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musée lapidaire

  • Le triste sort du Musée lapidaire de la Cité de Carcassonne classée UNESCO

    Cela faisait six ans que je n'avais pas mis les pieds dans le Château comtal de la Cité de Carcassonne. Au cours de la visite que j'ai effectuée sans la présence d'un guide, ni d'un audioguide, j'ai voulu constater l'évolution de l'accueil des publics et des objets archéologiques conservés à l'intérieur de l'enceinte. L'aménagement des caisses et de l'accueil du public dans la barbacane du château est plutôt une réussite ; elle contraste nettement avec ce que l'on avait connu en 2011. La cour du château et la mise en sécurité des accès sont encore à mettre au crédit du Centre des Monuments Nationaux. On relève ici l'effort des travaux effectués depuis six années. J'ai également rencontré des guides conférenciers fort sympathiques et parfaitement impliqués dans leur tâche. Après tous ces aspects positifs, passons à ce que je considère comme inacceptable pour un site classé au Patrimoine de mondial UNESCO.

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    Depuis 1927, le château comtal possède un musée archéologique. Fondé par Pierre Embry, conservateur du musée de Carcassonne, il accueille les dépôts des vestiges trouvés au cours du XIXe siècle. Comme nous l'avons vu dans un article précédent, un premier musée lapidaire avait été créé dans la rue de Verdun par la Société des Arts et des Sciences de Carcassonne. C'est donc l'ensemble de ses dépôts qui sont exposés au château comtal. Le chanoine Barthe avait rédigé un inventaire en 1905. Après le décès de Pierre Embry, le chanoine Sarraute reprit la gestion du musée jusqu'en 1971. Sa démission entraîna l'exécution d'un nouvel inventaire réalisé par Anne Debant, épouse de Robert Debant, lui-même archiviste départemental. Madame Debant, diplômée de l'école des Chartes, avait été conservatrice des archives de Toulouse de 1964 à 1967. 

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    © AAVC

    Pierre Embry

    (1886-1959)

    En 1971, outre les dépôts provenant de la Cité (Eglise St-Sernin, Basilique Saint-Nazaire), le château comtal possédait des pierres de Salsigne, de Fontfroide, de Lagrasse, des statues gothiques, de sarcophages, des dalles funéraires. Tous ces objets n'étaient pas exposés mais déposés en réserve. Ce musée se doublait d'une bibliothèque dans laquelle avaient été réunis des ouvrages particulièrement intéressants. Nombre d'entre-eux provenaient de la collection de Pierre Embry. L'ancien conservateur conservait également de remarquables photographies de la Cité et de la ville basse - quelque 250 documents de grand intérêt. Gravures, photographies et documents furent classés par Mme Debant et conservés au château comtal. Où cette collection est-elle passée depuis ?

    Le musée lapidaire ne figure pas sur l'affiche, ni dans le guide remis aux visiteurs lorsqu'ils prennent leurs billets. Il faut donc savoir qu'il existe un dépôt archéologique à l'intérieur du château. La première impression en pénétrant dans les lieux c'est la quasi pénombre ; pas un vestige n'est correctement éclairé, mais à part Dame Carcas - nous y reviendrons. Ci-dessus des croix discoïdales sans aucune information de date, ni de provenance. Il s'agit pourtant de croix trouvées dans le Lauragais et dans l'ancien cimetière Saint-Michel. Le Dr Jean Blanc nous en donne un descriptif et plusieurs dessins dans son travail réalisé sur les croix du département en 1977.

    6 croix avec attributs de métiers, 1 croix avec arbre de vie, 3 croix simples, 2 croix avec blasons effacés, 1 croix trilobée avec agneau et blason du XVIe (Classée). Je mets au défit le visiteur de pouvoir les identifier. Et pour cause...

