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Vieux quartiers - Page 10

  • Le domaine de Bouriac

    Dans notre article d'hier consacré au barrage de Saint-Jean, nous évoquions l'arrangement entre Léo Dupré et les propriétaires du domaine de Bourriac, situé sur l'autre rive. Quelle est donc cette ancienne métairie ? Où se trouve t-elle exactement ? C'est ce que je vous propose de découvrir aujourd'hui...

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    Carte de Cassini

    Histoire et généalogie

    La métairie de Bouriac prit vraisemblablement le nom de la famille qui l'habitait au XVIIe siècle, comme tant d'autres hélas disparues dans Carcassonne. On rencontre ce patronyme dans le Tarn, Midi-Pyrénées, le Lot, l'Aveyron et à Villasavary dans l'Aude au XVIIIe siècle. En 1573, Pierre Bouriac est marchand et Consul de la Ville de Carcassonne (Histoire ecclésiastique et civile de Carcassonne / Pierre Bouges / p.483). Jean Don marié à Anne Lamarque habitent le domaine au siècle suivant, avant qu'il ne passe entre les mains de Jean, Honoré puis d'Aphrodite Bourbon. La succession est ensuite dévolue à Marie Geneviève Honorine Cardes  (épouse de Georges Suzanne Hypolite Edouard Riscle) et à son frère, Joseph François Prosper Cardes, marié à Rose Cardes. Ce dernier exerce la profession de propriétaire rentier. 

    Au moment du prolongement du barrage de St-Jean sur la rive des terres de Bouriac, le domaine de Bouriac possède un métayer du nom de Jean Audier dit Victor. Prosper Cardes est désigné comme administrateur des biens de son fils, Aphrodite Cardes dit Alma, jusqu'à sa majorité. Alma Cardes se distinguera plus tard dans la peinture, tout en vivant de ses rentes. Il ne vivra pas au domaine, mais 22 rue des Halles (actuelle rue Chartran). C'est également un fervent catholique qui n'hésite pas à décorer la cathédrale Saint-Michel pour de grandes occasions. Ses toiles entreront au Musée des Beaux-arts. Alma Cardes sera un membre éminent de la Société d'Études Scientifiques de l'Aude.

    Auguste Satgé (1858-1961) grâce à son mariage avec l'une des fille Riscle, Gabrielle, possèdera le domaine, qui aujourd'hui appartient à la famille Cros-Mayrevieille.

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    L'entrée du domaine

    La métairie de Bouriac est située en face du stade Albert Domec, à l'angle de l'avenue du général Sarrail.  Il s'agit d'une bâtisse un peu austère qui n'a rien de remarquable d'un point de vue architectural, mis à part peut-être son pigeonnier. C'est néanmoins un des rares témoins des domaines viticoles de Carcassonne, ayant résisté à la pioche des promoteurs immobiliers.

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    Le pigeonnier de la métairie

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    Le corps de bâtiment avec sa cour

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    Cette croix se trouvait initialement à l'angle du chemin de Montredon. Elle été déplacée à l'entrée du domaine à la demande de la propriétaire, quand la ville a transformé les installations du stade Domec. (Source : J. Blanco)

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    Cette borne d'octroi trouvée à proximité du domaine par Jacques Blanco, a son inscription presque effacée par l'érosion de la pierre. Que fait-elle à cet endroit ? Par un heureux hasard, j'ai retrouvé une délibération du Conseil municipal en date du 27 mars 1897, adoptée sur proposition de M. Durand :

    "L'octroi de la route de Trèbes sera transporté 500 mètres plus loin jusqu'au ruisseau de la porte de fer et englobera le domaine de Bouriac de M. Satgé."

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    Crédit Photos

    Jacques Blanco

    Carte de Cassini

    Recherches

    Martial Andrieu

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    © Tous droits réservés/ Musique et patrimoine/ 2015 

  • La maison d'Henri II de Montmorency, 125 rue Trivalle.

    Il est dans notre bonne ville de Carcassonne - vieille de plus de deux mille ans d'histoire - une maison remarquable datant du XVIe siècle. On l'appelle la maison de Montmorency puisqu'une tradition orale prétend que Henri II de Montmorency (1595-1632) en fut le propriétaire. Aucun texte ne l'attestant, il est plus probable qu'il y fut logé lors de son passage à Carcassonne.

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    Henri II de Montmorency

    Musée du Louvre

    Le gouverneur du Languedoc eut un destin tragique puisqu'ayant comploté contre Richelieu avec Gaston d'Orléans, il passa sur le billot à Toulouse en 1632 après avoir été arrêté à Castelnaudary. Une plaque posée sur les pavés de la cour de l'Hôtel de ville de Toulouse (Capitole), rappelle l'emplacement de l'exécution d'Henri II de Montmorency.

