant, déportation de patriotes). Que se passe t-il en Alsace-Lorraine ? On voit passer ici des tas de gens, et pas seulement des juifs, qui fuient la barbarie. Tout cela est trop significatif pour qu'on ait la moindre hésitation."

    "Le rapprochement avec l'Angleterre et l'Amérique se poursuit de façon irréversible. Le coup récent de Pearl Harbor semble avoir réglé la question du côté américain. Mais ils mettent du temps et ce la reste préoccupant. William Bullitt est toujours ambassadeur à Vichy. Alors quoi ?

    Des tracts de zone occupée arrivent péniblement en zone non occupée. Une nommée Mme Nadel a fait passer par Dewoitine (Primo Combino, ndlr), des journaux véritables : Défense de la France.

    Vitalis Cros cache son journal près de la chaudière de sa maison de Villeneuve-Minervois et de temps en temps y rédige quelques notes. Comme celle-ci où des néo-résistants se rassemblèrent à la statue de Barbès à Carcassonne le 14 juillet 1942.

    Je veux signaler une manifestation nombreuse à Barbès, organisée par Picolo. Je n'ai su la chose qu'après coup, j'étais à Toulouse, le 14 juillet. Petit cénacle le 16 à la maison. (P.R.A.B.M.S.D.F.G.H).

    Il s'agit des noms suivants que Cros a bien sûr voulu protéger : Picolo, Roubaud, Amiel, B, Merlane, Sable, Daraud, Fourès, Gout, Hidoux). Vitalis Cros est convaincu que l'anéantissement de nazisme ne peut passer que par l'action de réseaux structurés. Il se bat contre l'idée qu'il faille attendre des libérateurs étrangers.

    Le préfet 

     vitalis cros

    © Wikipédia

    Le gouvernement provisoire de la République Française lui demande en juillet 1944 d'administrer la sous-préfecture de Narbonne. Il entre en fonction au moment de la libération de la ville, le 22 août 1944 et y restera jusqu'au 15 mars 1954. Au début de l'année 1957, il devient à Paris chef de cabinet de Georges Guille - ancien résistant audois - alors secrétaire d'état à la présidence du Conseil. Le 11 mars 1958, il est nommé préfet de l'Aude puis, un an après, préfet des Ardennes. 

    À Alger...

    De novembre 1961 à juillet 1962, Vitalis Cros occupe les difficiles fonctions de préfet d'Alger. Il doit faire régner l'ordre dans une période où les attentats sont quotidiens entre le F.L.N et l'O.A.S. Le plus sanglant est sûrement celui de la rue d'isly en mars 1962 qui fit 67 morts et près de 200 blessés, dans lequel l'armée a ouvert le feu pour faire respecter l'interdiction de manifester contre la décolonisation.

    vitalis cros

    La fusillade à la Grande poste d'Alger

    "La population du grand Alger est mise en garde contre les mots d’ordre de manifestation mis en circulation par l’organisation séditieuse. Après les événements de Bab-El-Oued, il est clair que les mots d’ordre de ce genre ont un caractère insurrectionnel évident. Il est formellement rappelé à la population que les manifestations sur la voie publique sont interdites. Les forces du maintien de l’ordre les disperseront, le cas échéant, avec toute la fermeté nécessaire. (Vitalis Cros)"

    Du côté de l'état, on indique qu'un provocateur a tiré les premières salves et que les gendarmes n'ont fait que riposter ensuite aux émeutiers. Cette thèse est battue en brèche par les défenseurs de l'O.A.S, partisans de l'Algérie française. 

    Villeneuve-Minervois

    Vitalis Cros est maire de son village natal entre 1971 et 1983 et se présente aux élections législatives de 1973 pour succéder à son ami G. Guille, élu S.F.I.O. Il est battu par le candidat socialiste Antoine Gayraud et aussi, pour son soutien à Georges Pompidou. Vitalis Cros est décédé le 6 avril 1999 à La Redorte.

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    Le complexe Vitalis Cros est inauguré en Juillet 2005

     L'écrivain

    vitalis cros

    Vitalis Cros est l'auteur de plusieurs ouvrages remarquables dont "Le temps de la violence" sur les événements d'Alger et leur justification ; "Le mal du siècle"; "La liberté colonisée" explique que la police n'est pas un frein aux libertés, mais au contraire vise à les maintenir ; "La liberté" pour lequel il obtient le Grand prix de l'Académie française en 1986 ; "L'Homme et l'utopie"... 

