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Peintres et sculpteurs

  • Walter Fraenkel (1879-1943) s'était réfugié à Montréal d'Aude.

    Expulsés d'une Autriche xénophobe, annexée par les nazis, et contraints d'abandonner leur atelier à Vienne, un couple d'artistes peintres trouva refuge à Paris en 1938. Walter Fraenkel et son épouse, Louis Fraenkel-Hahn, posèrent leur chevalets au numéro 25 de la rue de Longchamp dans le XVIe arrondissement de la capitale. Le 24 décembre de l'année suivante, la célèbre artiste autrichienne décède laissant son époux, veuf et sans enfants. Walter avait fui son pays d'origine pensant trouver refuge en France. Aussi, lorsque l'armée Allemande entra dans Paris, il comprit très vite qu'il devait à nouveau se mettre à l'abri du danger. L'artiste autrichien passa en zone libre, se fit arrêter par la police et, à l'instar de tous les juifs étrangers, fut interné au camp de Gurs. Une fois libéré, Walter Fraenkel s'installa dans le village de Montréal d'Aude, rue de la grande fontaine. 

    Fraenkel

    Contraint par la loi du 2 juin 1941, il dut se signaler comme juif et déclarer ses biens à la préfecture de l'Aude : "En regard de la loi du 2 juin 1941 je suis regardé comme juif, ayant des grands-parents juifs. » Il prétend ne pas posséder de biens immobiliers, ni mobiliers sauf quelques objets d’art de petite valeur. Il affirme détenir 6000 francs en argent comptant et vivre des subsides envoyés par des parents vivant aux Etats-Unis, en Suède et au Brésil. 

    Fraenkel

    Les trois Nornes. Huile sur toile.

    À Montréal d'Aude, Walter Fraenkel est autorisé à résider car, selon la préfecture, il possède suffisamment de ressources pour ne pas être dirigé sur un camp de Travailleurs Etrangers. L'artiste va passer ses journées à écrire des poèmes et à réaliser des dessins au pastel. 

    Fraenkel

    www.artnet.com

    Annonciation, 1918.

    Le 20 février 1943, il sera arrêté par la gendarmerie française sur ordre de Vichy à Montréal d'Aude. Conduit au camp de Gurs (Basses-Pyrénées), puis à Drancy, Walter Fraenkel est livré aux nazis. Le 6 mars 1943, il part dans un wagon à bestiaux en direction du camp de Majdanek (Sobibor) où il arrivera cinq jours plus tard. Il n'en est jamais revenu.

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  • Le Christ en croix de Francis Bott (1904-1998) dans l'église d'Arques

    Dans le choeur de l’église d’Arques, un Christ en croix porte la signature d’Ernst Bott. À défaut d’informations supplémentaires, les habitants de ce village de la haute-vallée de l’Aude ignorent presque tout de l’auteur de cette peinture. Il aurait été juif, paraît-il. Interné à Rennes-les-bains, il serait ensuite parti en déportation. Fort de ces maigres renseignements, nous nous sommes mis en quête de rechercher la véritable identité de cet inconnu. Ce que nous avons découvert dépasse de très loin ce qu’il aurait été possible d’imaginer. Le 10 octobre 1940, Ernst Bott laissa son vrai nom au pied de sa peinture. C’est toutefois sous le pseudonyme de Francis Bott que cet immense artiste allemand jouit d’une renommée internationale. Comment l’église paroissiale d’Arques peut-elle détenir un tel trésor ?

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    Francis (Ernst) Bott en 1978

    Militant antinazi dès la prise du pouvoir par Hitler en 1933, Ernst Bott connut des fortunes diverses au gré de ses pérégrinations. C’est sans doute le mythe du juif errant qu’il incarne. Né à Francfort le 8 mars 1904 dans une famille bourgeoise, il se lie d’amitié dans sa jeunesse avec Max Ernst, Bertold Brecht et Thomas Mann. Après avoir adhéré au Parti communiste allemand (KPD), Bott fut conduit à l’exil à Prague pour échapper à la répression nazie. Avec la fille d’un rabbin polonais, Chana Gruschka, il traversa ensuite Zagreb, l’Italie et s’installa à Paris où il fit la connaissance de Pablo Picasso. Dans la capitale française, Bott fonda en 1938 « L’Union des artistes de l’Allemagne libre » avant de s’engager dans la Bataillon Thälmann lors de la guerre civile espagnole. Cette unité de volontaires des Brigades internationales était composée de 1500 hommes. Elle portait le nom d’Ernst Thälmann, président du Parti communiste allemand de 1925 à 1933. Revenu à Paris au moment de la déclaration de guerre, il chercha à s’enrôler dans l’armée française mais fut placé dans un Centre de rassemblement des étrangers à Fourchambault, près de Nevers. Le gouvernement radical-socialiste avait déclaré les communistes persona non grata sur le territoire français. La loi du 12 avril 1939, promulguée par le bien-aimé Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur, entérina la création des CTE (Compagnies de Travailleurs Etrangers). Elles précédèrent les GTE (Groupements de Travailleurs Etrangers), du gouvernement de Pétain, fondés le 27 septembre 1940. En quelque sorte, ces antichambres de la déportation serviront à recenser les juifs pour le compte des nazis.

