Avec la disparition de Jean Lapasset à son domicile vendredi dernier, après une longue maladie, s'éteint le dernier d'une génération de cafetiers brandissant l'amitié et la serviabilité comme étendard. Le café des Négociants c'était le café Lapasset, tellement le nom de cette famille marqua de son empreinte le cœur des Carcassonnais de toutes les générations. Pour preuve, malgré la vente de l'établissement en 2008 et son changement d'enseigne, on désigne toujours l'endroit comme étant chez Lapasset. L'ancien siège de l'USC, de la boule tapageuse, des jeunes lièvres, du FAC, etc. Autant de rires, de tapes dans le dos, de bons gueuletons entre amis avec la caserne Laperrine et ses bisasses du 3e Rpima. Combien de troisièmes mi-temps, les jours de défaites comme les jours de victoires ? Combien de lotos et de canards gras gagnés ? Au-delà de la perte physique de Jeannot Lapasset, c'est toute la bibliothèque immatérielle de ce lieu qui vient de brûler. Cette richesse lui avait été léguée par son père René, en même temps que le café. Notre devoir était d'en sauver un peu la mémoire. C'est ce que je fis en 2010 quand il me reçut à son domicile, en m'ouvrant ses souvenirs photographiques. Cet homme avait à la fois la force d'un chêne et le cœur d'un poète ; c'est d'ailleurs ce qu'il y a de remarquable chez les rugbymen. Nous n'allons pas être tristes, car l'homme aux belles bacchantes avait pour habitude de les sublimer d'un sourire. Nous allons simplement rappeler l'histoire de cette famille et de ce qu'elle apporta à la vie de notre ville.
© Collection Martial Andrieu
Tout commence en 1905 avec Jean Lapasset qui après avoir quitté Paris achète les trois cafés de la place d'armes (Aujourd'hui Général de Gaulle) pour n'en faire qu'un seul. Il le baptise "Grand café des négociants" en raison des nombreux courtiers en vins de passage les jours de foire, sur le boulevard Barbès.
© Collection Martial Andrieu
Dans les années 1920, les clients et amis du café posent autour de Jean Lapasset. Le charisme du patron emporte l'adhésion des clients. Ce sont des négociants en vins qui les jours de foires, finalisent leurs affaires autour du zinc.
© Collection Martial Andrieu
Jean Lapasset passe ensuite la main à son fils unique René en 1930, surnommé amicalement "Luigi". Ce dernier fit les beaux jours d'une ASC qui jouait jusque dans les années 30 à XV, au poste de talonneur.
© Coll. Jean Lapasset
René Lapasset jouait à l'ASC
© Coll. Jean Lapasset
René Lapasset s'était lié d'amitié avec les cirques qui s'installaient régulièrement sur la place d'armes (aujourd'hui, général de Gaulle). Ci-dessus, une photo avec Mustapha, le patron du cirque Amar. Il était également un grand ami d'Achille Zavatta et de tous les forains.
© Coll. Jean Lapasset
Le passage du Tour de France dans les années 1950
Soirée de loto au Café des Négociants, au cours de laquelle René Lapasset annonçait les numéros tirés du sac. Les heureux gagnants repartaient avec canards gras, poulardes et jambons.
Jeannot Lapasset entouré par sa mère et son père semble prêt à prendre la relève. Il a alors une dizaine d'années. C'est au début de 1970 que René passera la main à son fils unique. En fait, René ne quittera jamais vraiment les lieux dans lesquels il mourra en février 1992, à l'âge de 90 ans.
© Coll. Jean Lapasset
Jean Lapasset avec sa petite Vespa devant le café de son père
"Jeannot" prit la succession et modernisa le café. Il bénéficia de la clientèle fidèle, mais il sut surtout la conserver. Les lycéens ne manquaient pas les parties de flippers et de glisser une pièce dans le juke-box. Les samedis, combien de matches du Tournoi des 5 nations suivis depuis l'unique télévision du café ?
© Collection particulière
Jeannot Lapasset avec des amis bien connus
© Collection particulière
Jean Lapasset avec le maire Raymond Chesa.
© Collection particulière
Jean Lapasset était passionné de belles voitures. On lui doit la création de la course du Col du Portel. En 2008, il vendit le café des Négociants à Norbert Serres. L'établissement allait devenir le Saint-Germain, car l'ancien propriétaire ne souhaitait pas que l'on conserve le nom d'origine.
J'avais photographié le café Lapasset en 2008 avant sa transformation. Aujourd'hui, ce lieu a changé d'aspect mais l'âme des Lapasset y est encore pour de nombreuses décennies. En ces moments difficiles, je voudrais témoigner de mon amitié à Marie-Aude, sa fille durement éprouvée par la perte de son père. Ainsi, bien sûr, qu'à l'ensemble de sa famille.
___________________________________
© Tous droits réservés / Musique et patrimoine /2017