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Portraits de carcassonnais - Page 42

  • Lucien Roubaud (1906-1999), un grand Résistant oublié...

    Lucien Roubaud naît en 1906 à Toulon. Il est orphelin ; son enfance très pauvre aurait pu le conduire sur des chemins pas très fréquentables, s'il n'avait eu l'opportunité de se réfugier dans les études grâce au secours des bourses. Admis à l'Ecole Normale Supérieure en 1926, c'est là qu'il fait la connaissance de Suzanne Molino - sa future épouse. Suzanne sera l'une des trois premières femmes admises à l'ENS ; une situation extrêmement rare pour l'époque. C'est à l'intérieur de ce creuset normalien qu'ils font la connaissance de leurs amis Simone Weil et Georges Canguilhem - né à Castelnaudary et futur résistant.

    lucien roubaud

    Lucien Roubaud

    Après son agrégation en 1935, les deux époux sont nommés en Corrèze avant d'arriver à Carcassonne à l'automne 1937 avec leurs enfants. Parmi eux se trouve Jacques Roubaud - mathématicien et écrivain - dont nous parlerons dans un prochain article. Suzanne et Lucien Roubaud enseignent au lycée de Carcassonne respectivement, l'anglais et la philosophie. Le nouveau professeur reprend la poste laissé vacant par de Ferdinand Alquié, nommé au lycée Condorcet à Paris.

    lucien roubaud

    Laissons à Jean Cau - secrétaire de J-P Sartre et Prix Goncourt 1961 - qui fut son élève à Carcassonne, le soin de nous raconter les méthodes d'enseignement de Lucien Roubaud.

    "Un colosse sportif et qui nous initiait à la philosophie avec un santé de champion ; et qui réussissait à nous parler des Descartes comme d'un athlète qui aurait hésité entre jouer au rugby et écrire "Le discours de la méthode". Du sport, avec Roubaud, la philo. Un joyeux exercice pour soulever, comme haltère de plume, les concepts. Un matin d'hiver, je ratai, avec ma grosse boule de neige, dure et tassée, le copain que je visais et la boule vin s'écraser sur la tête de M. Roubaud. Pile.

    - Je dois vous punir, mais choisissez la punition.

    - Un sonnet, Monsieur

    - Très bien. faites-moi un sonnet. Voici le titre : Boule de neige.

    Je composai le sonnet. Et, à partir de ce jour, à chaque fois que je chahutais en classe, la sanction tombait."

    lucien roubaud

    La maison, rue d'Assas à Carcassonne, où vécut la famille Roubaud pendant la guerre.

    La Résistance

    Lucien Roubaud - avec le soutien de sa femme - va peu à peu s'affirmer comme l'un des dirigeants de la Résistance régionale. Du côté de sa belle famille Molino, sa belle-mère Blanche, cachera des juifs pendant l'occupation ce qui lui vaudra le titre de Juste parmi les Nations : Caroli Brulh, Levy Bruel, Renée Mayer, Nina et Georges Morguleff. Ce dernier entrera dans la Résistance audoise aux côtés de Lucien

    lucien roubaud

    Georges Morguleff

    Voici comment Lucien Roubaud entra en Résistance :

    " Au début, je n'ai pas eu d'autres contacts que celui de mes amis, de mes relations habituelles. Tenez, un exemple... C'était peu après l'Armistice. Un élève qui s'appelait Astruc, qui n'était pas dans ma classe mais que je connaissais au club de football, est venu me voir chez moi. Il m'a dit : "Je veux partir à Londres..." Son père était colonel ou général d'aviation. Il avait pris contact avec des aviateurs.  Je lui ai répondu : "Je pars aussi s'il y a de la place..." Une petite valise, une brosse à dents, nous avons filé vers l'aérodrome... Hélas, ce fut un départ manqué... Sans doute n'était-ce encore que des enfantillages, mais qui montraient notre désir que les choses ne s'arrêtent pas là...

