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  • Inédit ! Les mémoires de l'abbé Cunnac sur la Libération de Carcassonne

    Cela fait longtemps que nous possédions ce témoignage manuscrit émanant du journal de bord du chanoine Cunnac, directeur du Petit Séminaire (Ecole Saint-Stanislas) et ancien président de la Société des Arts et des Sciences de Carcassonne. Il évoque non seulement sa vision des événements tragiques de la Libération, mais surtout les sentiments partagés par une partie des catholiques carcassonnais fréquentant le Petit séminaire à cette époque. Si nous avons attendu avant de diffuser ce document exceptionnel, c’est avant tout parce que nous sommes aujourd’hui en mesure de l’analyser avec le recul nécessaire. Vous trouverez des renvois de notes que nous avons rédigés afin d’éclairer le lecteur. 

    Abbé Cunnac. Soc des arts er sciences.jpg

    Joseph Cunnac né à Pépieux

    (1870-1956)

    L’année 1944 devait être dramatique et sanglante ; mais dès le début on avait quelque impression d’un raz-de-marée qui se préparait sourdement. Au mois de janvier le comité des anciens élèves (Saint-Stanislas, NDLR), reconnaissant le caractère précaire de la situation supprimait la réunion traditionnelle, et fixait au 8 juin la messe du souvenir, avec la prière pour le Grand Retour1.

    En France, les choses se gâtaient. Depuis quelque temps la réaction anti-allemande, le « Maquis » ,faisait des progrès inquiétants pour l’occupant qui de temps à autre exécutait une répression impitoyable, comme aux grottes de Limousis2. Peu à peu c’était toute la population qui leur devenait suspecte, malgré l’abnégation patriotique des prétendus « collaborateurs » (il y en avait, mais très clairsemés) qui se dévouaient au maintien de l’ordre civil3 ; et les sévices4 pleuvaient : expulsions, amendes, prison. Le 8 juin ne vit qu’une ombre de réunion, où l’on entendit uniquement le secrétaire et le trésorier. L’association (anciens élèves de St-Stanislas, NDLR) perdit quelques membres notables : un ancien vice-président, Joseph Cros, un ex-polytechnicien, Jules de la Soujeole, et le chanoine Sabarthès ; mais la mort qui suscita le plus de regrets fut celle du jeune Sabin Astourié, dont l’admirable conduite dans l’hôpital ennemi où il était de service fut l’objet d’un vrai concert de louanges.

    Les choses allaient si mal que par prudence les vacances furent avancées ; je traçai comme en 40 un plan de travail qui serait contrôle à la rentrée. Vers le 10 août commencèrent les violences. Les maquisards ou résistants, de plus en plus osés, grossis dans le midi de la pègre des révolutionnaires espagnols5, lancèrent une menace de représailles contre les femmes des collaborateurs ou légionnaires. Sur ce, la mairie me pria de recueillir une cinquantaine de ces femmes avec leurs enfants, que les chefs de famille6 ne pouvaient protéger en raison de leur service, mais le 14 août la situation s’aggrava à la suite du décrochage de l’envahisseur que le débarquement de Provence refoulait vers le Rhin ; harcelés par les résistants, ils répliquaient par des massacres. La situation de nos protégées devint intenable, et on résolut de les expédier le 15 au matin par autobus de l’autre côté du Rhône7. Je convoquai ces malheureuses à la chapelle et dans une réunion inoubliable , je les exhortai à se confier en la providence ; nous priâmes ensemble. Le lendemain 15 août, ayant entendu la messe elles partirent, pour revenir, hélas, deux jours après, à la suite d’une course affolée jusqu’à Beaucaire d’où on les refoule jusque’à Perpignan ; là on le abandonne…8

    En rentrant de la réunion du 14 août, je vis arriver dans mon bureau un ancien élève, Louis G9, qui venait se confesser. Il me dit : « Tous les miens insistent pour que je disparaisse, sinon je serai tué, mais disparaître serait s’avouer coupable, et je n’ai rien à me reprocher. Je viens me confesser et Dieu fera le reste. » Pauvre petit !

