Aurait-on oublié au moment de célébrer le centenaire de l'armistice de la Grande guerre, le souvenir du général Paul Sarrail ? Notre devoir c'est de rappeler son engagement devant Verdun, ses opinions profondément républicaines et surtout ses origines audoises. Le général Sarrail peut être considéré comme un cas d'atypique dans le Haut commandement de l'armée française durant le terrible conflit de 14-18.
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Sarrail à son arrivée à Paris en 1925
Paul Sarrail naît à Carcassonne au 31 rue Saint-Michel (rue Voltaire) le 6 avril 1856. Son père Edouard exerce les fonctions de contrôleur des contributions directes à Castelnaudary, mais la famille vit dans la capitale audoise. Après des études au lycée impérial de la ville, il entre à Saint-Cyr en 1875 à l'âge de 19 ans et sert en Algérie. Admis à l'Ecole de guerre puis dans divers Etats-majors à Toulouse et Perpignan, il devient en 1900 l'ordonnance du général André. Commandant de l'école de Saint-Maixent, puis directeur de l'Infanterie de 1907 à 1911 il fait choisir à ses élèves l'affection qu'il désirent sur un bout de papier.
Monument érigé en l'honneur de Paul Sarrail à Verdun en 1936. Fondu par les Allemands en 1942, il sera refait à l'identique en 1959 grâce à la conservation du plâtre d'origine.
Au début de la Grand guerre, le général Sarrail se retrouve à la tête du 6e corps d'armée. Au mois d'août 1914, alors que ses troupes sont encerclées à Verdun, il refuse d'obéir aux ordres d'évacuation de Joffre. Il réussit le tour de force de maintenir l'ennemi hors d'atteinte de Verdun, grâce à ses positions sur le flanc droit et à l'appui de Galliéni à gauche.
A ligny-en-Barrois, le préfet de la Meuse vint le trouver
- Mon général, lui demanda t-il, faut-il faire évacuer Bar-le-Duc ?
- Ça me paraît inutile pour le moment, répondit Sarrail ; tenez M. le préfet, je vous autorise à partir quand le premier obus tombera sur la place de la Préfecture.
Cet obus ne tomba jamais. Plus tard en Argonne, ses ennemis firent sur son compte courir des bruits perfides. A les en croire, le front était par là dépourvu de tranchées. M. Albert Sarraut vint amicalement le prévenir et se rendre compte. Sarrail le promena toute une journée dans ses tranchées.
S'il avait échoué, son honneur militaire en eut été ébranlé avec certainement une convocation devant le Conseil de guerre. Sarraut eut le courage moral de suivre son intuition en faisant fi de son intérêt personnel. A l'issue de cette entrave au code militaire, Sarrail s'en sort avec le concours de ses soutiens politiques. Sans eux, il eut à parier qu'il fût envoyé à Limoges, là où les parias de l'armée finissaient par être limogés. Sarrail, relevé de son commandement, se retrouve en 1916 Général en chef des armées alliées d'Orient. Il prépara l'armée ; mais il était trop tard. Une fois là-bas, il ne put qu'organiser la retraite. Il faut dire que cette retraite fut un modèle de repli stratégique. Pas un homme ne fut perdu. l'année suivante, l'offensive reprit. Monastir tomba entre ses mains, mais les forces étaient insuffisantes. Regardant les Bulgares s'enfuir sur un terre-plein, Sarrail murmura :
- Et dire, que je n'ai pas une demi-brigade pour les poursuivre.
L'infanterie Bulgare devant Monastir
Sarrail qui avait perdu sa première épouse Eugénie Garrisson d'Estilhac en 1914, se remaria à Salonique le 24 avril 1917 avec Odette Ockis de Joannis. L'une des filles du premier lit se mariera avec Paul Bouet, d'abord ordonnance du général puis préfet des Ardennes. Après la guerre, Paul Sarrail tenta de se faire élire en 1919 lors des élections législatives à Paris ; il sera battu. Il entame alors une campagne de conférences dans le pays où il expose ses vues sur la défense de la France et le service militaire d'un an. En 1924, les Radicaux de l'Aude lui offrent une place sur leur liste, mais Sarrail refusera car il ne souhaite figurer que sur un Cartel avec des socialistes authentiques. Sarrail retourne à la vie militaire et la même année, il est promu Haut commissaire en Syrie et Commandant en chef de l'armée du Levant, en remplacement de Weygand.
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Les enfants du général à ses obsèques
Paul Sarrail s'éteint après une longue maladie, le 23 mars 1929 dans son appartement du 218 bis, boulevard Pereire à Paris. A son chevet, le capitaine Alfred Dreyfus, resta jusqu'à son dernier souffle. Le testament de l'Auguste militaire - le plus beau de sa génération - refuse toute cérémonie pompeuse. Les obsèques civiles devront se dérouler sans fleurs, ni couronnes, ni discours. On pourra simplement dire quelques mots d'adieu au nom de l'armée. Au seuil de la maison mortuaire, l'étoile d'argent remplaçait la croix chrétienne. Afin d'éviter tout conflit, les associations laïques et républicaines allant jusqu'à la Ligue des Droits de l'Homme n'arboraient aucune bannière ostentatoire.
Le convoi funèbre dans la cour des Invalides
Sur proposition du Ministre de la guerre, M. Painlevé, le Sénat vota à l'unanimité que la célébration soit faite aux frais de l'état. Le corps du général Sarrail repose toujours adans la crypte des Invalides.
Les obsèques de Paul Sarrail tranchèrent avec celles du maréchal Foch décédé dans la même semaine. Les journaux nationaux n'accordèrent que quelques colonnes, en hommage à celui qui avait sauvé Verdun en août 1914. Retranscrivons simplement le texte d'un fantassin du 22e de ligne, paru dans le "Midi Socialiste".
"Tous ces stratèges semblent oublier le premier artisan de la victoire : "Le Poilu". Ce poilu, qui par devoir et non par métier a donné sa vie ou a souffert des tortures sans nom. Ce poilu qui a cru mourir ou souffrir pour la patrie, mais qui est mort et a souffert pour les plus grands profits des mercantis et des trafiquants de cadavres ! Laissez-nous tranquilles avec toutes ces manifestations militaristes, et si un jour les clairons doivent troubler le sommeil du soldat inconnu, que ce soit pour sonner l'avènement de la fraternité humaine."
Le cimetière Saint-Michel de Carcassonne a la particularité d'avoir le cénotaphe du général Paul Sarrail. Une plaque de marbre blanc indique que sa dépouille mortelle se trouve aux Invalides à Paris.
Sources
L'express du Midi
Le Midi Socialiste
Etat-Civil (ADA 11)
Le petit méridional
Bibliothèque Nationale de France
Recherches, synthèse et rédaction / Martial Andrieu
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