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    Les cartels indiquant la date, l'origine et l'inventaire sont souvent manquants. Ailleurs, ils sont carrément inexistants. Ainsi nous retrouvons-nous à visiter un musée sans références sur les objets présentés. Avouez que la chose est pour le moins extraordinaire dans un site UNESCO.

     

    Qu'est donc ceci ? Mystère... A moins d'aller chercher dans l'inventaire de 1905, publié par la Société des Arts et des Sciences de Carcassonne il y 112 ans. Heureusement, le Congrès archéologique de 1973 va nous renseigner

    "Cippe funéraire, 1er siècle : moulage de l'original conservé au musée de Mayence. Epitaphe de C. Julius Niger, soldat né à Carcassonne et incorporé dans la IIe légion où il servir dix-sept ans. Elle évoque le séjour de cette légion dans la Germanie supérieure dont Mayence est la capitale, avant sa venue en Bretagne."

    Là, encore ?... 

    "Borne milliaire, pierre, époque gallo-romaine (Vers 270). Texte : C.PIO / TETRICO / C / NOBIL / C / IVVENT /PRINCIP / COS XICI. Provenance Barbaira (Aude)." (Congrès archéologique. 1973)"

     

    On voit que ce sont des amphores. Pour le reste ?...

    "Deux amphores pour le vin, quatre meules à huile. Epoque gallo-romaine. Provenance locale." (Congrès archéologique. 1973)

     

    Ce sarcophage possède encore son cartel : "Sarcophage paléo-chrétien. Scènes bibliques et évangélistes entourant le médaillon des deux défunts. Sur les côtés, Daniel dans la fosse aux lions et Adam et Eve. Provenance : Tournissan (Aude)."

     

    Une énigme pour le visiteur ! Que dit le Congrès archéologique de 1973 ?

    "Inscription votive, pierre, Ier siècle : P. CORNELIUS PHILEROS LABASONI V.S.L.M. Traduction : Publius Cornelius Phileros à Larasonus a tenu sa promesse avec plaisir ayant été exaucé. Provenance : Moux."

     

    Seule éclaircie dans ce sinistre musée mal tenu, la salle des chevaliers a bénéficié d'une restauration. Ces fresques médiévales connues dès les années 1920, furent mises au jour en 1957 par Pierre Embry.

     

    Cette vierge à l'enfant provenant de la basilique Saint-Nazaire (XVIe siècle) est placée dans un coin sombre.

     

    Sans indication. Il s'agit pourtant d'une des plus belles pièces du musée. 

    "Vierge à l'enfant dite vierge au sourire, statue, marbre, XIVe siècle. La tête de l'enfant et la couronne de la Vierge ont été refaites au XIXe siècle. Provenance : Couvent des sœurs de la Charité de Carcassonne. (Congrès archéologique. 1973)

     

    Les fenêtres de la maison Grassialo qui se trouvaient place de la poste en centre-ville, furent sauvées par Raymond Esparseil et exposées dans ce musée. Aujourd'hui, personne ne devrait pouvoir s'asseoir ou grimper dessus, mais comme il n'y a pas de surveillant, les enfants font ce qu'ils veulent. La lumière fait aussi défaut.

     

    Cette statue sans tête semble avoir été posée là, sans que l'on sache vraiment pourquoi. Elle non plus, ne possède pas d'informations. Pourtant, elle fut trouvée par Antoine Labarre dans lors des travaux de construction du Grand Théâtre de la Cité en 1971 (source : l'Indépendant 1971)

     

    En revanche, bénéficiant d'une exposition privilégiée, la statue de Dame Carcas restaurée grâce au 30 000 € récoltés par une campagne de crowdfunding en 2014, trône en bonne place. En fait de restauration, il s'agit d'un assemblage de ce qu'il restait de ce morceau de pierre informe. On aurait mieux fait de mettre cette somme à la réhabilitation de l'ensemble du musée. 

