Mercedes Nunez Targa, connue sous le faux nom de Paquita Colomer, est l'une des rares femmes de la résistance à avoir témoigné contre l'agent de la Gestapo René Bach lors de son procès le 27 juillet 1945. Née le 16 janvier 1911 à Barcelone dans une famille bourgeoise, elle va rompre avec les idées conservatrices de ses parents en défendant les valeurs de la République, proclamée le 14 avril 1931. En 1934, elle devient la secrétaire du poète et écrivain Pablo Néruda alors consul du Chili à Barcelone. Après avoir adhéré à de nombreuses associations féministes, progressistes ou sportives, elle s'engage aux JSU (Juventudes Socialistas Unificadas) puis au PSUC (Parti Socialiste Unifié de Catalogne). Le 18 juillet 1936, la République est remplacée par un coup d'état mené par Franco Bahamonde, c'est le début de la guerre civile espagnole. Fin janvier, le Parti communiste l'envoi en Galice à La Corogne. Placée sous surveillance, elle est arrêtée le 10 novembre 1939 puis envoyée dans la prison de femmes de Betanzos puis de la La Corogne. Enfin, le 6 mars 1940, elle se retrouve incarcérée à Madrid à la prison de Ventas. Tous les jours à l'aube, les prisonnières sont réveillées par les tirs des exécutions provenant du cimetière de l'Est. Elles peuvent connaître le nombre de fusillés en comptant les coups de grâce. Mercedes est condamnée à 12 ans de prison, mais à la suite d'une erreur administrative elle est mise en liberté surveillée le 21 janvier 1942. Elle s'évade et rejoint la France par les Pyrennées ne juillet 1942. Malheureusement, elle est dirigée vers l'ancien camp de concentration d'Argelès ou furent enfermés les espagnols pendant l'exode de 1939.
C'est à ce moment, profitant de circonstances opportunes, qu'elle rejoint la résistance française dans la 5e Brigade de guérilleros espagnols de l'Aude. Elle sera Agent de liaison sous le pseudonyme de Paquita Colomer et sera élevée au grade du Sergent FTPF (Franc-tireurs et partisans de France). Elle est inflitrée dans l'Etat-major de la Gestapo à Carcassonne et travaille dans leurs cuisines.
Mercedes alias Paquita réside au 20 de la rue Fabre d'Eglantine (quartier du Dôme). Cette maison est aussi le lieu de replis de l'Etat-major du maquis de Roullens. Le 25 mai 1944, Mercedes après avoir été dénoncée elle sera arrêtée avec 11 autres compagnons dont: Mascaro, Terrades, Mari Font, Miralles, Soriano, Juan Lopez... Amantegui réussira à s'échaper. Juste avant eux, René Bach venait d'assassiner Ballester entre Ajac et Limoux et le jeune Auguste Cathala au Bousquet. Mercedes est d'abord interrogée sans ménagement par Bach à la maison de la Gestapo, 67 route de Toulouse. Ensuite, elle sera envoyée au camp d'extermination de Ravensbrück après 11 jours dans un train à bestiaux, le 25 juin 1944. Elle y fera la connaissance de Geneviève Anthonioz-De gaulle, Lise London, Neus Catala...
Le camp est libéré le 14 avril 1945 par la 2e division d'Infanterie américaine, le jour où il était prévu qu'elle passa par la chambre à gaz en raison de la scarlatine et de la tuberculose qu'elle avait contractées. Elle arrive avec les déportés à l'hôtel Lutetia de Paris le 24 mai 1945, car Franco ne voulait pas de ces espagnols qu'il considérait comme apatrides. Hospitalisée à Bichat, elle apprend qu'à Carcassonne va se tenir le procès de son tortionnaire, le triste agent de la Gestapo René Bach. Malgré l'interdiction de voyager en raison de son état de de santé, elle se rend à Carcassonne en convoi sanitaire à l'ouverture du procès le 25 juillet 1945.
Quand elle arrive à la barre de la cour d'assise de l'Aude, Mercedes Nunez (Photo ci-dessus) a froid. Nous sommes pourtant en plein été et c'est une amie de combat, qui lui donnera une veste pour paraître décemment à ce procès. La salle est comble, les carcassonnais ont pris leur journée pour y assister. On dit même aux enfants: "Sois sage, sinon tu n'iras pas au procès". Mercedes racontera son calvaire et celui de ses compagnons d'arme avec la détermination d'une femme de convictions. Les 26 autres témoins en font de même. Parmi eux, un enfant de quinze ans que Bach a torturé pour tenter d'obtenir des aveux.
Le procès se tiendra du 25 au 30 juillet 1945 à Carcassonne. La cour était composée de: Edouard Rouvière (Président), François Pastour (Commissaire du gouvernement), Me Aimé Pagès (Avocat de la défense), Auguste Marty (Greffier). Les jurès: Yvonne Marcillac, Albert Sirven, Pierre Carbonne et Jacques Riffaud.
Le prévenu René Bach né le 11 juillet 1921 à Voellerdingen (Alsace) est seulement agé de 24 ans. Il demeure 8, avenue Pierre Curie à Carcassonne. Il s'est engagé comme traducteur dans la Gestapo de cette ville, le 1er novembre 1943. Le tribunal de Carcassonne retient contre lui près d'une centaine de chefs d'inculpation dont: La déportation des juifs de Salsigne, les meurtres de Ballester (à Ajac) et de Agnel (à Trassanel), l'assassinat d'Auguste Cathala et de Marinette Seguy (au Bousquet), sans compter les coups de matraques ou crosses, les brûlures au bout des doigts et autres brutalités. Au cours de l'audience, Bach commença à donner des noms de carcassonnais l'ayant aidé secrètement dans sa tache. Ce qui lui fit dire au Président: "Si je parlais, Carcassonne tremblerait". Finalement, il sera reconnu coupable et condamné à mort.
Amené sur le champ de tir de Romieu, il sera fusillé le 6 septembre 1945 à 6 heures par douze FFI.
Mercedes Nunez est décorée de la Légion d'honneur en 1959 puis de la Médaille militaire, de la Croix du combattant volontaire de la résistance, de la Médaille de la déportation et de l'internement pour faits de résistance, de la Croix de guerre et de la Coix du Combattant. En 1980, elle écrit son témoignage dans un livre rédigé en catalan: "El carreto dels gossos" (la charette des chiens). Il est traduit en espagnol en décembre 2011 sous le titre: "Destinado al crematorio". D'ici à cet été, il paraîtra en français chez un éditeur espagnol, car aucune maison française n'a voulu s'en charger, sous le titre "La valeur de la mémoire". Mercedes Nunez Targa est décédée le 4 août 1986 à Vigo en Galice, où elle s'était retirée après la mort de Franco. Le 7 février 2009, la ville de Vigo a inauguré une rue à son nom. Carcassonne ne devrait-elle pas en faire de même, en souvenir de tous ces espagnols venus défendre la liberté sur le sol français ?
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