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Mystères et non-dits autour de Joë Bousquet et de la Résistance...

Les mémoires manuscrites du chanoine Gabriel Sarraute que je suis le seul à posséder actuellement, nous apprennent des choses extrêmement intéressantes. En particulier, les relations qu’il avait pu établir avec le poète Joë Bousquet et ses amis. Certes, me direz-vous, le chanoine a publié un ouvrage à ce sujet : « La contrition de Joë Bousquet ».  Vous avez raison ; en partie cependant, car s’il est exact que Gabriel Sarraute s’est servi de ses notes afin d’écrire son livre, c’est seulement pour démontrer que Bousquet avait accepté de mourir en chrétien. Or, les révélations contenues dans le manuscrit de Sarraute dépassent le cadre religieux. Elles s’attardent au jour le jour sur les aspects de la personnalité du poète, ses relations, ses tableaux… Elles nous renseignent sur les relations parfois tourmentées avec des gens, comme René Nelli, qui n’ont jamais été idylliques. Elles révèlent les hypocrisies qui ont entouré Joë Bousquet après sa mort, pour ne laisser apparaître qu’une vision idéaliste du poète et de ses amis. On a créé une icône… Dans quels buts ?

Les tableaux

Il est de notoriété publique que Joë Bousquet possédait depuis son lit une passion démesurée pour la peinture. Bénéficiaire d’une petite pension d’invalidité pour faits de guerre, il achetait régulièrement des tableaux de peintres méconnus et conseillait régulièrement ses amis sur les acquisitions qu’ils devraient faire. Durant l’Occupation, il trouva même une plaque pour ces artistes persécutés réfugiés à Carcassonne et les aida à survivre en les faisant portraiturer la bourgeoisie Carcassonnaise. Ce fut le cas par exemple pour Hans Bellmer qui fit des portraits pour pas grand chose, mais qui aujourd’hui valent plusieurs milliers d’euros. Comme tout collectionneur, Bousquet achetait puis revendait pour étendre sa collection à de plus belles pièces. C’est ainsi qu’il décela avant tout le monde, que la côte de la peinture surréaliste dépasserait bientôt toutes les espérances. Le poète fit quelques bonnes affaires, comme le relate Gabriel Sarraute le 23 août 1945 : « Bousquet a vendu le Kisling (femme aux yeux très désymétrique et aux gros doigts, peints avec application) qu’il avait mis dans le vestibule de sa mère. Il avait acheté 880 francs. Il l’a vendu 58 000. »

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La forêt blonde / Max Ernst

On apprend que René Nelli possédait dans son bureau de la rue Antoine Marty, un Goya : « On aperçoit les voûtes de quelque bouge espagnol. Espagnol car il y a une femme vêtue à l’espagnole, aux pantalons rouges, et peut-être aussi un écossais. Ces personnages surgissent de l’ombre. » Il y aussi un André Masson qui était chez Bousquet : « Des buveurs, vue cavalière, en gris. C’est presque glauque. » Un Max Ernst : « De longs troncs d’arbre ou bambous de couleur terne.

Nos meilleurs faux amis

Juste après la guerre, René Nelli devint conservateur du Musée des Beaux-arts. Dans les années 1950, il voulut rassembler dans une salle du musée, les tableaux ayant appartenus à Bousquet. Il s’agissait pour Nelli d’obtenir des amis de Bousquet qu’ils acceptent de mettre en dépôt les tableaux que le poète leur avait donnés et ceux qu’ils avaient acquis grâce à lui. Le 12 janvier 1951, le chanoirn Sarraute écrit : « Bousquet qui avait quelque perversité a voulu donner à Jean-Baptiste Fourès, des tableaux que celui-ci méprisait journellement, pour le forcer à les avoir en tête toute sa vie, pour l’Emm… C’est un mélange de rosserie et de tendresse. Il ne cédera pas ses tableaux (Quatre, je crois, dont un Max Ernst et un Fautrier). » Doit-on comprendre que l’ami Fourès qui détestait les tableaux donnés par Bousquet, refusa de les prêter au musée pour lui rendre hommage ?

