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  • La rafle et la spoliation des juifs de l'Aude à Rennes-les-Bains

    © La rafle / Gaumont / 2010

    Le département de l'Aude n'a pas échappé pendant le seconde guerre mondiale avec le concours de l’État Français à la rafle, la spoliation et la déportation de la communauté israélite. Nous avons découvert auprès d'archives comment ceci se serait déroulé. Afin de témoigner pour l'histoire, nous avons décidé de relater ces faits mais toujours en écartant les noms des personnes mises en cause, considérant que les familles descendantes ne peuvent en être tenues pour responsables. Il appartient à chacun d'entre-nous d'analyser cette situation avec la plus grande pondération, concernant des évènements survenus voilà maintenant près de 70 ans.

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    Rennes-les-bains, août 1943...

    Les juifs de l'Aude avaient été placés en résidence forcée à Rennes-les-bains. Ils étaient en famille près de deux cents. La veille de la déportation au mois d'août, le commissaire aux questions juives de Carcassonne donna sa parole d'honneur que rien ne serait fait contre eux. Ils restèrent donc tranquillement chez eux. Le lendemain, les Groupes Mobiles de Réserve et la police secrète de Carcassonne encerclèrent le village, prirent les femmes et les enfants; même ceux dont le docteur de Rennes-les-bains avait récusé tout transport pour cause de maladie. Ils furent placés ensuite au camp de concentration de Rivesaltes. Cette arrestation aurait été dirigée avec brutalité par le secrétaire de la Préfecture et l'officier des GMR.

    "En août 1942, je me trouvé à Rennes-les-Bains où quelques 200 juifs vivaient en résidence forcée. Le 25 août 1942, un bruit persistant courait dans le village que les juifs allaient être arrêtés pendant la nuit, pour être déportés en destination inconnue. L'apparition de ce fonctionnaire poussait l'inquiétude de la population à son paroxysme. Quelques juifs, qui connaissaient M. Durot, l'interrogèrent à plusieurs reprises, si ce bruit était fondé. Mais M. Durot répondait à chacun de ses interlocuteurs : "Ne vous faites pas de mauvais sang, il n'y a absolument rien de vrai dans ces bobards. Dormez tranquillement." Dans la même nuit, le 25 août 1942, à 3 heures, ce même M. Durot dirigeait personnellement les arrestations de la plupart des juifs de Rennes-les-Bains." (M. Paul Fraenkel / 6 février 1945)

    Source : 123J95 / ADA 11

    Le ravitaillement des juifs est allé directement à la distribution pour la population et les objets personnels des familles furent vendus aux enchères à Limoux par un huissier: draps, manteaux, fourrures, argenterie, habits, vaisselle, cuisinière...etc.

    Témoignage de Jack et Oscar Wolher

    Lettre du 4 décembre 1944...

    Réfugiés de Paris, au début de la guerre chez nos parents à Carcassonne, l'un de nous deux, Jack, fut mobilisé et Oscar, réformé pour maladie de cœur. Oscar essaya de s'engager et fut toujours maintenu réformé. Après cinq ans de demande, d'engagement volontaire, ne réussit pour son opiniâtreté à vouloir faire son devoir, qu'à recevoir les compliments du médecin major mais sans être prit. Il alla travailler en qualité de manœuvre, dans l'usine de masque à gaz Talmier. Jack après avoir servi comme combattant, à l'armistice fut démobilisé, ainsi qu'Oscar de son usine. Tout deux essayèrent alors de pouvoir travailler, et leurs métiers étant la couture décidèrent de créer un commerce de fabrication de chemisiers pour femmes. La soierie n'était pas à l'époque soumise au contingentement. Ils demandèrent donc aux services de la préfecture une autorisation de création de commerces en qualité de fabriquant (aucun commerce de genre n'existait à Carcassonne).