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    Place Henri IV

    Capitole de Toulouse

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    La maison, sous l'Ancien-Régime, passa entre les mains de plusieurs bourgeois et marchands drapiers. On voyait encore il y a quelques années, l'inscription suivante sur une dalle de la façade extérieure :

    Lo camin gran de la Trivallo, 1687"

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    Au début du XXe siècle, le rez-de-chaussée était occupé par l'épicerie Ric. Simone Ric, épouse Pujol, vendit ensuite la maison par lots aux familles Bourdil, Galibert, Garcès et Sabatier. En 1973, le bâtiment - avant sa cession au Ministère de l'Urbanisme du Logement et des Transports - était la possession de 27 personnes différentes. Simone Ric vendit sa dernière part à l'état, le 18 décembre 1974. Le bec de gaz et la fontaine à droite, ont disparu depuis.

    Description

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    © Ministère de la culture

    La façade avant 1937

    L'immeuble à trois étages possède une façade en pan de bois à colombage et des fenêtres à meneaux. Le Rez-de-chaussée est en pierre de taille. Dans la cour, une tourelle avec un escalier permet d'accéder aux étages supérieurs. À l'intérieur, on peut admirer plafonds, menuiseries et cheminées.

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    © Ministère de la culture

    Une lente agonie

    Malgré un classement comme Monument historique le 28 mai 1942, grâce à Charles Bourely - Architecte des Bâtiments de France - la maison est dans un pitoyable état au début des années 1960. L'Association des Amis de la Ville et de la Cité par la voix de Simone Cahen-Salvador, sa présidente, s'émeut du sort de la vieille bâtisse en 1961. Elle cherche d'abord à s'assurer du soutien de personnalités. Les chambres de commerce et d'agriculture acceptent de financer les études de rénovation au moyen d'une subvention ; elle ne sera jamais allouée. En 1967, Me Pech de Laclause propose que le bâtiment accueille un musée du folklore et des traditions occitanes. Peine perdue...

    Au bout du compte, les Bâtiments de France voulurent s'y installer. Alors même que l'état s'était désintéressé de son sort, la maison passa entre ses mains en 1973. Un crédit d'impôt de 500 000 francs est attribué pour les premiers travaux, à l'issu des études vers 1975. Des travaux qui s'amenuisent ensuite, pour cesser complètement quelques années après, dans l'indifférence générale. 

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    Voici le triste spectacle auquel les Carcassonnais assistèrent pendant plus de quinze ans. Les échafaudages restèrent en place ; on se demanda si le bâtiment ne finirait pas entièrement ruiné. Une délibération du Conseil municipal en date du 10 décembre 1985 décide du rachat par la ville de Carcassonne à l'état, de la maison Montmorency pour le franc symbolique. Cinq ans plus tard, la municipalité Chésa vendait à Roland Alvaro - ancien élu de cette même municipalité - la bâtisse pour le franc symbolique. Un cadeau un peu empoisonné pour le nouveau propriétaire qui, pour la restaurer, dut s'entendre avec les agents du Ministère de la culture. 

    La restauration

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    Aspect de la façade en 2015

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    © Ministère de la culture

    En 1937

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    © JL Bonnet

    La façade intérieure côté nord, en 2015

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    © Ministère de la culture

    En 1937

    Cette maison appartient encore aujourd'hui à Roland Alvaro. Il n'y a semble t-il pas de projet à vocation culturelle, qu'elle pourrait abriter prochainement. En 2011, elle a même accueilli une bodéga, le temps de la Féria de Carcassonne. Il est probable que M. Alvaro souhaite la vendre, sachant qu'il ne récupèrera jamais les sommes qu'il a englouties pour la restauration de la maison du sieur Montmorency.

    Sources

    La Trivalle / Dr Vivès / 2004

    Ministère de la culture

    Midi-Libre / 8 avril 1984

    AAVC

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    © Tous droits réservés/ Musique et patrimoine/ 2015

  • Quand on s'achoulait sur les peirous...

    Ne cherchez pas dans la langue de Molière le verbe pronominal "s'achouler" ou pire "s'espatarrer" car ils proviennent de la langue occitane. Cela n'empêche pas que dans nos villages, ils sont entrés dans le langage courant du français, pour désigner l'action de s'assoir avec force où de tomber fortement sur le sol. En ce qui concerne les peirous, il s'agit de perrons devant les maisons de nos villages en Languedoc.

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     La rue des peirous

    À Villalbe, il y a une rue des peirous. Ce sont des espèces de bancs naturels en pierre devant les maisons, où les riverains venaient s'assoir le soir à la veillée pour discuter avec le voisinage. En occitan, "pèira" ne signifie t-il pas pierre ? Cette pratique sociale était très répandue à l'époque où la télévision n'existait pas. 

    À la Barbacane

    Dans le plus vieux quartier de Carcassonne avec la Trivalle voisine et principalement dans la rue longue, les discussions allaient bon train durant les soirées estivales. C'est précisément lors de ces moments privilégiés de cordialité que les cultures se mélangeaient. En effet, ce quartier était connu pour avoir accueilli des familles espagnoles, italiennes ou gitanes. On y apprenait le patois occitan sur le devant de porte... 

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    Dans la rue longue...