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Le poète Jean Lebrau au centre

Le 20 février, Gabriel Sarraute rencontre le poète Jean Lebrau : « Les anciens amis de Bousquet ne peuvent se sentir. Nelli que Bousquet a tant critiqué lors de ses achats pour le musée qu’il n’osait plus y aller (chez Bousquet) ; et qui maintenant se prétend son seul interprète. » Jean Lebrau qui s’était montré également agacé par un article de Nelli au sujet de Bousquet, venait de répliquer dans une tribune parue sur l’Indépendant. Sarraute dit à ce sujet : « Il me raconte comment il a fait un article sur Bousquet dans l’Indépendant pour protester contre celui de Nelli (le plus athée des poètes et marxiste). Il a depuis rencontré Nelli, furieux, qui lui a dit sur Bousquet tout le mal possible, des choses qu’il ne peut pas me répéter. Il a mis Bousquet sur un fumier : « Je crois en Dieu, a t-il dit, Bousquet n’y croyait pas. C’était un homme satanique. » Mais Nelli ne veut pas répondre, car J-B Fourès promet lui aussi d’intervenir si Nelli faisait un article. »

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Collection Bousquet au musée de Carcassonne

Nelli réussit tout de même à installer des tableaux provenant de la collection de Bousquet dans une des salles du musée des Beaux-arts, mais à la fin des années 60 tous les prêteurs sont venus reprendre leurs toiles. Au moment où la côte des surréalistes montait, chacun les vendit aux enchères à Paris. La collection était dispersée à jamais, contrairement au voeu testamentaire de Joë Bousquet…

La mort de Joë Bousquet

Le 28 septembre 1950, le poète s’éteignit à Carcassonne : « Bousquet est étendu sur le drap de son lit, avec une chemise blanche qui n’arrive pas aux genoux. Il a la tête penchée sur sa droite, les bras le long du corps, les jambes et les pieds nus moins maigres que je ne croyais, mais les orteils repliés. Il ressemble à un soldat tombé sur un champ de bataille. A côté du lit, sa sœur et plusieurs personnes […] Inondation d’encre dans tous les journaux. Surtout un regrettable article de Cabanne qui semble vouloir attirer l’attention sur Cabanne lui-même. »

Le 30 septembre, sous la pluie les funérailles. Beaucoup de monde et de fleurs dans l’escalier, dans la chambre : « Le Dr Soum me dit : « Il a pu faire quelques scandale dans sa jeunesse. Il a réparé. » Le cercueil est dans l’escalier. Suivi le cortège avec Devèze. Sur tout le parcours, grande foule. A l’église, non loin de moi J-B Fourès. La messe, dite par M. le curé, est très pieuse, très recueillie. A la fin, on porte le cercueil sous l’orgue. Là, trois discours que je n’ai pas entendus : Signoles, Nelli et le maire Itard-Longueville. Un fourgon emporte le cercueil à Villalier, la sépulture au carré militaire ayant été refusée. »

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La tombe de Joe Bousquet à Villalier

Gabriel Sarraute nous apprend qu’on refusa à cet ancien de la Grande guerre, d’être inhumé au carré militaire du cimetière Saint-Michel. C’est la raison pour laquelle, la famille le mit en terre dans le village où elle possédait une demeure ; l’ancienne résidence des évêques de l’Aude.

Coincidences ou non ?