    lucien roubaud

    A. Picolo après son retour des camps

    L'affaire est devenue eu peu plus sérieuse avec Albert Picolo qui, avant d'être déporté à Buchenwald a, sans doute, été le premier organisateur de la Résistance dans l'Aude. Ancien candidat socialiste à Carcassonne, Picolo était, comme moi, professeur au lycée, mais il avait été révoqué dès le début par Vichy. Il connaissait beaucoup de socialistes aussi quelques communistes. Le magasin de sa femme, qui était pharmacienne, était devenu un lieu de rendez-vous. Je me souviens, que fusil de chasse à la main, nous partions avec lui reconnaître les endroits où ultérieurement nous pourrons faire des embuscades.

    lucien roubaud

    L'ancienne pharmacie Picolo, avenue Bunau-Varilla

    Plus sérieusement, nous faisions aussi de la propagande orale et nous menions campagne contre les quelques pétainistes de l'endroit. Nos propos trouvaient un écho certain auprès des petits commerçants du quartier : le réparateur de vélos, le menuisier, le tonnelier, etc... C'était limité, mais c'était très net. Nous nous sommes manifestés plus ouvertement lors de la cérémonie du 11 novembre 1940... Ainsi, au fil des mois, avons-nous monté plusieurs manifestations, dont celle où Picolo a arraché le bouquet qu'on venait de remettre à un allemand (Le SS Dr Grimm, NDLR) qui venait faire une conférence à Carcassonne. Peu à peu ces manifestations ont pris de l'ampleur."

    Lucien Roubaud allait prendre du galon au sein de la Résistance, d'abord comme responsable régional du journal "Combat" puis du M.U.R (Mouvements Unis de Résistance) pour la R3. C'est-à-dire Aveyron, Aude, Hérault, P-O, Lozère et le Gard. Il se heurta aux refus politiques régionaux de certains, qui selon lui " durent se régler au niveau national". Henri Noguères fut de ceux-là... Faut-il s'étonner que le nom de Lucien Roubaud ne figure pas dans son ouvrage de 3500 pages en cinq volumes " L'histoire de la Résistance en France". Une omission coupable sans doute, du célèbre historien, malgré l'importance de Roubaud comme président du Comité Régional de Libération et au sein de l'Assemblée Consultative Provisoire en 1946. C'est d'ailleurs cette nomination qui motive son départ pour Paris la même année, où il logera... dans la rue d'Assas située dans le Vie arrondissement de la capitale.

    Le fondateur du Midi-Libre

    Le journal de Montpellier "l'Eclair" qui paraissait sous l'occupation est dissous à la Libération. Il est repris en main par la Résistance régionale et c'est Lucien Roubaud qui trouve le nouveau nom. Le Midi-Libre paraît pour la première fois le 27 août 1944. Lucien Roubaud nomme à la direction du quotidien Armand Labin dit Jacques Bellon dans la Résistance. Il sera l'époux de Denise Hulmann (Bellon) à qui l'on doit les nombreuses photographies du poète Carcassonnais Joë Bousquet.

    lucien roubaud

    Le 27 août 1944

    Après une retraite dans l'Aude, le couple Roubaud s'en est allé discrètement. D'abord Suzanne en 1993, puis Lucien six années plus tard. On aimerait aujourd'hui avoir leur opinion sur la prise en main récente du Midi-Libre par l'ancien journal Radical-socialiste longtemps financé par René Bousquet - chef de la police de Vichy. 

    A savoir que « La Dépêche », premier quotidien régional français de l'époque, a collaboré avec l'Allemagne nazie pendant quatre ans et 1.500 numéros, en enfonçant le maréchal Pétain, en traitant les résistants de « terroristes » et « d'étrangers », de Gaulle de « traître » et de « lâche » et en disqualifiant les juifs. « Le juif doit vivre au grand jour », lit-on, le 23 novembre 1941, dans un article sur les dispositions l'écartant des sociétés anonymes pour l'empêcher « de devenir nuisible, le protéger de ses propres instincts ». « La Dépêche », interdite de publication le 20 août 1944, sera autorisée à reparaître le 22 novembre 1947 sous son nouveau nom « La Dépêche du Midi ». (Les échos / 3 mai 2001)

    Ne cherchez pas de nom de rue "Lucien Roubaud" ; il n'appartenait à aucun parti politique. Il faut penser que dans cette région, la carte de membre a suffi à certains pour se construire un postérité à laquelle ils étaient assez loin de pouvoir prétendre. Aux vrais résistants le sens du devoir accompli, aux autres les médailles...

