Le 15 décembre 1561 - soit un mois avant l’édit royal de janvier 1562 autorisant les protestants à s’assembler pour leur culte dans les faubourgs des villes et des campagnes - Carcassonne et sa région vont être le théâtre d’affrontements sanglants. Nous allons confronter les différentes versions et surtout celle rapportée par le R.P Bouges d’après les archives de l’hôtel de ville de Carcassonne ; elle semble comporter des erreurs dans les dates et un récit éloigné de la version officielle conservée aux archives du Gard sous le titre suivant : « Remontrances et doléances des églises réformées des villes du diocèse de Carcassonne, baillées aux états tenus à Montpellier le 10 mai 1563. » Le Révérend Père Bouges se conforme à la Lettre des Consuls de l’an 1572 au Père Séraphin Cabally, général des Frères prêcheurs. Selon lui, elle « fait encore mieux le détail » sur ce qui arriva « dans la nuit du 15 décembre 1560. » On est en droit de donner davantage de crédit à une version rédigée un an et demi après les faits, plutôt qu’à celle relatée dix années après, comportant une erreur dans la date. C’est pourtant celle-ci que l’on retrouve dans « Histoire du Languedoc » et par voie de conséquence dans le Cartulaire de Mahul.
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Que s’est-il passé dans la nuit du 15 au 15 décembre 1561 ?
D’après Bouges, quelques jeunes Religionnaires (protestants) échaudés par le vin et encouragés par leurs ministres, s’en prirent à une image de la vierge qui trônait dans une niche devant le portail de l’église Saint-Michel. Ils la traînèrent ignominieusement dans toutes les rues de la ville, répétant à haute voix des blasphèmes. Ils avaient prévu de la mettre en pièces, mais avec le jour la laissèrent dans le ruisseau au milieu des immondices. Guillaume Besse dans « Histoires des antiquités de Carcassonne » paru en 1660, indique qu’elle avait été jetée dans la fontaine du Juge-Mage. On ne sait d’où il tient pareille référence.
L’histoire ecclésiastique de Théodore de Bèze (Livre X) nous donne une autre lecture des évènements et la confrontation de faits est fort intéressante… Si les protestants ne s’étaient pas défendus, ils seraient tous passés par l’épée. Les adversaires des Huguenots auraient incité les moines et les prêtres, soutenus par les magistrats et les officiers, usant d’inventions pour empêcher les fidèles dans leurs offices, pour les tuer et les massacrer. Pour y parvenir, dans la nuit du 16 décembre 1561 ils firent porter une image de ce qu’ils appellent Notre-Dame de l’église Saint-Michel à la rue du Majour (actuelle, rue de Verdun), devant la maison de Ramond de Poix, bourgeois, qu’ils soupçonnaient d’être de l’église réformée.
Le R.P Bouges raconte que les premiers catholiques qui virent cette image dans cet état en avertirent les Consuls. A son tour, celui-ci en avisa le Vicaire général qui ordonna des prières publiques et une procession. Une partie de la population avec zèle prit les armes, tua huit « hérétiques » et pilla les maisons. Certains d’entre-eux ne durent leur salut qu’à « la charité de plusieurs catholiques » qui les avaient caché dans leurs maisons.
