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Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 2

  • Le Christ en croix de Francis Bott (1904-1998) dans l'église d'Arques

    Dans le choeur de l’église d’Arques, un Christ en croix porte la signature d’Ernst Bott. À défaut d’informations supplémentaires, les habitants de ce village de la haute-vallée de l’Aude ignorent presque tout de l’auteur de cette peinture. Il aurait été juif, paraît-il. Interné à Rennes-les-bains, il serait ensuite parti en déportation. Fort de ces maigres renseignements, nous nous sommes mis en quête de rechercher la véritable identité de cet inconnu. Ce que nous avons découvert dépasse de très loin ce qu’il aurait été possible d’imaginer. Le 10 octobre 1940, Ernst Bott laissa son vrai nom au pied de sa peinture. C’est toutefois sous le pseudonyme de Francis Bott que cet immense artiste allemand jouit d’une renommée internationale. Comment l’église paroissiale d’Arques peut-elle détenir un tel trésor ?

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    Francis (Ernst) Bott en 1978

    Militant antinazi dès la prise du pouvoir par Hitler en 1933, Ernst Bott connut des fortunes diverses au gré de ses pérégrinations. C’est sans doute le mythe du juif errant qu’il incarne. Né à Francfort le 8 mars 1904 dans une famille bourgeoise, il se lie d’amitié dans sa jeunesse avec Max Ernst, Bertold Brecht et Thomas Mann. Après avoir adhéré au Parti communiste allemand (KPD), Bott fut conduit à l’exil à Prague pour échapper à la répression nazie. Avec la fille d’un rabbin polonais, Chana Gruschka, il traversa ensuite Zagreb, l’Italie et s’installa à Paris où il fit la connaissance de Pablo Picasso. Dans la capitale française, Bott fonda en 1938 « L’Union des artistes de l’Allemagne libre » avant de s’engager dans la Bataillon Thälmann lors de la guerre civile espagnole. Cette unité de volontaires des Brigades internationales était composée de 1500 hommes. Elle portait le nom d’Ernst Thälmann, président du Parti communiste allemand de 1925 à 1933. Revenu à Paris au moment de la déclaration de guerre, il chercha à s’enrôler dans l’armée française mais fut placé dans un Centre de rassemblement des étrangers à Fourchambault, près de Nevers. Le gouvernement radical-socialiste avait déclaré les communistes persona non grata sur le territoire français. La loi du 12 avril 1939, promulguée par le bien-aimé Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur, entérina la création des CTE (Compagnies de Travailleurs Etrangers). Elles précédèrent les GTE (Groupements de Travailleurs Etrangers), du gouvernement de Pétain, fondés le 27 septembre 1940. En quelque sorte, ces antichambres de la déportation serviront à recenser les juifs pour le compte des nazis.

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    Après Fourchambault, le couple Gruschka-Bott fut envoyé au camp de Bengy-Sur-Craon dans le département du Cher. Nous ignorons comment le couple échappa aux griffes des nazis, puisque le nom d’Ernst Bott figurait sur la liste des 87 opposants politiques réclamés par le Reich à la France après l’armistice. Il fallait sans doute un heureux concours de circonstance. Bott se retrouva en Zone libre à couper du bois près de Couiza. Nous imaginons qu’il fut placé avec sa compagne dans le GTE 145 à Quillan. Le 10 octobre 1940, il réalisa le Christ en croix dans l’église d’Arques, soit quatre jours avant son union avec Chana Gruschka, appelée par lui Manja. Le mariage eut lieu à la mairie d’Arques, où doit être conservé l’acte d’état civil. À une date que nous ne saurions préciser, mais devant se situer peu de temps après l’envahissement de la zone libre, le 11 novembre 1942, le couple se réfugia dans le Cantal. Probablement à Allanche, près d’Aurillac. Ernst Bott prit le maquis et combattit aux côtés des Francs Tireurs et Partisans Français.

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    Eglise Saint-Etienne 

    Cet article n’étant pas une étude de son oeuvre, nous invitons désormais les plus érudits de l’art sacré à se pencher sur ce Christ en croix de l’église d’Arques. La nomenclature, la côte et le talent de Francis Bott garantissent désormais un classement à ce Christ en croix. Plus que tout autre chose, son histoire laisse l’empreinte du Juif errant, communiste, dans un lieu saint du catholicisme. Nous en retiendront le symbole. Bott est décédé le 7 novembre 1998 à Lugano (Suisse) ; son épouse, en 1961 à Bâle à l’âge de 60 ans.

