Au matin du 8 juin 1944, il est donné l’ordre aux escadrons du Corps Franc de la Montagne noire cantonnés à Laprade d’aller occuper Montolieu. A 13 heures, ce sont 120 hommes commandés par Kervenoael qui défilent dans les rues de ce village d’un millier d’habitants. On cherche à défier les Allemands en leur montrant que les maquisards sont partout. A tous les carrefours les sentinelles sont en faction, la mairie et le bureau de poste sont occupés. Une heure plus tard, l’autobus venant de Carcassonne dépose ses voyageurs ainsi que deux soldats de la Wehrmacht. Ces derniers sont immédiatement faits prisonniers. 19 heures sonne à l’horloge de l’église de Montolieu ; c’est l’heure du rassemblement sur la place. Il est dangereux de s’attarder davantage dans ce village qui serait difficile à défendre en cas d’attaque ennemie ; il suffirait d’un collaborateur zélé pour donner l’alerte à Carcassonne. Grâce au dossier du procès Bach conservé aux archives, nous savons que les Allemands apprirent l’évènement de Montolieu et y envoyèrent des troupes. Fort heureusement, les maquisards étaient déjà partis. Revenons sur la place du village en cette fin après-midi du 8 juin où la population en liesse, s’est attroupée autour des maquisards. Une minute de silence est observée devant le monument aux morts, suivie de la Marseillaise. Les habitants applaudissent, des femmes pleurent… Il est temps de revenir dans la clandestinité ; la guerre n’est pas encore terminée.
© David Mallen
A Carcassonne, les autorités Allemandes entendent mettre bientôt fin aux exactions du Corps Franc de la Montagne noire contre ses troupes. Elles sont régulièrement victimes d’embuscades lorsqu’elles transitent par les routes forestières de la Galaube ou encore de la Loubatière. Les chefs militaires vont alors mettre les moyens humains et techniques afin de faire taire ce maquis. Où se trouve t-il exactement ? Quels sont ses effectifs et ses moyens ? Autant d’interrogations qui ne pourront trouver de réponse sans le concours et la collaboration de français infiltrés, ayant une bonne connaissance du terrain. Depuis quelques temps, le Sipo-SD (Gestapo) de Carcassonne, aidé dans sa tâche par la Milice départementale de l’Aude, rassemble des renseignements sur l’existence de ce maquis. Antoine Maury âgé de 19 ans et originaire de Tourouzelle, fait partie de la Franc-Garde de la Milice. Il s’y est engagé parce qu’il ne voulait plus travailler la terre et qu’on l’avait refusé dans la police. Ses chefs, dont la grande partie fuira à la Libération sans être inquiétée, savent endoctriner la jeunesse qu’ils détiennent sous leurs ordres. Celle-là même qui sera fusillée en septembre et octobre 1944 comme Antoine Maury…
En ce mois de juillet 1944, Georges Prax, chef départemental de la Milice de l’Aude, convoque Maury et l’envoie à la Gestapo, route de Toulouse. C’est bien la première fois qu’il s’y rend. René Bach, interprète Alsacien du SD lui donne alors la somme de 500 francs. Quelle est sa mission ? Aller à la Galaube, indiquer l’emplacement du maquis, son armement et son effectif. C’est sur les indications de Fernand Fau, agent du SD, que Maury s’y rend. A son retour, il racontera qu’étant tombé sur le poste de garde, la sentinelle le pria de rebrousser chemin. Avec 500 francs supplémentaires, René Bach n’a pas de mal à convaincre Maury d’aller cette fois au Pic de Nore. A cette époque, un ouvrier agricole gagne environ 45 francs par jour. En se faisant porter pâle Maury rentre à Tourouzelle et ne retourne pas dans la Montagne noire.
