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Seconde guerre mondiale - Page 44

  • Été 1944 : Elle servait pour la Croix-Rouge de Carcassonne, elle raconte l'horreur...

    Madame Henriette Patau - soeur du poète Carcassonnais Joë Bousquet - fut un membre dévoué de la Croix-rouge Carcassonnaise entre 1942 et 1944. Dans un texte dactylographié de quatre-vingt quinze pages que nous avons retrouvé, elle raconte avec précision de tristes épisodes - jusque-là jamais révélés - au cours desquels elle est intervenue. Nous insistons sur le caractère totalement inédit de ce récit...

    Été 1944

    Le poste de secours

    Pour circuler, il fallait avoir une lampe de poche, un laisser-passer et, dans les services Croix-Rouge un brassard allemand avec un numéro d'ordre. Nous le trouvions horriblement humiliant...

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    Brassard Croix-Rouge Allemande

    Les Américains arrivèrent bientôt à survoler la ville ; ils lancèrent des bombes. Un poste de secours fût confié à la Croix-Rouge de Carcassonne. On l'équipa dans une salle du Palais de Justice ; il y eût six lits, une pharmacie de secours, quelques vivres, des brancards et des sièges pour les chargés de service. Un tour de présence était fixé, mais nous décidâmes de nous rendre tous au comité en cas d'alerte, la présence de plusieurs d'entre nous pouvant se trouver obligatoire.

    Chez nous, nous nous étions organisé. Nos vêtements rangés en ordre au pied de notre lit pouvaient être passés en deux minutes ; dès que la sirène retentissait, rapidement vêtus, nous sortions. Notre sacoche toujours prête, accrochée à notre bras gauche encerclé du terrible brassard, ne devait pas être ouverte sous peine de recevoir un coup de fusil d'un gendarme allemand. Il fallait présenter le bras gauche replié, la main contre la poitrine, la lampe du soldat nous aveuglait, puis le signe de "partir" était donné. Nous faisions rapidement les cent ou deux cents mètres qui nous séparent du poste de secours.

    Tout était noir, nous marchions vite, pourtant. La sirène hurlait, on n'entendait qu'elle, puis un bruit d'avion, mais déjà nous étions arrivés au Palais de Justice et nous nous installions tous autour d'une table. Nous attendions encore un peu longtemps après la fin de l'alerte, puis nous rentrions chez nous pour une autre journée de travail.

    Dans notre groupe, très diversement composé, il y avait un médecin, deux prêtres, des membres de la Croix-Rouge, adultes, hommes et femmes ayant suivi des cours de secourismes, de brancardage, etc...

    La prison

    Dans la ville, la confusion grandissait. La peur aussi. On n'avait pas de nouvelles des déportés. On avait réquisitionné près de la poste, une maison vide où se déroulaient l'interrogatoire des qu'on avait enlevé de leurs maisons. Dans la journée, il étaient accompagnés par les Allemands à la prison, et leur famille n'était tenue au courant de rien.

    La Croix-Rouge finit par trouver le moyen de donner quelques maigres nouvelles. Chaque matin, un secouriste et une infirmière se rendaient avec une charrette attelée d'un vieux cheval au cantonnement allemand et recevait des corbeilles contenant la ration journalière des 150 à 200 prisonniers. Elle se composait d'une boule de pain gris et de 100 grammes environ de margarine. Par le nombre de rations, nous savions, très approximativement si le nombre de malheureux était le même ou si l'un d'eux était déjà parti - dire à leur famille de bien petites choses : la prison était propre, on ne paraissait pas les tourmenter...

    Les familles venaient au Comité ; nous avions honte de les aider si mal, si pauvrement, mais pourtant elles paraissaient un peu réconfortées en partant. Il faut si peu, parfois, pour sortir un moment du désespoir, pour garder la volonté de vivre, encore, quand la vie vient de vous écraser.

    Trassanel, Cabrespine, Mas-Cabardès

    Des trahisons, des imprudences alertèrent les Allemands et un jour la Croix-Rouge reçut l'ordre d'aller dans la Montagne noire ramasser les morts laissés dans les trois villages où ils avaient abattu des maquisards. Ordre était donné de jeter sur les cadavres, un tas de chaux et de les brûler.

