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  • Les sœurs St-Joseph de Cluny expulsées de Carcassonne

    La congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny fut fondée par la bienheureuse Anne-Marie Javouhey (1779-1851), le 12 mai 1807 à Châlon-sur-Saône. En 1812, après l'établissement du noviciat à Cluny, elles ont leur siège dans la rue Méchain à Paris. Reconnue par l'état en 1870, la congrégation suit la règle de Saint-Augustin. Les sœurs de St-Joseph de Cluny viennent s'établir à Carcassonne le 5 septembre 1881, au numéro 65 de la Grand rue. Jeanne Ducroux (sœur Marie du St-Esprit) en est la mère supérieure. Elles s'installent très exactement dans l'actuel collège André Chénier, ancien hôtel Roux d'Alzonne, dans lequel séjourna le roi Louis XIV lors de son passage dans notre ville. Elle n'en seront jamais les propriétaires, seulement les locataires pour une somme de 6000 francs mensuels payée à Eugène, Louis, Joseph Sénéchal de la Grange. Ce dernier est le président de la Société d'acquisition et d'exploitation en tous pays, 56 rue de Londres à Paris. La congrégation est également présente à Villemoustaussou (Ecole), Caunes-Minervois (Ecole) et à Chalabre (Hospice et Ecole).

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    Le couvent dans la rue de Verdun en 1901

    Les sœurs, au nombre de 29, dispensent principalement un enseignement payant à 42 pensionnaires et à 66 externes. Les premiers s'acquittent de 7 francs par mois, les seconds de 45 francs par mois. Au sein de la communauté, il y a deux sœurs irlandaises pour l'apprentissage de la langue anglaise. Dirigées par la mère supérieure Louise Duhamel (Sœur Saint-Michel), elles distribuent des vêtements et des secours en nature aux indigents.

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    Une salle de classe en 1901

    En 1901, le gouvernement promulgue la loi sur les associations. Les congrégations relèvent d'un régime d'exception au titre III de la loi du 1er juillet. Elles devront déclarer leurs biens, leurs ressources et leurs activités afin de pouvoir éventuellement bénéficier d'un autorisation. Celles pour lesquelles elle sera refusée, devront quitter leurs locaux dans un délai d'un mois. A défaut, des mesures coercitives s'appliqueront dans les termes fixés par la loi.

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    Ancienne chambre de Louis XIV, vue en 1901

    Les sœurs de Carcassonne se conforment à la loi et rédigent une demande adressée au préfet. Le 22 janvier 1902, le commissaire central de police rend son rapport au terme de son enquête.

    Il est notoire que la dite congrégation est un auxiliaire précieux du cléricalisme et qu'elle fait une concurrence déloyale à nos écoles laïques ; qu'elle inspire à la jeunesse le mépris de nos institutions et entretient des divisions regrettables. En conséquence, au lieu de présenter un caractère d'utilité quelconque, elle est simplement nuisible à la société, à l'opinion de toute la population républicaine en général. Cependant, il faut reconnaître que pas un de ses membres n'a donné lieu jusqu'à présent à aucune remarque défavorable. L'immeuble est d'une valeur de 120 000 francs environ et il appartient à Sénéchal de la Grange Eugène, Louis, Joseph. Le mobilier qui est la propriété de la congrégation peut-être estimé à 5000 francs environ.

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    La cour de l'actuel collège Chénier en 1901

    Le 24 novembre 1901, le conseil municipal de Carcassonne présidé par le maire Jules Sauzède prononce un avis défavorable. Le préfet se range également derrière cette décision, mais fait observer que la ville devrait créer une école primaire supérieure de jeunes filles afin d'accueillir le plus grand nombre des élèves de institution dont l'autorisation a été rejetée. Il ajoute qu'elle pour le moment toujours refusé cette option. Le 28 mars 1903, le ministre des Cultes signifie par courrier adressé au siège de la congrégation à Paris, que la demande est rejetée. On a fait valoir à Carcassonne que les sœurs qui avaient présenté un bilan financier excédentaire de 1000 francs, faisaient des bénéfices.

