Dans la longue liste des artistes que la ville de Carcassonne a enterré sous la poussière et les toiles d'araignées figure le peintre Jacques Gamelin. Sans le savoir et la curiosité de l'abbé Cazaux, les toiles de ce peintre jusque-là endormi depuis deux siècles, seraient restées dans les combles de l'église Saint-Vincent. Ce grand érudit qu'est encore - Dieu nous en préserve - l'ancien curé de cette paroisse, saisit le maire Raymond Chésa et lui fit part de sa découverte. Carcassonne venait ainsi de mettre la main sur plusieurs tableaux inconnus de Gamelin. On les restaura et aujourd'hui, chacun peut les admirer dans le choeur de l'église Saint-Vincent.
© medieval.mrugala.net
Malgré cette découverte de taille et le regain d'intérêt qu'elle suscita pour le peintre, on ne peut pas dire qu'une grande publicité lui ait été réservée à Carcassonne. Il semblerait même que parmi les acteurs et les spécialistes de l'art pictural que nous détenons dans notre ville, on considère encore Gamelin comme un artiste de peu d'envergure nationale. Tiens ! Cela nous rappelle les réflexions sur la musique de Paul Lacombe, jamais enregistrée mais que l'on relègue ici au rang de mineure. Enfin, ce n'est pas tout à fait exact car j'ai découvert à la médiathèque de Limoges, un ouvrage sur la peinture de Gamelin réalisé par Marie-Noëlle Maynard à l'occasion d'une exposition au Musée des beaux-arts. Ce qui semble incompréhensible c'est de n'avoir pas donné le nom de ce peintre à ce musée ou à l'école municipale de dessin. Vous verrez plus tard dans cet article... Pire encore, le buste ci-dessous sculpté par Falguière et inauguré en 1898, se trouve actuellement dans le péristyle du musée des beaux-arts sous une couche de poussière et de toiles d'araignées, mis dans un côté sombre comme s'il gênait.
A côté de lui, rutile en ce moment l'exposition temporaire de Mattia Bonnetti pour laquelle toute la bonne société Carcassonnaise se réjouit. Dans la cour, Carcassonne qui aime visiblement les toiles d'araignées y a installée celles de M. Cognée. C'est contemporain de notre époque, les vieux c'est bon pour l'hospice !
© Roger Garcia / DDM
Jacques Gamelin
naît à Carcassonne le 3 octobre 1738 dans la maison que le sieur Jean-François de Fornier, conseiller du roi et Lieutenant-général criminel en la Sénéchaussée de Carcassonne, vendit à son père. Ce dernier, marchand drapier de son état originaire de Tours, la rebâtit telle qu'elle se trouve aujourd'hui. d'après nos recherches, au-dessus de l'actuelle poissonnerie Montagné, en face des Halles dans la rue Aimé Ramond au n° 57. Gamelin fut dès son plus jeune âge, mis en nourrice chez une femme de la Cité à laquelle il porta une grande affection. Il prit soin de ses vieux jours et fit un portrait d'elle à l'âge de 90 ans qui est conservé au Musée des beaux-arts.
La probable maison natale de Gamelin
Ses études
Mgr de Bezons venait tout juste de créer l'école des Frères de la doctrine chrétienne quand le jeune Jacques y entra. Par la suite, c'est au collège de Carcassonne tenu par les Jésuites qu'il poursuivit ses études. Passionné par les livres que ces professeurs lui prêtaient et par la musique qu'il étudiait avec ferveur, Gamelin avait tout d'un artiste. Ses premières notions de dessin, il les reçut d'un ouvrier serrurier nommé Bertrand. Ses nombreuses balustres, portails et rampes d'escalier existent encore dans les Hôtels particuliers de la Bastide. Au sortir du collège, son père voulut qu'il s'attachât aux affaires commerciales mais Jacques n'avait la tête qu'aux batailles des Grecs et des Romains. Son père décida alors de confier son fils à M. Marcassus, baron de Puymaurin, un des plus remarquables commerçants de Toulouse. Ce Marcassus était le fils d'un Capitoul de Toulouse auquel Louis XV avait accordé le titre de Baron en raison de ses grands services rendus à l'état par la création de deux grandes manufactures royales.
