Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Patrimoine disparu - Page 2

  • Le champ de tir de l'Estagnol et la Société mixte de tir de Carcassonne

    Au mois d’avril 1886 se fonda à Carcassonne, une Société mixte de tir placée sous les auspices du lieutenant-colonel Raynaud, commandant le 127e régiment territorial d’infanterie. Cette société  avait pour objet de développer les aptitudes militaires et de propager le goût du tir, par des concours où des prix étaient distribués aux plus habiles tireurs. L’élan patriotique devait conforter le ferment de la nouvelle IIIe République en rendant la pratique du tir accessible à tous. Déjà, trois cents adhérents avaient rejoins cette association, administrée par sept membres : MM. Raynaud (Président d’honneur), Bousquet (Président) résidant 5 bd Barbès, Bertrand (Officier de tir) à Azillanet, Déoux (Officier trésorier) résidant route minervoise, d’Hébrail (assesseur) à Laurac-le-Grand, Paul Drevet (assesseur) au Faubourg Tivoli, Amiel (assesseurs) rue des Halles et Limousis (assesseur) rue des Jardins. 

    Capture d’écran 2021-09-02 à 14.14.34.png

    L'ancien champ de tir au Brescou entre la Cité et Cazilhac

    L’année suivante, le nombre de sociétaire ne fit que grimper s’élevant à 650. Paradoxalement, le succès de la Société mixte de tir allait vite devenir un problème pour les organisateurs des concours et des entraînements. Tous les dimanches, une voiture devait amener les tireurs depuis le square Gambetta sur le champ de tir de garnison, au lieu-dit « Brescou » près de Cazilhac. Situé sur l’actuel emplacement des « Ecuries de Sainte-Croix », le site, que la commune louait 1000 francs, avait le désavantage d’être éloigné de la ville. Inaccessible aux voitures, il fallait faire une bonne partie du chemin à pied. Cette contrainte commençait à en décourager plus d’un et la société devait enregistrait déjà des défections sans ses rangs. L’urgence était de trouver un terrain à proximité du centre-ville afin d’y construire les stands, nécessaires à l’exercice des tirs. Fallait-il encore que cela ne fût pas trop près des habitations… Dans un premier temps, la Société mixte de tir croit avoir trouvé l’emplacement idéal pour ses activités. Il s’agit de terrains près du Pont d’Iéna ; ils longent la voie ferrée sur la ligne Carcassonne-Quillan. Paul Drevet, négociant et juge au Tribunal de commerce, est choisi en sa qualité de vice-président pour négocier avec les propriétaires Jouy et Netzer. Les pourparlers engagés avec la municipalité le 9 juillet 1891 sur l’octroie d’une subvention pour l’acquisition des terrains va se heurter à la gourmandise des vendeurs. L’appétit du gain va les amener à doubler le prix qu’ils en souhaitaient au départ. La société devra à nouveau se mettre en quête d’une parcelle suffisamment grande pour effectuer des tirs à 300 mètres. L’affaire sera finalement conclue le 28 avril 1892 chez Me Amigues, entre Madame Guillard Hortense-Eugénie veuve de J-F Carrère et la ville de Carcassonne pour le compte de la Société mixte de tir, usufruitière du bien pendant 30 ans. Les deux parcelles acquises se trouvent à L’Estagnol à l’arrière du domaine de la Justice.

    Capture d’écran 2021-09-02 à 14.09.43.png

    Sur les actuelles rues d'Isly et Daumier. A l'arrière, le domaine de la Justice

    Le montant du devis réalisé par l’architecte de la ville pour la construction des stands de tir se monterait à 24 000 francs. Tout allait pour le mieux, surtout que la municipalité venait de voter une subvention de 4000 francs annuels pendant six ans pour financer les travaux. Hélas, en cours de route, il fallut revoir l’ensemble des plans. La transformation des armes de guerre et la puissance des fusils Lebel a incité l’État à modifier les normes des stands de tir. Non sans conséquences pour le budget alloué, à cause de l’augmentation du montant des travaux. Malgré le concours du Génie de Castres, la facture dépassait de 11000 francs par rapport au devis initial. La Société de tir, dans l’incapacité d’éponger la dette, allait se retourner vers la ville. Celle-ci consentit à prolonger de deux ans la subvention de 4000 francs allouée annuellement, soit huit ans de 1892 à 1899.