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    Le grand escalier de l'hôtel Roux d'Alzonne

    Le 14 avril 1903, le commissaire de police Castaing se rend au couvent et remet en main propre à la mère supérieure la décision de l'état. Les sœurs devront quitter les lieux dans un délai d'un mois, faute de quoi elles s'exposent à des poursuites.

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    Alors que le commissaire de police Castaing et ses hommes arrivent le 16 mai 1903 - soit un mois après - au couvent de la Grand rue (rue de Verdun) afin de faire appliquer l'arrêté, ils trouvent porte close. S'adressant aux voisins, ceux-ci expliquent que les sœurs ont déjà quitté les lieux depuis huit jours, pour une destination inconnue. Une pancarte accrochée sur la porte indique : Maison à vendre ou à louer. En fait, les religieuses sont parties se réfugier au couvent de Limoux. La ville reprendra en location l'ancien couvent le 20 juin, à la Société d'acquisition et d'exploitation en tous pays avec une promesse d'achat. En 1904, le collège de jeunes de filles de Carcassonne est officiellement créé.

    Sources

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  • Le monument à Paul Sabatier, entre grandeur et décadence

    Afin de célébrer le centenaire de la naissance de l'illustre chimiste et Prix Nobel, natif de Carcassonne, un comité se constitua dans le but d'ériger un monument à sa gloire. Il fut placé sous le haut patronage du Président de la République René Coty et d'Albert Sarraut, membre de l'Institut de France. C'est grâce à une souscription publique lancée en 1955 et dont les fonds furent recueillis par le pharmacien Sarcos, place Carnot, que ce projet put être mené à son terme. Parmi les principaux souscripteurs, notons l'Union des Chambres syndicales de l'Industrie du Pétrole, le gouvernement de la République du Vénézuela, la municipalité de Carcassonne et l'ensemble des élèves et des admirateurs de Paul Sabatier.

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    © Martial Andrieu

    Inauguration du monument à Paul Sabatier au square Gambetta

    Ce monument - œuvre des sculpteurs Yvonne Gisclar-Cau et Paul Manaut, assistés par l'architecte M. Teppe - fut inauguré le 1er juin 1957 au Square Gambetta. C'est là qu'il trônait encore en 2003 avant la destruction de ce jardin pour y faire un parking souterrain. Après un dîner chez Auter, rue Courtejaire, l'inauguration eut lieu à 16 heures en présence de nombreuses notabilités : M. le Préfet Blanchard et son chez de cabinet M. Bourdon ; Jules Fil, maire de Carcassonne ; M. Desmons, adjoint au maire et président de la commission des Beaux-arts ; M. Julia, adjoint au maire ; les membres de la commission municipale ; M. Depaule, président du Comité organisateur et membre du Conseil d'Etat, Mlle Sabatier, Mme de Grammond et Mme Barlangue, filles de Paul Sabatier ; le sénateur Courrière ; M. Vidal, proviseur du lycée Paul Sabatier ; M. Descadeillas, prédisent de la Société des Arts et des Sciences ; le représentant de l'Université de Toulouse, etc.

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    M. Depaule retraça la vie et la carrière du chimiste, avant que M. Flanzy qui fut l'élève de Paul Sabatier et qui dirigeait l'Institut œnologique, ne prenne à son tour la parole. Pendant plus de quarante ans, le monument à Paul Sabatier contribua à l'embellissement du square Gambetta. En 2003, les ouvriers municipaux enlevèrent l'ensemble des statues et des monuments de ce jardin, afin de les remiser. Il fallait faire place nette pour l'exécution des travaux du parking. Le monument fut ensuite entreposé tel que vous le voyez sur la photo ci-dessous, aux serres municipales.

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    © La dépêche

    Ce n'est qu'au prix d'un article dans la presse et de quelques uns sur mon blog, que la municipalité de l'époque daigna porter assistance au pauvre Sabatier. Fallait-il encore lui trouver un centre d'hébergement... Finalement, le proviseur du lycée Sabatier M. Mercadal qui était également adjoint au maire - pas très chaud de prime abord pour accueillir le monument du savant - obtint de la région les crédits nécessaires à son installation.