M. de Puymaurin
Gamelin s'ennuyait à devoir écrire sur les livres de comptes... Il fut surpris par le maître d'avoir dessiné avec grand talent sur l'un de ces livres, des miniatures et portraits. M. Puymaurin après l'avoir un peu courroucé, lui fit remarquer qu'il avait davantage de disposition pour le dessin que pour le commerce. Vous devriez apprendre le dessin, lui-dit-il. Mon père ne le veut pas, lui répondit Gamelin. M. Puymaurin était membre de l'Académie des sciences, Inscriptions et Belles lettres de Toulouse et de Nîmes. Il entreprit d'écrire au père afin de tenter de le persuader du talent de son fils pour le dessin. Ce dernier répondit que Jacques n'était qu'un paresseux qui finirait par le ruiner. Le voyage qu'entreprit à Carcassonne M. de Puymaurin ne changea rien à l'affaire. Ce dernier allait donc pourvoir à l'entretien des études de dessin de Gamelin, en agissant comme un second père.
L'Académie royale de peinture de Toulouse
L'ancienne Ecole des Beaux-arts de Toulouse venait d'être transformée en Académie royale. Pierre Rivalz, dit le Chevalier Rivalz en était l'un des professeur, issu d'une lignée de peintre dont Jean-Pierre Rivalz, élève de Poussin, natif de Labastide d'Anjou dans l'Aude. C'est à ses côtés que Gamelin perfectionna son art. Après cinq années d'études, il obtint le prix de l'Académie de Toulouse et fut envoyé à Paris.
Jacques Gamelin
Rome
Après quoi, il remporta le Grand prix de Rome du premier coup, alors que David mit cinq ans pour l'obtenir. Nommé par Louis XV pensionnaire de France à Rome. Là bas, ce fut un ravissement auprès duquel il rapporta toute l'inspiration pour ses futures toiles ; il dessina les bas-reliefs antique, les colonnes, les arcs, etc... Il remporta le Grand prix de peinture fondé par le cardinal Albani. En 1771, Jacques Gamelin entre dans la prestigieuse Académie de St-Luc avec le titre et comme professeur et de peintre de bataille. Premier peintre du pape Clément XIV, il s'établit à Rome et épouse Julia Tridix, issue d'une noble famille Vénitienne. Rome tressait des lauriers à Gamelin ; en France où la haute peinture était morte avec Louis XIV, on eut écho de la renommée du peintre Carcassonnais. Mais en France, on avait fait de la place à des gens bien moins talentueux et le retour de Gamelin dans son pays allait l'enterrer.
Carcassonne
Si Gamelin était mort à 32 ans après avoir épuisé tous les honneurs, il serait entré aujourd'hui dans l'histoire de la peinture Française avec un grand H. Mais voilà, il décida de rentrer à Carcassonne laissant pour un temps sa femme et sa petite fille en Italie, promettant d'y revenir bientôt - tout cela pour répondre à l'appel de son père infirme. Celui-ci s'était retiré des affaires, non sans une bourse bien remplie. Ce fils tout auréolé de gloire, il le présenta au tout Carcassonne et en fit son héritier en dépossédant ses deux filles. Quand Jacques Gamelin ouvrit le secrétaire contenant les biens de son père, il découvrit des valeurs pour une somme considérable ainsi qu'un trésor d'or et d'argent. A t-il perdu la tête ? Le fait est qu'il décida de revenir en France, de rémunérer matériellement les largesses de son bienfaiteur et de songer à créer une entreprise en faveur de l'art.
La ruine
Après avoir insisté pour que M. de Puymaurin acceptât les largesses financières qu'il voulût lui consentir, Jacques Gamelin se lança dans une affaire qui allait le ruiner. Entre 1775 et 1780, il entreprend à Toulouse la composition de son Recueil d'Ostéologie et de Myologie, vaste ouvrage de science et d'art pour lequel il fallut construite un atelier de dissection, payer des cadavres, s'entourer de préparateurs et de graveurs.
Dessin de M. de Puymaurin avec cette dédicace
"Si j'ai quelques talents, je vous les dois ; cet ouvrage en est le fruit ; puisse t-il mériter assez par lui-même pour consacrer à jamais et vos bienfaits et ma reconnaissance !"
