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Portraits de carcassonnais - Page 23

  • Le maire Omer Sarraut (1844-1887) et l'histoire chaotique de son buste...

    Nous allons dans cet article révéler pour la première fois des éléments méconnus concernant la vie et l'œuvre d'Omer Sarraut, ancien maire de Carcassonne. On n'a pas tout écrit sur l'histoire de son monument dressé en 1905 au square André Chénier ; ce sera l'objet de quelques révélations totalement inédites.

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    Omer Sarraut est né le 3 septembre 1844, à Castelsarrasin, d'une modeste famille de paysans. Après une jeunesse particulièrement studieuse, et l'on sait combien il était méritant de s'élever dans la société lorsqu'on appartient aux classes laborieuses de cette époque, il entre à 19 ans à la sous-préfecture de Castelsarrasin. De là, ayant été classé soutien de famille, il passe dans l'enregistrement. En 1867, il travaille dans les bureaux de la Compagnie des chemins de fer du Midi à Bordeaux. C'est dans cette ville que naîtront ses deux fils, Maurice et Albert qui se distingueront plus tard dans le journalisme et au sein du parti Radical-Socialiste.

    A peine âgé de 23 ans, il se mêle activement à la politique et s'oppose à Napoléon III. Malgré l'engagement qu'il contracte dans le corps des Franc-tireurs, sa situation de soutien de famille et sa situation à la Compagnie des chemins de fer ne lui permettent pas de participer à la défense du pays en 1870. Il fonde le journal "La Tribune" et un groupe de républicains-girondins pour la défense des valeurs démocratiques. Forcé de prendre ses distances avec la Compagnie des chemins de fer, sa famille connaît alors une situation financière délicate. En juin 1872, il est nommé secrétaire archiviste de la Commission départementale de la Gironde. Le 28 août 1874, le prix du Conseil général lui est décerné pour son travail sur l'histoire des enfants assistés ou abandonnés. On comprend pour quelles raisons il sera plus tard ordonnateur à la Commission des Hospices de Carcassonne de 1880 à 1881.

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    La majorité du Conseil général de la Gironde passant aux mains des bonapartistes aux élections de 1874, Sarraut est révoqué. Malgré les appels du pieds afin qu'il rejoigne la rédaction d'un journal républicain de Dijon, Omer Sarraut choisit d'entrer à "La fraternité" grâce à Théophile Marcou, un an plus tard. Sans relâche, il fera de cet organe de presse une machine contre les adversaires de la République - quatre journaux de l'Aude sont la propriété de bonapartistes ou de monarchistes. Grâce à son activité inlassable,  le parti républicain triomphe. Le 23 novembre 1879, après une campagne électorale extrêmement violente, Sarraut entre au Conseil municipal de Carcassonne à la suite d'une élection complémentaire.

    Le 11 août 1882, Omer Sarraut quitte "La fraternité" après son conflit avec Marcou. Huit jours après, il fait paraître "Le réveil de l'Aude".  Il collabore avec des écrivains connus tels qu'Auguste Fourès et Prosper Estieu. Le 3 septembre 1882, les républicains gagnent les élections mais Sarraut n'est pas sur la liste, en raison de ses désaccords avec Marcou. Le 16 novembre 1882, un nouveau journal paraît "Le Radical de l'Aude" et Sarraut en est le rédacteur en chef. Le conseil municipal perdant chaque jour quelques-uns de ses membres par démissions successives, des élections partielles ont lieu, et les cinq candidats soutenus par Omer Sarraut sont élus. 

    C'est à l'occasion d'élections complémentaires que Sarraut est élu conseiller municipal de Carcassonne, le 6 décembre 1885. Deux ans plus tard, il est élu maire de la ville après deux tours de scrutin. C'est aux acclamations d'une immense foule que le 24 mars 1887, la municipalité de Carcassonne est constituée. Sarraut devient maire, Gaston Jourdanne et Léopold Petit sont adjoints. Ses premiers mots : "Nous inaugurons une nouvelle méthode d'administration." Il se consacre à sa tâche, levé de bon matin, il arrive à la mairie à l'ouverture des bureaux comme le plus modeste des employés. Il exige de ses collaborateurs un effort à l'échelle de celui qu'il fournit ; impitoyable pour les fautes et les irrégularités, il est accueillant pour tout le monde écoutant avec patience les réclamations, s'efforçant d'apporter une solution avec une impartialité reconnue de tous.