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    C'est ainsi que depuis 2012, Paul Sabatier trône fièrement à l'entrée du lycée qui porte son nom à Carcassonne. 

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    © GARAE

    Fernand Courrière

    Fernand Courrière (1876-1960), Normalien de Cuxac-Cabardès, se souvient de Paul Sabatier. Il évoque son souvenir dans un journal de 1954 que nous retranscrivons ci-dessous.

    C’était en 1898, le dimanche après la foire de Cuxac tenue le 18 juin. J'étais alors instituteur adjoint à l'école de l'Ouest à Castelnaudary. Mon directeur était Émile Cantier, dont le père, instituteur en retraite, vivait avec sa sœur Madame Terral, receveuse des P.T à Cuxac-Cabardès. J'avais 21 ans, et je me disposais bientôt à me marier avec mademoiselle Marie Cals, la fille du boulanger qui était la camarade de mon père. Donc, aller à Cuxac, était ma première préoccupation, et toutes les occasions m’étaient bonnes.
    Mon père m'avait écrit : « Viens, si tu peux, dimanche prochain, puisque que tu ne peux être ici le jour de la foire. Tu verras un phénomène extraordinaire : la source du pâtu de Séguy au lieu d’eau, coule maintenant du pétrole, oui du pétrole ! ». Ma mère avais ajouté « Marie m'a dit de te dire que, si tu viens, tu déjeuneras au Four, avec eux, en famille ! » Figurez vous, aller déjeuner chez ma fiancée, et aller voir une curiosité naturelle, me font décider sans rémission d’être à Cuxac, coûte que coûte oui, ce dimanche. Je fais part à mon directeur, M. Cantier, de la venue de pétrole à la source Séguy ; ce fait curieux l’intéresse, déjà ! Et comme il aura l'occasion d'aller voir son vieux père et sa sœur, il décide de venir à Cuxac avec moi.
    Mais les communications entre Castelnaudary et Cuxac n'étaient ni rapides ni commodes. Par le train jusqu'à Carcassonne, par la patache de Carcassonne à Cuxac, et retour à Castelnaudary par c'est deux moyens réguliers, demandait deux jours ! Or, il fallait être rentré le lundi matin avant huit heures pour assurer le service de l’école, moi de ma classe ! Que faire ?
    Nous combinons d’aller à Cuxac à bicyclette, et d’en retourner de même. C'est pourquoi nous louons, l'un et l’autre chez Candelié, une bicyclette de caoutchoucs pleins, s'il vous plaît ; car, encore le pneu n'était pas inventé.
    Le samedi soir, après 16 heures, nous nous mettons en route sur Saissac, via Cuxac, où nous arrivons vers 20 heures après un voyage pénible, sur une voie qui n'est pas goudronnée, je vous l'assure. Chez moi on a dîné ; mais, maman a vite fait de me servir très largement de quoi me restaurer.
    Pendant que je mange, papa m'explique ce qui est survenu chez Séguy : « Oh ! c'est bien du pétrole, va ! Tiens, sens cette bouteille qui en est remplie… et puis, d'ailleurs, il brûle bien… la preuve c'est que la lampe que tu as sur la tête éclaire la cuisine avec ce pétrole, et celle de la salle en est aussi garnie, et tu vois sa belle flamme ! »
    Tout cela était évident ! Absolument vrai, surtout ainsi démontré et affirmé par mon père !… Et certifié en outre parler clients du café, nombreux ce soir-là, tous mes camarades et mes amis ! Et les raisonnements baroques parfois, les suppositions les plus saugrenues, s’émettaient. Même le diable faisait partie de certaines allégations ! Ah ! La superstition !…
    Figurez-vous ! Avec l'esprit avide d'apprendre, de savoir que j’avais – et que j'ai conservé, grâce à Dieu –si j'étais impatient d'aller sur les lieux, voir et me rendre compte ! Mais… il était trop tard !
    Le lendemain, je me lève un peu courbaturé et… après une apparition chez ma fiancée, je vais à la maison Séguy, chez Touénou, mon camarade, la Rosette sa mère, et la vieille Mion, sa grand-mère. Il pouvait être 10 heures. Je grimpe un peu les escaliers faits de pierre disjointes, et me voilà dans la cuisine. Personne… mais, je sens déjà une odeur de pétrole aromatique… or, le portillon qui donne sur le pâtu est ouvert… et j'entend parler… je m’avance… Mion et Rosette son là avec deux messieurs… Elles expliquent… Je me permets de pénétrer, car je suis un familier de la maison, et je puis me le permettre !