     

    Ces albatres sont également bien exposés dans une vitrine

     

    Dans la salle des conférences est exposée dans l'obscurité, la cité miniature de Louis Lacombe (1856-1933). Artisan maçon Carcassonnais résidant rue Trivalle, il consacra pendant plus de 40 ans tous ses loisirs à la réalisation minutieuse de cette maquette en noyer, à l'échelle 1/100e. Ce chef-d'œuvre est classé Monument historique depuis le 4 avril 1961.

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    Malheureusement, là comme ailleurs personne pour surveiller et aucune caméra. On peut donc sans problème se saisir d'une partie de ce chef d'œuvre classé, qui croule sous la poussière. Oui ! La poussière qui n'a pas été faite depuis des lustres.

     

    Tout se termine par la boutique qui, elle, est indiquée sur les affiches et les guides à l'attention des visiteurs. Ici, tout est bien ordonné, éclairé et sans poussière. Sur les présentoirs, la place réservée à l'histoire de la Cité n'occupe que 20% de la surface.  Il n'y a rien sur la ville basse, ses hôtels particuliers, son patrimoine culturel. Tout ceci est géré depuis Paris par la direction du Centre des Monuments Nationaux. Quant à la place des livres des historiens locaux, on n'en parlera même pas.

     

    Clefs de voûte du Couvent des Cordeliers

    Ce musée qui possède des objets archéologiques de belle facture est tout simplement indigne d'un site labellisé UNESCO. Mal éclairé, mal entretenu, sans surveillance et avec des informations défaillantes. Je ne comprends pas comment des sommités locales et nationales telles que Jean Guilaine, Michel Passelac, Arnaud de Labriffe, ne s'émeuvent pas de voir ces collections dans un tel état d'exposition. Elles auraient toute légitimité à se faire entendre, contrairement à l'auteur de cet article que l'on va encore accuser de diffuser une mauvaise image de Carcassonne.

    Il y avait des photographies sur cet article. Elle servaient à vous informer, car ce blog n'a pas d'usage commercial. Je les ai enlevées malgré tout, car j'ai été menacé sur les réseaux sociaux et dénoncé par un guide conférencier de la Cité - auquel j'ai pourtant rendu service -, à la direction des Monuments nationaux pour leur utilisation.

    Veritas Odium Parit.

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  • À l'origine du musée lapidaire, la Société des arts et des sciences de Carcassonne.

    Le 20 novembre 1868, la Société française d'archéologie tint les premières séances de son congrès à Carcassonne sous la présidence du marquis de la Jonquière (préfet de l'Aude) assisté de MM. de Caumont (Président de la société française d'archéologie), Jaubert (Président de la Société des Arts et des Sciences), Mahul, Pothier, de Bonnefoy, abbé Verguet, Tournal, chanoine Barthe, Jaffus et Mgr de la Bouillerie. A l'issue du congrès, la société forma le vœu de la création d'un musée lapidaire à Carcassonne. Dans un premier temps, Monsieur de Caumont invita le chanoine Barthe et l'abbé Verguet - érudits locaux - à publier un catalogue des belles pièces antiques recueillies par la Société des Arts et des Sciences de la ville. Un premier inventaire manuscrit avait été réalisé par le chanoine Barthe ; il sera sauvé de la destruction par Edmond Baichère en 1888. Le premier catalogue rédigé par Verguet et Barthe mais archivé grâce à l'architecte Léon Nelli, fut présenté le 7 février 1869 à la Société des Arts et des Sciences. Il est mentionné un second catalogue, dans lequel étaient notés la provenance des objets déposés avant 1870, avec le nom des donateurs. 

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    Vestiges archéologiques dans la tour de l'évêque

     La Société des Arts et des Sciences sous l'égide de M. Biroteau, maire de la commune, constitua une commission pour la création d'un musée archéologique : MM. Barthe, Verguet, Coste, Jouy, Saulnier, Jalabert, Nelli et Charles de Roquan. À partir du 1er janvier 1869, ces pionniers travaillèrent trois heures par jour à numéroter et à inventorier les objets archéologiques. Le musée lapidaire s'installa dans une salle située à droite, dans la cour de l'actuel musée des Beaux-arts, rue de Verdun.

