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cabrespine

  • Quand la Croix-rouge vint à Trassanel le lendemain du 8 août 1944

    Nous avons retrouvé les écrits de la sœur du poète Joë Bousquet, dans lesquels elle consigne ses souvenirs familiaux. Elle évoque notamment les jours qui suivirent la tragédie de Trassanel, où un grand nombre de maquisards furent assassinés par les nazis. Henriette Patau était à cette époque membre de la Croix-rouge française...

    Des trahisons, des imprudences ? alertèrent les Allemands et un jour, la Croix-rouge reçut l'ordre d'aller dans la Montagne noire ramasser les morts laissés dans les trois villages où ils avaient abattu des maquisards. Ordre était donné de jeter sur les cadavres un tas de chaux et de les brûler. Le soir, nous avons délibéré au Comité et pris nos dispositions pour le lendemain. A six heures du matin, nous partions. Une plateforme contenait deux infirmières, un chef, des secouristes et deux prêtres. La seconde plateforme portait trente cercueils. Nous sommes arrivés à Cabrespine, dans un coin paisible : sur l'herbe foulée reposaient sept hommes jeunes, des parachutistes. Il fallut les retourner, fermer leurs yeux, et chercher sur eux des pièces d'identité, tous n'en avaient pas... Nous avons accompli notre tâche. Les secouristes les ont placé dans leur cercueil et sont descendus au village pour creuser leurs sept tombes, et inscrire un nom sur une croix afin qu'on puisse les retrouver. Nous sommes repartis pour Trassanel.

    Dans une garrigue, un cercle de jeunes morts était couché. Ils n'avaient pas plus de 16 ou 17 ans ; leurs yeux étaient ouverts, leurs mains crispées, mais leur visage était calme. Nous nous sommes mis au pied de ce groupe de martyrs ; le prêtre catholique a dit les prières des morts, puis le pasteur protestant a prié pour les protestants et les juifs, dans l'ignorance de leur religion. Et la triste cérémonie a recommencé comme à Cabrespine. Tout a été fait pour leur toilette funèbre, et leur propre dépouille a été remise au cimetière avec leur nom. Et, toujours pris dans notre émotion apitoyée, nous sommes allés au 3e champ d'exécution, au Mas-Cabardès.

    En arrivant au village, nous avons entendu le glas. Nous étions attendus ; on nous a conduits à la grande salle de la mairie. Tout autour d'un reposoir et appuyée contre les murs, vingt cercueils pareils s'alignaient. Ils n'étaient pas fermés encore. Près d'être aussi jeunes que ceux que nous venions de quitter, les parents, agenouillés le visage touchant le bois qui allait recouvrir le corps de l'être qu'il avaient perdu, ils pleuraient, les mêmes hurlaient. La douleur de cette foule était insoutenable, la vue du prêtre a paru les toucher. Ils lui ont demandé de bénir les corps... Nous étions tous à genoux et nous répondions aux prières. Puis le maire s'est levé. Il est allé d'un enfant à l'autre, touchant les petites mains glacées, parlant aux parents avec amitié et les appelant par leur nom, il pleurait avec eux, comme eux, et j'ai su ce jour-là que la seule façon de secourir une douleur trop grande est de la partager avec son cœur.

    Ce soir-là, nous sommes rentrés après avoir recommandé à tous de garder le silence sur cette journée, et rien de cette affreuse journée ne s'est raconté nulle part.

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