    Ces deux Messieurs, sont Théodore Sabatier que je connais bien et son frère Paul que j'avais eu vu à Cuxac. Rosette, me voyant, me dit : «Béni, Fernand, Béni bésé ça que le Drac nous a fait !!! » - mes amis lecteurs, vous avez entendu parler du DRAC, l'esprit malin auquel on croyait autrefois… La Rosette et la vieille Mion, croyaient ferme comme un roc que le pétrole avait pris la place de l’eau par suite d'un tour coquin du DRAC – je m’avance tout en saluant, et Théodore me tendant la main me dit : « c'est mon frère Paul – Paul me serre la main comme l'avait fait Théodore - je l'ai fait venir tout exprès de Toulouse, pour voir le phénomène de cette source et essayer de tirer ça au clair… cela m'intéresse pour mon jardin au-dessus, et qui semble en être le réservoir… tiens, continue Théodore, regarde Fernand… c'est extraordinaire, cela… et c'est bien du pétrole ! »
    Voilà devant nous, la vasque creusée à même la roche schisteuse dans laquelle sourdait la petite source d’eau cristalline, pure et toujours fraîche qui l’emplissait, jusqu’ici. Le trop-plein se déversaient dans une minuscule rigole qui le conduisait au caniveau dans lequel elle coulait vers l’aval mêlé au liquide des éviers d’amont.
    Mais aujourd'hui la vasque paraît pleine d'une espèce d'écume, de mousse blanchâtre comme une vaseline. Monsieur Théodore Sabatier avait une vieille cuiller en fer toute rouillée, qu'il tient à la main, écume cette mousse vers un bord… alors apparait un liquide ambré qui remplit la vasque. Il y trempe un doigt, me le tend au nez, et me réponds, ça sent le pétrole aromatique !…»
    Alors, monsieur Paul Sabatier sent encore une fois, le bout du doigt que son frère à trempé pour lui de nouveau dans le liquide jaune brun. Il saisit la cuiller, et la remplit lui-même, mais ayant soin de prendre en même temps un peu d'écume blanchâtre. Il sent… puis prenant une pensée de mousse il la renifle… la malaxe entre ses doigts… et se tourne vers son frère.
    Monsieur Paul Sabatier qui jusque-là, pensif, n'a pas ouvert la bouche, dit à Théodore, presque à voix basse en confidence : « Cette écume est onctueuse comme une graisse… Quant au liquide ambré, c'est une huile… Pour moi, ce phénomène est clair : c'est une résurgence naturelle de kérosène entraînant de l’ozokérite ! »
    Puis, comme emporté par ses pensées, il ajoute à plus haute voix : « Vois-tu, mon frère, la nature, dans ses laboratoires mystérieux, travaille infiniment mieux que nous, hommes. Elle sait dissocier, décomposer, fractionner la matière, recombiner les éléments… Mais… comment… par quels moyens… quels sont ses procédés ? Nous avons là des témoins… mais la question demeure entière à résoudre ! »
    Je n'avais alors que tout juste 21 ans, et à peine une toute petite moustache brune ornait ma lèvre supérieure. J'ai bien entendu : « Comme une graisse, c’est une huile…. » mais les autres deux mots que Paul Sabatier avait prononcés : « kérosène… ozokérite… » était pour moi du sanscrit ou de l’hébreu. J'étais bien content de voir, De constater cette curiosité : une source de pétrole à Cuxac ; de l'entendre certifier par deux professeurs de lycée : c’est tout !
    Je n'ai compris peu plus tard la signification de ce que disait Paul Sabatier. Mais je suis persuadé que psychologiquement parlant, Le phénomène de la source qui m'a frappé, à influé beaucoup, beaucoup sur mon évolution psychique. Il m'a conduit tout naturellement à l’étude passionnée de la géologie, de la technique, de la minéralogie, des pétroles. Il m'a fait devenir un pionnier de la découverte des trésors que la terre renferme !