    Le soir, nous avons délibéré au Comité et pris nos dispositions pour le lendemain. A six heures du matin, nous partions. Une plateforme portait deux infirmières, un chef, des secouristes et deux prêtres. La seconde plateforme portait trente cercueils.

    Nous sommes arrivés à Cabrespine, dans un coin paisible : sur l'herbe foulée reposaient sept jeunes, des parachutistes. Il fallut les retourner, fermer leurs yeux, et chercher sur eux des pièces d'identités, tous n'en avaient pas... Nous avons accompli notre tâche. Les secouristes les ont placé dans leur cercueil et sont descendus au village pour creuser leur sept tombes, et inscrire un nom sur une croix afin qu'on puisse les retrouver. Nous sommes repartis pour Trassanel.

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    © Centre France

    Cette photo illustre un fait analogue à Orcines (Puy-de-Dôme)

    Dans une garrigue, un cercle de jeunes morts était couché. Ils n'avaient pas plus de 16 ou 17 ans ; leurs yeux étaient ouverts, leurs mains crispées, mais leur visage était calme. Nous nous sommes mis au pied de ce groupe de martyrs ; le prêtre catholique a dit les prières des morts, puis le pasteur protestant a prié pour les protestants et les juifs, dans l'ignorance de leur religion. Et la triste cérémonie a recommencé comme à Cabrespine. Tout a été fait pour leur toilette funèbre, et leur pauvre dépouille a été remise au cimetière, avec leur nom. Et, toujours pris dans notre émotion apitoyée, nous sommes allés au troisième champ d'exécution, au Mas.

    En arrivant au village, nous avons entendu le glas. Nous étions attendus ; on nous a conduits à la grande salle de la mairie. Tout autour d'un reposoir et appuyés contre les murs, vont cercueils pareils s'alignaient . Ils n'étaient pas fermés encore. Près d'êtres aussi jeunes que ceux que nous venions de quitter, les parents, agenouillés, le visage touchant le bois qui allait recouvrir le corps de l'être qu'ils avaient perdu, ils pleuraient ; les mères hurlaient. La douleur de cette foule était insoutenable, la vue du prêtre a paru les toucher. Ils lui ont demandé de bénir les corps... Nous étions tous à genoux et nous répondions aux prières. Puis le maire s'est levé. Il est allé d'un enfant à l'autre, touchant les petites mains glacées, parlant aux parents avec amitié et les appelant par leur nom, il pleurait avec eux, comme eux, et j'ai su ce jour-là que la seule façon de secourir une douleur trop grande est de la partager avec son coeur.

    Ce soir-là, nous sommes rentrés après avoir recommandé à tous de garder le silence sur cette journée, et rien de cette affreuse journée ne s'est raconté nulle part.

    Le retour des déportés

    Nous reçûmes des instructions pour accueillir les rescapés des camps de représailles. Nous devions nous trouver à la gare à partir de huit heures du soir : deux infirmières et quatre secouristes.

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    © deportation.free.fr

    Retour d'un déporté à sa descente du train

    Nous attendions les train dans une grande salle, meublée d'un fauteuil et de quelques chaises autour d'une grande table. Le premier train était signalé à neuf heures dans la nuit tombante. Les secouristes passaient sur le quai ; pour descendre, presque porter les hommes qu'on nous renvoyait vêtus d'un pyjama rayé, squelettiques, les yeux effrayés, ils regardaient tous ceux qui venaient à leur rencontre ; et après avoir reconnu leur tenue, ils se laissaient approcher. Doucement, lentement, on les conduisait vers la pièce où nous les attendions.

    Nous avons appris que nos gestes d'accueil devaient être lents, calmes, notre voix sans éclats et qu'il fallait en s'occupant d'eux ne pas leur donner l'impression de les contraindre, mais de les aider. Nous remplacions les secouristes et nous les amenions, à leurs pas, vers les sièges ; ils hésitaient, regardaient autour d'eux, qui s'avançaient, finissaient par s'asseoir. Devant eux, à portée de leur main, on plaçait un bol de bouillon ou de café : on leur disait de boire. Ils semblaient anéantis ; ils n'étaient plus des êtres normaux. Nous nous taisions. 