    Sources

    Chronique de la Résistance / Alain Guérin / 2010

    La boucle / Jacques Roubaud / 1993

    Midi-Libre : Un journal dans sa région / 1995

    Croquis de mémoire / Jean Cau / 1985

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  • Les Jourdanne : Deux maires, une même famille...

    Gaston Jourdanne

    (1858-1905)

    Avocat de son état - il siège comme élu dans le Conseil municipal du maire Omer Sarraut, en mars 1887. Prenant le contre-pied de son éducation conservatrice et catholique, il se tourne politiquement du côté des anticléricaux du parti Radical. Après la mort soudaine d'Omer Sarraut, il occupe les fonctions de maire par intérim entre octobre 1887 et mars 1888. Sur plainte de l'opposition, qui l'accuse de fraude électorale, Gaston Jourdanne est condamné à un mois de prison.

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    © Chroniques de Carcassonne

    "M. Gaston Jourdanne, a été incarcéré ce soir, à deux et demie. Dès onze heures du matin, les gendarmes se présentaient, porteurs d'un mandat d'arrêt, à la porte de la maison qu'il habite, Grand-rue, 44. Ils sont entrés dans le magasin tenu rue Courtejaire, par Charles Jourdanne, et ont expliqué le motif qui les amenait. M. Charles Jourdanne leur a fait remarquer qu'il était chez lui, et leur a fait comprendre que, s'ils persistaient à entrer, ils s'exposaient à des poursuites graves pour violation de domicile. Ces gendarmes ont fait appel au Commissaire central, qui s'est rendu sur les lieux, accompagné de M. Béziat, deuxième adjoint. Ces magistrats n'ont pu vaincre la résistance opiniâtre de Charles Jourdanne, et ont été obligés d'aller chercher les ordres auprès de M. le procureur de la République.

    Mais la nouvelle s'était bientôt répandue dans la ville, et une foule nombreuse accourait de toutes parts, et attendait sous une pluie battante, le dénouement de cette affaire. M. Gaston Jourdanne après son retour de Lézignan, lundi soir, aurait voulu suivre sa musique, la lyre Carcassonnaise, seulement couvert sur sa tête d'une casquette de musicien en toile blanche. Cette imprudence fut cause que mardi matin, M. Jourdanne ne pouvait plus parler et resta au lit. Les médecins constatant son état lui recommandèrent le repos absolu. Cependant, le Parquet envoyait mardi soir les docteurs Cordes et Rigail qui, après vu le malade, constatèrent qu'une angine catarrhe s'était déclarée.

    Des ordres durent donnés, et la gendarmerie avisée d'aller procéder à dix heures à l'arrestation de M. Gaston Jourdanne. Mais devant la déclaration de la famille Jourdanne, la brigade entière a été appelée pour contenir la foule. Pourtant, force est restée à la loi ; et à une heure et demie, une civière a été requise pour transporter M. Jourdanne à la maison d'arrêt. 

    La foule était nombreuse de la rue Courtejaire à la prison. Quelques applaudissement ont éclaté devant la maison Jourdanne et devant la porte de la maison d'arrêt.

    (Le rappel de l'Aude / 21 juin 1888)

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    A la suite de cette affaire, Gaston Jourdanne ne pourra plus exercer de fonctions électives. Il se retire dans son domaine de Poulhariès à Carcassonne et se consacre pleinement à l'oeuvre félibréenne. L'ancien premier magistrat de la ville rédige de nombreux livres sur les traditions et la culture occitane. Il est également à l'origine du Comité des Cadets de Gascogne en 1898, dont ne nous reste que le feu d'artifice  tiré depuis les remparts de la Cité médiévale. Gaston Jourdanne pourra prématurément en 1905 à l'âge de 47 ans. Une place porte son nom, face au centre des impôts.