    Son programme est ambitieux : il veut faire de sa ville une cité moderne bénéficiant d'un urbanisme qui prévoit : la mise en place du tout-à-l'égout, l'élargissement de la rue de la gare, le prolongement de la rue Antoine Marty par la construction d'une passerelle sur l'Aude, l'ouverture de la rue Jules Sauzède sur le jardin des plantes, la création d'une cité ouvrière à la Gravette. Il souhaite moderniser les services hospitaliers, considérant que l'Hospice (ancien Hôtel Dieu, aujourd'hui parking du Dôme) n'est plus adapté aux besoins il prévoit de le raser et d'en construire un à la sortie de la ville. Ce projet sera mené par Antoine Gayraud, soit 110 ans plus tard. A la place de l'Hospice, il construirait le nouveau théâtre municipal de la ville.

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    Le 23 juillet 1896, le boulevard du Tivoli devient Omer Sarraut

    Hélas, tout ceci restera à l'état de projet puisqu'en surveillant les travaux d'aménagement du théâtre, Omer Sarraut contracte une pneumonie qui va l'emporter. Le 16 septembre 1887, il s'alite et malgré les soins attentifs dont il est l'objet, il s'éteint le 22 septembre à 10 heures du matin. Il dira à son fils Maurice âgé de 18 ans : "Mon pauvre Maurice, tu auras un bien triste anniversaire." Son autre frère Albert et son épouse Jeanne Laurens, arriveront trop tard de Castelsarrasin. Omer Sarraut avait seulement 43 ans. Une concession gratuite au cimetière St-Vincent lui est attribuée ; le 1er octobre 1887, une souscription est ouverte pour un monument à élever sur sa tombe. La ville vote un crédit de 500 francs.

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    Tombe d'Omer Sarraut

     En 1904, un comité décide de lancer une souscription pour l'édification d'un monument en hommage à l'ancien maire de la ville. Au mois de février, il se prononce pour sa construction au Jardin des plantes (actuellement square Chénier) ; cette décision est notifiée officiellement au mois de mai par le conseil municipal. Le monument se composera d'une fontaine surmontée d'un buste.

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    Le monument en bronze sculpté par Paul Ducuing représentait à l'origine, d'un côté, la ville de Carcassonne personnifiée par une femme protégeant un jeun élève de l'école laïque tendant une palme au maire. De l'autre, un laboureur assis, lisant le journal "Radical du Midi". Nous avons découvert que l'artiste en sculptant ce sujet allégorique avait pris pour modèle les membres de la famille d'Omer Sarraut. Jeanne Laurens épouse Sarraut, avait posé pour figurer la ville et Etienne Sarraut, fils aîné de Maurice, personnifiait l'élève de l'école laïque. C'est le tailleur de pierre Sémat habitant les Martys dans la Montagne noire, qui le 18 février 1908 sera sollicité pour réaliser la vasque de la fontaine.

    L'inauguration du monument eut lieu le 29 octobre 1905 en présence de MM. Gauthier, ministre des Travaux publics, et Dujardin-Beaumetz, sous-secrétaire d'état aux Beaux-arts. Tout ceci dans une ambiance anti-gouvernementale sur fond de crise viticole. 

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    Le monument avant la seconde-guerre mondiale

     Pendant l'Occupation, les autorités allemandes n'hésitèrent pas à détruire ce monument pour l'envoyer à la fonte.  Autre fait que nous avons découvert... Le sculpteur Ducuing intervint afin de tenter de sauver son œuvre ; les Allemands lui laissèrent emporter le buste à condition qu'il donnât l'équivalent de son poids en bronze. Les allégories, elles, furent envoyées à la fonte. Le précieux buste d'Omer Sarraut fut confié à Madame Louis Mingaud, petite-fille de l'illustre maire. Sa mère Jeanne Marie Mathilde Sarraut (1876-1963) était la fille d'Omer Sarraut et avait épousé Maître Osmin Nogué (1865-1942). Deux ans après la Libération, les Mingaud portent le buste au Musée des Beaux-arts. 

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    En 1961, soit dix-neuf ans plus tard, le buste sera replacé sur son piédestal en face de l'hôtel Terminus. Hélas, sans les allégories qui avaient été fondues par l'Occupant. Tout ceci se fit en présence de nombreuses personnalités : Omer Louis Maurice Sarraut (1902-1969) son petit-fils ; Albert Sarraut (1872-1962), son fils ; Mme Simone Bouvier, fille de Maurice Sarraut ; M. et Mme Mingaud ; Me Maurice Nogué ; François Clamens, député de l'Aude ; M. Caujolle, directeur de La dépêche ; M. Itard-Longueville, ancien maire ; M. Descadeillas, bibliothécaire de la ville ; Jules Fil, maire de Carcassonne ; M. Maurice Mordagne.