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    Après Fourchambault, le couple Gruschka-Bott fut envoyé au camp de Bengy-Sur-Craon dans le département du Cher. Nous ignorons comment le couple échappa aux griffes des nazis, puisque le nom d’Ernst Bott figurait sur la liste des 87 opposants politiques réclamés par le Reich à la France après l’armistice. Il fallait sans doute un heureux concours de circonstance. Bott se retrouva en Zone libre à couper du bois près de Couiza. Nous imaginons qu’il fut placé avec sa compagne dans le GTE 145 à Quillan. Le 10 octobre 1940, il réalisa le Christ en croix dans l’église d’Arques, soit quatre jours avant son union avec Chana Gruschka, appelée par lui Manja. Le mariage eut lieu à la mairie d’Arques, où doit être conservé l’acte d’état civil. À une date que nous ne saurions préciser, mais devant se situer peu de temps après l’envahissement de la zone libre, le 11 novembre 1942, le couple se réfugia dans le Cantal. Probablement à Allanche, près d’Aurillac. Ernst Bott prit le maquis et combattit aux côtés des Francs Tireurs et Partisans Français.

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    Eglise Saint-Etienne 

    Cet article n’étant pas une étude de son oeuvre, nous invitons désormais les plus érudits de l’art sacré à se pencher sur ce Christ en croix de l’église d’Arques. La nomenclature, la côte et le talent de Francis Bott garantissent désormais un classement à ce Christ en croix. Plus que tout autre chose, son histoire laisse l’empreinte du Juif errant, communiste, dans un lieu saint du catholicisme. Nous en retiendront le symbole. Bott est décédé le 7 novembre 1998 à Lugano (Suisse) ; son épouse, en 1961 à Bâle à l’âge de 60 ans.

    Sources

    Exilés en France : souvenirs d'antifascistes allemands / G. Badia / 1982

    Francis Bott das Gesamtwerk / Wolfgang Henze / 1988

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  • La fabuleuse découverte des tableaux de Gamelin dans l'Eglise Saint-Vincent

    Bulletin de la Société d'Etudes Scientifiques de l'Aude - 1979

    (Jean Cazaux)

    Le 7 décembre 1979, nous avons eu la bonne fortune de découvrir dans le grenier presque inaccessible de l’église Saint-Vincent - il faut une longue échelle pour y parvenir — sept toiles complètement inconnues de Jacques Gamelin. Il y a un ex-voto à St-Roch : Saint-Roch guérissant les pestiférés. Aucun ancien inventaire n’en fait mention.

    Il y a deux grands tableaux parallèles : L’ordination de Saint-Vincent et Saint-Vincent prêchant devant son évêque. Ces deux grands tableaux correspondent aux esquisses présentées cet été à l’exposition de J. Hahn à Narbonne sous le titre Saint-Augustin recevant le diaconat et Saint-Augustin prêchant devant l’évêque Valère. Joseph Hahn pense que ces esquisses ont été peintes à Narbonne dès le retour de Rome — entre 1775-1780 — et il ajoute : « Il n’a pas été possible de retrouver pour quelle commande ces tableaux ont été peints ; c’est la période où Gamelin travaille beaucoup pour les églises et couvents de l’Aude ; il est possible que Gamelin n’ait jamais réalisé les grands tableaux ». La découverte récente des grands tableaux, permet d’apporter la réponse en même temps qu’elle permet de rectifier les titres donnés aux esquisses.

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    L'ordination de St-Vincent par J. Gamelin 

    Quatre autres toiles — en mauvais état — illustrent le thèse de l’Invention et l’Exaltation de la Sainte Croix. Un examen approfondi a permis de découvrir la signature et la date sur le grand tableau L’ordination de Saint-Vincent, sur lequel on lit en bas au centre : Gamelin inv.1781 ; et les signatures sur les tableaux de la série de la Croix ; l’un deux est au moins daté de 1778.

    Toutes ces toiles ont donc bien été peintes après le retour de Rome. Leur découverte porte au nombre de dix les oeuvres de Gamelin possédées par l’Eglise Saint-Vincent.

    Communication de l'Abbé Cazaux à l'Académie des Arts et des Sciences de Carcassonne le 12 octobre 1984

    Les peintures de Gamelin, placées le 4 septembre 1984 dans le choeur de l’église Saint-Vincent, font partie du lot de toiles découvertes (en fort mauvais état) dans un galetas inaccessible de l’église le 7 décembre 1979.

    Quatre de ces toiles ont été restaurées par le soins des Monuments historiques qui ont confié le rentoilage à M. Esquirol de Castelnaudary et la restauration proprement dite à MM. Michel Jeanne et Joaquin Segovia.

