Le 16 août 1944, Paul Aussaresses (Soual)est parachuté avec le sous-lieutenant Marcel Bigeard (Aube) dans l'Ariège près de Rieucros. Les deux futurs généraux surtout connus pour leurs faits d'armes en Indochine et en Algérie, vont se distinguer sur le sol Audois. Engagés au sein des Jedburgh du S.O.E (Special Organisation Executive), ils appartiennent à l'équipe Chrysler chargée de coordonner les maquis, mener des actions de sabotages et couper la route des troupes allemandes remontant vers la Normandie. Aussaresses avait appris dans les techniques de la guérilla, le maniement des explosifs et le close-combat en Angleterre. Pour maîtriser la peur, il dut se familiariser avec la façon de pétrir un pain de plastic à la main et de placer ensuite un détonateur les yeux bandés. Tous les exercices se déroulèrent à balles réelles. Dans l'ordre de mission de l'Opération "Massingham Bilda" figure également la note suivante : "Assurez-vous que les Résistants respectent la Convention de Genève".
Le capitaine Paul Aussaresses en 1944
Bigeard et Aussaresses se retrouvent au milieu des bois de Vira (Ariège) dans le maquis de la F.A.I (Forces Anarchistes Internationales). L’Etat-major d’Alger décida d’homologuer ce groupes de résistants. Comme il était important, l’équipe chargée de cette tâche devait comporter deux officiers supérieurs. Faute de trouver un commandant qui fasse l’affaire, le sous-lieutenant Bigeard avait été choisi à l’Ecole des Pins (Centre d’instruction des élèves agents du Spécial Organisation Executive) sur sa bonne mine et nommé commandant à titre provisoire. Bigeard se distinguera par un coup d'éclat en tentant de faire libérer les détenus de la prison de Foix. Malgré l'échec, il en sortira grandi auprès des guérilleros qui iront jusqu'à lui proposer de continuer la lutte en Espagne. Au moins Bigeard aura essayé, contrairement à la Résistance audoise qui ne tentera aucune action militaire pour faire libérer Bringer, Ramond, Roquefort et les autres. Là, n'est pas le sujet...
Avec les deux agents des Forces spéciales avaient été parachutés Sell et Chatten. Ce dernier transportait des quartz, des pads et un million que l'équipe devait remettre à un major anglais. C'était très souvent le cas pour les troupes aéroportées chargées de financer les maquis.
"Au cours du saut, la lanière avait cédé et Chatten avait reçu la lourde besace en pleine figure. Il avait eu le nez cassé et des blessures assez sérieuses au visage. Il s’était évanoui et était tombé dans les bois sans avoir repris connaissance. A son réveil, il ne comprenait pas où il était. Il vit un chemin et se mit à marcher. Il entendit des hommes parler en Espagnol. C’étaient des maquisards. Hello ! dit tranquillement Chatten avant de s’écrouler. Son visage était complètement ensanglanté. Les Espagnols se précipitèrent. Ne pouvant le soigner, ils l’avaient confié au chef du maquis français voisin. Celui-ci l’avait fait transporter dans une clinique de Carcassonne dirigée par un médecin favorable à la Résistance (Chez Delteil. Notons qu'il était détenu à la prison avec Bringer à cette époque. NDLR). C’était risqué, puisque Carcassonne était toujours occupée."
Nous sommes le 21 août 1944, les Américains tendent une embuscade sur la route d'Alet-les-Bains mais se heurtent à des blindés Allemands. Le lieutenant Paul Swank qui commandait l'OG est tué avec son radio. Aussaresses laisse Bigeard avec ses Espagnols de la FAI et arrive à Limoux
"Lorsque je suis arrivé à Limoux, laissant Bigeard s’occuper du maquis de la FAI, j’ai vu 2000 hommes qui attendaient pendant que leurs chefs palabraient. Il y avait eu en effet une grande discussion entre le chef du maquis d’infanterie alpine, le commandant Allaux (Maurice Allaux. NDLR), les rescapés de l’OG et un chef FTP. La question était de savoir s’il fallait attaquer Carcassonne ou attendre qu’elle se libère d’elle-même. J’ai dit à Sell que de telles hésitations étaient dangereuses. Les Allemands risquaient de se ressaisir. La 11e division à propos de laquelle nous devions obtenir des renseignements pouvait se retrancher dans la ville. J’ai pressé Allaux de se mettre en route sans attendre les FTP. Il a accepté."