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    © Association des déportés

    Une jeune déporté à son retour en France

    Les uns repoussaient les bols, d'autres s'accoudaient à la table, le visage dans les mains. Au bout d'un moment, on leur offrait des biscuits, des fruits. Quelques-uns commençaient à nous regarder de ce même regard fixe, puis ils s'adaptaient, avançaient parfois vers nous, une main glacée que nous gardions dans la nôtre comme celle d'un enfant. Une heure passait ainsi ; des gestes s'esquissaient, les uns se restauraient, d'autres pleuraient convulsivement.

    Bientôt, leurs papiers arrivés, nous pouvions leur expliquer qu'ils seraient bientôt rendus à leur famille. Ils commençaient alors à réagir. Dans toutes les communes de France, les receveurs des postes avaient l'ordre de rester au poste de téléphone, toute la nuit. Aucun n'y a jamais manqué. Un de nous, muni de la fiche d'un arrivant, appelait à quelqu'heure que ce fût le receveur à prévenir et lui confiait la mission de prévenir la famille et de l'envoyer à notre poste pour prendre l'arrivant.

    Avec précaution, nous prévenions celui qui était désigné et nous cherchions dans le vestiaire un pardessus ou une grande couverture pour recevoir le pyjama rayé. Alors, peu à peu, une lueur plus humaine venait éclairer les yeux de ces hommes jeunes qui ressemblaient en ce moment à des vieillards abîmés par la vie. Bientôt une voiture se faisait entendre. Un de nous allait chercher la famille, l'autre préparait le prisonnier et nous ne partions qu'après les avoir vus, enfin, ensemble, en sécurité.

    Le retour fut long, et certains prisonniers durent subir des traitements avant de pouvoir reprendre un métier et une vie normale. On créa une Association des Prisonniers de guerre qui aida beaucoup les rentrants. On s'occupa d'eux, des familles les plus touchées et, peu ) peu, tous se reprirent à vivre.

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  • Arrestations et assassinats des juifs de la mine de Salsigne, le 31 janvier 1944

    Le 31 janvier 1944, la police allemande se rend aux mines de Salsigne (Aude) pour emmener des ouvriers juifs de nationalité étrangère et les déporter. Parmi elle, on compte quatre hommes en tenue civile et une dizaine de soldats allemands armés de mitraillettes. Il aura fallu attendre 71 années pour qu'enfin ce blog puisse avoir le courage d'évoquer cette triste affaire ; sept décennies au cours desquelles  la vérité aura été tenue à l'abri aux archives de l'Aude, protégée par le secret. La prescription venant d'être levée, nous pouvons désormais enquêter et lever le voile sur ce crime contre l'humanité qui s'est passé a seulement vingt kilomètres de Carcassonne. Nous allons vous livrer les témoignages tels qu'ils furent déposés en 1945 par les survivants et les témoins. Au prix de sérieuses recherches, nous dresserons la liste de ces juifs étrangers dont certains furent gazés dès leur arrivée à Auschwitz. Voilà un travail pour la mémoire non seulement de notre département, mais pour celle de toute l'humanité. 

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    La mine de Salsigne le 1er mai 1941

    Ces étrangers de confession juive avaient fui leurs pays, occupés par l'administration du IIIe Reich. Ils pensaient qu'en France, ils ne seraient pas touchés par les lois raciales. Dans un premier temps, le gouvernement de Vichy les a rassemblé dans des camps gardés par la police française. Après quoi, ils furent recensés et mis au travail. A Caudebronde, ils refaisaient les routes ; à Salsigne, ils étaient employés à la mine d'or. La musique changea quand Pierre Laval avec l'aide de René Bousquet - chef de la police de Vichy - décida de livrer les juifs étrangers aux nazis.

