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Exclusif ! Un ancien adjudant allemand présent à Trassanel en août 44 témoigne

Les violences commises dans le département de l’Aude par les anciens membres de la 5e compagnie du Landeschützenregiment der luftwaffe Lisieux firent l’objet de recherches comme crimes de guerre dès 1948. Plusieurs de ces responsables furent poursuivis et même interrogés.

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© D. Mallen

Photographie d'illustration

Le procureur de la République de Lübeck lança une enquête contre le Lieutenant Heinz Mathaüs et les autres soldats de la compagnie qui sema la terreur à Trassanel, Lairière, Ribaute, Villebazy, etc. Le parquet de Düsseldorf en fit de même contre le capitaine commandant la 5e compagnie, Josef Nordstern ; la procédure s’acheva avec la mort de ce dernier. Mis à part l’adjudant Blass dont nous donnons le témoignage concernant le massacre de Trassanel, aucun autre sous-officier ou officier ne voulut reconnaître les faits. A les entendre, ils n’ont pas donné d’ordres, n’ont pas tiré ou bien étaient absents au moment des faits. Le seul témoignage de l’adjudant Blass révéla que la tragédie de Trassanel avait été exécutée par Heinz Mathaüs et  Alfred Schmidt sur ordre du capitaine Josef Nordstern. Les conclusions de la procédure affirment le 22 avril 1963 que « Rien n’indique non plus que les exécutions aient été cruelles. Aucune des personnes interrogées n’a parlé d’une procédure particulièrement brutale et impitoyable. Seul celui qui inflige cruellement douleur et agonie à sa victime par une attitude insensible et sans pitié, tue cruellement. Il faut ajouter à cela que le fait d’infliger des douleurs corporelles particulières ou des souffrances psychologiques est dû à un comportement insensible de la part du coupable. Un tel élément ne peut être constaté ici. Etant donné que les caractéristiques des meurtres d’après l’article 211 SrGB ne sont pas réunies, elles pourraient tout au plus être considérés comme un homicide volontaire d’après l’article 212 StGB. Toutefois, il n’est pas possible de procéder à un examen plus approfondi, étant donné que l’homicide volontaire ne pourrait plus être poursuivi en raison de la prescription depuis l’article 67StGB. En vertu de l’article 67 StGB, le délai de prescription pour les homicides est de 15 ans. Il a commencé à courir à la fin du 8 mai 1945, date à laquelle la prescription était suspendue. Il n’y a pas d’acte juridiquement susceptible d’interrompre la prescription et les poursuites sont donc prescrites le 8 mai 1960. »

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© David Mallen

Photographie d'illustration

Nous avons retrouvé l’ensemble de ces archives en Allemagne et nous les avons traduites. C’est donc aujourd’hui, une version inédite du massacre vécu et rapporté par l’un des membres de la compagnie présent ce jour-là à Trassanel, que nous vous livrons. Le seul a avoir reconnu la responsabilité de ses chefs la manière ignoble avec laquelle les maquisards ont été assassinés.

"Nous avons d’abord ratissé une zone forestière et capturé un sous-lieutenant français. Si je me souviens bien, Schmidt, l’adjudant principal, a demandé à ce sous-lieutenant où étaient cachés les résistants. Un refus ou une fausse information et il serait exécuté. On lui avait promis la vie sauve, et ce sous-lieutenant nous a conduit à la cachette des résistants. Nous avons rencontré environ 80 à 90 résistants équipés d’armes anglaises les plus modernes. Il y a eu une fusillade qui a fait environ 13 morts et 30 blessés. Le reste des résistants s’est rendu et nous avons arrêté de tirer. J'étais alors simple soldat et le lieutenant Matthäus m'a donné l'ordre de compter les morts et les blessés. Ensuite, l’adjudant-chef Schmidt a ordonné d’exécuter une trentaine de blessés en leur tirant une balle dans la nuque. L’adjudant-chef avec deux autres soldats ont tiré sur les blessés. Le massacre a été commis par l’adjudant-chef et les deux soldats, seulement après que la compagnie et les prisonniers eurent repris leur chemin en direction du village où nos véhicules nous attendaient. On entendait encore ici les coups de feu. Les morts ont été laissés sans être enterrés. Je pense que le donneur d’ordres et le responsable est le capitaine Nordstern. C’était le plus haut gradé de notre compagnie et il était le seul à pouvoir donner l’ordre de tuer. Je ne sais pas aujourd'hui si le capitaine Nordstern a regardé la fusillade. J’étais de ceux qui se dirigeait vers le village voisin et je n’ai pas participé au massacre. Je n'ai pas cherché à comprendre après l’exécution.

Avez-vous entendu le lieutenant Matthäus donner l’ordre à l’adjudant Schmidt de tirer ?

Oui, je me suis approché de très près et je m’en souviens encore aujourd’hui.Les prisonniers restants, il y avait environ 40 hommes, ont reçu l'ordre de porter les armes capturées, y compris les munitions, sur le chemin du retour vers le village où se trouvaient nos véhicules.  Après notre arrivée dans ce village mentionné dont je ne me souviens plus le nom, -c’était dans une région viticole - les prisonniers étaient plutôt épuisés. Parmi eux se trouvait le sous-lieutenant français qui nous avait montré la position des partisans. Ils ont demandé à boire de l’eau parce qu’il faisait très chaud ce jour-là. L’adjudant principal Schmidt a interdit au prisonnier de boire de l’eau en déclarant que cela n’était plus nécessaire, car ils allaient mourir. Le capitaine Nordstern a donné l’ordre au lieutenant Matthäus de conduire les prisonniers et de les abattre sur place. Six à huit soldats, dont moi-même, sous les ordres du lieutenant Matthäus, ont conduit les prisonniers en colonne depuis le village. Après 600 mètres, près d’une colline, on s’est arrêté. Ensuite, les prisonniers ont dû se mettre sur le chemin latéral de la vigne où ils étaient arrivés. Ils ont dû faire demi-tour et se sont retrouvés dans trois rangées consécutives face à l’ordre d’exécution. Un soldat, dont je ne me souviens plus aujourd’hui, a été chargé de se tenir en position avec une mitrailleuse légère et de procéder à l’exécution. Les autres, dont moi, étaient équipés de mitrailleuses et avaient pour mission de tirer sur les fugitifs. Avant l’ouverture du feu, le lieutenant Matthäus a dit aux prisonniers français : Messieurs, c’est fini.

