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  • In memoriam Jean Cazaux (1935-2023)

    L’abbé Jean Cazaux nous a quittés samedi matin. Je m’incline devant la mémoire d’un grand Carcassonnais. Oserai-je dire le dernier ? Si j’ai connu physiquement ce grand érudit sur le tard, sa personne m’était familière depuis l’année où il entreprit une grève de la faim. C’est-à-dire, je pense, au début des années 1990. Opposé au maire de l’époque sur la construction de logements en face du porche de l’église Saint-Vincent, les pires calomnies avaient été alors proférées à l’encontre du curé. À Carcassonne, les médisants par bonté s’en donnaient à choeur joie poussés par les édiles. La réputation de l’abbé, ébranlée par de petits esprits vertueux devant le rosé du matin, avait été qualifiée de gauchiste. Pensez-donc, on ne peut être curé et cultiver des amitiés avec le communiste Henry Garino ou Mgr Gaillot. Les incultes oubliaient sans doute que l’abbé Cazaux descendait d’une vieille famille aristocrate. Qu’il entretenait une relation épistolaire avec l’académicien Jean d’Ormesson. À Carcassonne, l’étroitesse de l’esprit de certains ressemble à celle des rues de la Bastide Saint-Louis.

    On promettait d’aller se plaindre à Mgr Jacques Despierre. Afin de faire cesser céans l’embarras de cette privation de nourriture, le maire diffusait que le gréviste dînait en cachette la nuit dans sa sacristie. C’était ici la moindre des accusations. La rumeur publique répandait que le curé desservant Saint-Vincent, exposait ses attributs génitaux sur une plage de la Méditerranée. Cazaux au bûcher ! Il fallait le frapper d’hérésie. 

    Ainsi que je l’ai exposé en préambule, je n’ai eu le privilège de rencontrer l’abbé Cazaux que sur le tard. C’était précisément il y a quatre ans. Nos conversations furent d’abord téléphoniques. Elles durèrent parfois plus de deux heures, durant lesquelles j’appris énormément de choses touchant à l’histoire de Carcassonne. Jean Cazaux faisait partie de ces instruits qui jamais ne vous donnent l’impression d’en savoir moins qu’eux. Et pourtant, quelle science ! En venant vers moi, l’ancien curé de Saint-Vincent nourrissait deux espoirs. Le premier, c’est que l’on dépose une plaque sur la façade où avait séjourné Louis Aragon, en compagnie d’Elsa Triolet à Carcassonne en été 1940. Je lui promis de lui fournir tous les renseignements pour cela. « Ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas », était la philosophie de Jean Cazaux. Le second, que je publie sur mon blog le testament de Joë Bousquet qu’il détenait. Il voulait que l’on puisse tordre le cou aux rumeurs. J’ai donc diffusé ici le testament de son aïeul dont j’ai conservé une copie. Au sujet de Joe Bousquet, peut-être me faudra t-il noter désormais tout ce que l’abbé me confia. Vous connaissez l’histoire de la Maison des mémoires, me dit-il ? Pas précisément, lui répondis-je. Eh ! Bien, c’est Courrière qui l’a acquise pour le compte du Conseil général car Chésa n’en voulait pas. Quand avec Madame Patau, la soeur de Joë Bousquet, nous sommes allés la lui proposer, il a eu cette réponse : « Cent cinquante mille francs pour une chambre, c’est bien cher. »

    Lorsque je vins chez lui à Saint-Roch près de Villemoustaussou, je ne repartis pas les mains vides. L’abbé m’avait conservé les archives, mémoires manuscrites du chanoine Gabriel Sarraute. Là encore, un grand érudit Carcassonnais en histoire de l’art. Il souhaitait que ce moi qui en soit le dépositaire. « A qui voulez-vous que je les donne ? Ça n’intéresse personne à Carcassonne. » Je lui promis de les lire et de les copier — ce que je fis — avant de les déposer aux Archives départementales de l’Aude. Ce fut fait auprès de M. Claude-Marie Robion en insistant pour que le nom de Jean Cazaux soit enregistré comme le dépositaire. Je pourrais également évoquer nos nombreux échanges sur l’église de Villalbe dont il alla, sur mes conseils, visiter les tableaux de Roumens et de Jalabert. Je pourrais relater ses souvenirs sur la Seconde guerre mondiale. Une anecdote qui me marqua ; celle d’une famille juive errante que se parents recueillirent à Saint-Roch. L’abbé n’avait à cette époque qu’une dizaine d’année. Il se souvenait que l’évêché de Carcassonne était maréchaliste, sous le ministère de Jean Pays. 

    L’abbé Jean Cazaux détestait ce qu’était devenu Carcassonne du point de vue culturel. Autant  dire qu’il se montrait très critique envers les édiles de la ville depuis Raymond Chésa jusqu’à aujourd’hui. Nous savons que beaucoup parmi eux prendront des postures ou verseront même une larme en sa mémoire. Or, de son vivant, il se plaignait fortement de ne pas être entendu. Il s’inquiétait de ce que deviendrait son patrimoine intellectuel sachant que les Carcassonnais n’en avaient que faire. Ou, plutôt, n’en aurait que savoir en faire.