    Sur ces entrefaites Hélène me pria d’aller baptiser un petit Bernard, second de la nichée, à Fonsorbes près de Toulouse. Le baptême eut lieu le jour même de Saint Bernard. Le lendemain je rentrais à Toulouse avec Paul, le papa, pour regagner Carcassonne. Mais à la descente du tacot nous fûmes accueillis par des coups de fusil : la ville était en état de guerre civile, les allemands étant partis dans la journée. Nous eûmes de la peine à parvenir jusque chez mes amis, en nous glissant d’un abri de porte à l’autre ; une femme blessée tomba devant nous. J’espérais quitter e mauvais lieu dès le lendemain mais les allemands avaient détruit une partie de la voie ferrée, laquelle serait inutilisable pendant une semaine. Je pris pension pour la nuit chez Hélène, et pour mes repas à l’Institut Catholique où le supérieur, l’aimable P. Marty et son économe accueillaient l’intrus à bras ouverts. Tout en savourant ma guigne j’allais chaque soir à la gare, longeant les murailles pour me mettre à l’abri des balles qui pleuvaient des toits. Le samedi, j’apprends qu’un train allait partir l’après-midi pour Castelnaudary. Mes bagages furent vite prêts et mes devoirs d’hôte remplis ; le soir je pus coucher à Saint François-Xavier. Sur mon chemin je rencontrai Mademoiselle Melliès qui me retint à déjeuner pour le lendemain. Ma messe dite, j’allai aux nouvelles ; j’appris que le train continuerait à onze heures sur Carcassonne. J’étais tellement à bout de patience que je ne fis excuser par mon hôtesse qui me comprit mais n’en fut pas moins peinée. A midi, je rentrais à l’Ecole. Il me semblait que je revenais du Kamtchakha. 

    Carcassonne était devenue un repaire de bandits. Tous les résistants prétendus ou occasionnels, acoquinée à l’infâme lie des communistes espagnols, avaient constitué une espèce de Comité de Salut public10. Sous prétexte de châtier les collaborateurs, ils assouvissaient leurs pires instincts et faisaient main-basse sur tous les suspects. De ces derniers, neuf sur dix étaient de très honnêtes gens dont le tort avait été de se prêter au maintien de l’ordre, sans véritable rapport avance l’Allemand11. Sur ces malheureux, la plus sauvage méchanceté, sans trêve, épuisa ses diaboliques sévices : coups brutaux, brûlures à l’essence enflammée, coups de pieds dans le ventre… Mon pauvre G passa pour toutes ces atrocités avec son ami Jacques P ; l’un et l’autre les subirent avec une patience de martyrs. On en fusilla un troisième, René E12, à la grande joie de la tourbe et surtout des femmes, à qui il fallut cacher le lieu et l’heure des exécutions. Dix pages ne suffiraient pas à énumérer tous les attentats de cette période dans notre seule ville ; la plupart en exécution des sentences d’un abominable tribunal dit « de l’épuration ». Le tribunal de 93 et ses sans-culottes étaient dépassés13.

    Enfin, les autorités légales arrivèrent à reprendre les rênes et tout rentra dans l’ordre14. Toute la France avait comme connue les mêmes horreurs, mais nulle part Carcassonne n’arriva second. Pendant ce temps, nos soldats avaient fait, eux, de bonne besogne15. Le double débarquement de Provence et d’Italie développait ses poussées ardentes et refoulait l’Allemand chez lui, en attendant de le réduire à merci. Mais le grand jour de l’armistice était encore loin. Il arriva enfin ; et comme Saint-Martin en 1918, ce fut Saint-Michel, lui aussi un peu nôtre, qui nous l’apporta le 8 mai 1945. Le Christ, une fois de plus, avait aimé les Francs.

    Notes

     