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L'hôtel Terminus en 1944
Du côté de la Kommandantur de Carcassonne, on commence à s’agiter. Fernand Fau a été présenté par le chef du Sipo-SD Eckfellner au colonel de la Luftwaffe Haffner. Il doit lui indiquer les observations qu’il a faite sur le terrain en vue des préparatifs de l’attaque contre la Galaube. Haffner dépêche alors deux soldats pour faire des relevés topographiques. Ce sont deux français engagés dans l’armée allemande qui viennent de faire leurs preuves lors de la campagne de Russie. On met leur habileté au service de la lutte contre les maquis. Habillés en civil, ils fréquentent très régulièrement le Café du midi, boulevard Barbès. Ils n’auront aucune difficulté à se fondre dans la population. Fernand Fau fait le même travail, mais se serait-il trop montré ? Comment expliquer alors qu’il paraît aux côtés des résistants du maquis de Villebasy replié dans la Maleperre, ce qui lui permettra de faire arrêter Jean Bringer le 29 juillet 1944 ? On ne s’explique pas comment cet homme a pu berner aussi facilement le Corps Franc Lorraine (Villebasy), alors qu’il avait déjà dénoncé plusieurs maquis de l’Aude. Il y a forcément une grave légèreté dans le renseignement, voire une complicité quelque part…
D’après ce que Fau a raconté à René Bach car il se trouvait à la Galaube, à l’aube ce sont cinq cents hommes de la 2e compagnie du 71e flieger régiment (aviation) de la caserne Laperrine qui partent vers la Montagne noire en ce 20 juillet 1944. Ce régiment de l’air était composé de 1775 unités réparties en trois bataillons : Montpellier, Carcassonne dont deux compagnies à Perpignan, Béziers. Nous ignorons l’effectif de la garnison de Laperrine ; en divisant par trois bataillons cela représente à peu près 500 hommes. Ceci est proche du chiffre que donne René Bach lors de son procès.
© David Mallen
Caserne Laperrine en 1944
Ils sont accompagnés par des Osttrupen cantonnés à Douzens. Ces troupes improprement appelées « Mongols » viennent d’Europe de l’Est et appartiennent à la 4e compagnie du 681e bataillon de la 326 Infanterie division. D’après nos renseignements, les effectifs de Douzens n’auraient pas dépassé une cinquantaine d’hommes. L’infanterie boche possède des canons légers et est appuyée dans les airs par six avions Junkers JU 88.
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Les 3/4 de l’infanterie se déplace à pied et à cheval, mais le journal de marche du Corps Franc raconte que des civils ont vu le matin 80 camions pleins d’Allemands sur la route d’Arfons et vers 11 heures, 50 camions à Fontiers. Au total 130 camions, représentant 1500 hommes. C’est sur cette observation visuelle effectuée par des civils que se base le journal de marche pour donner les effectifs Allemands.
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Du côté du Corps de Franc de la Montagne, les maquisards seraient 900. Nous n’avons aucun moyen de le contester, mais depuis 1946 les historiens ont sérieusement revu à la baisse les chiffres des effectifs donnés par la résistance après l’attaque contre le maquis des Glières en Haute-Savoie. Dans un élan d’héroïsme qu’il faut reconnaître, on a souvent modifié les données historiques. Ceci n’enlève rien à la bravoure des maquisards, bien au contraire.
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Ce 20 juillet 1944, l’aviation allemande pilonne dès 6h45 l’un des trois cantonnements du maquis. Le camp du Rietgé où se trouve le dépôt de munitions est bombardé par des engins explosifs de 300 kilos. C’est ensuite au tour du Village des Escudiers. Ces combats causeront la perte et les blessures de plusieurs hommes. Le cadavre du commandant Mathieu sera retrouvé quelques jours après sous un tas de fumier. Pendant toute la journée, les maquisards opposeront un combat farouche à l’armée allemande. Menacés d’encerclement, l’ordre sera donné de décrocher et de se replier vers le Pic de Nore. Le Corps Franc ne s’en sort pas trop mal et évoque des pertes d’appareils et d’hommes du côté de l’occupant. En revanche, Bach indique que le rapport rédigé par l’administration allemande évoque aucune perte. Cela semble peu vraisemblable. Les Allemands auraient détruit le matériel de roulage du maquis et récupéré des millions de litres d’essence.
Membres du Corps Franc de la Montagne noire
Sans la participation, les indications et la collaboration de français endoctrinés ou attirés par l’argent, l’armée Allemande n’aurait eu que peu de prise sur la Résistance. Le rôle de la Milice française qui n’est pas évoqué militairement dans cette opération, fut essentiel dans le renseignement avec l’aide des agents français du SD. Il nous a paru essentiel pour la compréhension des évènements de nous pencher sur ce qui se passait du côté des Allemands. Pendant trop d’années, on a tenu les historiens éloignés des archives. Il ne fallait surtout pas mettre en évidence le rôle d’une partie de la France, dans les déportations et massacres perpétrés par les nazis sur notre sol.
Regarder l’histoire en face, c’est ce que entendons faire sur ce blog.
L'ossuaire de Fontbruno près de Laprade
Ici, des Français et des étrangers de toutes confessions politiques ou religieuses sont morts pour la libération de la France. Si vous passez-là, recueillez-vous.
Sources
Journal de marche du Corps Franc / 1946
Procès de René Bach / ADA 11
Merci à David Mallen pour ses photos
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