    Jules Jourdanne

    (1892-1983)

    naît le 21 novembre 1892 à Carcassonne. Il est le fils d'Alexandre Joseph Paul Jourdanne et d'Aurélie Passérieux, résidants à Cazilhac. Après ses études secondaires, il entre à l'Institut National agronomique et habite à Paris. Durant la Grande guerre, c'est un remarquable officier - lieutenant puis Capitaine - au 3e régiment d'artillerie ; ceci lui vaudra la Croix de guerre et la légion d'honneur. En 1921, Jules Jourdanne épouse Marie-Thérèse Ancelme avec lequel il aura une fille - Magali. Cette dernière se mariera avec Pierre Castel (dit de la Reille). En sa qualité de docteur en droit, il publie en 1928 "Les associations de fonctionnaires et le recours pour excès de pouvoir." En 1938, les époux Jourdanne habitent 3, square Gambetta à Carcassonne.

    Un maire nommé par Vichy

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    En février 1941 - sur décision du gouvernement de Vichy - Albert Tomey démocratiquement élu depuis 1919 à la tête de la ville est remplacé par Jules Jourdanne, maire nommé. C'est le cas - voir ci-dessus - d'un très grand nombre de maires de la zone libre. Jules Jourdanne dont la pensée politique avait suivi celle du maréchal Pétain au-delà de son admiration pour le vainqueur de Verdun, rassemblait toutes les qualités pour administrer Carcassonne selon les lois de Vichy. Le 11 mars 1941, le conseil municipal de Carcassonne compte dans ses rangs : MM. Combe, Nelli, Grossetête, Carrière, etc... (source : ADA 108W32)

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    Le Conseil départemental de l'Aude nommé par Vichy

    D'après l'historien Claude Marquié, Jules Jourdanne refusa de toucher ses indemnités de maire et se serait contenté d'expédier les affaires courantes de la ville, sans prendre une part active aux lois coercitives de Vichy. C'est ce qui sans doute lui a voulu de ne pas être inquiété à la Libération. (Les dimanche dans l'histoire / La dépêche)

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    © Martial Andrieu

    Jules Jourdanne, Philippe Pétain, le préfet Cabouat

    Le 14 juin 1942, Carcassonne reçoit la visite du maréchal Pétain et lui adresse un accueil des plus fervents. Ci-dessus, le maire Jules Jourdanne sort de la maternité de Carcassonne avec à ses côtés Philippe Pétain et Jean Cabouat, préfet de l'Aude. Le 24 août 1944, Louis Amiel - Président du Comité de Libération - remplace Jules Jourdanne qui se retire dans son domaine de Samary, situé à Caux-et-Sauzens. C'est dans ce village qu'il est inhumé depuis 1983.

    Généalogie

    Quel lien de parenté entre Gaston et Jules Jourdanne ? Le grand-père de Jules - Pierre Guillaume, né le 11 février 1827 - était le frère du père de Gaston - Jean-Pierre Hippolyte, né le 26 février 1822. Leurs parents : Alexandre Hippolyte (Marchand de cuirs) et Marie-Françoise Rieussec, habitant rue St-Vincent (actuelle rue Tomey). 

    Sources 

    Gallica

    ADA (Etat-civil et recensement militaire)

    Le rappel de l'Aude

    Merci à J. Blanco pour son aide iconographique

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  • La belle histoire de l'ancien asile de Bouttes-Gach

    Un enfant est déposé à la porte de l'hospice de Carcassonne, le 20 avril 1818. Sur ces vêtements, un papier est accroché avec l'inscription suivante : "Gaudefroy Lucien, né aujourd'hui 19 avril 1818 marqué au petit doigt de la main gauche, n'est pas baptisé." Ce bébé retrouvera probablement sa mère biologique - Jeanne Marie Louise Gach, née à Floure en 1776 - avec laquelle il vivra à Saint-Couat d'Aude jusqu'à la mort de celle-ci, le 27 août 1859. Nous avançons comme hypothèse que Bouttes soit le nom du père qui ne l'a jamais reconnu. On retrouve ce patronyme dans le Narbonnais...

     Lucien Bouttes-Gach poursuit même des études de droit, selon le recensement de 1836. Il sera élu comme maire de Saint-Couat à deux reprises et sous deux noms différents. Entre 1843 et 1848, sous le nom de Lucien Bouttes-Gach et de 1871 à 1874, sous celui de Gaudefroy Bouttes. Ceci s'explique par le fait qu'il ait choisi de modifier son patronyme par jugement du 26 mars 1862. 