    1. Il s’agit de Notre-Dame du Grand Retour
    2. C’est la grotte de Trassanel dans laquelle périrent de nombreux résistants en août 1944, assassinés par les nazis sur dénonciation d’un habitant de Fournes-Cabardès.
    3. Autrement les Miliciens. Créée en février 1943 pour le maintien de l’ordre avec la bénédiction des Allemands, elle se transforma au printemps 1944 en un groupement répressif et violent au service des nazis. Son chef Darnand avait prêté serment de fidélité à Hitler et revêtu l'uniforme de la Waffen SS.
    4. Les chefs fanatisés de cette milice torturaient ceux qui ravitaillaient les maquis dans leur caserne de l’asile de Boutte-Gach, route de Toulouse. Ainsi mourut entre leurs mains, un habitant de Villebazy dont le nom figure au monument aux morts de la commune.
    5. Les républicains espagnols majoritairement communistes avaient fui la répression de la dictature franquiste et s’étaient réfugiés en France. Là, ils menaient le combat contre les nazis au sein de leurs propres maquis ou des maquis F.T.P
    6. Il s’agit des chefs de la milice 
    7. Les familles de miliciens quittèrent Carcassonne par convoi le 15 août 1944 vers Montpellier après Darnand en eut donné l’ordre. 
    8. Le convoi ne put passer le Rhône. Il fut dérouté vers Perpignan. Là, les chefs donnèrent l’ordre de dispersion. Les subalternes furent livrés à leur sort avec leurs familles et rentrèrent chez eux pensant ne pas être inquiétés. Ceux qui commandaient sauvèrent leurs vies en passant en Espagne. Hébergés par le régime de Franco, il prirent ensuite la direction de l’Argentine et rentrèrent en France en 1951 au moment de l’amnistie.
    9. Louis G, âgé de 20 ans, qui avait été seulement condamné à de la prison par la cour martiale en septembre 1944, fut assassiné de la pire des manières en rentrant à la prison. Il eut droit notamment aux pieds et aux mains dans la presse à papier…
    10. Cour martiale
    11. Les condamnés à mort avaient portés les armes contre la Résistance et aidés les Allemands dans leurs opérations contre les maquis.
    12. Le plupart étaient des jeunes français de 20 ans qui s’étaient engagés soit par conviction familiale, soit pour éviter le S.T.O, dans la Milice. D’autres jeunes français, s’engagèrent dans la Résistance.
    13. L’abbé Cunnac de conviction royaliste comme beaucoup de membres du haut clergé audois n’avait jamais accepté la Révolution française.
    14. Ce n’est qu’au mois d’octobre que le général de Gaulle fit désarmer les Milices patriotiques communistes et que les cours martiales furent remplacées par des cours de justice. Tous les chefs de la résistance locale mirent fin à l’épuration sauvage. 
    15. Il y a ici un paradoxe. L’abbé Cunnac reconnaissait « nos soldats" en 1945 dans les rangs desquels figuraient de nombreux résistants. Parmi eux, des communistes.

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  • Aux origines de la construction du cinéma l'Odeum, rue Antoine Marty

    © A. Machelidon / La dépêche

    Au mois d’août 1926, l’architecte Paul Enderlin présente un projet de construction d’une salle de cinéma dans la rue Antoine Marty, à la demande de Gaston François Deumié. Né à Mazerolles-du-Razès dans l’Aude le 1er février 1893, cet entrepreneur de spectacle a déjà dirigé la saison théâtrale de Pâques à Carcassonne en 1922 et 1923. La municipalité Tomey l’autorise le 26 septembre 1926 a bâtir un immeuble à usage exclusif du cinématographe sur un terrain ayant appartenu à Louis Bertrand. 

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    La façade dans les années 1930

    Le bâtiment, avec sa façade Art-Déco de 20 mètres, sera édifié entièrement en béton armé couvert partie en terrasse, partie avec charpente métallique recouverte de fibro-ciment ondulé. Cinq portes d’accès dont deux pour le bar et le vestiaire, formeront un front de dix mètres de largeur sur la rue.

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    © Isabelle Debien

    Le hall d'entrée en 2006

    Dans le hall, la billetterie disposera de deux doubles guichets à proximité de la direction et de la surveillance. On accèdera à la salle par six portes à partir du hall et par à la galerie par deux escaliers de 26 marches. La salle au parterre comprendra 300 places  (3e catégorie) et 464 places (2e catégorie) ; la galerie, 309 places (1ère catégorie) et 51 places dans les loges. Soit au total avec les strapontins, 1124 places assises. Au-dessous de l’écran, la scène pour loger l’orchestre sera mobile. La cabine de projection construite en béton armé sera accessible par un escalier de service. De nombreuses issues de secours donneront sur la rue Antoine Marty et sur la cour de l’immeuble vers la rue Hugues Bernard. 

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    © Isabelle Debien

    La salle en 2006

    Les conditions de sécurité exigent un poste d’eau muni de tuyaux et de lances au rez-de-chaussée et à l’étage, ainsi qu’un poste de pompier. Le piquet d’incendie ne devra jamais être inférieur à deux hommes pour les représentations. La cabine de projection devra contenir une cuve de minimum un demi-litre, interposée entre le condensateur de lumière et la pellicule.

    Il était en usage à l’époque de donner des noms antiques aux théâtres. À Carcassonne, la nouvelle salle s’appellera l’Odeum ; un lieu dans la vieille cité d’Athènes qui était destiné aux exercices de chant et de poésie. Divers théâtres se fondèrent sous ce nom dans plusieurs états grecs et même à Rome. 

