Des quatre bastions édifiés au XVIe siècle faisant la jonction des remparts au quatre points cardinaux de la Ville basse, deux sont encore debout. Il s’agit des bastions du Calvaire ou de la Tour grosse (Bd Marcou) et Montmorency (Bd Pelletan). Et pour cause… Ces vestiges appartenaient à des particuliers. Les deux autres bastions autrefois propriété de la commune furent soit partiellement détruits pour construire l’actuel « Collège du Bastion », soit complètement rasé comme celui de la Figuière. Les motivations de la municipalité de l’époque concernant ce dernier méritent que l’on s’y attarde.
Emplacement du Bastion de la Figuière avec la Tour du bourreau au centre.
Le Bastion de la Figuière se trouvait précisément à l’angle des boulevards Jean Jaurès et Omer Sarraut, pile sur l’ancienne clinique Saint-Vincent que certains parmi vous ont connue. Cet ouvrage défensif avait été bâti par le Comte de Landremont, à ses frais pour la somme de 10 000 Marcs, avec les pierres du Couvent des Cordeliers en 1590.. C’est pour cela qu’il fut également nommé Bastion de Landremont ; usage qui disparut du langage courant au fil des siècles. En dernier lieu, la ville qui possédait une partie de l’ouvrage en indivision avec la famille Fabre-Vidal, en avait acquis la totalité suite à une vente effectuée le 24 mars 1860 devant Maître Bausil, notaire à Carcassonne.
Sans aucun soucis de ces souvenirs historiques, le conseil municipal vota le 1er décembre 1884 la démolition du bastion. Si l’on s’en réfère à l’érudit Cros-Mayrevieille qui sauva la Cité de la ruine : « Quoique ces bastions soient regardés aujourd’hui, comme très imparfaits, au point de vue de l’art militaire moderne, ils méritent cependant une mention particulière, parce qu’ils terminent, à Carcassonne, la série des édifices militaires où on peut suivre un cours de fortifications depuis les Romains jusqu’à notre temps. (Monuments de Carcassonne. Troisième édition. p.124) »
© ADA 11
La ville basse en 1850
Ni les écrits de Cros-Mayrevieille, ni la rage des amoureux des vieilles pierres ne réussiront à infléchir la position de la majorité municipale prête à sacrifier l’histoire sur l’autel de la rigueur budgétaire. Le Courrier de l’Aude s’insurge : « Nos finances municipales sont si sagement administrées qu’en dépit des recettes qui ont presque doublé depuis dix ans, le budget local aussi bien que celui de l’Etat, se solde toujours en déficit. On a eu beau majorer le tarif de l’Octroi - remède insuffisant ! Le déficit persiste, et dans le prochain budget, il se chiffre par une somme de 145 000 francs. Comment le combler ? Le moyen a paru simple à nos édiles, et ils ont tout bonnement porté comme recette une somme égale à 145 000 francs, produit présumé de la future vente des terrains qui seront rendus libre par la démolition du Bastion.
© B.N.F (Gallica)
On distingue l'emplacement des bastions de la Ville basse.
Outre l’aspect budgétaire, la municipalité avança une autre raison… En période hivernale, les ouvriers du bâtiment souffrent du manque de chantiers et se retrouvent au chômage. Nous avons là un modèle de gestion qui ne nous éloigne guère de ce qui est pratiqué encore de nos jours en certains endroits. C’est-à-dire le déficit des finances comblé par la vente des bijoux de familles plutôt que par l’économie sur le train de vie des communes et le clientélisme en faveur des entreprises de B.T.P. On n’a rien inventé de mieux depuis la Troisième République pour tuer le patrimoine !
Les premiers coups de pioche portés à l’Auguste monument débutèrent le 3 mars 1885. Inutile de parler de chantier de fouilles. Toutefois, les journaux rapportent quelques découvertes trouvées par les ouvriers sur le chantier.
Le 19 mars 1885, il est mis à nu un trésor d’une valeur d’environ 80 francs, composé de pièces en argent de différentes effigies. Le veinard qui s’était partagé le magot avec son patron avait oublié les usages droit romain : « Thesarus est quædam depositio pecuniæ cujus non extat memoria et possessio non habetur. » A l’évidence, la ville ne surveillait pas le chantier et comme à chaque fois, des vestiges finirent dans la propriété de Carcassonnais opportunistes.
Le 29 mai 1885, les terrassiers découvrirent un squelette enfoui à 70 centimètres de profondeur. Si les restes furent largement mélangés à la terre de remblais sans que l’on ne puisse rien en tirer de probant, le crâne présentait une particularité remarquable : L’os occipital avait été brisé par un formidable coup porté par un instrument contondant. Ce crâne appartenait à un homme adulte d’environ quarante ans de forte taille. On le mit dans les locaux du Radical où il fut exposé et conservé en souvenir du bastion. Vous dire où il se trouve aujourd’hui….
Une fois la démolition terminée, les blocs de pierre du XVIe siècle furent entreposés dans l’Usine désaffectée Sainte-Marie située en bordure de l’Aude dans le quartier de La Prade. Vendus aux enchères publiques, les matériaux rapportèrent 10 000 francs à la commune le 31 janvier 1888.
Sur l'emplacement de l'ancien bastion de la Figuière, bd Jean Jaurès.
La ville avait décidé de raser le bastion pour éponger un déficit de 145 000 et équilibrer son budget, mais la chose tant espérée ne se passa pas si facilement… Au mois de juin 1886 des piquets sont plantés sur les terrains désormais nus de toute construction. Ils annoncent la cession des parcelles par neuf lots à acquérir sur adjudication à la mairie le 2 juin 1886, au prix de 45 à 75 francs /m2. Fiasco total ! Aucun enchérisseur ne se prononce et une nouvelle vente est organisée le 2 novembre de la même année. Quatre lots sont remportés par MM. Gaillard, Malric et Borrel mais la commune dut revoir son prix à la baisse pour s’en dessaisir. Faute de ne trouver d’autres acquéreurs pour les lots restants, la vente se fera de gré à gré en 1887 et ira à MM. Lauth, Bertrand et Combes.
Les nouveaux propriétaires s’engagèrent à clôturer et à bâtir rapidement afin de respecter le nouveau plan d’alignement, mais là encore il fallut attendre quelque temps non sans rappels à l’ordre.
© Julien Roche - Ville de Carcassonne
La Bastide Saint-Louis aujourd'hui
Quel a été au final le bénéfice pour la ville ? La démolition lui a coûté 35 100 francs. La vente lui a rapporté 110 000 francs soit un bénéfice de 75 100 francs. Résultat des courses, il manqua 70 100 francs sur les 145 000 francs qu’elle escomptait pour équilibrer son budget. On ne peut pas dire que la disparition d’une partie du patrimoine de la Ville basse fut une aubaine financière. Qu’à cela ne tienne, les municipalités qui se succèderont ne feront pas mieux. Dans la course à la destruction du patrimoine historique, nous mettrons en tête du peloton la municipalité Gayraud qui sévit entre 1971 et 1983 (Hôtel Dieu, chapelles, Ecole normale, Couvent des Augustins, Petit lycée, etc.)
Sources
Recherches, synthèse et rédaction / Martial Andrieu
Photo en une : Jardin du calvaire par J. Roche
_________________________________
© Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2019