     N'ayant pas d'héritier naturel et ne souhaitant pas que le profit de ses biens fasse l'objet d'un enrichissement, il rédige entre 1847 et 1873 six testaments différents. Le 19 novembre 1873, il institue le département de l'Aude comme son légataire universel. En 1874, Bouttes-Gach met fin à ses jours ; le département devient propriétaire du domaine d'Aussières près de Narbonne - acquis aux enchères par le défunt en 1872, ancienne propriété de M. Mareschal - et du domaine de Saint-Couat, qu'il met en vente aux enchères publiques en mai 1875.

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    © Le figaro

    Domaine d'Aussières (673 ha) : Mise à prix 415.000 francs

    Le domaine d'Aussières près de l'abbaye de Fontfroide a été acquis en 1999 par les Domaines Barons de Rothschild (Lafite). Il aura fallu dix ans pour remettre sur pied la production et sortir les premières cuvées, il y a seulement deux ans.

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    Château de St-Couat (141 ha) : Mise à prix 850.000 francs

    Le premier nommé est adjugé en juillet 1875 à MM. Bousquet et Bergasse pour la somme de 415.000 francs. Le second ne sera vendu qu'après une baisse de prix pour 625.000 francs à Joseph Lignières, propriétaire à Ferrals. Le Conseil général dispose d'un gros héritage.

    La succession

    Le testament spécifie que le département devra s'acquitter de trois legs particuliers dont l'un est ainsi spécifié :

    "Je lègue 100.000 francs à tous mes parents du côté maternels au degré successible."

    Par voie de presse, la préfecture demande aux parents de M. Bouttes-Gach de se faire connaître. Le 12 août 1875, ils sont 68 a revendiquer cette part de l'héritage. Les neveux et nièces vont intenter un procès afin de toucher en supplément, les 20.000 francs qui leur étaient dévolus dans un testament antérieur datant de 1860 ; le département obtient gain de cause en avril 1878. M. Antoine Marty - avocat et propriétaire à Floure - ami du défunt, réclamera l'exécution des deux testaments de 1852 et 1860 dans lesquels M. Bouttes-Gach lui lègue ses meubles, ses voitures, ses chevaux et ses bijoux. Son nom n'apparaissant pas dans le testament de 1873, le département refusera de lui céder cette partie de l'héritage, arguant que l'antériorité n'a plus de validité. Marty va aller en justice et obtenir gain de cause ; la préfecture interjettera appel. Les fabriques des églises de Saint-Vincent et de Saint-Couat vont elles-aussi réclamer leur part. Le 30 août 1879, elles acceptent les bases de la transaction adoptées en avril, au sujet de la délivrance des legs en faveur de ces établissements. 

    Les voeux du défunt

    Le reste de mes biens, je le lègue au département de l'Aude, pour un hospice sain et élevé. Je souhaite que ma fortune serve à but d'utilité publique et non a assouvir des cupidités particulières.

    Les problèmes d'apurement de la succession Bouttes-Gach durèrent plusieurs années... Le Conseil général chercha néanmoins le meilleur moyen pour faire respecter les voeux de son bienfaiteur. En janvier 1876, Justinien Capmann propose d'affecter la somme provenant de la succession à la création d'une école des arts et métiers dans l'Aude. Cette proposition ne sera pas retenue ; M. le préfet fait étudier par l'architecte départemental M. Desmaret, un projet ayant pour but la création d'un asile où tous les secours que peut réclamer l'humanité dans tous les cas de maladie à tous les âges, seraient donnés gratuitement. 

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    © Polices mobiles

    L'asile en 1942, en bordure de la route de Toulouse

    La construction de l'asile

    Entre le décès de M. Bouttes-Gach et le début des travaux de l'asile, il s'écoulera huit années de procédures, commissions et autres atermoiements. En 1880, plusieurs propriétaires offrent des terrains pour l'édification du futur hospice. Priorité est donnée aux terres de MM. Albarel et Cabrié situées en bordure de la route de Toulouse, si les fouilles dans le sol révèlent l'existence d'une eau suffisante pour les besoins de l'asile. A défaut, ce seront les terres de M. Combes-Gaubert à l'Estagnol ou celles de Mme Riscle à la Gravette qui seront choisies. 