     "L'Occitan, nous l'avons appris sur le pas de la porte, le soir, à la fraîche, assis sur des chaises, en discutant avec les voisins ou les parents. (Ramon Gougaud)"

    Après le repas du soir, les vieux sortaient les chaises qu'ils enfournaient en posant les coudes sur le dossier. Les femmes, la vaisselle à peine achevée, sortaient avec leur tablier et venaient se mêler aux conversations. Quand les gosses se couraient après dans la rue dans un bruit étourdissant de cris juvéniles, les voix s'élevaient et tout le quartier connaissait la vie des uns et des autres. Vers dix heures du soir, seules les tours illuminées de la Cité donnaient un peu de soutien à l'astre lunaire, avant que l'allumeur de réverbère ne passe. 

    "Parfois, les hommes jouaient aux cartes, mais l'essentiel c'était de parler. En Occitan, bien sûr. Et nous, les gamins, saisissions les mots, les expressions, à la volée : "Val maï un pitchoun degourdit qu'un gran estabousit"

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    La famille Barberis en 1962, rue longue

    Quels étaient les sujets de conversations ?

    "D'abord et essentiellement des nouvelles du quartier et de la rue. Que devenait un tel, à quelle heure était rentré le fils de la voisine... Évidemment, les absents avaient torts et quelques oreilles devaient siffler comme des locomotives. À ce jeu du ragot, les grands-mères étaient redoutables. Elles préféraient compter les fiancés de la belle du quartier que ceux de Stéphanie de Monaco. Un second sujet revenait tant dans les années 1930 que dans les années 1950 : la guerre. Ici ou là, se trouvait toujours un ancien pour raconter quelque période noire ou quelque anecdote héroïque. L'actualité locale ou nationale pimentait, de temps à autre, les débats. C'était surtout au moment des élections.

    Les réunions se déroulaient entre voisins par petits groupes. Il n'était pas rare qu'on s'interpelle à cinquante mètres de distance. Ce n'était pas propre à la Barbacane ; dans les autres quartiers de la ville, on papotait le soir entre voisins : place Jospeh Poux, rue Pasteur, place Saint-Gimer, rue Trivalle, rue du 24 février... Les anciens évoquent encore les fêtes d'autrefois qui débutaient en mai par la Barbacane, avril à la Trivalle et août à la Cité. Dans un article de la Dépêche daté de 1992, on fait parler ceux de la rue de la Gaffe comme Mme Pouilhes, les époux Terrer et Izard. Mme Jamma fournissait le cresson et le persil à tout le quartier.

    "Nous allions danser au Pont-rouge, à Grougnou. Les gens étaient à pied et ne pouvaient quand même pas faire 10 km tous les soirs. On se distrayait sur les chaises et moi je préfère ça à la télévision."

    Mme Gallego explique qu'elle a quitté la Trivalle pour le quartier "ennemi", celui de la Barbacane. Malheur à ceux qui durant le tour de table des fêtes de la Trivalle dépassaient le milieu de la rue de la Gaffe. Rue Longue, Mme Del Pino s'ennuie chez elle le soir ; elle préfère retrouver ses voisines le soir dans la rue. Nous sommes en 1992...

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    On les revoit assis sur leurs vieux bancs de pierre ou sur les pas de portes, l'été, après le dîner. pour la plupart, des hommes ; la vaisselle, les gosses en bas âge, des grands-parents malades et une pudique retenue sexiste retenant la plupart des femmes "dedans". On les revoit groupés par une même langue (le français, l'espagnol, mais aussi le patois, à défaut d'occitan). Il y avait toujours plusieurs groupes par pâté de maisons.

    Le plus souvent, c'était toujours les mêmes qui prenaient la parole, toujours les mêmes qui contredisaient et toujours les mêmes qui comptaient les points en silence. Certains jouaient à la pétanque, d'autres aux cartes dans les cafés, d'autres poussaient la chansonnette ou faisaient de la musique. D'autres, encore - et ils étaient nombreux - préféraient faire le tour des boulevards en marchant pour s'arrêter au gré des visages connus, aperçus sur un banc ou croisés en chemin. Les rares postes de télévision étaient en noir et blanc et ne les retenaient pas tous à la maison. Pas encore. Les jeunes jouaient au ballon dans la rue ou sur les places, ou bien se défiaient à vélo pour un tour de quartier où ils ne croisaient guère que quelques voitures... en stationnement. Quand la nuit avançait, commençait les "tustets" et les visites interdites dans les cimetières.

    La rue et l'avenir nous appartenaient. Comme chantait Ferrat, on serait flic ou fonctionnaire, de quoi attendre sans s'en faire que l'heure de la retraite sonne. Il oubliait, Jean Ferrat, de préciser que nous serions aussi chômeurs pour certains d'entre nous. 

    Bref, c'était notre enfance avec ses dimanches poulet-frites et gâteaux. Avec ses nuits blanches et ses soirs bleus d'été. Quelque part en France, c'était notre enfance. À Carcassonne, quartier des Capucins ou route de Toulouse, dans les années 60, c'était notre enfance à bien d'autres pareilles. (Gérard Denoy)Capture d’écran 2015-10-21 à 10.35.58.png

    Les perrons de la rue longue en 2015

    Source

    La dépêche du midi / Novembre 1992

    Photos

    Martial Andrieu

    Paola Bourrel

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    © Tous droits réservés/ Musique et patrimoine/ 2015