Il est 17 heures ce dimanche 29 avril 1973 lorsque Joseph Delrieu, le propriétaire du domaine de Saint-Jean-de-Grèzes et de la ferme voisine « Le démon », aperçoit une Dyane blanche. La présence de ce véhicule arrêté sur un chemin de terre bordant sa propriété, l’intrigue. Encore un couple d’amoureux, songe t-il ! Il se refuse à aller les déranger. Le lendemain, la voiture n’a pas changé de place. Il s’approche d’elle, ouvre la portière mais aucune personne ne se trouve à l’intérieur. Ce n’est qu’après en avoir fait le tour qu’il découvrira dans le fossé, le corps dénudé d’une jeune femme. Aussitôt, la gendarmerie se rend sur les lieux et fait les constations d’usage. La victime est morte certainement par strangulation, car son cou est enserré à double tour par une courroie en cuir provenant de son sac-à-main. Dans celui-ci, on trouve des papiers d’identité. Il s’agirait de Mademoiselle Simone Colturani, âgée de 26 ans, vendeuse résidant à Villemoustaussou, rue Pasteur.
Lorsque les enquêteurs se rendent au domicile des parents chez qui loge la victime, ils apprennent de ceux-ci que leur fille n’est pas rentrée depuis samedi. L’absence de cette fille modèle, ponctuelle autant que sérieuse, leur fait faire un sang d’encre. Hélas, le doute n’est plus permis. Le corps de la jeune femme retrouvée inanimée à Grèzes est bien celui de leur enfant. Qui a bien pu bien l’assassiner ? Ils se rappellent que Simone s’était plainte ces derniers temps, des assiduités d’un homme l’ayant abordée à plusieurs reprises dans les rues de Carcassonne. L’individu serait originaire de Fanjeaux… Aussitôt, le rapprochement se fait avec un dénommé Brunel, condamné en 1971 à douze mois de prison dont six avec sursis pour agression sexuelle.
Jacques Arino, journaliste de La dépêche à cette époque, raconte dans ses mémoires comment il réussit à faire sortir l’affaire, avant qu’elle ne soit rendue publique par le Procureur de la République. Le 2 mai 1973, André Brunel est interpellé sur son lieu de travail, Languedoc-Béton. Grâce à la perspicacité de l’adjudant de gendarmerie Noël Clauzel (futur adjoint au maire de Raymond Chésa), le suspect avoue être l’auteur de l’assassinat de Simone Colturani. Il faut dire que le passé judiciaire de ce sinistre criminel ne plaidait pas en sa faveur.
Né le 6 mars 1940 à Fanjeaux dans l’Aude, André Brunel rate son certificat d’étude, devient ouvrier agricole puis monte à Paris et se fait embaucher chez Citroën. Durant la guerre d’Algérie, il égorge deux buralistes, mère et fille, à Bab-el-Oued. Condamné à la peine capitale, il ne devra son salut qu’à l’amnistie décrétée par le général de Gaulle, après les évènements d’Alger (Loi du 17 juin 1966). A la suite de cette affaire, il rentre au pays blanc comme neige. Cependant, les pulsions sexuelles et meurtrières ne quitteront jamais cet homme, qui vole également dans les voitures en stationnement. A Carcassonne, Brunel qui était sorti de prison le 4 septembre 1971 à la suite d’une tentative de viol, continue à suivre des femmes dans la rue jusque chez elles. Nous sommes là en présence de ce que l’on appelle un prédateur sexuel… Simone Colturani sera sa prochaine proie ; il ne la lâchera pas jusqu’au dénouement fatal.
Simone Colturani travaille dans la boutique de tissus Carvel, place de la poste. L’assassin, lui, l’a repérée depuis le Bar de la Poste où il a l’habitude se rendre. La jeune femme élancée, mince et élégante a coutume de terminer son travail à 19 heures. Le 26 mars, Brunel s’arrange pour la suivre jusqu’à son véhicule, une Dyane blanche, qu’elle laisse au parking de la gare SNCF. Après avoir au préalable crevé l’un de ses pneus à l’aide d’un poinçon, le criminel se fait chevalier servant. Il lui propose de changer sa roue mais s’arrange pour que l’opération soit un échec. Plein de gentillesse, André Brunel convainc sa future victime de la raccompagner à son domicile avec sa Fiat. A Villemoustaussou, il rencontre Vittoria Colturani, décline son identité et le lieu d’où il est originaire afin de mettre sa famille en confiance.
Les jours passent mais Brunel n’a pas renoncé à s’attirer les faveur de Simone. Il tente de l’inviter à boire un verre, mais la jeune femme se sent de moins à moins à l’aise devant l’insistance de cet homme. Il n’est pas son genre et en a fait part à sa mère.