    La parole la plus forte que j’ai entendu de ce curé est celle-ci. « Je suis ami avec Garino, vous le savez. Je ne suis pas communiste pour autant. Quand je m’interroge, je vois ce qu’ils font pour venir en aide aux indigents, aux migrants. Je me dis que ce serait bien incapable de le faire, car peut-être trop bourgeois pour ça. Finalement, la parole de l’évangile ce sont eux qui l’ont alors que la plupart disent ne pas croire en Dieu. »

    Voilà l’abbé Cazaux tel que je l’ai connu. Homme d’une forte personnalité, il n’était absolument pas dupe vis-à-vis de ceux qui l’entouraient. Certains avec un intérêt trop pressant, en recherche d’une caution morale ou intellectuelle. Malgré la maladie, il demeura éclairé jusqu’au dernier souffle : « Je ne sais toujours pas si Dieu existe. » Maintenant, il le sait. Nous, nous l’ignorons encore.

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  • L'évêque de Carcassonne bénit l'Hypermarché Leclerc de ROCADEST

    Carcassonne n'en finit plus de faire parler sur la toile. Parfois, d'une manière cocasse, à l'image de l'article du journal Le Parisien - Aujourd'hui en France. Ce dernier relève dans ses colonnes un fait qui semble avoir ému jusqu'à la curie épiscopale. Dans un élan de charité chrétienne, Mgr Vincent, le nouvel évêque du diocèse de Carcassonne, a accepté la sollicitation toute particulière de M. Boissonade, directeur du nouvel hypermarché Leclerc situé à ROCADEST. À la nuit tombante, au moment où le rideau de cette cathédrale consumériste se baisse, Mgr Vincent a procédé à la bénédiction des lieux. Bien que ceci se soit fait en toute discrétion, l'évêché de Carcassonne n'a pas manqué de le faire savoir par les moyens de communication les plus modernes. Cette pratique n'a rien d'extraordinaire en elle. Monsieur Boissonnade a parfaitement le droit à titre privé en accord avec sa sensibilité spirituelle de faire bénir son entreprise. Faut-il encore qu'il soit très apprécié du diocèse pour obtenir la visite de l'évêque. N'importe quel curé aurait fait l'affaire. Depuis le Moyen-âge, les commerçants ont toujours cherché à protéger leurs échoppes. Dans la Bastide-Saint-Louis, il demeure des statues de la vierge dans les façades de vieux magasins. Citons, justement "A la vierge" tenu autrefois par la famille Gastilleur, dans la rue de Verdun. Ou bien encore, le Bazar Combéléran transformé en Monoprix, rue Clémenceau. En vérité, ce n'est pas la sollicitation de M. Boissonade qui interroge. Elle n'enfreint en rien la loi sur la laïcité. C'est plutôt que la bénédiction ait été faite dans le centre commercial le plus décrié de Carcassonne : ROCADEST. Celui qui est accusé de siphonner les commerces du centre-ville. Il n'est pas. certain que l'action de l'évêque soit de nature à ramener les brebis égarées vers la bergerie. On pourrait avec coquinerie réclamer que Mgr Valentin en fît de même pour la Bastide-Saint-Louis.

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    Le Christ chasse les marchands du Temple.

    « Jésus entra dans le temple de Dieu. Il chassa tous ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple ; il renversa les tables des changeurs, et les sièges des vendeurs de pigeons. Et il leur dit : Il est écrit : Ma maison sera appelée une maison de prière. Mais vous, vous en faites une caverne de voleurs. »

    (Matthieu, XXI, 12-13)

    Si dans l'article du Parisien, M. Boissonade se vante d'être le mécène des bâtiments religieux en restauration, nous rappelons que l'église des Carmes se trouve précisément dans la Bastide. Celle-ci bénéficie actuellement de fonds privés pour sa réhabilitation. Faute de clientèle pour les magasins désormais vidés de leur enseigne, il n'y aura bientôt plus grand monde pour acheter les cierges des Carmes. Pas plus d'ailleurs qu'à Saint-Michel ou à Saint-Vincent. A moins qu'il ne faille bientôt aller les acheter à l'hypermarché Leclerc dans lequel une chapelle sacralisée permettrait d'aller prier. Ah ! La concurrence déloyale n'a pas fini de hanter la Bastide-Saint-Louis...

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    Le Parisien / 23 mars 2023

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  • Angel Carruesco (1925-1944), héros du maquis de Trassanel.