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    Raymond Chésa reçoit Vitalis Cros en 1985

     Sources

    La résistance audoise / Lucien Maury / 1980

    Radioscopie / Jacques Chancel / 1975

    Wikipédia

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    © Tous droits réservés/ Musique et patrimoine/ 2015 

  • Quand les mineurs de Salsigne firent le siège de la Préfecture de l'Aude

    Nous sommes le 1er avril 1992...  Au bout de 83 jours de siège devant la préfecture de l'Aude, abrités seulement par des tentes de 24m2 dans le froid de l'hiver et ravitaillés grâce au soutien des Carcassonnais, les mineurs de Salsigne sont délogés par les C.R.S. Que pouvait-on raisonnablement reprocher aux gueules noires extractrices du minerai aurifère, à ces poumons condamnés par l'arsenic et le bismuth ? L'état n'a eu ces jours-là qu'un seul mot après un siècle de bons et loyaux services : "On vous a assez vus". Il n'a offert pour solde de tout compte avec quelques élus locaux de gauche, devenus subitement silencieux car dans la majorité présidentielle : la force publique. Ils n'ont pas voulu se souvenir que dans les familles de ces mineurs, minés par l'âpreté de la tâche, des pères et des oncles sont inscrits au monument du Maquis de Trassanel. Oui, Salsigne a sauvé des juifs étrangers de la déportation ! Oui, la vallée de l'Orbiel a donné son sang pour la France ! Que Félix Roquefort et l'abbé Gau m'en soient témoins de là-haut.

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    © Alain Charles

    Alors que la mine d'or de Salsigne exploitée depuis 1892 emploie 1200 personnes en 1936, elle ne compte plus que 380 salariés au moment du conflit de 1992. Elle extrait 500 000 tonnes de minerai par an pour 2 tonnes d'or. Déjà en 1953, un conflit social porté par 108 mineurs et soutenu par deux députés dont Félix Roquefort, avait rassemblé plus de 2000 personnes dans Carcassonne. La fermeture de la mine l'année suivante entérinait le licenciement de 1200 personnes, avant sa réouverture en 1955.

    Restez chez vous

    Depuis 1983, de vives inquiétudes de la part des mineurs planaient sur l’avenir du site. Après le passage de la mine aux mains de BRGM (S.A), l'endettement enregistre un passif de 400 000 millions de francs (60 millions d'euros). En décembre 1991, les cadres annoncent aux mineurs qu’ils doivent rester chez eux car il n’y a plus de sous. Les mineurs décident de passer à l’action en portant le conflit dans les rues de Carcassonne.

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    Les mineurs défilent sur le boulevard O. Sarraut

    Le gouvernement joue la montre et le préfet Victor Convert devient rapidement la cible des manifestants qui exigent des garanties pour leurs camarades

    Le Préfet de l'Aude, M. Victor Convert, a décidé de reporter sine die la prochaine séance de négociations entre l'Etat et les syndicats des mineurs de Salsigne. Pour expliquer sa décision, il affirme avoir été menacé, notamment par deux lettres piégées déposées à la préfecture de Carcassonne. Des actes qu'il attribue sans hésitation aux travailleurs de la Compagnie des mines de Salsigne, mise en liquidation, en se basant sur un seul indice, une lettre de revendication signée «Salsigne». Ces négociations portent sur la mise en place d'un plan social. (L'Humanité / 9 mars 92)

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    Les mineurs obtiennent du tribunal de commerce, un congé de conversion de dix mois leur permettant d’être payés tout en continuant leur mouvement. Un rocher est placé sur le boulevard puis dégagé par la force publique. Chésa fera voter une délibération du Conseil municipal à la demande des ouvriers pour installer un nouveau rocher ; une concession est accordée aux mineurs. Ce sera le rocher de la lutte.

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    © chroniques de Carcassonne

    Le conflit s’arrête en avril 1992 et Salsigne est partagé en trois : La mine, la SEPS, SNC Lastours ; la mine ensuite passe à ELTIN (groupe Australien). Le vendredi 2 juillet 2004, la mine d'or de la vallée de l'Oriel ferme définitivement, juste quelques employés restent jusqu'en décembre afin de procéder au démantèlement. Personne n'a voulu réindustrialiser  la vallée de l'Orbiel ; 171 personnes sont devenues des chômeurs. L'exploitant réalisait en 2003 un chiffre d'affaire de 18 millions d'euros. Si en 1992, le kg d'or se négociait autour de 50 000 francs (7000 euros), aujourd'hui il est de 40 000 euros. Pas rentable ?

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  • La villa de la Gestapo de Carcassonne, un an après...