Le 28 avril 1973, André Brunel compte bien arriver à ses fins coûte que coûte. A la sortie du magasin, il aborde Simone et lui demande un service. Dans l’après-midi, ayant participé à un cross organisé par l’ASC athlétisme à la Fajeolle, il y aurait oublié son sac de sport. Prétextant avoir sa voiture en panne, il sollicite l’aide de la jeune femme afin qu’elle le porte là-bas. Se sentant redevable, elle accepte. En arrivant à la Fajeolle, Brunel est reconnu par un passant. Peu de temps après, il tente d’enrouler son bras autour de la conductrice pour l’embrasser. Elle le repousse, puis se débat pour se dessaisir de l’étreinte. Brunel arrache la lanière en cuir du sac-à-main de sa victime, puis l’étrangle en faisant deux nœud autour du cou. La visage de l’assassin est marqué par les griffures. Il dérobe tous les objets de valeurs et l’argent de Simone Colturani, puis fait basculer son corps sur la banquette arrière en recouvrant d’une couverture. Afin de se débarrasser du cadavre, il se rend à la ferme « Le démon » qu’il connaît bien pour y avoir fait les vendanges. En bordure d’un chemin, il abandonne le cadavre dans le fossé non sans l’avoir dénudé pour maquiller son crime en acte pervers. Puis, ne réussissant pas à faire démarrer la Dyane, il la laisse sur place et repart à pied. A 21h30, André Brunel rentre chez sa concubine.
© Noëm / L'Indépendant
L'accusé entre deux gendarmes
Le procès s’ouvre le 22 avril 1975, soit deux ans presque jour pour jour après les faits. La Cour d’assise de Carcassonne ne peut contenir en totalité l’ensemble de la foule criant vengeance et qu’il faut en partie évacuer. Au premier rang, se trouve la famille de la victime. Un peu plus loin, ses amies Josette Bettiol et Maryse Balantra. L’audience se déroule dans un climat explosif et le public vocifère lorsqu’on retrace la vie de l’accusé. Celui-ci ne se démonte pas et prétend que Simone a recherché le contact avec lui. « Tu salis ma fille, s’indigne Madame Colturani ! »
Me Clément Cartier
Me Pech de Laclauze plainte en faveur d’André Brunel, tandis que pour la partie civile Me Clément Cartier s’évertue à défendre la mémoire de Simone. Il fait appeler à la barre Anne-Marie Vergé : « J’ai connu Simone Colturani. C’était une fille gentille, timide, très réservée. Elle adorait ses parents. Dans les derniers temps, elle se faisait beaucoup de soucis pour son père, gravement malade qui était en traitement à Montpelier. »
Les rapports d’expertise des psychiatres sont sans équivoque : « Brunel est incurable et n’est pas réadaptable ». Le Docteur Caizergues rappelle « le caractère impulsif de cet acte et sa sauvagerie ». En outre, on déclare l’accusé comme responsable de ses actes. Dans un dernier combat face aux jurés, Me Cartier déclare : « Le crime se porte bien ; c’est la société qui est malade. Par votre verdict, aidez-nous à la guérir. Que la petite martyre de Villemoustaussou nous guide et vous inspire. Faites qu’elle ne soit pas morte pour rien. »
L’avocat général accuse Brunel d’avoir prémédité son geste et par conséquent, réclame la Peine capitale. La dernière fois qu’une telle sentence fut demandée à Carcassonne c’était en 1948.
Ne se démontant pas, le défenseur de Brunel, Me Pech de Laclauze » ajoute : « Ma passion d’avocat, c’est de défendre, et quels que soient les crimes des accusés, de les défendre tous. (…) Un projet de loi tendant à l’abolition de la peine de mort vient d’être déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale. Je pense, j’espère que cette loi sera prochainement votée. Ne soyez pas les derniers jurés de l’histoire de France à prononcer une peine de mort. »
Brunel formule des regrets en direction de la famille de Simone. Les jurés se retirent pour délibérer, après quoi la sentence tombe : « Accusé Brunel levez-vous. La Cour et le jury vous condamnent à la réclusion criminelle à perpétuité accompagnée d’une peine de sûreté de 25 ans. »
André Brunel n’a pas bénéficié des circonstances atténuantes et on n’a pas retenu l’acte prémédité. Pour la Cour, il s’agissait d’un meurtre et cela suffit à éviter l’exécution capitale. Le verdict faillit tourner à l’émeute autour du Palais de justice, sans l’appui des forces de l’ordre. Depuis une année environ, André Brunel est sorti de prison ayant purgé sa peine et sans doute, pour la justice, a donné toutes les garanties de sécurité pour la société. La chose étant jugée, on doit considérer qu’il a payé sa dette. Une considération qui ne fera pas revenir Simone Colturani…
Sources
Les grands affaires criminelles de l'Aude / Clément Cartier / Privat
L'Indépendant / Avril 1973
Alavetz / Jacques Arino
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