Il y a une semaine nous vous révélions un épisode méconnu de la Seconde guerre mondiale à Carcassonne. L'arrestation de Madeleine Billot sur le Pont vieux par deux agents de la Gestapo le 11 juillet 1944, avait fait avorter la tenue d'une réunion de la Résistance à quelques centaines de mètres de là. S'il nous avait été possible de retracer cet évènement, nous ignorions en revanche qui était réellement Mlle Billot, le lieu précis de la réunion et les personnes qui devaient s'y trouver. D'un naturel teigneux, nous avons mené notre enquête en nous mettant sur la piste des parents de Madeleine Billot et en recherchant éventuellement des informations dans les livres d'anciens résistants. Ainsi, nous avons non seulement retrouvé sa fille que nous avons interrogée, mais également de précieux renseignements dans l'ouvrage du chef de la résistance régionale. C'est cette synthèse que nous sommes heureux de vous présenter dans ce nouvel article.
Photo d'illustration / Un village français - France 3
Madeleine Billot était née le 5 juillet 1914 à Gaillac (Tarn). Ses parents tenaient une pharmacie à l'angle des rues de Verdun et de la préfecture, où son père fabriquait des pommades qui faisaient sa réputation. La famille habitait un peu plus bas dans la rue, au numéro 20. C'est à cet endroit que Madeleine et sa sœur Geneviève, toutes les deux étudiantes en pharmacie, faisaient transiter les aviateurs vers les maquis, chargés de leur exfiltration vers l'Espagne. Malgré les risques, le père Billot, aux idées plutôt nationalistes, fermait les yeux sur ce trafic et aidait ses filles dans l'accomplissement de cette tache. Aux dires de ceux qui les ont connus, les Billot étaient d'une extrême générosité. Au sein de la Résistance, Madeleine et Geneviève occupaient les fonctions d'agents de liaison. Cette dernière faisait même transiter le courrier vers la chambre de Joë Bousquet - située à 150 mètres de chez elle - auquel elle délivrait les doses de morphine indispensables pour soulager ses douleurs.
L'ancienne pharmacie Billot
Ce 11 juillet 1944, Madeleine est arrêtée sur le Pont vieux par la Gestapo. Elle ignorait que le jeune homme qui devait la rejoindre ce jour-là, avait été interpellé par la police allemande la semaine précédente. Lorsqu'elle se présenta à lui pour l'amener à une réunion de la Résistance, le piège se referma sur elle. Amenée à la villa de la route de Toulouse, elle refusa de parler malgré les tortures qui lui furent infligées. Elle confia à Madame Rizzato - une de ses amies - qu'on lui fit subir le supplice de la baignoire et qu'on l'obligea à se fléchir sur une barre d'acier. Lors de son procès, René Bach avoua s'être mis en colère en reprochant aux deux agents ayant procédé à l'arrestation, de ne pas avoir suivi Mlle Billot. Ainsi, la Gestapo aurait-elle pu coffrer les membres de cette réunion. Où se tenait-elle ? Quel était l'ordre du jour ? Qui étaient les personnes présentes ?
Le domaine de la Jasse, à Carcassonne
C'est au domaine de la Jasse, situé sur la plaine Mayrevielle à un kilomètre du Pont vieux, qu'était fixé le lieu de la réunion. Ce beau bâtiment caché au milieu de la nature appartenait depuis 1850 à la famille de Paul Mouton, Conseiller d'état. Sa fille Simone avait épousé Jean Cahen-Salvador, Conseiller d'état. En raison de sa religion juive, il sera arrêté et s'évadera du train lors de son transfert vers Auschwitz. Madeleine Billot avant son arrestation avait fait passer les Cahen-Salvador en Suisse. D'après l'ouvrage de ce chef de la résistance régionale, voici l'objet de cette réunion et les noms de ceux qui s'y trouvaient.