    Capture d’écran 2021-09-02 à 14.08.40.png

    Le 7 février 1896, le préfet de l’Aude approuva les plans et les devis et le 23 mars, la commune autorisa la Société mixte de tir à procéder à l’adjudication des travaux. Les exercices de tir sur cet ancien étang appelé Estagnol ne durèrent que quelques années. Mal entretenu, bientôt désaffecté, à la veille de la Grande guerre plus aucun tir ne partait des stands ruinés. En octobre 1914, les tirs sont interdits en raison du danger pour le voisinage. La Société mixte de tir s’était repliée au nouveau champ de tir de Villemaury, mais gardait la jouissance de celui de l’Estagnol dont elle ne faisait rien.

    Capture d’écran 2021-09-02 à 14.07.22.png

    Aussi, quand la mairie a vendu les deux parcelles à Jules Garric en 1919 après l’incendie, le Stand Carcassonnais (ex, Société mixte de tir) envoya une lettre de protestation. Il s’ensuivit une longue et coûteuse procédure judiciaire de la part de M. Garric pour démontrer que la société ne pouvait plus se prévaloir de l’usufruit. Dans son délibéré, la cour estima que la Société de tir usant des terrains dans un intérêt public n’exerçait pas de véritable usufruit et n’était pas soumise à la limitation de trente ans. La famille Garric gardait la nue-propriété sans pouvoir toutefois en user à sa guise. L’état lamentable des parcelles sur lesquelles avaient poussé des jardins potagers les rendait inconstructibles. Il faudra attendre le milieu des années 1960 pour qu’enfin la famille Garric soir autorisée à lotir. C’est ici que se construisit le quartier Pasteur selon les plans d’Henri Castella. Tous les entrepreneurs du coin vinrent se délester de leurs gravats afin de niveler le terrain, autrefois paradis des batraciens. Ainsi, sortit de terre un lotissement tout neuf sur l’ancien champ de tir.

    Capture d’écran 2021-09-02 à 13.58.22.png

    L'emplacement des anciens stands entre la rue Maurice Utrillo et l'angle des rues d'Issy et Honoré Daumier.

    Sources

    Je remercie Madame Marthe Garric pour avoir accepté de me communiquer l'ensemble de ses archives inédites, conservées au fond d'un tiroir.

    _________________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2021

  • Le voyage du Marquis de Paulmy à Carcassonne et l'embellissement de la ville

    Parti de Paris le 1er juillet 1752 pour inspecter les places militaires méridionales de la France, le Marquis de Paulmy (1722-1787) traversa les provinces du Dauphiné, de la Provence, du Languedoc et du Roussillon. En carrosse, à cheval où sur les canaux, ce périple de 805 lieues soit 3800 kilomètres, amena le Secrétaire d’État de la guerre à s’arrêter dans de très nombreuses bourgades et villes fortifiées, parfois pour quelques jours ou, le plus souvent, pour quelques heures. L’ensemble de son parcours et de ses étapes est scrupuleusement détaillé dans la carte ci-dessous - collection particulière du marquis, conservée à la Bibliothèque de l’Arsenal.

    Capture d’écran 2021-06-22 à 17.53.36.png

    © Bibliothèque de l'Arsenal

    On ne saurait trop imaginer de nos jours toutes les contraintes liées à l’intendance et aux méandres de chemins peu assurés, ni forcément carrossables. Voyez un peu que son équipage fut en voyage jusqu’au 29 septembre, date à laquelle il s’en retourna à Fontainebleau.

    Capture d’écran 2021-06-22 à 12.15.05.png

    Antoine-René de Voyer de Paulmy d’Argenson, en provenance de Perpignan où il séjourna trois jours, traversa d’abord Narbonne avant de dîner à Barbaira. Il ne rejoignit Carcassonne que très tard dans la soirée et y passa la nuit du 15 septembre. Le lendemain, après avoir été accueilli par le maire et les consuls, il s’en alla inspecter la Cité et les casernes. C’est à cette occasion que le maire perpétuel, M. Beseaucèle, lui présenta une requête émanant de l’ensemble des consuls. Dans le cadre des projets d’embellissement de la ville, une nouvelle porte devrait être substituée à celle des Jacobins. Toutefois, afin de parvenir à ce remplacement, il conviendrait de démolir la demi-lune qui obstrue désormais l’entrée de la Ville basse. Appelée également ravelin ou boulevard, cette fortification avait été construite au XVIe siècle en même temps que les quatre bastions. Les Carcassonnais la nommaient le « Petit Quay ». On retrouve fréquemment dans l’architecture militaire de Vauban, ce type d’ouvrage défensif. 