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    Le préfet de l'Aude s'adresse aux mineurs

    Monsieur Sologaïstoa Antoine (44 ans) - garde champêtre à Salsigne - déclare en 1945 :

    "Le 31 janvier 1944, j'assistais à l'embarquement sur une camionnette de trois ouvriers juifs habitant le village de Salsigne. Ils ont été pris par trois policiers allemands en tenue civile et six soldats allemands armés de mitraillettes. Parmi ces déportés, il n'y avait aucun français. Je n'ai pas vu qu'il y ait eu violence."

    Au mois d'avril 1945, lors du procès de René Bach, les témoins et les rares survivants de cette rafle viennent déposer à la barre de la Cour d'assise de l'Aude. Face à eux, se trouve l'agent français du SD (Gestapo) qui répond de ses crimes d'assassinats, de vols et de trahison. 

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    © ADA 11

    René Bach à son procès

     Mayer Stern, tout juste rentré d'un camp d'extermination dans lequel des millions de ses semblables ont été assassinés par une idéologie fanatique, est venu pour témoigner. Ne parlant pas le français, c'est Paula Blonder demeurant à Carcassonne qui assure la traduction.

    "J'ai été arrêté à Salsigne, le 30 janvier 1944. Un commandant Allemand, six militaires et le nommé Bach sont venus avec un camion, et une conduite intérieure. Nous avons été placés dans le camion et nous avons tous été amenés à la caserne de Carcassonne. Personnellement, je n'ai subi aucune violence. Alors que nous étions détenu à la caserne de Carcassonne, le nommé Bach est venu nous demander tous nos objets personnels ; tous ces objets ont été glissés dans une enveloppe individuelle avec le nom de chacun de nous dessus. La veille de notre départ, Bach est revenu et nous a restitué les objets que lui avions remis. Mon camarade Jacques Harth qui avait été arrêté comme moi a protesté, car Bach ne lui a  restitué une montre de peu de valeur, alors qu'il lui avait remis cette montre et une montre en or de marque "Schaffausen". Bach a alors répondu : "Vous mentez, vous ne m'avez jamais remis de montre". Harth n'a pas pu contester, mais j'étais présent lorsqu'il a remis les deux montres à Bach. Mon camarade Harth étant décédé en Allemagne à Auschwitz, je lui avais promis de m'occuper de son affaire."

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    © Pablo Iglesias

    La cour d'assise au procès Bach

    Benno Feldmann (43 ans), acteur de théâtre de nationalité roumaine employé à la mine de Salsigne, témoigne :

    "Lorsque la police de Carcassonne m'a présenté les photographies du nommé René Bach, j'ai reconnu formellement l'individu qui a participé à l'arrestation d'ouvriers israélites et qui a frappé brutalement mon camarade Schloss. J'ai pu me cacher à temps et j'ai vu comment se déroulait cette opération. C'est Bach lui-même qui la dirigeait. Connaissant la langue allemande, je l'ai entendu donner des ordres aux militaires. Il était porteur d'une liste qui comportait les noms de tous les ouvriers israélites de l'entreprise qui ont d'ailleurs été arrêtés. A un moment donné, j'ai vu mon camarade Schloss qui cherchait à rejoindre la baraque où se trouvait sa chambre. Il a été aperçu par Bach qui s'est précipité sur lui et l'a pris par le collet. Comme Schloss se débattait, Bach a sorti son révolver en le menaçant. C'est alors que Bach avec une brutalité d'une extrême violence, lui a donné de nombreux coups de pieds dans les parties génitales. Mon camarade s'est affaissé et malgré cela Bach a continué à le battre avec sauvagerie. Un militaire s'est approché avec une mitraillette et à ce moment-là j'ai quitté ma cachette pour fuir."

    Ce sont au total 13 personnes qui ont été arrêtées ce jour-là au village de Salsigne, à la mine et à l'usine. Seul Benno Feldman a réussi à se cacher... Après un internement au camp de Drancy, les autres seront déportés au camp d'Auschwitz le 10 février 1944 par le convoi N°68. Au total 1500 personnes entassées dans des wagons à bestiaux voyageront pendant trois jours. A l'arrivée sur la rampe d'Auschwitz, la sélection enverra immédiatement 1229 déportés à la chambre à gaz, dont 295 enfants. Seuls 210 hommes et 61 femmes seront affectée au travail. On estime le nombre de survivants en 1945 à une quarantaine, soit moins de 5 % environ. De la rafle de Salsigne, seul Mayer Stern fut le rescapé. Il serait décédé en 1967 au Etats-Unis.

