Nous sommes au mois de juin 1944 ; les forces alliées viennent de débarquer en Normandie. Dans la cathédrale Saint-Michel, l’évêque de l’Aude Mgr Pays fait un vœu. Il promet ce 16 juin devant l’ensemble des fidèles, d’élever une église au Sacré-cœur si jamais Carcassonne venait à échapper aux bombardements. Une fois la guerre terminée, cet engagement sera tenu et confié à l’abbé Belloc au sein d’une commission d’art sacré dans laquelle se trouvait notamment le chanoine Gabriel Sarraute. Carcassonne échappera aux bombardements.
Le 28 octobre 1948, l’abbé Belloc dévoile les premiers plans de la future église qui devrait être située dans le quartier de la Pierre-Blanche. L’avis du chanoine Sarraute est sans appel :
Une sorte de hangar pour avion. Chapelle plus qu’église. Quelque chose de subtilement mauvais. Façade et chevet : deux grands murs de pierre nue. Entre les deux, du ciment armé. Prix très bas - trop bas. Ces deux murs sont comme les tartines d’un sandwich ; la garniture ne vaut rien. Ils sont cintrés : ceci est plausible pour la porte, mais insensé pour le chevet : l’autel devrait être contre une sorte de demi-tour. Et pour quoi faire, grand Dieu ? A côté une tour-mat, qui fait très bien sur le plan. Mais où est l’escalier ? Les cloches, comment fera t-on un jour pour les réparer au besoin ? En faisant un échafaudage… Et elles sont placés sous un demi-toit, comme un livre entr’ouvert. Le vent, un beau jour, arracherait le tout. Le baptistère, prévu à droite de l’entrée, avec des fenêtres cintrées tout à fait différentes des fenêtres de l’église. L’intérieur, nul, avec trois autels. On ne voit pas comment le toit, le plafond s’agenceront.
Abbé Paul Belloc
L’abbé Belloc ayant pris note des objections de son collègue, l’informe de son intention de lancer un concours d’architectes. Le sculpteur Iché, malgré sa méconnaissance de l’architecture, veut essayer de faire un projet et même une maquette. Il consentira, dit-il, à réaliser ce travail pour la moitié du prix. Son insistance dérange… L’abbé Belloc se tourne alors vers un ancien séminariste de Montpellier, diplômé d’architecture. Les plans de M. Rodier présentés le 26 décembre 1949 n’arriveront pas à convaincre la Commission d’art sacré, ni M. Bourély.
On me montre les plans de mon église du Sacré-cœur. je suis profondément déçu… Je fais des remarques. Elle sont toutes acceptées avec une facilité qui fait peur. C’est un projet élastique. L’architecte ne défend aucune de ses positions (cela doit aboutir au rejet de ce plan qui a déplu à tous les membres de la commission d’art sacré et qui a reçu le coup de grâce par une lettre « exemplaire » du P. Régamey. (Chanoine Sarraute)
Gonzalo Semprun Maura
C’est alors qu’un tout jeune diplômé d’architecture va enfin réussir à convaincre tout le monde. Gonzalo de Semprun n’a que 28 ans lorsque le 14 août 1950, il décroche son premier projet architectural : L’église du Sacré-cœur de Carcassonne. Chez l’abbé Belloc le 11 janvier 1951 en sa présence, les bases du futur édifice catholique de ce nouveau quartier de la ville sont posées. Or, Gonzalo de Semprun (1922-2011) n’est pas n’importe qui… C’est tout simplement le frère de l’écrivain espagnol Jorge Semprun Maura (1923-2011) dont chacun connaît l’histoire.
Jorge Semprun Maura
La première impression n’est pas mauvaise, mais je garde le silence prudent. Je vais le montrer à M. Bourély. Il est favorablement impressionné. Cet homme sait son métier. La façade archi simple, le cube du baptistère, le profil avec les dents des vitraux en soufflets, l’intérieur à la voute simple. Il y a des objections, il y a des remarques à faire, mais ce ne sera pas le rejet pur et simple comme pour le malheureux architecte de Montpellier.
Le 30 novembre 1952, Mgr Pierre-Marie Puech posa la première pierre de l’église lors d’une bénédiction à laquelle ne put assister son prédécesseur. En effet, Mgr Pays venait de disparaître après une longue maladie. C’est le 9 mai 1954, après neuf ans de gestation, que le Sacré-coeur de Carcassonne est consacré. L’abbé Belloc restera le curé desservant de cette paroisse jusqu’à son décès. Gonzalo de Semprun connu surtout pour ses peintures, se retira vers Nice. Il est inhumé à Saint-Etienne-de-Tinée.
Mgr Puech pose la première pierre
Le Sacré-coeur
Sources
Archives manuscrites du chanoine Sarraute
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