    Capture d’écran 2021-06-21 à 18.57.30.png

    © ADA 11

    Emplacement de la demi-lune devant la Porte des Jacobins 

    M. Beseaucèle ne manquait pas d’arguments afin que M. le marquis intercédât auprès du roi en faveur de sa requête. Après lui en avoir présenté le plan, il mit en avant le côté obsolète de cet ouvrage, pratiquement ruiné, en raison du déplacement de la frontière depuis le traité des Pyrénées. Avant de reprendre la route en direction de Castelnaudary, le ministre de la guerre de Louis XV promit d’en référer à M. Maréchal, ingénieur de la province du Languedoc. Il repartit de Carcassonne avec sa suite le 16 septembre 1752 au petit matin et entra dans la cité chaurienne où l’attendait le régiment d’Anjou et le 1er bataillon du régiment de Bourgogne. Il s’en retourna le lendemain, passa par Villepinte, dîna à Villedaigne et séjourna une nuit à Narbonne. C’était le 17 septembre 1752 ! Il faudra attendre plusieurs mois avant qu’une réponse ne soit donnée aux consuls de Carcassonne. Elle interviendra de la plume même du marquis, le 10 mars 1753 et sera notifiée à l’Ingénieur du Languedoc :

    « J’ai reçu, Monsieur, la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire le 14 du mois dernier, à l’occasion de la permission que demandent les maires et consuls de la Basse ville de Carcassonne, de faire démolir la demy lune Cottée 35. D’après votre avis, le roy trouvera bon qu’elle soit détruite. Je vous prie d’informer les magistrats de cette décizion ».

    Ravelin.jpg

    Nous avons recréé à l'échèle l'emplacement exact de cette fortification. La partie située à l'Est s'étendait sur cent mètres de long ; à l'intérieur on avait installé une glacière. Il faut imaginer également les fossés de la ville sur l'actuel Boulevard Barbès et Roumens.

    Malgré cette réponse satisfaisante, les consuls décidèrent d’attendre avant de mettre leur projet à exécution. Il fallait d’abord trouver une utilité aux matériaux récupérés sur cette démolition. La délibération municipale du 6 juillet 1758 proposa de créer un nouveau chemin depuis le boulevard dit « de l’exécuteur » jusqu’à la Porte des Cordeliers. Dans le même ordre idée, on fixa la réparation les réparations que l’évêque souhaitait réaliser depuis la Porte des Cordeliers jusqu’au Bastion dit de Montmorency.

    Il s’agit de l’actuel boulevard Jean Jaurès, au bout duquel se trouvait le Bastion dans lequel vivait le bourreau, et de l’entrée de la rue de Verdun vers l’autre Bastion Montmorency sur le boulevard Camille Pelletan.

    Capture d’écran 2021-06-21 à 19.06.27.png

    © ADA 11

    Le comblement des fossés côté boulevard Jean Jaurès

    Ce deux chemins devant s’étendre sur une partie des anciens fossés qui servait à écouler les eaux de la ville, Garipuy - Directeur des chemins de la Province - résolut d’éloigner ces fossés des remparts en les transportant sur le côté opposé. Ne resteront près des remparts que sept aqueducs découverts, servant à écouler les eaux dans les dits fossés. En conséquence de quoi, ils seront recouverts et les anciens fossés comblés par les matériaux provenant de la destruction de la demi-lune des Jacobins. On céda ces matériaux à Pélissier et une somme de plus de 3000 livres pour les travaux. Si l’on creusait sous le boulevard Jean Jaurès, on retrouverait peut-être une partie des pierres de la fortification de la Porte des Jacobins.

    _______________________________________________

    Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2021

  • Les vestiges du port et du Pont de Foucaud sur le Canal du Midi à Carcassonne

    Les anciens quais, la Chapelle et les bâtiments du Port de Foucaud

    Jusqu’en 1810, le Canal du Midi ne traversait pas la ville car, au moment de sa mise en œuvre, les Consuls de Carcassonne avaient refusé de participer financièrement à sa construction. Le Conseil général jugea lui-même que « le Canal ne serait pas avantageux, qu’au contraire il causerait de notables frais et dépenses à la ville, qui se trouvait dans une extrême pauvreté. » L’abbé Sabarthès nous raconte qu’un port d’embarquement des marchandises fut construit à trois kilomètres du centre de Carcassonne et que depuis l’ouverture du canal en 1684, une voiture faisait matin et soir, le service entre ce lieu et la ville.