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    © Wikipedia

    Le camp de Drancy gardé par la police française

    Nous avons pu établir une liste de treize personnes raflées à Salsigne, pour lesquelles nous avons retrouvé quelques informations les concernant.

    Harth Jacques, né le 21.06.1891 à Fradiantz (Roumanie)

    Gartner Mathias, né le 30 mai 1913

    Kampelmacher Karl, né le 21.10.1895 à Radautz (Roumanie)

    Gold Max, né le 30.09.1903

    Grün Robert, né le 31 juillet 1899

    Jaeger Tibor, né le 18 juillet 1895 à Budapest (Hongrie)

    Kantorowitz David, né le 28.12.1894 à Witten (Allemagne)

    Schloss Leopold, né le 13.06.1898 à Klemsteinach (Allemagne)

    Stern Mayer, né le 14.04.1895 à Nowyborczin (Pologne)

    Coifman Joseph, né le 14.03.1904 à Pripnitca (Roumanie)

    Raviky Chaïm (Roumanie)

    Knoph Ladyslaw (Hongrie)

    Goldstein David (Allemagne)

     Mme Goldstein Frida raconte :

    " Mon mari Goldstein David a été déporté le 31 janvier 1944 par la police allemande avec d'autres juifs. Je devais être déportée moi-même mais ayant un enfant de quelques mois, le soldat allemand qui est venu chercher mon mari m'a laissée chez moi. De tous les déportés aucun n'a écrit. Je n'ai pas assisté à l'embarquement."

    Ci-dessous un témoignage video concernant le convoi N° 68

    https://www.youtube.com/watch?v=omGHOuSI79A

    Espérons que cette histoire éveillera les consciences et permettra à certains d'interroger leurs familles à Salsigne. Dans ce petit village, personne n'a dû raisonnablement oublier ce triste épisode. Soixante-douze ans après, il est encore temps d'en parler...

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  • L'enfer de Simon Salzman de Caudebronde à Auschwitz

    Simon Salzman fut envoyé dans un camp d'extermination en 1942 avec sa soeur et ses parents parce qu'ils étaient de religion juive. Tout ceci ne serait peut-être pas arrivé s'ils n'avaient pas été dénoncés par un habitant du petit village de Caudebronde - légèrement plus de deux cents habitants en 1942. Cette personne devait être bien informée, puisque pour les douze juifs Polonais réfugiés au village ont avait créé de faux certificats de baptême afin de les protéger. L'individu en question a t-il été rémunéré pour cela ? Dénoncé, mais également arrêté par des français car c'est bien la Milice française de Carcassonne qui effectue la rafle au matin du 24 août 1942.

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    © Centre de la mémoire combattante

    Simon Salzman

    La famille Salzman s'était réfugiée en France après l'invasion de la Pologne par les troupes allemandes. Le père avait été mobilisé dans l'armée polonaise avant l'armistice de juin 1940. Une fois arrivée en France, c'est l'internement au camp de Brens près de Gaillac au mois d'octobre, puis dans celui de Rivesaltes dans lequel se trouvent des républicains espagnols, des gitans et des juifs. Avant leur arrestation, les Salzman avaient été envoyés par le gouvernement de Vichy à Caudebronde et employés comme main d'oeuvre pour la construction de routes. D'autres juifs travaillent à la mine de Salsigne.