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    © Isabelle Debien

    Gaston Deumié n’entend pas seulement offrir au public des projections de cinéma. Dans un courrier adressé au maire, il sollicite le 9 juin 1927 le classement de l’Odeum en salle de spectacle : « Le but de la direction a été de créer à Carcassonne une salle de spectacle qui ne soit, ni exclusivement populaire, ni exclusivement sélect mais qui puisse réunir à la fois et sans gêne réciproque les places à bon marché, les places moyennes et les places de luxe. » L’inauguration a lieu le 8 octobre 1927 avec la projection du film  muet La châtelaine du Liban, réalisé par Marco de Gastyne. L’orchestre de six instrumentistes dirigé par M. Estève illustre en direct les mouvements et les sentiments des acteurs sur l’écran. L’école de musique de l’Odeum créé le 18 octobre 1928 se propose même de former de futurs musiciens sous la direction de Gabriel Dutrey, professeur de musique au Conservatoire de Toulouse et chef d’orchestre du cinéma. Le nouvel équipement de la salle en parlant avec des appareils Western Electric, viendra mettre fin aux indispensables orchestres du muet, à la fin de l’année 1930.

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    © Martial Andrieu

    L’Odeum fait également la part belle à des pièces de théâtre de boulevard aux titres évocateurs comme Prête-moi ta sœur (1928) et Mon curé chez les riches (1929). Il accueille les conférences politiques comme celle de Philippe Henriot en novembre 1929 ou le Congrès des Jeunesses Radicales en avril 1937. Toutefois, la salle ne perd jamais sa  vocation artistique dont la plus notable est la venue de Joséphine Baker et de ses 19 boys, au mois d’avril 1934.

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    La revue nègre de Joséphine Baker

    À cette époque, Deumié a laissé la direction à François Fargues avant de la reprendre deux ans plus tard. Il se retrouve à la tête de trois établissements culturels après la Libération : l’Odeum, le Grand Casino d’Alès et l’Élysée de Limoux. Ce dernier avait été également construit par Paul Enderlin.

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    L'Élysée à Limoux, œuvre de Paul Enderlin

    Dans les années 1950, Gaston Deumié possède Le Vox, sur le boulevard Jean Jaurès à Carcassonne avant d’en changer l’enseigne le 29 septembre 1956 pour Le Boléro. Il meurt le 26 septembre 1977 à Carcassonne. Son héritier, M. Bonnafous, mettra en vente Le Boléro et l’Odeum en janvier 1979. Le premier sera transformé en garage automobile, le second continuera à être exploité en cinéma jusqu’en 2007. Acquis par la ville de Carcassonne à la société C.G.R, il fait actuellement l’objet de travaux afin d’être aménagé en Maison des associations.

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    © Claude Boyer / L'Indépendant

    Un grand merci à Isabelle Debien pour son aide

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  • Aux mineurs juifs de la mine de Salsigne déportés le 31 janvier 1944

    Est-il nécessaire de commenter cette photographie ? Tôt ce matin du 4 décembre 2020, un homme seul tient la bannière des mineurs de Salsigne. Autour de lui, le silence... Aucun officiel pour poser devant des journalistes absents, ni porte-drapeaux, ni fanfare... La Marseillaise et la sonnerie aux morts résonnent à l'intérieur de Robert Montane, car cet homme n'aime ni les postures, ni les grandes pompes commémoratives. Aidé dans sa démarche par Frédéric Ogé, il se tient droit malgré son âge face à l'histoire, tout simplement parce que les convictions humanistes de cet ancien mineur le lui ordonnent. Que cela déplaise ou que cela puisse gêner, il n'en a cure ! Se souvenir simplement qu'à cette époque on a rien fait à Salsigne pour prévenir l'arrestation de treize camarades juifs étrangers mineurs, comme eux. "C'est la lutte finale, groupons-nous et demain, l'Internationale sera le genre humain", combien de fois l'avaient-ils pourtant chanté ? Ces paroles devaient avoir du sens...

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    Robert Montane dépose ce matin-là une liste contenant les noms des mineurs israélites déportés ce 31 janvier 1944. Cette liste, telle que nous l'avions communiquée dans un article de notre blog en 2016. Au pied du monument, il rassemble dans un vase les treize roses jaunes qu'il a payé de sa poche. Elles symbolisent la mémoire de chacune des victimes et la couleur jaune de l'étoile de David qu'elles arboraient sur la poitrine.

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    L'homme parait seul dans sa quête, le silence qui l'entoure c'est celui des victimes qui le remercient

    http://musiqueetpatrimoinedecarcassonne.blogspirit.com/archive/2016/09/15/arrestations-et-assassinats-des-juifs-de-la-mine-de-salsigne.html

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