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    Le buste fut remis sur son emplacement d'origine, mais la fontaine fut comblée par un massif floral. Sur le devant, une horloge donnait l'heure aux passants. Lorsqu'en 1986, le maire Raymond Chésa décida d'entreprendre la construction d'un parking souterrain sous le square Chénier, le jardin passa du floral au minéral. On remit en eau l'ancienne fontaine, mais le buste d'Omer Sarraut avec son piédestal fut remisé au fond du jardin, côté pont de la paix.

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    Aspect de la fontaine jusqu'à aujourd'hui

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    Le buste au fond du jardin

    Actuellement, la ville de Carcassonne est entrain de refaire entièrement le square André Chénier. Nous ne savons rien de ce qui sortira, mais il se pourrait bien qu'Omer Sarraut réintègre avec son piédestal, le dessus de la fontaine comme au temps de sa gloire.

    Sources

    La dépêche du midi / 1961

    La Fraternité, Le Radical du Midi

    Etat-civil / Archives de l'Aude

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  • Madame Mars (1748-1837). Une Carcassonnaise à la Comédie française

    Nous allons évoquer le souvenir d'une comédienne dont, de toute évidence, les historiens locaux du XXe siècle n'ont jamais parlé. Après tout, peut-on raisonnablement leur reprocher de ne pas tout savoir ? Dommage, car cette Carcassonnaise fut la mère d'une très célèbre comédienne de la Comédie française. Il se dit même - on peut le croire - que Napoléon 1er apprécia beaucoup sa fille, jusque dans ses moindres contours...

    Mademoiselle Mars

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    Même si certains aventuriers de l'histoire osent prétendre sans preuves, que Madame Mars serait née à Marseille, nous faisons ici la démonstration qu'elle est bien née à Carcassonne. Ce n'est pas parce que l'on a l'accent méridional que cela justifie d'être natif de la Provence. Jeanne-Marguerite Salvetat naquit à Carcassonne le 19 février 1748 dans la paroisse Saint-Michel, de François Salvetat (Maître charron) et de Raymond Cucurous. D'après les relevés effectués par Bonnelevay en 1729 et transcrit par Mahul dans son cartulaire, nous pouvons situer la maison des Salvetat au numéro 2 dans le carron de Grandié (actuelle rue du Pont vieux).

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    A gauche de la boucherie Rabat

    Jeanne-Marguerite Salvetat s'était amourachée de Jacques-Marie Boutet, un célèbre comédien de passage à Carcassonne et contre l'avis de sa famille, elle s'était enfuit avec lui. Pour échapper aux recherches lancées à son encontre, elle prit le pseudonyme de Mars. La petite Carcassonnaise à la beauté sans égales, fit ses débuts à la Comédie française au mois de mai 1778 dans le rôle de Mérope. S'il est admis qu'elle n'eut que sa beauté pour défendre un piètre talent, il faut considérer plutôt son accent méridional très prononcé, comme la source principale de cette critique. Jouer le grand répertoire de la Comédie française avec la voix rocailleuse de Carcassonne, n'était pas du goût du public parisien. Elle ne put d'ailleurs pas se présenter pour cette raison à la cour de Versailles. Madame fut congédiée du Français trois ans plus tard, en 1782. 

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    © Piasa

    Buste de Jacques-Marie Boutet

    Le 9 février 1779, elle met au monde rue St-Nicaise à Paris, Anne-Françoise Hippolyte Boutet, la fille de Monvel connue plus tard sous le nom de Mademoiselle Mars. L'acte de baptême stipule qu'elle est l'épouse de Jacques-Marie Boutet, bourgeois de Paris. Or, ils ne sont pas mariés. Pourquoi Monvel a t-il travesti sa profession de comédien ? L'acte pourrait être considéré comme faux, mais à la marge un jugement du 1er décembre 1847, ordonne la rectification de l'acte de baptême de Mlle Mars.