Au levé du jour - selon la version officielle du 10 mai 1563 - les magistrats, consuls et une partie de la population de Carcassonne qui avait prémédité cette action, chercha à la faire savoir en faisant sonne le Tocsin et toutes les cloches de la ville. Ceci afin de faire grandir la colère du peuple. Ils contraignirent chacun à fermer boutique et à venir en procession. On ferma les portes de la ville pour que personne ne puisse en sortir et on accusa les Huguenots d’avoir détérioré l’image de la vierge. Sans prendre la peine de le vérifier, la maison du sieur Poix fut saccagée - les vitres et les portes brisées, le vin répandu à terre, les papiers et les livres dispersés. Poursuivant leur furie, conduits par le bourreau de la ville aux maisons Guille, Maigre et André Couinctes (Marchands) et Pie (libraire), elles furent saccagées. Pierre Bonnet, Guiraud Bertrand et Guillaume Saval et cinq autres qui n’étaient pas de la religion, s’y opposèrent. Ils furent massacrés. Ni les magistrats, ni les Consuls ne firent même semblant de vouloir arrêter cette tuerie. Peu de jours après, la furie s’étant calmée, les Huguenots s’en plaignirent aux magistrats. Ils auraient recours au roi, si la justice n’était pas rendue. Les coupables furent arrêtés et condamnés à la question, mais firent appel auprès de la cour du Parlement de Toulouse où les juges complaisants les renvoyèrent vers l’évêque de Carcassonne. Monseigneur François 1er de Faucon, faisant fi de ses obligations, les envoya aux juges présidiaux de Béziers où ils furent remis en liberté. Les criminels allaient encore faire parler d’eux dans les mois qui suivirent…
Le 1er mars 1562, le massacre de Vassy, dans lequel 50 huguenots furent tués et 150 blessés, allait donner des ailes aux adversaires de la nouvelle religion. Outre les massacres de Castelnaudary, le 15 mars 1562 la ville de Carcassonne allait se distinguer de la pire des manières.
Rempart de la ville basse, au bastion Montmorency
Le 15 mars 1562, le R.P Bouges indique que les Huguenots se rendirent dans les faubourgs pour entendre le prêche de leur ministre (Vigneaux, selon Mahul). A leur retour, ils trouvèrent les portes de la ville fermées et ne purent y rentrer. Ceci, toujours d’après Bouges, parce que les Huguenots avaient l’intention de prendre la ville et qu’il attendaient du secours pour cette expédition. Les deux jours suivant, ils essayèrent d’entrer par la force mais ne le purent pas. Voyant qu’ils allaient mettre le feu au faubourgs, les catholiques leur tirèrent dessus et nombreux furent tués.
Sur ce point, la version de 1563 est relativement différente… L’évêque de Carcassonne, oncle de François de Lasset et de Jéhan de Lasset, empêcha la volonté royale promulguée par l’édit de janvier 1562. Les fidèles qui s’étaient rendus dans les faubourgs pour suivre l’office, trouvèrent à leur retour les portes fermées. Ils durent s’en retourner accompagnés par des jets de pierre, lancés par-dessus les murailles. Plusieurs furent blessés. Ceci est attesté par Ramond le Roux, Juge-Mage, qu’ils trouvèrent au faubourg et au Logis de la poste. Sans magistrats, ni officier, il ne put être d’un grand secours. Les fidèles s’armèrent de bâtons pour se défendre au cas où, et attendirent que les magistrats et consuls voulurent obéir à l’Edit du roi. Au lieu de cela, la situation allait empirer…
Le 19 mars 1562, la population contraignit les fidèles à quitter la ville au coup d’arquebuses et d’artillerie. Les maisons furent pillées et saccagées ; trois fidèles périrent dans leurs habitations. Bouges indique qu’une fois chassés de la ville, il fut ordonné que tous les ans une procession générale se rende à l’église des Augustins à la chapelle de St-Joseph. Ceci pour rendre grâce à Dieu de les avoir débarrassé des Calvinistes. Ce 19 mars était la fête de Saint-Joseph. Quant à l’église des Augustins, elle se trouvait en haut de la rue de Verdun.
Limoux
Les huguenots se réfugièrent à Limoux, où, d’après Bouges, la ville fut soumise aux Calvinistes le 17 avril 1562. Un grand nombre de ses habitants catholiques y seraient morts après s’être réfugiés dans l’église. Le sieur de Pomas alla chercher de l’aide et délivra ceux qui s’étaient déjà livrés aux crimes contre les protestants. Au cours de leurs expéditions, Jacques Sabatier fut égorgé avec son fils et trois ou quatre autres protestants (La France protestante. Vol 9). Aidés par le sieur de Mirepoix, l’artillerie et le régiment de Lupian, les catholiques réussirent à enfoncer le siège de Limoux, non sans une résistance farouche. Vigneaux, le prêcheur huguenot, fut tué.