    Foucaud 3.jpg

    Plan du Canal Royal du Languedoc à Foucaud

    Un témoignage de 1807 nous éclaire sur ce trajet : « Je m’oblige encore à tenir à la disposition des voyageurs soir et matin au poste de Foucaud, une bonne voiture à quatre places, suspendue, qui servira à porter à Carcassonne ceux des voyageurs venant de Castelanudary ou qui vont de cette première ville à la dernière, qui ne voudraient point faire le trajet à pied moyennant le prix particulier qui sera réglé à l’amiable entre les dits voyageurs et moi. »

    pont de foucaud.jpg

    Vue aérienne de 1930 sur laquelle on distingue encore l'ancien tracé.

    1. La discothèque Le privé

    2. Le domaine de Foucaud avec La Chapelle et les bâtiments

    3. L'ancien tracé du Canal du midi

    4. Le Pont de Foucaud

    5. L'actuel Canal du Midi

    Le port de Foucaud avec ses bâtiments administratifs et sa chapelle Saint-Louis se trouvaient entre la route de Toulouse et l’actuelle rue Pierre Pavanetto. Pendant la Révolution française, ils furent mis aux enchères publiques comme Bien national mais ne trouvèrent pas preneur. Il s’en fallut de très peu en 1817 pour qu’ils ne soient définitivement rasés, mais aujourd’hui il est encore possible de les voir dans le domaine de Foucaud. La Chapelle Saint-Louis, bénite le 4 novembre 1717 et à l’image de celle du Somail, a été désacralisée et transformée en magasin à fourrage. 

    Chapelle du Canal du Midi à Foucault avril 1974487.jpg

    © Collection Antoine Labarre

    La Chapelle Saint-Louis photographiée dans les années 1970

    Au centre du port, s’écoulaient les eaux du canal en direction du domaine de Pouilhariez. Afin de leur faire traverser la route nationale, on fit bâtir un pont en pierre qui prit le nom de « Pont de Foucaud ». Son utilité se trouvait renforcée par l’indispensable nécessité de ne pas couper la circulation des véhicules en direction de Pezens. Ce qui doit retenir notre attention désormais ce sont les vestiges de ce pont qui, hélas, n’existe plus. La municipalité avait fini par solliciter à la fin du XVIIIe siècle que l’on détournât le Canal pour cette fois lui faire traverser la ville. L’ancien tracé fut donc abandonné mais le chantier, retardé par l’épisode révolutionnaire, ne s’acheva qu’en 1810. On construisit le nouveau port au bas de la colline de Grazaille ; c’est celui que nous connaissons tous.

    Capture d’écran 2021-03-04 à 10.50.18.png

    Entrée de la Capitainerie du Port du Canal du Midi à Carcassonne

    En promenant dans Carcassonne, mon œil fut récemment attiré par un blason accroché à l’entrée de la capitainerie du port du Canal. J’en fis la remarque à mon ami Jacques Blanco qui m’informa alors de ce que feu Francis Teisseire, spécialiste de l’histoire du Canal di Midi, lui avait révélé à ce propos.

    Foucaud 2.jpg

    Il s’agit du blason des Etats du Languedoc ; lui et son jumeau se trouvaient autrefois fixés à l’entrée et à la sortie du Pont de Foucaud, au-dessus de l’arche. Francis Teisseire l’ayant découvert dans les réserves des Voies Navigables de France, on trouva à ce vestige un emplacement idéal à l’entrée de la capitainerie.

    Capture d’écran 2021-03-04 à 10.50.36.png

    Blason des Etats du Languedoc

    Mais alors, où se trouve donc son jumeau ? C’est à ce moment-là que les yeux malicieux et plein d’enthousiasme de Jacques Blanco s’émerveillent à l’idée d’être l’unique détenteur d’une histoire. L’autre blason, me dit-il très simplement ? Eh ! Bien, il se trouve dans le parc de Macao. C’est la direction de l’agriculture et de la pêche qui occupe l’ancien domaine, en bordure du boulevard Barbès.

    Foucaud 1.jpg

    © Jacques Blanco

    On pourrait peut-être demander à l'administration qui détient désormais ce blason dans le parc de Macao, de le rendre aux Voies Navigables de France afin qu'il retrouve son jumeau à l'entrée de la Capitainerie.

    Port.jpg

    Ce relevé n'est pas très scientifique mais il vous permet de mieux situer le Port de Foucaud

    Sources

    Chanoine Sabarthès / La Paroisse de Gougens / Bull. SESA 1905

    Remerciements appuyés à J. Blanco pour ses enquêtes sur le terrain

    Photo au domaine de Foucaud : M-F Pauly

    ________________________

    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2021