    Le 16 juillet 1881, l'entreprise de maçonnerie de Michel Cau se voit confier la construction des bâtiments pour un montant de 135.000 francs. Le 26 août 1882, la même entreprise doit réaliser la platrerie, la charpente et le dallage pour 16.000 francs. Enfin, les travaux de menuiserie, parquets et serrurerie sont dévolus à M. Falcou pour 30.000 francs. Au total, ce sont 183.000 francs + 2000 francs d'imprévus.

    Deux sociétés ont offert de fournir des appareils pour l'installation du gaz : M. Flander de la Cie Néerlandaise et directeur de l'usine à gaz de Carcassonne ; M. Huguet, appareilleur à Carcassonne. Malgré le devis avantageux de ce dernier, l'offre de M. Flander est retenue car la Cie Néerlandaise réalisera la canalisation extérieure de 400 mètres à ses frais.

    L'acquisition d'une horloge avec cloche en raison de l'éloignement de l'asile avec le centre de la ville est conclue de gré à gré - selon l'usage pratiqué dans les communes de l'Aude - avec le sieur Péghoux, horloger à Carcassonne. Celui-ci sera chargé de la maintenance pour une durée de dix ans.

    Afin d'honorer la mémoire du généreux bienfaiteur, un buste prendra place au milieu du vestibule. On demande à M. Malbret - photographe à Carcassonne - la reproduction d'un cliché de M. Bouttes-Gach. Il est question de rechercher un sculpteur parisien, puis de s'offrir les services de M. Godin, auteur des sculptures ornant le fronton du Palais de justice. En 1883, M. Injalbert de Béziers tient l'affaire.

    Le 12 janvier 1881, les élus du Conseil général se prononcent sur la construction d'une chapelle à l'intérieur de l'asile. Au sein de l'assemblée départementale, l'hostilité des libres-penseurs gagne à une voix de majorité contre ce projet. Ils indiquent que jamais M. Bouttes-Gach n'a évoqué cette résolution dans son testament, qu'il ne devait pas être si croyant pour s'être suicidé et que la création d'une chapelle catholique exclue de fait les mahométans et autres religions. L'économie réalisée sur ce poste de dépense permettra, selon eux, la création de lits supplémentaires. Les défenseurs de la chapelle fendent cet argument en mettant en avant les contradictions budgétaires, avec la création d'une maison du jardinier pour 18.000 francs.

    L'administration

    Les sept membres nommés par le Conseil général administrent l'asile. Leurs fonctions sont bénévoles et leur mandat renouvelé par cinquième chaque année. Ils sont rééligibles. Le 14 janvier 1885, M. Jean-Baptiste Progent - Officier d'administration des bureaux de l'intendance, en retraite - est nommé comme directeur. M. Antoine Lauze lui succédera en 1901. Le fonctionnement financier de l'asile est assuré par l'encaissement de 24 bons du trésor pour 240.000 francs et d'un nouvel achat de rente pour 711.000 francs placés à 5% sur l'état. 

    En 1886, l'asile accueille 40 pensionnaires. Les repas coûtent 1,40 francs par pensionnaire ou 400 francs par an. L'excédent de recette se monte à 3.800 francs. Il est observé que le tarif de 0,80 franc pour deux repas est bien faible pour proposer de la qualité. A moins que le jardin n'améliore l'ordinaire, les pensionnaires risquent fort de manger plus souvent des patates que de la viande.

    "C'est l'heure du déjeuner qui a lieu à 11 heures et demi. Nous avons vu défiler devant nous les pensionnaires au moment où ils se rendaient au réfectoire. Ils étaient tous convenablement vêtus et paraissent en général disposés à faire honneur au déjeuner, dont le menu était ainsi composé : soupe au jus, plat de haricots et figues sèches. Ce repas avait été précédé d'un premier déjeuner qui avait eu lieu à huit heures et demi et qui était composé d'une soupe au lait. Le dîner du soir comprenait un plat de pois au jambon et une salade. Telle était la carte de ce jour, et certes elle n'avait pas été dressée pour la circonstance. Les convives ont pris place autour d'une table reluisante de propreté. A côté du couvert chaque pensionnaire avait une large rondelle de pain blanc et frais dont la croûte dorée des plus appétissantes et une bouteille de vin de demi litre.