Le 18 mars 1946, le chanoine Gabriel Sarraute rédige une lettre à Monsieur Lacroix à Toulouse. Dans ce courrier, une phrase doit retenir particulièrement notre attention : « Nous avons à Carcassonne des nouveaux riches qui achètent des tableaux ridicules sans compter les billets de mille. » Quels sont ces tableaux ridicules ? Il s’agit des peintures d’artistes surréalistes exposées chez Bousquet et que Sarraute déteste au plus haut point. Quels sont ces nouveaux riches ? La question embarrasse car nous sommes un an à peine après la Libération. Elle convient plutôt à nous demander : Comment se sont-ils enrichis puisque leur fortune est récente ? Le marché noir… Non, j’ai sous le coude une idée plus affinée. En consultant, les archives du financement de la Résistance locale… Quand on a instruit l’affaire Charpentier et celle du suicide suspect du Dr Marcel Cannac, on a détruit ces documents. Toutefois, l’inspecteur en charge de l’enquête en avait conservé les pelures et son fils me les a transmises. Heureusement, cet officier de police judiciaire n’était pas Carcassonnais… Quand on étudie le manuscrit de Sarraute dans lequel il évoque les amis de Bousquet et que l’on fait des recoupements avec les archives dont je viens de parler, on s’aperçoit de plusieurs faits troublants. Le premier et non des moindres, fait ressortir les mêmes personnages autour de Bousquet dans tous ces dossiers : Financement de la Résistance locale, Charpentier, Dr Cannac.

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Jean Bringer

Le chef de la Résistance Jean Bringer s’était mis en quête de rechercher les coupables qui avaient dérobé de l’argent parachuté destiné aux maquis. Contrairement à l’imagerie populaire, il ne s’agissait pas de billets de banque, mais de bons du trésor de la banque d’Alger. Afin de convertir ces bons en liquidités, il fallait d’abord trouver un directeur de banque complice. Ce dernier se chargeait ensuite de trouver un client fortuné acceptant de prêter l’équivalent en billets de banque à un taux d’usure défini remboursable après la guerre. Au moment où Jean Bringer sollicite ce prêt nous sommes en juin 1944 ; le prêteur ne prend pas beaucoup de risques sur l’issue de la guerre. Ce n’est le chef de la Résistance qui a pris des risques ; ce sont ses intermédiaires qui l’ont trahi. Enfin, selon la démonstration que j’en fait. Comment ?

Bringer demande au lieutenant James D, ami personnel de Bousquet, de lui trouver un banquier sûr pour l’opération. Celui-ci contacte son ami Maître L, un proche également de Joë Bousquet. L’avoué fait passer les bons du trésor au patron de la B.N.C (Banque Nationale du Commerce) qui se trouvait dans la rue de la Préfecture - ancien siège de la B.N.P. L’argent ainsi débloqué revient entre les mains de l’homme de loi qui remet la somme à James D. Qu’est devenu cet argent ? C’est la question que se pose Jean Bringer, qui, l’ayant peut-être découvert sera dénoncé par des résistants véreux et envoyé à la mort à Baudrigues le 19 août 1944.

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Capitaine Charpentier alias Noël Blanc

Pourquoi a t-on assassiné le capitaine Charpentier ? L’envoyé d’Alger pour les parachutages devait être au courant. Joë Bousquet était chargé de lui fournir des faux-papiers via la préfecture de l’Aude… En savait-il trop et allait-il balancer tout le monde ce 4 septembre 1944 ?

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Le Dr Marcel Cannac

Pourquoi a t-on suicidé le Dr Cannac ? Ce médecin en savait trop… Dans ces trois affaires, on retrouvent les mêmes protagonistes qui fréquentaient de près la chambre du poète. A savoir, le pharmacien qui a fourni la Strycnine, le médecin qui a fait les piqûres à Cannac, l’avoué, le transporteur, etc. On a oublié une quatrième victime… Monsieur Rouzaud-Roche, patron de la Belle jardinière, empoisonné dans des circonstances obscures. C’était, ni plus ni moins, le trésorier de la Résistance locale.

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Si seulement ces deux bons d'un million de francs signés de la main de Bringer (Myriel) pouvaient parler... Il nous enlèveraient l'ombre d'un doute.