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Lucien Maury (Frank), chef du maquis de Picaussel. Il s'engagea ensuite en Indochine
Dans la Résistance Audoise de Lucien Maury, il est dit que Guy David s'embarqua vers Carcassonne avec l'avant-garde du maquis de Picaussel composée de deux détachements : une petite escorte dotée d'un fusil-mitrailleur et une section amenée par Maurice Allaux. Guy David raconte qu'il avait pour mission d'installer le Comité de Libération à la Préfecture et d'écarter les menaces Allemandes sur la ville. Lucien Maury (Frank) lui aurait alors présenté le capitaine Soual (Aussaresses) : "Un grand garçon, mince, qui porte avec élégance une tenue d'officier anglais." Il lui est sympathique d'emblée. Soual lui propose de les accompagner pour renseigner le commandement allié sur la situation à Carcassonne. Apparement, ils ont des objectifs communs. Toutefois, la détermination du FFI Guy David d'en découdre, se retrouve nuancée par Aussaresses, au sujet des moyens dont dispose la Résistance pour empêcher les Allemands de traverser Carcassonne. Il faut éviter de nouveaux massacres, comme celui du Quai Riquet la veille. Dans les mémoires d'Aussaresses, la version Guy David se trouve contredite :
"Je suis parti en reconnaissance avec Sell, une dizaine d’hommes et un radio que m’avait affecté Bigeard. Allaux m’avait dit que des policiers pourraient nous aider. Nous sommes entrés dans Carcassonne au culot. Je me suis rendu au commissariat. J’ai demandé au commissaire (Fra. NDLR) d’occuper tous les points importants de la ville (la mairie, la préfecture, la poste) et les défendre du mieux qu’il pouvait en attendant l’arrivée du maquis. Bien sûr, nous avons foncé à la clinique où était Chatten. Après 24 heures d’une attente angoissante, l’infanterie alpine est arrivée."
Guy David raconte sa prise la préfecture en mettant Aussaresses au second plan. Difficile de dire qui a raison, mais chacun essaie de s'en attribuer le bénéfice. Qui délivra Carcassonne : Londres ou Picaussel ?
"Nous entrons déjà dans les faubourgs de Carcassonne. Les passants, regardent, surpris, ces soldats bizarrement accoutrés qui foncent vers le cœur de la ville. Le temps de comprendre, d'esquisser un geste, nous sommes déjà passés... La préfecture... Je saute de la voiture et je demande au capitaine Talon de m'attendre là avec son équipe. Soual (Aussaresses) désire m'accompagner. A mon tour d'hésiter... Après tout, il représente les Forces Françaises Libres... Je préfère aussi ne pas me trouver seul devant tous ces gens que je connais pas. Et puis, dans son uniforme anglais tout neuf, il fera bonne impression, meilleure que moi sans doute. Je m'aperçois pour la première fois que ma tenue donne des signes très évidents de fatigue."
Avec subtilité, Guy David expose le ressentiment des maquisards envers Londres. Les uns sont propres et fraîchement parachutés, les autres épuisés par trois années de clandestinité. Les maquis de l'Aude, surtout communistes, se plaignirent du peu d'armes parachutées par Londres. En effet, les alliés craignaient que les communistes ne s'en servent ensuite pour prendre le pouvoir. Faut-il en vouloir aux résistants de terrain d'avoir un peu gonflé leurs récits d'une trop grande gloire ? Notre travail d'historien consiste à tenter de s'approcher de la vérité. Guy David poursuit son récit en mettant en avant les craintes qu'une colonne Allemande ne traverse Carcassonne. Personne ne serait alors en mesure de la stopper ; ces objections avaient été relevées par Aussaresses au départ de Limoux. Fort heureusement, celle que l'on signala aux portes de Carcassonne se dérouta vers le Nord, et ne traversa pas la ville.
La clinique du Dr Delteil en 1944
"Nous avions eu de la chance : les Allemands ne nous avaient pas attaqués, préférant filer vers le nord. Il me fallait maintenant tendre des embuscades pour obtenir les renseignements dont j’avais besoin à propos de la 11e division allemande. Un de mes groupes, disposé à l’Ouest de Carcassonne et constitué de résistants locaux, était commandé par un réserviste de la coloniale. Il accrocha un groupe allemand qui contre-attaqua et les résistants - une trentaine - furent capturés. Ceux qui étaient en uniforme furent désarmés et libérés, mais six combattants en civil furent exécutés."
Aussaresses évoque ici un évènement qui n'est jamais mis en avant pas la Résistance audoise. Selon lui, les officiers de la Wehrmacht respectaient la Convention de Génève. Bien entendu, pas les Waffen-SS ni la Gestapo. Ils fusillaient les combattants en civils considérés comme terroristes, mais respectaient l'uniforme. Attention, ceci n'engage que lui. Venant d'un officier d'active, on peut cependant le croire.