    Il venait d'avoir dix-neuf ans depuis quelques jours à peine. Son anniversaire, il l'avait fêté avec ses camarades d'infortune au milieu des bois de la Montagne noire. Angel Eugène Carruesco était né à Sainte-Eulalie le 16 juillet 1925 de parents immigrés espagnols. Sa mère Joséphine née Lassierra (1902-1982), avait sollicité et obtenu la nationalité française en 1928. Trois ans exactement après le décès de son mari, Angel Carruesco Encuentra (1895-1925). Veuve, dans un pays étranger avec trois enfants en bas âge, elle devait affronter son destin avec courage. Angel, qui n'avait pas connu son père, pouvait-il compter sur ses soeurs Raymonde (1920-2010) et Joséphine Simone (1923-2000) ? On ne sait presque rien de cette famille. Toutefois, la naissance des enfants dans trois villages différents (Sainte-Eulalie, Villalier et Malviès) laisse supposer que les parents travaillaient à la tâche comme ouvriers agricoles. Qu'est ce qui poussa ce jeune garçon à prendre le maquis ? Nous l'ignorons, mais il se peut qu'appartenant au Corps Franc de la Montagne Noire il se soit trouvé à Trassanel suite à l'attaque Allemande sur la Galaube. La dispersion des maquisards après cet affrontement inégal, eut pour effet de faire grossir les rangs du maquis de Trassanel. Le 8 août 1944, Angel Carruesco se trouvait à l'intérieur de la grotte lorsqu'elle fut assaillie par les tirs ennemis. Il résista comme ses camarades avec bravoure et détermination. Le lendemain, il fut retrouvé en état de mort clinique près de la grotte. On le ramena à Cabrespine dans la maison d'Armand Chiffre, qui ravitaillait le maquis du Minervois en vivres.

    Nous étions le 9 août 1944 en début d'après-midi lorsque le Dr Hippolyte Rouanet vint se porter au chevet du blessé. Le médecin vit que le jeune homme, étendu sur la table de la cuisine, n'allait certainement pas s'en tirer. Alerté par Louis Raynaud, le Dr René Varennes fit alors son apparition : "Deux blessures par balle à bout portant. L'une ayant pénétré par le sommet du crâne, l'autre en pleine nuque. Les orifices de sortie l'un à la base du cou, l'autre sur la partie gauche de la poitrine. Enorme oedeme de la région cervicale du à une hémorragie interne abondante. Le pouls est très rapide. Aucun réflexe sensitif ou moteur ne subsistant. Le pronostic était la mort à très brève chance."

    Que faire du maquisard ? La guerre n'étant pas terminée, prodiguer des soins ou héberger un terroriste, était passible de la peine de mort. Chose surprenante, Armand Chiffre, qui avait déjà pris de gros risques, aurait sollicité le Dr Varennes afin que celui-ci allât déclarer le blessé à la préfecture. C'est d'ailleurs ce que comptait faire le docteur. Tous les deux se retranchent derrière le fait qu'Angel Carruesco n'avait aucune chance de s'en sortir. Par conséquent, le dénoncer ne lui faisait pas courir de risques, contrairement à eux. "Vu que je sortais de la prison et en liberté provisoire, arrêté par la Milice le 14 juillet et remis en liberté le 29 juillet, j'ai jugé utile de déclarer ce blessé vu qu'il était mourant, comme le disaient les docteurs", déclara M. Chiffre. Louis Raynaud assura que le Dr Varennes avait été sollicité par lui pour soigner des maquisards, mais que le médecin ne voulait l'accepter qu'à condition de déclarer les blessés en préfecture. Le lendemain matin du 10 août 1944, Angel Carruesco cessa de vivre.

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    Monument aux victimes de la grotte de Trassanel. Sur une plaque figure l'inscription suivante :

    "Ici mortellement blessé le 9 août 1944 Angel Cuaresco  fut recueilli par Chiffre Armand de Cabrespine."

    Le Dr Joutau, confrère du Dr Varennes à Caunes-Minervois, fit ressortir cette affaire après la Libération. Médecin lieutenant du CFMN puis du 173e RIA, résistant convaincu, Jourtau avait soigné clandestinement les maquisards. C'est lui qui vint en aide, dans une cabane isolée, à Rodriguez, Tahon et au tunisien Amor ben Amar. Jourtau qui avait reproché à Varennes son attitude fut convaincu de le poursuivre. Celui-ci arguant qu'il avait voulu se protéger, Jourtau répondit : "Pourquoi ? Ta peau vaut bien celle d'un maquisard." Quelques jours avant les élections municipales du 29 avril 1945 à Caunes-Minervois, le Dr Varennes figurait sur la liste d'opposition à celle de la Résistance. Le sang de Jourtau ne fit qu'un tour. Il se mit dans l'idée de faire payer à Varennes sa supposée lâcheté. Varennes finit par retirer sa candidature. Le 31 mai 1945, la plainte de Jourtau fut classée sans suite par le parquet de la Cour de justice.

    L'affaire n'en resta pas là. A son tour, le Dr Varennes attaqua le 27 juillet 1945 le Dr Jourtau pour dénonciation calomnieuse. Elle sera retirée le 4 septembre 1945. 

    Sources

    ADA / 123J110

    Journal Officiel / 8 avril 1928

    Etat-Civil

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