    F. Oustric,

    témoin de l'arrestation

    "Il se trouve qu'en 1943 (j'avais six ans), j'ai assisté dans mon village natal de Caudebronde (Aude) à l'arrestation par la milice française (les gammas) des juifs qui s'étaient réfugiés là, et en majorité, pour les hommes, travaillaient à la mine d'or de Salsigne. Il y en avait onze, qu'ils avaient parqués, en face de ma maison, dans la cour de l'école. L'un d'eux, qui venait souvent passer veillée, était entré pour faire sa toilette. Il se rasait à l'évier familial quand deux gammas sont arrivés et l'ont entrainé, une joue encore pleine de savon, j'ai vu cela et je m'en souviens parfaitement. J'ai entendu ma grand mère dire en patois à l'un des policiers: "C'est du beau travail que tu fais là" Un seul est revenu vivant, Simon Salzman, qui était mon ami, et qui a pu toucher un dédommagement grâce à mon père qui a rédigé et signé un témoignage. Simon vient de mourir, il y a, je crois deux ans. Il y a eu à Caudebronde une cérémonie assez remarquable à cette occasion. Voila, je sais une quantité d'anecdotes sur ces arrestations, entre autre ce fait, surréaliste, du commandant allemand de Carcassonne, prévenant le maire "Ernest Cousinié" de l'arrestation imminente des juifs, la veille même ! et d'autres choses, comme le nom d'un traître, que je ne peux pas écrire. Voila mon humble témoignage."

    L'attestation sur l'honneur de S. Salzman

    "Comme de nombreux juifs de toutes nationalités, je suis victime du régime nazi. Voici ma traversée dans cet enfer ; habitant jusqu'au 13 mai 1940, la Belgique qui fut envahie par l'armée allemande, mon père, ma mère, ma soeur et moi-même, nous sommes venus nous réfugier en France. Arrivant le jour du 17 mai 1940 à Figarol par Salies-du-Salat (Haute-Garonne) étant de nationalité juif polonaise, mon père fut mobilisé dans l'armée polonaise à Bressuire. Quand l'armistice fut signée en juin 1940e entre le maréchal Pétain et Hitler, mon père fut démobilisé par la gendarmerie à Salies-du-Salat par la suite, toute la famille, ainsi que moi-même. Nous avons été internés au camp de Brens du début octobre 1940 au 15 janvier 1941 et par la suite du camp de Rivesaltes jusqu'au 8 août 1941. Nous étions groupés avec des Espagnols républicains, des gitans et des juifs de toutes nationalités. Ma mère et ma soeur étant restées au camps de Rivesaltes, mon père et moi-même avons été incorporés dans le groupe du 422e de travailleurs étrangers pour effectuer des agrandissements de routes pour la compagnie SAFER de Toulouse à Caudebronde, où par la suite ma mère et ma soeur nous ont rejoints. 

    Simon Salzman

    Le camp de Drancy gardé par la police française

    Le jour du 24 août 1942, je fus arrêté à Caudebronde avec ma famille par la police spéciale française pour être transmis aux autorités allemandes au camp de Drancy et déporté en Allemagne le 9 septembre 1942 dans des convois de wagons à bestiaux plombés, entassés de 80 personnes (Hommes, femmes et enfants). En arrivant là-bas, je fus séparé de ma mère et de ma soeur qui ont continué le voyage pour une destination inconnue, depuis ce jour je ne les ai jamais revues. C'est ici où commence l'enfer, la souffrance et l'humiliation.

    Simon Salzman

    Les déportés juifs arrivent à Auschwitz

    Voici le récit de mes camps de concentration nazis, bien sûr les chambres à gaz, les fours crématoires et charniers ont existé, mais pour ma part je n'ai pu les voir, car du travail nous rentrions au baraquement. Du 13 septembre 1942 au 1er octobre 1942 (camp d'Annaberoerechtal - Haute-Silésie), nous fûmes dépouillés de nos habits et de nos affaires. Ils nous ont obligés de porter d'autres vêtements où ils avaient découpé l'étoile juive. Comme nourriture, une tartine de pain noir, un quart de litre de soupe liquide. Du 1er octobre 1942 au 1er juin 1943, toujours en Haute Silésie, au camp de Lazy (Katowitz) pas d'eau pendant un mois pour boire et se laver. Les poux nous envahissaient et nous rongeaient. Pour dormir une paillasse et une couverture où l'hiver il faisait - 32°. Lever à 3 heures et demi pour nettoyer les baraquements suivi par un appel incessant jusqu'à 6 heures du matin. Départ au travail, arrivée au chantier pour effectuer des voies de chemin de fer. Nous étions surveillés et battus par des sentinelles en uniformes kaki avec un brassard rouge à croix gammée. Mon père étant malade et épuisé, ne pouvant plus leur servir ; comme les nazis le laissaient croire, l'ont envoyé dans une maison de repos. Je devine la suite... Je ne l'ai plus revu. Du 1er juin 1943 au 15 janvier 1945 : Camp de Blechammer, Kommando de travail sous les autorités d'Auschwitz.