    "Le nom de Mars me vient de ma mère. Ma mère habitait Carcassonne, était de bonne famille, et très belle. S'étant laissé enlever, elle entra au théâtre, où, pour dérouter sa famille, qui poursuivait son ravisseur, on lui donna plutôt qu'elle ne le prit le nom de Mars. Ce nom se perdit dans les coulisses, et voici à quelle occasion il me fut rendu à titre d'héritage. Une tireuse de carte que j'allai consulter un soir en compagnie de Talma, m'annonça un immense succès et un grand nombre de conquêtes ; la prédiction fut ébruitée et désormais Mars devint mon "nom de guerre." (Souvenirs anecdotiques de Mlle Mars / Elisa Aclocque)

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    Mademoiselle Mars en 1823

    Jacques-Marie Boutet qui avait promis à Jeanne-Marguerite Salvetat de l'épouser, partit pour la Suède à l'invitation du roi Gustave III. Loin des yeux, loin du cœur... Dans les premiers temps de son absence, il lui écrivit souvent puis de moins en moins. Après un éloignement de six années, Monvel revint de Suède. Là-bas, il s'était marié avec Mlle de Cléricourt. De cette union, Joséphine était née ; tout ceci mit en fureur Jeanne-Marguerite ce qui ne sembla pas ébranler Monvel. D'après les mémoires de Mlle Mars, sa mère "s'emportait, elle était fort vive, une tête de Carcassonne ! Reproches incessants, soupçons jaloux, menaces viriles..." Hippolyte Boutet (Mlle Mars) sera élevée par Valville, un comédien qui avait sa mère pour maîtresse. C'est lui qui lui apprendra la comédie.

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    Baptiste aîné et Mlle Mars

    Mademoiselle Mars fut la plus parfaite des comédiennes de sa génération. Inimitable dans les rôles d'ingénues, excellente dans les pièces de Marivaux, elle s'acquit une grande réputation dans les rôles d'Elvire (Tartuffe) et de Célimène (Misanthrope). Il ne nous appartient pas ici de retracer sa biographie ; ce serait bien trop long. Elle mourra le 20 mars 1847 au N° 13 de la rue Lavoisier à Paris, à cause d'avoir voulu toujours rester jeune. C'était une obsession chez elle...

    "Mlle Mars a toujours évité de paraître sur la scène de Carcassonne. Fille de Monvel et d'une Carcassonnaise, elle remplaça le nom de famille de sa mère, qui était Salvetat, par celui qui devait populariser plus tard la grande comédienne. On peut supposer qu'il ne lui convenait pas d'appeler l'attention et les propos du public sur l'irrégularité de son origine. Ceux qui n'ignoraient pas ces circonstances ont dû remarquer dans "La comédienne", dont le rôle principal fut écrit et établi au théâtre par Mlle Mars, ce vers que le poète mis dans la bouche de la soubrette "Madame, en voyageant me prit à Carcassonne." (Jacques-Alphonse Mahul)

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    Caveau de Mlle Mars au Père Lachaise

    Jeanne-Marguerite Salvetat (Madame Mars), native de Carcassonne, vécu jusqu'à l'âge de 90 ans à Versailles aux côtés de sa fille aînée. Elle mourut en janvier 1837 et fut inhumée au cimetière d'Auteuil. Seule sa fille, Mademoiselle Mars, passa à la postérité.

    Sources

    Souvenirs anecdotiques de Mlle Mars / Elisa Aclocque / 2015

    Mémoires de Mlle Mars / 1849

    ADA / Registre de l'Etat-Civil 

    Cartulaire de Mahul / Plans de la Ville basse

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  • Le fils d'un ancien ministre du Sénégal, aujourd'hui buraliste dans le rue de Verdun

    Trois dates importantes marquent à jamais l'histoire du Sénégal depuis l'indépendance. Le 19 août 1960 (éclatement de la Fédération du Mali stoppant le rêve d'une riposte concertée contre la balkanisation de l'ex-A.O.F ; le 17 décembre 1952 (crise interne divisant l'Union Progressiste Sénégalaise d'obédience socialiste et aboutissant à la condamnation de Mamadou Dia, alors Président du Conseil, et de quatre de ses ministres ; le 27 mars 1974 (libération des condamnés) : Mamadou Dia, Ibrahim Sarr et Valdiodio N'Diaye.

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    Valdiodio N'Diaye

    Ancien ministre des finances du gouvernement sénégalais et brillant avocat, Valdiodio N'diaye (1923-1984) s'était marié avec une Carcassonnaise, elle-même fille d'un ancien conseiller général socialiste de l'Aude (M. Onrozat). De leur union naîtront quatre enfants : Amina, Karim, Guedel et Guibril. Ce dernier, plus connu des Carcassonnais sous le diminutif de Bibi, n'est autre que le sympathique buraliste de la rue de Verdun.