    Au mois d'octobre 2014, la nouvelle municipalité de Gérard Larrat décidait de ne pas racheter la maison occupée entre 1942 et 1944 par le SD (Gestapo) au bailleur social Habitat Audois. Ce dernier devait la raser afin d'y construire des logements sociaux ; j'étais alors intervenu en juin 2013 auprès de la municipalité Pérez, afin de tenter de faire capoter ce projet qui allait sacrifier la mémoire de la Résistance pour satisfaire les appétits immobiliers. Les témoignages écrits racontant un possible charnier dans le jardin de la villa, eurent pour conséquence de retarder et d'embarrasser les acteurs du dossier. Le préfet fit stopper le permis de démolir et la ville fit procéder à des fouilles par l'INRAP. 

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    Voici le rapport de fouilles publié par la DRAC

    Novembre 1942, l’armée allemande franchit la ligne de démarcation et envahit la zone libre. Les troupes de la Weirmarch s’installent à Carcassonne le 27. L’occupant réquisitionne la propriété du 67 avenue Franklin Roosevelt (Route de Toulouse à l’époque des évènements) qui deviendra le siège des services de renseignements du SD Sicherheitsdienst. Pour les Carcassonnais et surtout pour les résistants audois, ce lieu va devenir « la maison Gestapo » où l’on va pendant un peu moins de deux ans organiser la répression : séquestrations, interrogatoires, tortures et, à de nombreuses reprises, déportations vers les camps de la mort ou éliminations des femmes et hommes soupçonnés de participer à la résistance.

    Après la libération se posera la question des disparus. Lors des procès des principaux responsables du SD de Carcassonne (à Carcassonne en 1944 et à Bordeaux en 1953), aucune lumière ne sera faite sur la localisation des dépouilles des résistant(e)s disparu(e)s. Il paraissait dés lors indispensable en préalable au début des travaux d’aménagement, de vérifier si les tortionnaires du SD Sicherheitsdenst avaient pu creuser un charnier dans le grand parc situé au sud de la maison.

    La totalité des excavations que nous avons pratiquées sont restées muettes de tous vestiges archéologiques stricto-sensu ainsi que de toutes traces du passage du sinistre SD Sicherheitsdienst. Il est rare pour les archéologues de se voir confier des missions relevant à la fois d’un événement aussi précis et touchant à un passé récent et d’autant plus tragique. Nous avons conscience toutefois qu’une archéologie du temps présent voit le jour ces dernières années au gré des évènements dramatiques qui se déroulent aux quatre coins de la planète. Des méthodes d’approche telles que la photo aérienne ou l’Anthropologie physique ont récemment été utilisées en Bosnie-Herzégovine à la fois pour repérer les charniers dans la région de Srebrenica, mais aussi pour aider à l’identification des victimes.

    Nous avons eu le sentiment dans ce contexte de mettre humblement notre savoir faire professionnel à la disposition d’une mission relevant plus de la conscience citoyenne que de la recherche archéologique. Malgré l’échec de nos investigations, le soin qui a été apporté à la recherche des disparu(e)s de « la Maison Gestapo » de Carcassonne, rappelle à toutes et tous l’engagement de ces résistantes et résistants audois, de ces républicains espagnols qui ont donné leurs vies pour la liberté de tous... 

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      La villa rasée en février 2015

     Je vous laisse apprécier la phrase "Il paraissait dès lors indispensable en préalable..." qui  donne finalement raison à mon entreprise pour la recherche de la vérité historique. Chose qu'a foulée du pied l'ensemble des acteurs administratifs de la ville, puisque les témoignages manuscrits sur ce charnier avaient été déjà envoyés par l'association des riverains de la route de Toulouse en août 2009. À cette époque, personne en mairie n'a semble t-il voulu leur donner d'importance. Il y a eu faute ; mais de qui ? 

    Au bout d'un combat médiatique solitaire et épuisant, j'arrivais à convaincre de haute lutte le maire d'alors qui décidait in-fine de la conserver et de l'aménager en Maison des Droits de l'homme. 

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    © La dépêche

    La villa avant sa destruction 

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    Aspect du site en octobre 2015

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    Les logements seront bientôt prêt à accueillir les nouveaux locataires

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    Une vue depuis l'arrière de l'ancien jardin 

    Nous espérons qu'une plaque rappellera bientôt aux Carcassonnais ce lieu de la barbarie nazie en hommage à tous les patriotes qui y ont été torturés. C'est le devoir moral du bailleur social Habitat Audois.

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