Le théâtre de la Cité
Serions-nous à Carcassonne à une hérésie près? La ville pendant deux mille ans s'est toujours relevée et nous avons donc l'espoir que des hommes éclairés lutteront pour sa sauvegarde. Ce qui est important, c'est que l'héritage que nous léguerons aux générations futures ne soit pas marqué du seau de la médiocrité, du mauvais goût travestissant toute vérité historique. Je sais bien qu'aujourd'hui on bafoue les traditions, les vieux sont mis à l'hospice et l'on vend après leur mort les vieilles photographies de famille à des antiquaires. Ou mieux encore, elle partent dans un feu de joie avec la commode Henri II dont aucun marchand ne veut. On se fout de savoir combien il a fallu aux aïeuls d'heures d'épuisement à tailler la vigne pour se la payer. Comment voudriez-vous dans ces conditions que l'on attacha une quelconque importance à ce qui va suivre?
Le théâtre de la Cité en 1980
Il était autrefois un admirable théâtre construit sur l'emplacement d'un ancien Palais épiscopal détruit en 1792. Le 16 juillet 1908, sous l'impulsion du Dr Sempé, résonnent les premières répliques de "La fille de Rolland" d'Henri de Bornier. Le décor naturel de ce théâtre se suffit de lui-même et son acoustique est des plus remarquables. Dans les années 1960, le comédien Jean Deschamps y créé un festival d'Art dramatique digne de celui d'Avignon avec les plus belles oeuvres du répertoire classique: Bérénice, Phèdre, Antigone... Avec Jean Alary comme directeur dans les années 1980, la programmation devient plus éclectique mais conserve la marque de la création culturelle. Cette impulsion suivra avec les directeurs qui lui succéderont: Jacques Miquel, Georges-François Hirsh, Paul Barrière et Georges Bacou. Toute pièce jouée dans le théâtre doit s'adapter à la configuration du lieu et les metteurs en scène s'en donnent à coeur joie. Batailles à l'épée dans les escaliers, sorties et entrées dans les tours, passages sur le haut du rempart avec une mise en lumière des plus épiques. On joue Cyrano de Bergerac avec la Cie "Le grand Roque", Samson et Dalila avec le Capitole de Toulouse, Faust avec L'opéra de Liège, Bérénice avec La Comédie française, "Hamlet" dont les murs résonnent encore "To be or not to be?"... etc
Le théâtre de la Cité en 2015
Voilà désormais à quoi ressemble tous les étés la scène de notre théâtre depuis 2005 et l'arrivée d'un nouveau coordonnateur et d'une nouvelle programmation, dont la ville fête les 10 ans cette année. Comment voulez-vous faire de la mise en scène avec cet amas de tuyaux en aluminium? Des ventilateurs tournent sans arrêt pour refroidir les gélatines des lumières. Ils ont remplacé les souffleurs qui de leur trappe donnaient le texte aux comédiens. Ceux-ci risquent la rhinite théâtrale! Peut-on jouer avec le ronron assourdissant de cette climatisation? La pauvre Sarah Giraudeau, il y a huit ans, n'en a pas dormi de la nuit! Carcassonne, c'est pas les Francofollies de La Rochelle, ni "les Vieilles charrues" de Rennes. Elle est où notre personnalité? Dans notre tradition, notre langue, nos usages, notre histoire. Elle doit être épique et romantique! Que vont dire nos enfants en voyant ces tubes? "Papa, tu dis n'importe quoi! Il n'y a jamais eu de chevaliers dans ce théâtre" On ne propose plus de rêve, on vend de la musique de supermarché jouée par des mercenaires du show-bizz qui après le dernier accord, auront oublié Carcassonne! Nous avons un outil de travail que beaucoup d'autres villes nous envient et nous nous en servons comme les vitrines de souvenirs "Made in China" que l'on trouve dans la cité. C'est un tout, hélas... Nous aimerions savoir comment le Centre des Monuments Nationaux a t-il pu autoriser la pose de cette structure. Comment le concert assoudissant de "Motorhead" a t-il été permis, sans que l'on ne prenne le risque de mettre en péril les vitraux de la Basilique Saint-Nazaire à cause de la hauteur des décibels ? Cette structure immonde pour le patrimoine protège les artistes de variétés de la pluie. Ainsi, il n'y a plus d'annulations. Donc, le public n'a qu'un choix, soit se mouiller de la tête aux pieds, soit prendre le bénéfice de sa place (exemple, Vanessa Paradis). Comme il faut faire feu de tout bois, le Festival vend des ponchos les jours de pluie. Tout n'est que commerce et pas culture.
Monsieur Jean-François de Miailhe, élu en charge de la Cité, a pris récemment des mesures impopulaires auprès des commerces afin de supprimer les vieilles enseignes et les jardinières sauvages. Pourrait-il demander en toute logique au maire, d'enlever cette structure qui défigure le théâtre de la Cité ? La ville devrait montrer l'exemple...
Si j'écris cet article qui ne servira à rien, sinon à me soulager d'une colère froide, c'est aussi parcequ'il existe dans Carcassonne une minorité cultivée qui n'ose rien dire, ou trop mal organisée pour s'exprimer. Elle fulmine, elle rouspète... mais pas asssez fort.
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