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     © L'Indépendant

    En 1962, on justifia l'incarcération des anciens ministres par une tentative de coup d'état contre le président Léopold Senghor. Ce n'est qu'à l'issue de 4117 jours de prison (11 ans) que Valdiodio N'Diaye recouvrait enfin la liberté, était expulsé et retrouvait sa famille à Carcassonne. La version de M. N''Diaye diffère de celle rapportée par le pouvoir. Selon lui, son arrestation fut la résultante d'une manœuvre politique née de l'éclatement de l'Union progressiste sénégalaise, parti unique au pouvoir. Voulant se séparer du président du Conseil de l'époque, M. Dia, et sachant qu'ils seraient minoritaires devant le conseil national, certains députés le firent mettre en état d'arrestation en compagnie des membres de son gouvernement après un vote à l'Assemblée nationale. Selon l'analysée de documents officiels et de lettres rendus publiques, M. N'Diaye fut en fait l'innocente victime d'une espèce de complot. L'ancien ministre des finances évita un bain de sang lors de la tentative de Révolution du 17 décembre 1962.

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    Valdiodio N'Diaye et le général de Gaulle en 1958

    Francis Vals - député de l'Aude - écrivit au président Senghor qu'il était paradoxal d'accuser Valdiodio N'Diaye de complicité de coup de force, alors que son action avait eu pour effet de désarmer les forces antagonistes des deux camps afin de les renvoyer dans leur casernement.

    L'intervention de personnalités comme Jean-Paul Sartre, François Mitterrand ou le pape Jean XXIII ne réussira pas à faire libérer les anciens ministres incarcérés. Valdiodio N'Diaye eut comme avocats pour assurer sa défense Abdoulaye Wade (Président du Sénégal de 2000 à 2012) et Robert Badinter. 

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    Ne faut-il pas plutôt considérer que l'arrestation de Mamadou Dia et de ses ministres est due à un désir de liberté économique nuisant aux intérêts français en Afrique de l'ouest ? A l'issue d'un discours portant sur ce sujet, Senghor demandera aux députés de voter une motion de censure contre le gouvernement Dia. C'est pour empêcher cette manœuvre que celui-ci fera évacuer le parlement.

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    Valdiodio N'Diaye passa onze années dans le centre pénitentiaire de Kédougou. Philosophe comme savent l'être les musulmans, il rappela à la presse locale un verset du Coran : "Dieu est avec les patients", avant d'ajouter "C'est la foi religieuse qui nous a soutenu, cette foi religieuse qui apprend aux musulmans à être patients et selon laquelle les épreuves sont nécessaires à l'homme". La réputation humaniste de l'ancien président Léopold Senghor serait tout à fait discutable, en raison des faits ci-dessous relatés.

    Au lendemain de l'arrestation de son époux, Mme N'Diaye, hospitalisée, et ses quatre enfants furent expulsés du Sénégal illégalement et manu-militari dans la nuit de noël 1962, en petite tenue, sans qu'ils aient eu le temps de faire leurs valises. L'un des enfants ne put prendre l'avion qu'une semaine plus tard pour la simple et bonne raison que les autorités n'avaient fait établir que quatre billets. Mme N'Diaye n'eut droit qu'à une heure de visite par mois au camp de Kedougou, situé à 650 km de Dakar. Alors domiciliée à Carcassonne où elle était intendante au Collège de Varsovie, son épouse paya près de 500 000 anciens francs pour se rendre à plusieurs reprises au chevet de Valdiodio. Le Président Léopold Sédar Senghor refusa le droit au détenu N'Diaye de voir ses enfants jusqu'en 1970. Huit ans pendant lesquels il ne vit pas ses enfants grandir.

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    La famille N'Diaye à Carcassonne en 1974 après la libération

    Parmi ses vrais amis, Valdiodio N'Diaye put compter sur Francis Vals, l'abbé Gau et sur le général de Gaulle. Pendant qu'il était encore détenu, ses enfants pratiquèrent le rugby à XIII. Les trois garçons deviendront même des espoirs du ballon ovale.

    "Je vais devoir me recycler, moi qui n'ai pratiqué que le football... Bien sûr, je suis au comble de la joie. J'ai retrouvé non seulement ma famille, mais encore le soleil de Carcassonne que j'affectionne particulièrement ; c'est important lorsque l'on a vécu comme moi plus de onze ans sous la canicule."

    Après son retour, Valdiodio N'Diaye reprendra son cabinet d'avocat à Dakar. Sa ville natale est jumelée avec Narbonne, où Francis Vals fut maire jusqu'en 1971. Décédé en 1984, Valdiodio N'Diaye repose à Kaolak ; le grand lycée de cette ville porte son nom. Quant à son fils Bibi, par sa gentillesse et son civisme, il représente l'héritage des valeurs morales de son illustre père à Carcassonne.

    https://www.youtube.com/watch?v=CB-MmEa1kIs

    Sources

    La dépêche du midi / Jacques Arino / 1974

    Notes et synthèses / Martial Andrieu

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