    Le résultat est admirable. Ces toiles ont bien été peintes dès le retour de Rome, lorsque Gamelin, à la prière de son père vieillissant, est revenu s’installer définitivement dans sa ville natale. Elles font partie d’un grand ensemble que l’on a baptisé, faut de mieux, « Le cycle de la Croix ». Quatre toiles de ce cycle se trouvent au trésor de la cathédrale. Deux représentent des figures de la croix, autrement dit des annonces prophétiques : Le serpent d’airain, daté de 1781 ; la prière de Moïse à la bataille de Raphidin, daté de 1781 ; deux autres datées de 1777, représentent La victoire de Constantin sur Maxence et son entrée victorieuse dans Rome.

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    © Ministère de la culture - Base Palissy

    Le déluge par Gamelin

    Avant les découvertes récentes, Saint-Vincent possédait déjà trois toiles du même cycle et de même format : Le déluge avec l’arche de Nöe, symbole du salut par le bois de la croix et David au mont des oliviers, au moment de la révolte de son fils Absalon. Ces toiles sont de la série des figures. Une troisième toile reste mystérieuse et semble représenter une vision ou une apparition de la Croix victorieuse.

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    © Ministère de la culture - Base Palissy

    L'invention de la Saint Croix par Gamelin, avant restauration 

    Deux des quatre toiles récemment restaurées, représentent L’invention de la Croix — c’est-à-dire la découverte par l’impératrice mère Hélène, mère de Constantin — et l’Authentification de la vraie croix en présence de la même impératrice mère. La légende veut qu’on ait trouvé près du Golgotha, trois croix ainsi que l’inscription placée sur celle de Jesus ; pour savoir quelle était la vraie, on aurait, à l’instigation du patriarche de Jérusalem Saint-Macaire, placé un agonisant sur chacun des croix, lequel n’ayant ressenti aucun bénéfice de cette opération sur les deux premières, aurait été subitement guéri dès qu’on l’aurait allongé sur la troisième, qu’on appelle depuis la vraie croix. L’évènement historique peut se situer au lendemain du Concile de Nicée, donc en 326 — encore que les historiens soient loin d’être d’accord et sur la date de l’évènement et sur le rôle de Saint-Hélène. 

    Les deux autres toiles, beaucoup plus belles ont trait à ce qu’on appelle l’Exaltation de la Sainte Croix. Le roi des Perses, Chosroès, ayant conquis Jérusalem en 614, incendie les basiliques constantiniennes, tue un grand nombre de prêtres et de religieuses et emmène avec lui le patriarche Zacharie et surtout la vraie croix. L’empereur de Constantinople, un moment hésitant, part en guerre contre Chosroès, poussé par le patriarche de Constantinople, Sergius, qui semble avoir eu grand ascendant sur lui. De 622 à 627, il lui inflige plusieurs défaites et l’oblige à reculer. Finalement, Syroès, fis aîné de Chosroès, mais déshérité par lui, monte une conspiration contre son père et vient trouver Héraclius pour faire alliance avec lui. 

    C’est le sujet de la première toile, très goyesque (Gamelin a été marqué à Rome par les mêmes influences que celles qui ont marqué Goya, Füssli, Mengs, etc. Il est même probable que Goya et Gamelin se sont rencontrés à Rome et que Goya devait avoir une certaine estime pour le peintre, déjà réputé qu’était Gamelin, membre de l’Académie Saint-Luc.

    Finalement Chosroès accepte de faire la paix avec Héraclius et lui rend le bois de la vraie croix. L’empereur ramène cette relique insigne à Constantinople où il fait une entrée triomphale et magnifique en 628. L’année suivante, il s’embarque pour la Palestine afin de ramener la vraie croix à Jérusalem. Il décide de porte lui-même la croix sur ses épaules mais, il se sent arrêté tout-à-coup ; il ne peut pas avancer. Le patriarche Zacharie, rentré de Perse après quinze ans d’exil, lui fait comprendre qu’il ne peut entrer dans Jérusalem en portant la croix, s’il garde ses insignes impériaux, alors que son maître et seigneur, lorsqu’il a traversé les rues de Jérusalem en portant sa croix, se trouvait dans un état de profonde humiliation. Héraclius quitte ses insignes, les confie à un courtisan et à un page et il peut enfin entrer dans Jérusalem.

    C’est le sujet de la toile qui est juste à gauche du petit orgue et qui est considérée comme la plus belle de la série. On notera la belle opposition de couleurs entre la chape rouge du patriarche et le bleu du manteau royal bordé d’hermine que porte le courtisan derrière l’empereur ; à l’extrême droite un petit page qui porte la couronne d’Héraclius, représente peut-être un des deux fils de Gamelin. Il existe encore deux grandes toiles qui n’ont pas été restaurées, souhaitons qu’un jour elles puissent venir enrichir et compléter la collection de Gamelin, déjà en bonne place dans l’église.

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