Massacre contre les protestants de Cahors en 1561
L’acte officiel de 1563 fait état d’exactions terribles. Limoux fut pillée et saccagée, les femmes et les filles violées et ravies, sous la conduite du Sieur de Mirepoix, Sénéchal de Carcassonne et maréchal de la foi.
Eugène Haag dans la France protestante, relate le pillage des maison de Monterat, Bernard Ithier et Pech. Lugua habitant de Conques fut assassiné de la manière suivante : « Amené prisonnier à Carcassonne, il fut assommé dans les faubourgs à coups de pierres, avec telle cruauté qu’après sa mort ils lui coupèrent encore les oreilles et le nez et lui arrachèrent les yeux de la tête. » (Histoire ecclésiastique / Théodore de Bèze).
Après les exécutions sommaires vinrent les assassinats juridiques ordonnés par une commission du parlement de Toulouse qui appela 59 Huguenots de Carcassonne à comparaître. Selon Bouges, Jehan de More, Rhedon seigneur de Gasparols et François Geoffroy, natif de Mazamet, furent condamnés à être traînés sur une claie, tirée à quatre chevaux. Raymond de Saix, Paul de Saint Cyran et François des Maisons à être rompus vifs. Ceci pour avoir participé à la profanation de la vierge de l’église Saint-Michel. Nulle part dans les autres sources, ceci n’est indiqué.
Dans la France protestante, des cinquante-neuf individus seuls cinq furent pendus. Théodore de Bèze rappelle que le sieur de Mirepoix introduit des étrangers espagnols dans le royaume, obligeant les fidèles protestants à abandonner leur patrie avec femmes et enfants, pour échapper à la mort.
Le 3 octobre 1562, le sieur du Villa, gentilhomme paisible, accusé d’avoir été au faubourgs de la ville basse avec ceux de la religion, ayant corcelet et pistole (ce qui était faux) et trahi par ses parents, se constitua prisonnier pour se justifier. Sans être entendu, ni défendu, il fut condamné à être décapité en dehors de la ville au lieu-dit Le Pradet. Une autre version dit qu’il s’agit de Barthélémy du Ferrier, sieur du Villa, condamné à mort par contumace 1567. Une fois rentré à Carcassonne, il fut décapité sans autre forme de procès. Son fils jura de le venger sur les habitants de Carcassonne. Il le fit en se liguant en 1587 avec les Huguenots lors qu’il était gouverneur de Brugairolles.
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Huguenots en exil en Suisse
Voici donc un récit que j’ai pris soin de rendre le plus intelligible possible, afin que chacun puisse se faire une opinion sur la foi de plusieurs versions. Cet épisode trop méconnu n’est pas sans rappeler les massacres des catholiques contre les cathares, jugés eux aussi comme hérétiques. Vingt ans avant la Saint-Barthélémy de triste mémoire à Paris, Carcassonne s’écharpait dans un bain de sang. L’Edit de Nantes apaisa pour un temps les guerres de religion, mais sa révocation par Louis XIV souffla sur des braises encore fumantes. Les protestants furent déportés en 1687 vers les colonies d’Amérique et certains moururent lors de la traversée. D’autres, condamnés à être traînés sur la claie ou déterrés et jetés à la voirie. Ce que l’on ne dit c’est que la Cité servit entre 1705 et 1713 de prison pour les filles protestantes, originaires des Cévennes. On ne connaît pas bien leur nombre, mais le pasteur Antoine Court évoque le chiffre de 250. Joseph Poux dans son ouvrage « La cité de Carcassonne. Le déclin », tempère ce nombre par le manque de place dans le château comtal.
Sources
Histoire ecclésiastique et civile de Carcassonne / R.P Bouges /1746
Bulletin de la Société d'Histoire du protestantisme français / 1858
Histoire ecclésiastique / Théodore de Bèze / Livre X
La France protestante / Eugène Haag / 1848
Cartulaire de Mahul
Recherches, notes et synthèses / Martial Andrieu
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