    Paul Sabatier, lui, comprenait parfaitement et Théodore aussi. La meilleure preuve c'est que, conjointement, ils ont adressé au préfet de l’Aude, une déclaration d'invention de la source de pétrole de Cuxac-Cabardès ; et que, pour justifier leur fait, ils ont entrepris en juillet et août 1898, dans le jardin de Mme de Geoffroy, un puits de recherche pour capter. - Je raconterai cela plus tard.
    Eh ! bien, je suis convaincu que la visite de Paul Sabatier à Cuxac, et sa préoccupation avec son frère, de posséder le kérosène et l’ozokérite, l’on profondément frappé et influé sur sa vie jusqu'à l'épanouissement de son génie.
    J'entends comme si c'était hier les paroles de Paul Sabatier à son frère, en conclusion de ces méditations devant la vasque où il voyait du kérosène, c’est-à-dire du pétrole lampant naturel, et de l’ozokérite, une cire naturelle, les deux nés d'une mère commune qui s'appelle huiles brutes de pétrole naturelles !
    Oui, peut-être, c'est là le moment de départ de son étude passionnée du fractionnement, de la transformation des huiles brutes de pétrole, pour aboutir à la découverte de la catalyse, après 25 ans de travail acharné avec ses assistants et ses collaborateurs, dans son laboratoire de la faculté des sciences de l'université de Toulouse.
    Voilà un point inédit, je crois, de l'histoire de cet enfant de Carcassonne, sa vile natale, qui s'apprête à fêter le centenaire du grand savant Paul Sabatier.

    Sources

    L'Indépendant / 2 juin 1957

    L'Indépendant / 18 janvier 1955

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  • Madame Mars (1748-1837). Une Carcassonnaise à la Comédie française

    Nous allons évoquer le souvenir d'une comédienne dont, de toute évidence, les historiens locaux du XXe siècle n'ont jamais parlé. Après tout, peut-on raisonnablement leur reprocher de ne pas tout savoir ? Dommage, car cette Carcassonnaise fut la mère d'une très célèbre comédienne de la Comédie française. Il se dit même - on peut le croire - que Napoléon 1er apprécia beaucoup sa fille, jusque dans ses moindres contours...

    Mademoiselle Mars

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    Même si certains aventuriers de l'histoire osent prétendre sans preuves, que Madame Mars serait née à Marseille, nous faisons ici la démonstration qu'elle est bien née à Carcassonne. Ce n'est pas parce que l'on a l'accent méridional que cela justifie d'être natif de la Provence. Jeanne-Marguerite Salvetat naquit à Carcassonne le 19 février 1748 dans la paroisse Saint-Michel, de François Salvetat (Maître charron) et de Raymond Cucurous. D'après les relevés effectués par Bonnelevay en 1729 et transcrit par Mahul dans son cartulaire, nous pouvons situer la maison des Salvetat au numéro 2 dans le carron de Grandié (actuelle rue du Pont vieux).

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    A gauche de la boucherie Rabat

    Jeanne-Marguerite Salvetat s'était amourachée de Jacques-Marie Boutet, un célèbre comédien de passage à Carcassonne et contre l'avis de sa famille, elle s'était enfuit avec lui. Pour échapper aux recherches lancées à son encontre, elle prit le pseudonyme de Mars. La petite Carcassonnaise à la beauté sans égales, fit ses débuts à la Comédie française au mois de mai 1778 dans le rôle de Mérope. S'il est admis qu'elle n'eut que sa beauté pour défendre un piètre talent, il faut considérer plutôt son accent méridional très prononcé, comme la source principale de cette critique. Jouer le grand répertoire de la Comédie française avec la voix rocailleuse de Carcassonne, n'était pas du goût du public parisien. Elle ne put d'ailleurs pas se présenter pour cette raison à la cour de Versailles. Madame fut congédiée du Français trois ans plus tard, en 1782. 