Au moment de parution de son recueil, d'autres ouvrages traitant du même sujet étaient édités en France. Gamelin qui venait d'ordonner l'impression de 2000 exemplaires ne put soutenir la concurrence avec des graveurs parisiens de meilleure renommée que ceux de province. Ces livres allèrent d'enfouir dans un grenier... Il paya ses fournisseurs et ses ouvriers puis vint s'établir à Carcassonne. Il vendit la maison paternelle pour 10300 livres au sieur d'Aiguebelles. A la mort de Gamelin, le peu d'exemplaires qui n'avaient pas été rongés par les rats, se vendit 25 francs. Aujourd'hui ne parlons même pas de sa rareté...
La chute
Gamelin reprit le pinceau pour gagner sa vie ; il négocia le prix de ses toiles en fonction du temps passé et du coût des fournitures. Le génie y était toujours mais, des tableaux le plus souvent réalisés à la hâte, il manquait l'amour de l'art. David de retour de Rome chercha Gamelin et lui écrivit à Carcassonne, le pressant de s'installer à Paris en lui garantissant le succès et la gloire. Il n'en fit rien... L'abbaye de Fontfroide et l'hôpital de Narbonne lui commandèrent quelques sujets. La cathédrale St-Just fit appel à lui afin de remplacer la tapisserie du choeur par des toiles représentant l'ancien testament. La Révolution française vint annuler ce projet.
La Révolution
En 1793, alors que la France est attaquée de toutes parts par les armées étrangères, Gamelin va s'offrir avec ses deux fils au représentant en mission dans le Midi pour l'organisation de l'armée des Pyrénées Orientales. Sur les champs de bataille après le combat, il en profite pour dessiner l'atmosphère du lieu. Gamelin participa avec le 6e bataillon de l'Aude à la prise du Boulou, de Collioure... Laissant ses deux fils dans l'armée, il revint à Carcassonne une fois la guerre terminée.
© Musée de Narbonne / 1799
La terreur
Sous la terreur, la magnifique chasse de Saint-Paul fut profanée, ses restes traînés en place publique et livrés aux flammes. On mit détruisit les titres féodaux, les archives, tableaux, ornements... Gamelin dans le but de sauver ce qui pouvait l'être se fit passer pour un Républicain acharné ; on le nomma exécuteur en titre des hautes oeuvres au Palais de l'Archevêché. Quand la mort de Robespierre mit fin à la sanglante épopée révolutionnaire, la convention décida de créer une Ecole centrale de dessin à Carcassonne.
L'Ecole centrale de l'Aude
Tour heureux de retourner à Carcassonne dans le collège qui l'ouvrit à la connaissance des arts, Jacques Gamelin veut offrir quelques cadeaux à sa ville. Il lui offre les toiles qu'il avait miraculeusement sauvées des flammes, encore roulées et conservées dans un dépôt. Il les déroule en tapisse les murs du collège ; ce fut l'un des plus riches musées du département. A sa mort, cette fortune a été dispersée. Quel meilleur enseignant au passé si prestigieux pouvait rencontrer la nouvelle Ecole centrale de l'Aude ?
Le collège des Jésuites
La mort du peintre
Gamelin s'éteignit le 12 octobre 1803 à Carcassonne de la maladie de la pierre. C'est-à-dire de calculs dans les reins. Sa femme, cette belle romaine était à ses côtés. Le Préfet de l'Aude, le baron Trouvé, ordonna que son corps reposât dans une chapelle ardente dans une salle du Musée. Ce musée dont le département lui était redevable. L'école centrale de l'Aude lui fit élever un tombeau avec cette inscription
A Jacques Gamelin
Peintre d'histoire
Professeur de dessin à l'Ecole centrale de l'Aude,
ancien professeur
de l'Académie Saint-Luc
à Rome,
des académies de Toulouse, de Montpellier, etc.
Les professeurs de l'Ecole centrale
ses collègues
21 vendémiaire An 11 (14 octobre 1803)
La tombe de Jacques Gamelin au cimetière Saint-Michel de Carcassonne. Elle a été restaurée en 1839 par la Société des arts et des sciences... Depuis, on ne voit plus guère l'inscription sur la dalle.
Source
Mémoires de la Société des arts et sciences / 1849 / Chanoine Barthe
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