"Je me tenais au nord de Carcassonne où j’avais constitué une section avec des mitrailleuses Hotchkiss. Nous avons ouvert le feu pour couper la route aux convois d’infanterie mécanisée qui montaient au Nord. L’accrochage fut très sérieux. Mon objectif était de les clouer sur place et de bloquer la route, mais ils étaient nombreux et se défendaient désespérément. J’ai dû appeler l’aviation et six chasseurs Spitfire d’Alger sont arrivés in extremis pour nous appuyer. Du coup, les Allemands n’ont pas été en mesure de contre-attaquer mais ont finalement réussi à se dégager en emportant leurs morts et leurs blessés. Nous avons fait des prisonniers."
Il doit s'agir de l'attaque de Pennautier au cours de laquelle l'avion de James Millard Ashton est allé s'écraser sur le domaine de Gougens. Le 24 août 1944, Guy David raconte que l'avant-garde de Picaussel amenée par Allaux et René Brun, renforcée du capitaine Aussaresses et du détachement Gayraud, attaqua une colonne Allemande près du carrefour de Villegailhenc. Le bilan fut de cinq tués et deux blessés dans les rangs des FFI. L'Aude était définitivement libérée.
"Le régiment de l’infanterie alpine du commandant Allaux avait rejoint la première armée et la ville était sous le contrôle des FTP qui avaient déjà exécuté une dizaine de collaborateurs. Il fallait éviter les excès et arbitrer entre résistants authentiques et collaborateurs déguisés. Ce fut un autre aspect de ma mission. Je retrouvai finalement le major auquel nous devions remettre les quartz, les pads et le million. Mais il était en civil et nous parut suspect."
Noël Blanc alias Charpentier
Aussaresses resta deux semaines à Carcassonne et fit la connaissance "d'un garçon sympathique nommé Charpentier, un Vosgien. Le BCRA l’avait envoyé pour préparer les parachutages, notamment en balisant les terrains. Charpentier connaissait bien la clinique où Chatten avait été soigné. Son directeur, le docteur D (Delteil), était un patriote et Charpentier avait remarqué les deux jolies infirmières qui l’assistaient." Il fut ensuite envoyé par le Comité de Libération enquêter sur un maquis installé du côté de la mine d'or de Salsigne. Son existence était suspecte car il se trouvait dans ses rangs d'anciens miliciens passés à la Résistance pour se blanchir de leurs crimes. Finalement, le chef se disculpa en arguant qu'il avait fait des actions contre les Allemands. "J’appris plus tard que son chef (de ce maquis) avait trouvé la mort dans un accident d’automobile. Quant aux miliciens qu’il avait enrôlés, ils eurent sans doute l’astuce, comme bien d’autres, de s’enrôler dans l’armée de libération pour finir de se blanchir. Je suppose qu’ils ont été décorés." Ces miliciens s'enrôlèrent ensuite dans la légion étrangère ; ils constituèrent le bataillon des réprouvés. Il est exact parmi ceux qui revinrent, certains furent décorés. Quand Aussaresses revint à Carcassonne, il chercha Charpentier. On lui apprit qu'il avait été assassiné (le 4 septembre 1944. NDLR). Il alla s'informer auprès du commissaire de police Fra qui "resta évasif, évoquant une rivalité entre Londres et les FTP."
L’équipe Chrysler repartit dans une superbe voiture américaine pilotée par Ronald Chatten, tout à fait remis de son accident. L’automobile avait été mis à disposition par le Comité de Libération de Carcassonne : c’était une Graham-Paige blanche confisquée à un collaborateur. Leur débriefing eut lieu au début du mois d’octobre à la Special Force Unit number 4 installée à Villeneuve-lez-Avignon. Ils rendirent longuement compte de leur mission devant les officiers anglais et américains et rédigèrent leur rapport. Le million destiné au major fut restitué à un officier qui jeta le sac dans un coin de la pièce sans même vérifier son contenu. Ainsi s'acheva l'aventure des Forces Spéciales Jedburgh dans l'Aude.
Le général Paul Aussaresses défraya la chronique dans les années 90, lorsqu'il se justifia sur l'usage de la torture pendant de la guerre d'Algérie. Le Président de la République, Jacques Chirac, obtint que l'on lui retirât son légion d'honneur. Cet article n'a pas pour objet de prendre position sur l'attitude de Paul Aussaresses après la Seconde guerre mondiale.
Sources
Mémoires de P. Aussaresses
La Résistance audoise / Lucien Maury
Notes, recherches et synthèses / Martial Andrieu
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