    Les dortoirs, vastes et aérés, présentaient une double rangée de lits parfaitement alignés et dont la régularité aurait plus au sergent de chambrée le plus exigeant. La lingerie, aux étagères bien garnies et pourvues de casiers numérotés, renferme les objets appartenant à chaque pensionnaire. La cuisine, les magasins pour conserver les provisions font plaisir à voir. Tout indique une surveillance méticuleuse de la part du directeur, un souci très réel de la conservation du matériel et du bien-être des pensionnaires.

    La vérité nous oblige à ajouter que ce n'est pas cependant des témoignages unanimes de satisfaction que l'on recueille de la part des habitants de l'Asile. Ils se plaignent, en général, de ce que la nourriture est moins bonne que les années précédentes. Les plats de viande qui ont été supprimés du programme sont regrettés par ceux qui ayant été habitués à un meilleur régime dans les premiers temps ne peuvent pas s'expliquer la diminution apportée à leur bien-être, ce qui prouve que le bonheur n'est pas de ce monde.

    (La Fraternité de l'Aude / 8 juillet 1887)"

    L'Asile au fil du temps

    En 1884, l'asile de Bouttes-Gach devient pour un temps une annexe de l'hôpital général de Carcassonne afin d'accueillir les malades touchés par le choléra. Ils y sont mis en quarantaine et soignés jusqu'à la fin de l'épidémie. Le 19 octobre 1906, M. Fondi de Niort signale la ruine prochaine de l'asile de Bouttes-Gach. Les réparations étant considérables, il propose de le supprimer et de donner les soins à domicile. On décide finalement de faire les réparations les plus urgentes. Le 23 avril 1909, on propose la transformation en partie de l'asile en une école professionnelle pour les pupilles de l'assistance publique.

    Guerre 14-18

    L'asile de Bouttes-Gach est aménagé en annexe de l'hôpital le 16 novembre 1915 pour les soldats contagieux, jusqu'au 29 septembre 1919. 277 soldats allemands y seront internés.

    Guerre 39-45 

    L'asile est transformé en caserne pour le GMR Minervois qui s'y installe le 16 novembre 1941. Après la création de la Milice Française à Carcassonne en 1943, ce sont les troupes de la Franc-garde agissant contre les maquis qui occupent Bouttes-Gach.

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    A La Libération, la Résistance prend possession des lieux avant que le 1er juillet 1945, la CRS 163 n'en fasse sa caserne.

    La fin de Bouttes-Gach

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    L'incendie de l'asile de Bouttes-Gach

    En 1976, un violent incendie détruit l'ancien asile de Bouttes-Gach. La CRS s'installe dans de nouveaux locaux, route de Narbonne. Le 15 septembre 1980, le département cède à la ville, suivant estimation des Domaines, un terrain de 1980 m2 sur lesquels se trouvent les anciens ateliers de l'ex-caserne de CRS. Dans ces bâtiments ont envisageait de loger le Foyer du Méridien. Finalement, les bâtiments ruinés seront rasés et on construira sur leur emplacement la résidence du Méridien. Aujourd'hui, on a oublié qu'un enfant abandonné aux portes de l'hospice en 1818 a ensuite légué une immense fortune pour le bien-être des vieillards les plus démunis. Plus rien sur ce site n'indique la mémoire de Lucien Bouttes-Gach, bienfaiteur du département de l'Aude.

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    © Google maps

    La résidence Méridien sur l'ancien asile Bouttes-Gach, en 2016

    Sources

    Cet article a nécessité deux jours de travail de recherche et de synthèse. Il a été rendu possible grâce à la consultation des délibérations du Conseil général de l'Aude entre 1875 et 1883, des journaux locaux, de l'état civil et du recensement sur le site en ligne des archives de l'Aude. C'est donc comme presqu'à chaque fois, un travail de fourmi auquel l'auteur s'est livré. Il vous est demandé - si vous deviez vous servir de ces informations - de le citer. Nous comptons sur l'honnêteté morale des lecteurs.

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