"Pour établir un programme de parachutages que Jacques (Picard, NDLR), Délégué Militaire Régional adjoint devait câbler d'urgence à Alger, je convoquai à Carcassonne, Suberville, Bringer, Cayrol et Bonnafous, respectivement chefs départementaux FFI de l'Hérault, de l'Aude, des Pyrénées-Orientales, de l'Aveyron, ainsi que Balouet, adjoint de Cayrol, et "Jean-Louis" (Louis Amiel, NDLR) adjoint de Bringer au titre des FTP, Roubaud, chef du Mouvement de Libération Nationale, nouveau président du Comité Régional de Libération, et Georges, chef du département, assistaient à la rencontre."
Si la Gestapo avait suivi Madeleine Billot, elle aurait arrêté l'ensemble des chefs de la Résistance régionale. Seul, Jean Bringer sera interpellé 18 jours plus tard... Selon le témoignage de sa veuve, il se plaignait début juillet de n'avoir pas reçu les bons parachutés d'Alger pour payer ses maquis. Très en colère, il se faisait fort de rechercher les coupables. L'objet de la réunion du 11 juillet était précisément l'établissement du programme de parachutages. C'est sûrement entre le 11 et le 29 juillet 1944, que Bringer n'a pas reçu cet argent parachuté ; que Charpentier (assassiné dans la clinique du Bastion en septembre 1944) a été diligenté par Londres pour enquêter. Bringer avait-il trouvé les coupables ? La vénalité de certains au sein même de la Résistance Audoise, a eu la peau du chef départemental des FFI de l'Aude. Ceci est nôtre conviction, mais l'enquête se poursuit de notre côté.
Jean Bringer
Alors qu'elle était détenue, la Gestapo alla perquisitionner au domicile des Billot. Fort heureusement, la bonne avait fait passer les documents compromettant dans l'arrière cuisine pour les brûler. Toutes les enquêtes et interrogatoires n'ayant rien donnés, Madeleine Billot fut transférée à Montpellier le 20 juillet 1944, puis dirigée sur Romainville le 31 juillet. Le 15 août 1944, elle était déportée vers le camp de Ravensbrüch en Allemagne. Nous avons transcrit son témoignage lors du procès Bach, mais d'autres éléments donnés par sa fille l'enrichissent.
Quand le convoi partit pour l’Allemagne, elle entendit l’aviation alliée bombarder la France. Du côté de Berlin, le train fut stoppé pendant une heure pour attendre la fin des bombardements. Une heure pendant laquelle, elle aurait pu s’échapper. Lorsqu’elle tomba malade au camp, elle passa une semaine à l’infirmerie ; le paradis selon elle. Libérée par les Russes, elle passa par Odessa puis en bateau vers Marseille et en train à Carcassonne. L’accueil fut triomphant. Suite à son passage au camp, on dut lui faire un dentier complet ; toute sa vie durant elle sera dépressive.
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Marc Saint-Saëns, petit neveu du compositeur
En 1948, Madeleine Billot se maria avec Marc Saint-Saëns. Le peintre Toulousain aux idées communistes était entrée dans la Résistance. Observons qu'il connaissait Joë Bousquet, car au-dessus du lit du poète se trouvait une tapisserie de Marc Saint-Saëns. Elle est conservée au Musée des Beaux-arts de Carcassonne. Madeleine tint un temps une pharmacie à la Barbacane, puis reprit ses études de biologie et travailla au CNRS avec le professeur Camille Soula. Ce dernier œuvra dans la résistance ariégeoise. La résistante et ancienne déportée est décédée au mois d'avril 2009. A sa demande, elle fut incinérée et inhumée au cimetière du Mont Valérien à Paris. D'après sa fille, jamais elle ne se considéra comme une héroïne, disant que dans tout conflit il y eut des résistants.
Sources
Nous ne donnerons désormais que des informations parcellaires sur nos sources. Le but de ce blog est d'informer, pas de livrer sur un plateau des informations inédites à ceux qui se servent de l'histoire pour briller sur notre dos.
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