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    © Centre de la mémoire combattante

    L'arrivée au pouvoir d'Himmler a entraîné les SS à nous faire subir des atrocités monstrueuses. Nous étions toujours au travail forcé, toute en travaillant, nous recevions des coups de cravaches de nerfs de boeuf ; certains déportés ne pouvaient pas résister et en mouraient. La température toujours aussi basse incita Himmler à apporter un changement vestimentaire ; nous sommes vêtus du pyjama rayé qui porte l'étoile jaune, un triangle rouge et jaune qui signifiait déporté politique. Nous avons reçu notre identité ; un matricule la remplaçait dont mon numéro 178623 que l'ont retrouvait tatoué sur notre avant bras gauche et qui ne s'effacera jamais de notre peau, notre corps, notre coeur et notre âme. Notre groupe de travail avait refusé de décharger des wagons. En arrivant au camp, le commandant SS nous a fait venir à la place d'appel et nous a dit ce que vous avez fait, c'est du sabotage en cas de guerre. Vous avez mérité la pendaison. Je ne ferai pas le rapport aux autorités d'Auschwitz, mais vous ferez de la culture physique à notre méthode. Les SS nous en ont fait faire pendant trois heures ; nous n'en pouvions plus avec les cravaches. Un jour sur le chantier, un déporté qui avait été surpris en prenant un morceau de pain dans le baraquement du contre-maître, a été pendu avec le chef du bloc qui voulait le déclarer innocent. c'était toujours la même nourriture, soupe de rutabaga, une tartine de pain et une petite pincée de margarine comme la moitié du petit doigt. Nous avions les kapos comme chef de groupe qui nous commandaient au travail.

    L'aviation alliée nous bombardait l'usine qui produisait de l'essence synthétique. Les SS  nous ont obligé de quitter le camp de Blechammer. Voici le pire cauchemar... Nous voilà parti 3500 déportés sur les routes avec pour survie, notre pyjama rayé et une petite boule de pain. Avec la faim nous que avions eu, nous l'avions mangé instantanément.

    Pendant quinze jours, nous avons marché dans la neige, mal chaussés, le vent, le froid et la faim. Nous avions si faim que nous mangions ce que l'on trouvait sur notre passage. Il nous arrivait même de se disputer les détritus des poubelles, des poignées de neige, des betteraves glacées. Les SS à coup de bottes et d'armes qu'ils tenaient dans leurs mains nous faisaient parcourir 40 Km par jour environ. Il nous était impossible de nous échapper ; tout déporté qui faisait le moindre geste pour s'échapper était abattu. Celui qui ne pouvait plus marcher était abattu d'une balle dans la nuque sur place. Après cette marche de la mort de 600 km ? Nous sommes arrivés de ce calvaire d'enfer que dans les 350 déportés environ au camp de Buchenwald où je suis resté du 30 janvier au 22 mai 1945. Nous sommes passés à la désinfection, changé de pyjama rayé et pesé. J'atteignais le poids pour aller en Kommando de travail. J'ai été placé en quarantaine dans le petit camp où nous attendions la mort. Le jour du 11 avril 1945, nous avons eu la joie d'être libérés par l'armée américaine. On s'embrassait les uns les autres en pleurant de joie. Rapatriés en France, Paris nous a ouvert ses bras en chantant la Marseillaise.

    En mon nom, pour toutes nos générations, jamais plus de telles souffrances et d'atrocités.

    Simon Salzman

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    © La dépêche

    Simon Salzman a voué le reste de sa vie à témoigner de ce qu'il a vécu. A son retour des camps, il a été adopté par la famille Péralba. Il s'est éteint le 7 avril 2014 dans sa 91e année. La cérémonie a eu lieu à l'église de Caudebronde, village dans lequel il repose désormais.

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