    Environ trois mois après cette demande, la préfecture nous répondit que notre demande n'était pas claire. En ce sens, qu'habitant chez nos parents, où notre père exerçait la profession d'artisan tailleur patenté, on ne savait pas si c'était nous qui faisions une demande ou si notre père demandait une extension. La préfecture nous conseillait de prendre une adresse distincte et de refaire une nouvelle demande. De suite nous trouvons un local que l'on aménagea en atelier, et nous faisons une nouvelle demande sans penser que celle-ci pourrait nous être refusée étant français, sans casier judiciaire. Voulant savoir si nous avions une chance de réussir dans nos projets, nous fabriquâmes quelques modèles que nous allâmes soumettre aux différents commerçants vendant cet article. Tous furent séduits, tant par la fabrication que par le prix. Ils passèrent commande, nous leur indiquâmes que n'ayant pas encore d'autorisation nous ne pouvions pas livrer. Quelques temps passèrent encore; la préfecture nous disant toujours d'attendre. Les clients vinrent nous voir afin de leur vendre des corsages. Vu leurs insistances, nous livrâmes quelques commandes avec facture. Après quelques mois de cette activité, et sûrement sur dénonciation de quelques jaloux, nous fûmes arrêtés. Condamnés à six mois de prison, 250 000 francs d'amende, 40 000 francs au fisc, saisie des marchandises qui nous appartenaient pour un chiffre d'affaire  de 170 000 francs qu'indiquait notre comptabilité.

    Un pareil jugement n'aurait jamais été rendu si nous n'avions pas été juifs. Nous fûmes une des premières victimes du régime de Vichy. Comment admettre qu'ayant fait 170 000 francs d'affaires, nous puissions être condamnés à payer le double?

    Au procès, un des inspecteurs du contrôle économique, antisémite notoire, essaya de prouver qu'une marchandise achetée 24 francs avec facture, valait 19 francs en 1939 et qu'évidemment nos prix de revient étant fait d'après le prix d'achat (c'est à dire 34 francs pour cet exemple), nous taxait de hausse illicite. Avec preuve à l'appui, nous prouvâmes le métrage qu'il fallait pour faire un corsage, preuves que nous recueillîmes de la Chambre des métiers. Cet homme, ne connaissant rien au métier ne voulut pas s'incliner et que nous comptions trop de tissu. Le tribunal l'écouta. Devons-nous préciser que notre origine était un sérieux handicap? Notre avocat nous conseilla de faire appel, mais craignant tellement les rigueurs de la cour, nous n'osâmes l'aborder et fîmes nos six mois de prison. Nos parents payèrent afin d'éviter encore la contrainte, la somme de 20 000 francs pour nous permettre de sortir notre temps de peine une fois expiré. Ensuite, tous les mois nos parents versaient de fortes sommes sur l'amende jusqu'en mai 1944. Le 18 mai 1944, nos parents furent pris par la Gestapo à leur domicile et déportés. Nous n'avons jamais su où et nous sommes sans nouvelles. Actuellement, ruiné au point de ne pas même avoir une chemise à soi, nous avons été obligé de nous adresser au secours social afin de nous habiller. L'appartement de nos parents ayant été entièrement pillé, sans travail rémunérateur, les contributions nous réclament le reliquat de ce qui reste à payer sur l'amende (200 000 francs) et nous menace de prison. Le fisc veut saisir ce que ne n'avons même pas...

    Après avoir purgé notre temps de prison, Oscar trouve une place de représentant pour une maison de Toulouse. Il fit une demande de carte professionnelle, mais la mairie lui refusa un certificat de bonne vie et de mœurs qui était nécessaire pour l'obtention de la carte. De nombreuses et veines démarches furent tentées, et Carcassonne n'offrant aucun débouché pour travailler, il partit pour Toulouse où il put trouver du travail. Mais un jour la police nationale, lui ayant demandé dans la rue ses papiers, il lui fut dit quoi qu'ayant fait son changement de résidence, qu'étant de Carcassonne il devait y retourner, après lui avoir imparti un délai de 3 à 4 jours.