Ensuite, les prisonniers français se sont approchés et ont demandé grâce en français et que ceux-ci voulaient travailler en Allemagne. Malgré cela, Matthäus a donné l’ordre d’exécution. Cette fin fut si cruelle que ces gens ont été tués comme des animaux. Ils ont presque tous reçus de longs tirs et ont été littéralement noyés dans leur propre sang. Par la suite, les prisonniers gravement blessés furent achevés avec un Luger P08. Je ne sais plus qui l’a fait. J’ai été tellement ému que je n’ai pas pu regarder et, pour cette raison, je ne peux pas dire qui, parmi le peloton de l’escorte et de la fusillade, a tiré sur la tête. Je voudrais faire remarquer, qu’avant la fusillade, le soldat à la mitrailleuse ne voulait pas exécuter l’ordre .Il a fallu environ deux minutes et une demande répétée du lieutenant Matthäus pour que ce soldat exécute l’ordre. Le nom de ce soldat, je n’ai plus aujourd’hui. J’étais moi-même à droite du mitrailleur. Après les premiers coups de feu, une partie des prisonniers a essayé de s’évader et de s’enfuir. Ensuite, le peloton d’escorte a ouvert le feu avec ses mitrailleuses. J’ai tiré aussi, pas sur les prisonniers, mais dans les airs. Je pense que j'étais le seul à ne pas avoir tiré sur les prisonniers. Environ 4 à 5 de ces prisonniers se sont échappés dans les vignes. Ces morts non plus, n'ont pas été enterrés et sont restés comme ils étaient tombés. 

Nous avons ensuite marché jusqu’au village, montés dans nos véhicules et nous sommes partis vers Carcassonne. Le lieutenant Matthäus a informé le capitaine Nordstern que l’exécution avait été effectuée. Le soir même, à la cantine de Carcassonne, le capitaine Nordstern célébrait sa victoire sur les résistants et leur exécution. À cette occasion, j’ai échangé des mots avec le capitaine Nordstern. J’ai dit au capitaine Nordstern : "Vous vous prenez pour un héros, même si c’est la pire boucherie que j’ai jamais vu. » J’ai quitté la fête sans boire. Le capitaine Nordstern, le lieutenant Matthäus et l’adjudant principal Schmidt ont organisé cette nuit-là une vraie soirée de beuverie."

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© Le Maitron

La grotte des maquisards

Ces interrogatoires jusqu’à aujourd’hui ignorés et jamais publiés permettent d’avoir une version du côté de l’ennemi. Contrairement à ce qu’a écrit Félix Roquefort dans son livre « Ils sont entrés dans la légende », les maquisards n’ont pas été achevés à coup de baïonnettes dans la grotte. Un témoignage qui n’a pu que lui être rapporté, puisque le frère de Pierre et Christophe ne s’y trouvait pas. Vous me direz, à juste titre, que cela n’enlève rien au caractère criminel de cette affaire. Les Allemands ont-il permis aux maquisards de boire à la fontaine de Trassanel, comme certains l’ont dit ? Enfin, dans quelles conditions certains maquisards ont pu s’enfuir par les vignes sans être tués ? Nous avons publié les noms de ces uniques rescapés (Valéro, Amor, Gonzalez, Demercier, Doutre) identifiés par la gendarmerie. Seuls Bouisset et Tahon reçurent le coup de grâce et s’en sortirent ; leurs témoignages ne sauraient être remis en cause.

Les Allemands ont capturé Pierre Roquefort, Léon Juste, Jean Hiot, Munaretto, Chiocca et Gaby Gérard. Les trois premiers périront à Baudrigues le 19 août 1944 ; les autres seront relâchés le même jour et formuleront des prétextes assez suspects. Munaretto sera acquitté. Chiocca sera  au Comité départemental de Libération et engagé ensuite comme secrétaire du député-maire communiste de Marseille. Gaby Gérard, fera partie de la Cour martiale qui jugera les Miliciens en septembre 44. Encore aujourd’hui, rien n’explique la libération de ces hommes avec Emile Delteil, quand leurs frères d’armes furent lâchement massacrés à Baudrigues. Nous avons bien une idée…

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Commentaires

  • Merci pour ce récit qui en dit long.....
    Mais quelle horreur!!!!

  • Merci Martial pour ce témoignage de conscience de ce soldat plus probant que des récits transformés....ou racontés 3 fois par des non témoins.
    La barbarie humaine pour une idéologie extrémiste ....à quelques jours seulement de la libération de Carcassonne, sans doute aidée par des partisans locaux, infiltrés et renseignés ...

    Quelle Tristesse.....
    Soyons vigilants ...

  • bonjour, encore bravo pour vos recherches qui éclaire notre histoire locale, cordialement

  • Très bien ce témoignage. On notera la beuverie organisée dans la soirée, comme si l'alcool pouvait faire oublier les images. Si cet adjudant a vraiment eu ses mots envers le capitaine, il a eu du cran.

  • comme toujours votre travail de recherche est très passionnant sur cette
    période noire de notre histoire

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