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    © Piasa

    Buste de Jacques-Marie Boutet

    Le 9 février 1779, elle met au monde rue St-Nicaise à Paris, Anne-Françoise Hippolyte Boutet, la fille de Monvel connue plus tard sous le nom de Mademoiselle Mars. L'acte de baptême stipule qu'elle est l'épouse de Jacques-Marie Boutet, bourgeois de Paris. Or, ils ne sont pas mariés. Pourquoi Monvel a t-il travesti sa profession de comédien ? L'acte pourrait être considéré comme faux, mais à la marge un jugement du 1er décembre 1847, ordonne la rectification de l'acte de baptême de Mlle Mars.

    "Le nom de Mars me vient de ma mère. Ma mère habitait Carcassonne, était de bonne famille, et très belle. S'étant laissé enlever, elle entra au théâtre, où, pour dérouter sa famille, qui poursuivait son ravisseur, on lui donna plutôt qu'elle ne le prit le nom de Mars. Ce nom se perdit dans les coulisses, et voici à quelle occasion il me fut rendu à titre d'héritage. Une tireuse de carte que j'allai consulter un soir en compagnie de Talma, m'annonça un immense succès et un grand nombre de conquêtes ; la prédiction fut ébruitée et désormais Mars devint mon "nom de guerre." (Souvenirs anecdotiques de Mlle Mars / Elisa Aclocque)

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    Mademoiselle Mars en 1823

    Jacques-Marie Boutet qui avait promis à Jeanne-Marguerite Salvetat de l'épouser, partit pour la Suède à l'invitation du roi Gustave III. Loin des yeux, loin du cœur... Dans les premiers temps de son absence, il lui écrivit souvent puis de moins en moins. Après un éloignement de six années, Monvel revint de Suède. Là-bas, il s'était marié avec Mlle de Cléricourt. De cette union, Joséphine était née ; tout ceci mit en fureur Jeanne-Marguerite ce qui ne sembla pas ébranler Monvel. D'après les mémoires de Mlle Mars, sa mère "s'emportait, elle était fort vive, une tête de Carcassonne ! Reproches incessants, soupçons jaloux, menaces viriles..." Hippolyte Boutet (Mlle Mars) sera élevée par Valville, un comédien qui avait sa mère pour maîtresse. C'est lui qui lui apprendra la comédie.

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    Baptiste aîné et Mlle Mars

    Mademoiselle Mars fut la plus parfaite des comédiennes de sa génération. Inimitable dans les rôles d'ingénues, excellente dans les pièces de Marivaux, elle s'acquit une grande réputation dans les rôles d'Elvire (Tartuffe) et de Célimène (Misanthrope). Il ne nous appartient pas ici de retracer sa biographie ; ce serait bien trop long. Elle mourra le 20 mars 1847 au N° 13 de la rue Lavoisier à Paris, à cause d'avoir voulu toujours rester jeune. C'était une obsession chez elle...

    "Mlle Mars a toujours évité de paraître sur la scène de Carcassonne. Fille de Monvel et d'une Carcassonnaise, elle remplaça le nom de famille de sa mère, qui était Salvetat, par celui qui devait populariser plus tard la grande comédienne. On peut supposer qu'il ne lui convenait pas d'appeler l'attention et les propos du public sur l'irrégularité de son origine. Ceux qui n'ignoraient pas ces circonstances ont dû remarquer dans "La comédienne", dont le rôle principal fut écrit et établi au théâtre par Mlle Mars, ce vers que le poète mis dans la bouche de la soubrette "Madame, en voyageant me prit à Carcassonne." (Jacques-Alphonse Mahul)

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    Caveau de Mlle Mars au Père Lachaise

    Jeanne-Marguerite Salvetat (Madame Mars), native de Carcassonne, vécu jusqu'à l'âge de 90 ans à Versailles aux côtés de sa fille aînée. Elle mourut en janvier 1837 et fut inhumée au cimetière d'Auteuil. Seule sa fille, Mademoiselle Mars, passa à la postérité.

    Sources

    Souvenirs anecdotiques de Mlle Mars / Elisa Aclocque / 2015

    Mémoires de Mlle Mars / 1849

    ADA / Registre de l'Etat-Civil 

    Cartulaire de Mahul / Plans de la Ville basse

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