    C'est alors qu'il rencontra une de ses anciennes connaissances; un important commerçant juif de Paris avec qui avant la guerre il était en rapports commerciaux. Celui-ci lui ayant fait part de son désir de quitter la France, voulait réaliser de l'argent liquide en vendant son lingot de 1 kg. Oscar ayant répondu qu'il n'était pas au courant de ce genre d'affaire, celui-ci insista arguant n'avoir confiance qu'en lui. Il lui remit le lingot et la promesse de 10% sur la vente. Oscar laissa le lingot dans une chambre qu'il avait louée à Toulouse et repartit pour Carcassonne. Quelques temps après, un boucher de la ville, client chez notre père, vint trouver Oscar lui disant chercher de l'or pour un de ses oncles. Sans méfiance, tous partirent pour Toulouse où Oscar remit ce lingot au boucher qui devait faire la transaction et ramener l'argent. Or c'était un traquenard; l'oncle était un policier qui arrêta Oscar. L'enquête révéla que le lingot était faux, mais ni Oscar, ni celui qui le lui avait confié ne le savaient. Le boucher ne fut pas inquiété mais Oscar fut condamné à 18 mois de prison. L'avocat lui conseilla de faire appel tellement une pareille sentence lui paraissait monstrueuse et disproportionnée avec lui faits. Le seul résultat fut d'être maintenu, plus une amende de 20 000 francs.

    Le 8 mai 1944, Oscar fut libéré et revint chez ses parents, où il n'eut pas la joie d'être longtemps près d'eux. Dix jours après, ceux-ci étaient pris par la Gestapo. Oscar eut la chance de ne pas être présent à ce moment-là. il partit pour Toulouse où il réussit à se cacher en travaillant dans une usine de métaux qu'il quittait le 19 août pour prendre les armes et participer à la libération de Toulouse. Il resta dans la résistance jusqu'à début novembre, où une maison de gros le demanda pour l'employer dans des conditions excellentes. Il fit de nouveau une demande de carte professionnelle qui lui fut encore refusée.

    Il demanda alors à la préfecture s'il pouvait ouvrir à nouveau la maison de son père. Il lui fut répondu que non; le fond ne lui appartenant pas c'était une demande création qu'il devait faire. Comme actuellement toutes sont refusées, c'est encore un refus de pouvoir travailler. Sur le conseil d'un avoué, il se fit nommé par un jugement du tribunal civil en date du 8 novembre 1944, administrateur du fond en l'absence de son père. Il ouvrit dans des conditions très difficiles (sans tissus, sans fournitures, sans fils) et les contributions directes réclamant les impôts de son père...

    Dans les dernières semaines de novembre, il apprit que le service des domaines cherchait quelqu'un de qualifié pour faire office de gérant dans une maison de couture, abandonnée par ses propriétaires miliciens en fuite. Il fit une demande au directeur des domaines expliquant son cas, spécifiant que la maison de son père ayant été gérée par un administrateur nommé par Vichy, qu'il avait subi la plus grande perte en la personne de ses parents, deux fois la liberté, les amendes, ses biens saisis...etc. Celui-ci donna son accord de principe et soumit cette demande au Comité De Libération qui au lieu de comprendre et d'aider un homme, un français, à se relever répondit NON une fois encore.

    Hier, les contributions, le percepteur lui ordonnent de payer et agitent, l'un la menace de saisie (quelle ironie, il n'y a plus rien), l'autre la prison.

    Si pour la libération, Oscar avait été tué, peut-être l'aurait-on reconnu comme un héros. Un vrai patriote français! Il aurait pu être décoré et honoré avec sa mort. La France le rejette, le traite en paria et lui fait comprendre qu'un homme est juste bon à faire un contribuable bien vivant, ou un héros bien mort...

    Jack et Oscar Wohler

    9, rue A. Ramond

    Carcassonne

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