    Sources

    Exilés en France : souvenirs d'antifascistes allemands / G. Badia / 1982

    Francis Bott das Gesamtwerk / Wolfgang Henze / 1988

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  • Henri Castella (1921-2001), un grand architecte

    Henri François Castella naît le 13 décembre 1921 dans le quartier populaire des Capucins où son père exerce la profession de tonnelier. Originaire de Barcelone, Marius Castella (1895-1969) émigra en France – comme beaucoup de ses compatriotes – pour y trouver du travail. De son union avec Françoise Bousquet (1899-1985) – elle aussi native d’Espagne – naîtront trois garçons : Henri, Joseph et Francis. Ce dernier sera architecte et fera ses études à l’Ecole nationale des Beaux-arts, comme son frère aîné. Henri y est admis sur concours le 21 juillet 1941 dans la classe d’architecture d’Otello Zavaroni. Il fait alors la connaissance d'une antiquaire toulousaine d’origine polonaise – Jozefa Gorska – avec laquelle il se marie le 21 août 1945. Claude est né d'un premier lit. Elle lui donnera deux autres enfants :  Michel et Philippe. Après l’obtention de son diplôme le 11 mars 1948, il installe son cabinet à Toulouse l’année suivante.

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    Sa maison natale, 15 rue Marceau Perrutel. Elle a été entièrement refaite par l'architecte.

    Aussi loin que nous ayons trouvé, il semblerait que sa première réalisation d’envergure se trouve à Carcassonne. Il s’agit de la Cité Paul Lacombe, construite sur l’ancien parc au matériel de la ville au pied du quartier de la Gravette en 1952. Ajoutons-y deux ans plus tard, la transformation en cinéma du Chapeau rouge, dans la rue Trivalle. La façade, ainsi que la salle dont une partie conserve une oeuvre cachée du peintre Jean Camberoque. C’est sans doute ici le début de leur collaboration, née d’une amitié que rien n’ébranla. En cette même année 1954, Castella dessine le lotissement HLM du Moulin d’Autan en bordure de l’avenue du général Leclerc. 

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    Le Moulin d'Autan, avenue Leclerc. Sur la façade de chacun des logements, les tuiles vernissées de Jean Camberoque.

    Membre de l’Agence pour l’aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon à partir de 1963, il se voit confier avec Pierre Lafitte, la réalisation d’une station touristique à l’embouchure de l’Aude. Ce projet inscrit dans le cadre de la mission Racine ne vit pas le jour. Néanmoins, après le déménagement de son cabinet à Carcassonne en 1969, la renommée d’Henri Castella ne cesse de croître.

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    Henri Castella, Robert Fort, Jean Camberoque

    À la Grande Motte, il est de ceux à qui l’on doit l’un des immeubles qui font la singularité de cette nouvelle station balnéaire. Il s’agit de l’Impérial II, dessiné en 1970. La même année, l’architecte Carcassonnais remporte le concours international de la maison individuelle pour la région Languedoc-Roussillon. Lancé le 31 mars 1969 par Albin Chalandon, ministre de l’équipement et du logement, il s’agit de bâtir à moindre coût et rapidement ce que l’on appellera « Les chalandonettes ». À Carcassonne (St-Jacques - Le Viguier et Maquens), à Narbonne (Zone du Pavillon), à Nîmes (Les garrigues).

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    L'Impérial II à La Grande Motte

    Les affaires de l’architecte en chef de Leucate, Saint-Cyprien, Gruissan et du Barbares s’enchaînent. Son cabinet, installé 65 rue de Verdun à Carcassonne, compte pas moins de 25 salariés. C’est le plus important de la ville. Il faut bien sûr ne pas oublier d’y ajouter la chienne « Fifi, la salope », fidèle pinscher que Castella gardera vingt ans à ses côtés. Au début des années 80, il aménage l’Allée des arts au Barcarès et construit : La zone de Mateille (Gruissan), Le Grand stade à Saint-Cyprien, le Centre d’animation de Leucate, le camping « Cala-Gogo » à Saint-Cyprien. À Carcassonne, la Salle du Dôme (1983), L’hôtel La Vicomté (1985), Le pic de Nore à Grazaille.

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    Le Pic de Nore, rue René Cassin à Carcassonne.

    Le plus important chantier privé, c’est sans doute la grande maison de Louis Nicolin. L’entrepreneur et patron du club de foot de Montpellier lui avait confié la construction du Mas Saint-Gabriel à Marsillargues. Une vaste étendue de 300 ha dans laquelle il fallut bâtir des écuries, une arène et des bâtiments pour les voitures de collections du propriétaire.

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    https://www.mas-saint-gabriel.com

    Le Mas Saint-Gabriel

    Nous pourrions aussi évoquer la relation d’amitié avec Philippe Noiret. Castella a entièrement aménagé en 1975 le domaine de Turcy à Montréal d’Aude pour celui qui l’appelait familièrement « Maître ». Christian Baudis qui travailla toute sa vie avec Castella, se souvient d’une anecdote : « Un jour, nous sommes allés chez Noiret. Dans son domaine, il possédait un petit cinéma de dix places. Il nous a fait écouter à la radio « Le tribunal des flagrants délires » dans lequel il venait d’être l’invité d’honneur. Ce fut une belle rigolade. »

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    Tous ceux qui ont connu Henri Castella le décrivent comme un homme simple, bon vivant et avec énormément d’humour. C’était aussi un excellent peintre dont les oeuvres avaient été exposées au salon d’automne à Paris. Chevalier de l’Ordre des Palmes académiques, Il est décédé le 27 janvier 2001 à l’âge de 80 ans à Carcassonne.