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    © Chroniques de Carcassonne

    A droite, le musée archéologique de 1869

    Le bulletin de la Société des Arts et des Sciences publié en 1905, nous donne une description précise de cette salle. En bonne place et fort bien exposé se trouvait un sarcophage mérovingien en marbre, orné de feuilles de vigne, découvert dans l'église de Floure. Une somme de 50 francs fut allouée par la Société française d'archéologie pour le restaurer.

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    © Ministère de la culture

    Visible aujourd'hui dans le musée lapidaire de la Cité

    "Ce tombeau mérovingien en marbre blanc de Saint-Béat (Haute-Garonne) a été trouvé dans l'église de Floure, enfoncé dans le mur du midi, entre le sanctuaire et la nef ; la face antérieure seule était visible sur la place dite du presbytère. Il fut enlevé en 1840 par l'agent-voyer Malric, sur l'ordre du maire de la commune, M. Coste-Reboulh, à la demande de Jean-Pierre Cros-Mayrevieille et transporté au musée de Carcassonne. Une inscription se trouvait dans l'église et correspondait à la face postérieure du tombeau qu'elle cachait. C'est la raison pour laquelle elle est dépourvue d'ornements."

    (Catalogue Chanoine Barthe / 1870)

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    © Lieuxsacrés

    Tombeau de St-Saturnin à l'abbaye de Saint-Hilaire d'Aude

    En face du tombeau mérovingien, on plaça contre le mur opposé, le sarcophage de Saint-Saturnin reproduit en plâtre d'après le marbre de Saint-Hilaire. Entre ces deux pièces, on coucha au milieu de la salle afin d'en occuper tout l'espace, des dalles funéraires du XIIIe et XIVe siècles.

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    © voies-achéo-rome

    Musée lapidaire de la Cité

    A l'extrémité nord, une borne milliaire en marbre de Caunes en l'honneur de l'empereur Numérien. Elle fut trouvée à Villesèque-basse, près de Malves-en-Minervois.

    "Principi juventutis M Numerio Numeriano nobilissimo cæsari N(ostro) M(illia) P(assum)"

    Le long des murs étaient exposés des bustes de marbres, des statues gothiques, des têtes de pierre, une belle collection de chapiteaux, des amphores romaines, des vases gallo-romains en terre, des moulins à bras pour huile, etc. Contre le mur, côté cour, des vitrines renfermant plusieurs outils des civilisations primitives, des instruments en silex, bronze, fer et terre cuite.

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    Ce musée archéologique aurait pu perdurer et enrichir ses collections. Oui ! mais voilà... En 1888, date du décès du chanoine Barthe, les vestiges sont dans un état déplorable. Les chapiteaux gothiques et romans, les pierres sculptées, les têtes et les colonnes se trouvent entassées pêle-mêle dans de mauvais locaux où la poussière et l'humidité les détériorent inévitablement. Pourquoi ? Dix ans auparavant, le maire Théophile Marcou voulut installer une école laïque de garçon dans la salle occupée par le musée archéologique. Malgré les protestations, la lettre du président de la Société des Arts et des Sciences M. Dougados, rien n'y fit. La mairie récupéra la salle pour les écoliers et les vestiges furent entreposés à l'humidité dans les caves du musée des beaux-arts. Victor Gastilleur tentera au début du XXe siècle de faire installer ces vestiges dans une des tours de la Cité, grâce à ses relations au gouvernement. Il faudra attendre l'année 1927 et l'application de Pierre Embry, pour que le musée lapidaire s'installe définitivement dans le Château comtal à la Cité. Entre-temps, combien de vestiges ont disparu ?

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