Sources

Notes manuscrites du chanoine Sarraute

Archives privées / Finacement de la Résistance Carcassonnaise

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Commentaires

  • quel article formidable , encore une fois !! comme on aimerait savoir la vérité sur cette triste période !!! celà pose la question du choix de ses amis - peut etre joé bousquet n'avait pas le choix puisque cloué dans son lit et des requins tournaient autour de lui - faces de traitres !
    et ces jeunes gens qui ont laissé leur vie en défendant la liberté de nous tous ----
    comme elle est laide parfois l'ame humaine ---

  • Martial,
    Quel bel article démontrant « par des faits factuels et vérifiés » la cupidité de l’homme dans la difficulté et l’appât de la vanité personnelle au détriment de l’homme pour sa liberté.
    Ne vivons nous pas encore ses temps où la difficulté nous rend une vision très étroite et complètement en inadéquation du discernement....
    Encore merci

  • Ma mère parlait parfois de l'assassinat du Dr Cannac... J'étais en classe avec le fils de "Myriel", décédé lui aussi.
    Il y avait aussi un autre médecin, Delteil me semble t-il qui était mêlé à l'affaire Cannac (ce dernier aurait été assassiné dans sa clinique), et dont vous ne parlez pas. Tout cela est bien glauque. Les magouilles, les mensonges, les trahisons, la méchanceté existent au sein des familles. Alors, dans la vie et pendant les guerres l'homme montre son vrai visage et ce sont souvent les voyous qui s'en sortent. Beaucoup de personnes aiment vivre en eau trouble? Merci Martial On vous suit toujours avec passion.

  • bonjour, passionnant, très bon article, cordialement

  • Toujours très passionnant.
    Rien n’a changé, l’argent mène le monde, les meilleurs amis sont les pires ennemis,
    Un grand merci pour vos recherches

  • On nous+ dit : " Tout ça, c'est de l'histoire ancienne ! "
    Eh bien non ! Il faut savoir, connaître justement. Et éventuellement informer, rappeler, et mettre à l'index !
    Jaurès disait : " Le courage c'est de chercher la vérité et de la dire..." : c'est l'une des missions de l'historien. C'est ce que fait M. Martial Andrieu : il faut lui être reconnaissant pour ses patientes recherches, souvent fructueuses. Sa dernière chronique est remarquable.
    Merci M. Andrieu !

  • La mort du docteur M. Cannac a toujours été une histoire très délicate dans notre famille, ma mère Simone Cannac n'a jamais pu faire face à la mort de son père et à toute la procédure qui l'entoure.
    On vous a dit que votre père, qu'elle aimait, avait une maîtresse et tout l'impact du procès, en particulier l'amnistie des auteurs, a laissé des blessures très profondes.
    Ma grand-mère n'est plus redevenue la même personne et est morte seule à Paris.
    Dans les années qui ont suivi la mort de son père, ma mère a épousé un homme hollandais, qui avait également fui son pays en raison de traumatismes de guerre.
    La haine des auteurs est toujours restée, mais on craignait aussi qu'ils nous blessent et nous ne sommes jamais revenus à Carcassonne en famille.
    Je suis heureux de lire cette histoire ici et j'espère que la vérité sera un jour découverte.

  • Bonjour Cher Monsieur

    Relisant la préface de Joë Bousquet à un recueil de poésies de ma mère, "Les colonnes de l'âme", la curiosité m'a poussé à faire quelques recherches et je suis tombé sur votre intéressant article.

    Le nom de Françoise d'Eaubonne, vous évoquerai-t-il quelque chose ? Celle qui deviendra l'autrice de 100 livres publiés et léguera trois mots à la tangue française était pour l'heure une jeune femme toulousaine de 20 ans, elle aussi engagée dans la résistance, et nous manquons beaucoup de traces de ces années là.

    Aussi, la moindre mention pourrait nous être fort utile, et nombre de personnes qui travaillent sur sa vie et son œuvre vous remercierait de nous permettre de faire avancer la recherche.

    En vous remerciant pour votre travail de qualité, je reste à votre disposition pour toute question. Bien cordialement,

    Vincent d'Eaubonne

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