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    Stéphane Castella et son grand-père

     

    Quelques autres de ses réalisations

    La Roseraie (Carcassonne)

    Château de Boutenac 

    Hôtel du Canal (Castelnaudary)

    Fort de France

    Usines Chausseria (Limoux et Couiza)

    Maison de retraite (Montréal d’Aude)

    Siège de la C.A.L (Castelnaudary)

    Eglise Saint-Jacques (Carcassonne)

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    Maison de la Blanquette - Sieur d'Arques (Limoux)

    Gendarmerie (Montréal d'Aude)

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    Le style Castella, avenue du général Leclerc à Carcassonne.

    Sources

    AGHORA

    Etat-civil de Carcassonne

    Rermerciements

    Stéphane Castella, Geneviève Daraud, Christian Baudis, Dominique Revel

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  • Le Carcassonnais Joseph Dufis emmuré vivant par les nazis le 13 juillet 1944

    Parmi les nombreux les résistants exécutés par les nazis, il y eut surtout des héros sans grades tombés aujourd'hui dans l'indifférence et l'anonymat. Fort heureusement, il demeure encore sur les bords des routes et des chemins de France une stèle pour rappeler le sacrifice de ces hommes de l'armée des ombres. À Saint-Pierre de Quiberon dans le Morbihan - bien loin du département de l'Aude - une plaque rappelle la mémoire de Joseph Dufis.

    À la mémoire des cinquante patriotes des Forces Françaises de l'Intérieur martyrisées et lâchement assassinées par les Allemands le 13 juillet 1944 et découverts dans cette fosse le 16 mai 1945.

    Bien que son nom ait été incorrectement orthographié, il s'agit de Joseph Dufis, né à Carcassonne le 3 octobre 1925. Avant la guerre, il vivait 18 rue Masséna à Carcassonne. Son père, Pierre Dufis, était employé aux postes et télégraphes ; sa mère, Alfréda Jamme, ne travaillait pas. Joseph avait deux soeurs : Jeanne Josephine (1920-1921) et Marie Georgette (1917-2000). Cette dernière épousera Jean Bonnet en 1945.

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    La maison Dufis, 18 rue Masséna

    Le 11 juillet 1944, devant l’avance des troupes américaines, le chef de la Gestapo de Vannes (Morbihan) donna l’ordre au colonel Reese, officier de la Wehrmacht, d’exécuter 52 détenus de la prison surpeuplée de Vannes (56), située place Nazareth. Le major Esser, chef de bataillon de la défense côtière, chargé d’exécuter cet ordre, fit transférer cinquante détenus — pour la plupart résistants appartenant aux Forces françaises de l’intérieur (FFI) et aux Francs-tireurs et partisans français (FTPF) —, de la prison de Vannes jusqu’au Fort Penthièvre, où ils ont été exécutés le 12 ou le 13 juillet 1944 selon les sources. Les détenus de la prison de Vannes, parmi lesquels se trouvaient vingt-cinq résistants de Locminé, ont été emmenés deux par deux devant les pelotons d’exécution composés de SS géorgiens placés sous le commandement du lieutenant Wassilenko.
    Les corps des résistants exécutés sans jugement, dont certains agonisaient encore, furent jetés dans une galerie souterraine d’une trentaine de mètres creusée à cet effet à partir d’un tunnel préexistant de quelques mètres. Cette galerie fut ensuite refermée par trois murs distants de trois mètres les uns des autres et séparés par de la terre.

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    Le lieu du supplice où fut retrouvé le corps de Joseph Dufis

    Le 16 mai 1945, neuf jours après la reddition de la Poche de Lorient, cinquante cadavres en état de décomposition avancée furent exhumés par des prisonniers de guerre allemands en présence du docteur Dorso, médecin légiste, et du médecin capitaine Wolfrom. Les corps étaient entassés les mains liées par des fils de fer dans le dos ou sur la tête. Au moment de la découverte des corps, on relèvera sur les murs des inscriptions « Vive de Gaulle » et des croix de Lorraine entoure?es de « V », ce qui peut laisser craindre que tous n’étaient pas morts lors de la fermeture du tunnel… Le 5 juin 1946, les vingt-cinq corps des résistants de Locminé fusillés au Fort Penthièvre ont été ramenés dans leur commune, où se sont déroulées des obsèques solennelles au cours d’une messe en plein air qui a rassemblé près de 8 000 personnes.

    (Souvenir français - Comité de baie de Quiberon)

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    Au monument aux morts de Carcassonne, son nom est mal orthographié. Les actes d'Etat-civil conservés à la mairie de Carcassonne, mentionnent le nom de Dufis pour cette famille. 

    Joseph Dufis a reçu la Médaille de la Résistance à titre posthume le 17 décembre 1968. Son corps repose dans le caveau familial au cimetière Saint-Michel.

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