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Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 162

  • Non ! Non ! Ne tuez pas maman.

    Ce 23 juillet 1944, la famille Martinez recevait des amis chez elle, près des ruines du château de Durfort dans les Corbières. C'était également le jour qu'avaient choisi les Allemands pour attaquer le maquis de Villebazy, replié à la maison forestières de Coumevigne. Au bruit des canons, toute la famille s'enfuit... La mère s'apercevant que le fils aîné et son père ne sont pas avec eux, décide de revenir en direction du château. Elle tombe alors sur les Allemands avec le fils cadet et Marcelle, la benjamine de la fratrie. Regroupés sous les marronniers et les mains sur la tête, ils attendent leur sort. Que sont devenus le père et le fils aîné ? C'est ce récit poignant que Marcelle Ripoll née Martinez, raconte dans son livre publié en 1979 : "L'adolescence audoise et la guerre de 39-45" aux éditions MV Graphic de Verzeille dans l'Aude.

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    © Un village français / Tretra Media

    Nous étions prisonniers depuis un bon moment, mon père et mon frère n’étaient pas revenus. Qu’ils ne reviennent pas ! pensait chacun de nous sans le dire. Les Allemands allaient, venaient, nous regardaient avec des yeux mauvais et des sourires chargés d’ironie qui en disaient long sur ce qu’ils préparaient.

    Ma mère donnait des signes de fatigue. Ses mains, aux doigts rivés les uns aux autres étaient couleur de cire. Pauvre maman ! je la plaignais de tout mon cœur. Mon frère résistait mieux. Jeune et vigoureux, il se fatiguait moins. Une dizaine d’Allemands venaient d’arriver. Ils venaient de loin, ou peut-être, le combat les avaient secoués plus que les autres, car ils pouvaient tout juste marcher. Ils se laissèrent tomber sur le sol humide, cherchant un appui. Ceux qui n’en trouvèrent pas se couchèrent, rejetant au loin leur prétention et leu vanité. Ils avaient soif. Le soldat qui nous surveillait demanda à ma mère d’aller chercher à boire à la maison. Le canon de la mitraillette braqué contre son dos, il la poussait vers la porte d’entrée. Quand je vis partir ma mère sous la menace de cette arme monstrueuse, je m’élançai vers elle et je criai :
    - Non ! Non ! Ne tuez pas maman. 

    martinez

    Le château de Durfort à Vignevieille

    Ce cri se répercuta dans la montagne. Mon frère m’avait suivie, il dut reprendre sa place, plusieurs canons l’avaient entouré. Mon cri ou, pour mieux m’exprimer, mon hurlement, nous sauva. Nous avons appris plus tard que les maquisards, qui surveillaient les Allemands, l’avaient entendu. Ils avaient compris qu’ils se préparaient à nous tuer et s’étaient mis d’accord pour nous sauver en employant la ruse. Ils se dispersèrent çà et là, attendant le moment opportun.

    Le plateau dans les mains, ma mère revint suivie du jeune soldat Allemand. Je marchais à ses côtés. Arrivée auprès de mon frère, je repris ma place sur le trait qu’avait tracé l’allemand quand il nous avait accompagnés. Avant de faire face, je regardai en direction de la rivière. Je vis une branche bouger. Il ne faisait pas de vent, cette branche n’avait bougé que parce qu’un main invisible avait agité son rameau ; mon père et mon frère nous signalaient leur présence.
    Je tournais le dos ; de la main, je leur demandai de repartir. Mon geste ne passa pas inaperçu, ils avaient également vu ma mère avancer sous la menace de la mitraillette. Cette scène était trop tragique pour qu’ils restent cachés sans intervenir. Cette vision insupportable les poussa à sortir de leur cachette, et à se joindre à nous.
    Stupéfaits, les Allemands regardaient venir cet homme et ce jeune homme sans réaliser qu’ils se constituaient prisonniers. Avant qu’ils ne soient revenus de leur surprise, ma mère demanda à mon père :
    - Pourquoi êtes-vous venus ? 
    - Pour vivre ou pour mourir, nous avons choisi d’être ensemble, laissa tomber mon père, la gorge nouée par l’émotion

    Sur le plateau, les verres arrivés à destination par miracle faisaient entendre une musique cristalline. Le tremblement qui avait gagné ma mère était la cause de ce curieux concert. Dans les carafes l’eau était trouble, ce qui inquiéta les Allemands. Les pluies de l’avant veille avaient grossi le ruisseau qui alimentait le bassin, l’eau n’était plus incolore mais d’une couleur ocre ; ils pensèrent qu’elle était empoisonnée. Ils firent boire mes frères et continuèrent. Pendant que nous la voyions aller et venir, nous étions rassurés sur le sort de ma mère. Les Allemands ne la tueraient pas tant qu’ils n’avaient pas terminé de boire. Pendant ce temps, elle reposait ses bras. Mes deux frères et mon père avaient les mains posées sur leur tête. Eugène donnait des signes de fatigue. Ses traits étaient tirés, il semblait prêt à s’écrouler.

    Le jeune Allemand qui nous surveillait, s’arrêta devant mon père. Il parfait français correctement : - Comment vous êtes-vous débrouillé pour cacher vos deux garçons ? car, si ne me trompe, vous êtes le père, le mari ? dit-il en regardant mes frères et ma mère.
    Mon père ne répondit pas.
    - Répondez, dit l’Allemand, son arme contre la poitrine de mon père.
    - Vous l’aurez voulu, je vais vous dire ce qui m’étouffe depuis des années. Je suis le mari et le père de ceux que vous avez faits prisonniers, grâce à une ruse qui n’est guère flatteuse pour vous et les vôtres. Vous n’avez jamais vu mes deux garçons parce qu’ils se cachaient pour défendre leurs vies que vous auriez brisées comme vous le faites avec tous ceux que vous rencontrez sur votre passage.
    - Ces paroles vont vous coûter cher, dit l’Allemand.

    - Peu m’importe. Elles ne changeront pas notre destin. Elles m’auront donné la satisfaction de vous apprendre ce que je pense de vous.

    L’Allemand leva son arme, prêt à tirer sur mon père. Un commandement sec interrompit son geste. Le chef se dirigea vers lui, la discussion s’anima, le ton monta ; ils parlaient dans leur langue. Après avoir reçu des ordres nous concernant, le jeune Allemand fixa mon père de son regard d’acier :
    Demandez des excuses, pour vos paroles de tout à l’heure;
    Des excuses jamais ! Jamais.
    Vous préférez mourir ?
    Si je savais qu’en demandant des excuses, je sauverais la France et vous anéantirais tous, ce serait déjà fait. Rien ne vous rendra meilleurs. Je souhaite seulement que la France soit victorieuse et je pourrai mourir.
    L’Allemand avait le visage défait. Son orgueil avait reçu un rude coup.
    Vous allez mourir, la France subira une défaite, dit-il d’un ton mordant.
    Nous sommes prêts, répondit mon père.
    Se tournant vers moi, le jeune Allemand dit :
    Allons qu’attends tu pour répondre ? Pourquoi ne veux-tu pas avouer que tu as peur ? Ton visage est blême.
    Mes nerfs étaient trop tenu pour garder le silence. Une grande colère s’était emparée de tout mon être. Je crois que si je n’avais pas parlé, je serais tombée étouffée par les mots.
    Réponds, j’attends !
    Je regardais et homme, droit dans le yeux.
    Oui ! je vais répondre : oui ! Je vais vous dire ce que je ressens, mais n’aurez cependant pas le plaisir de rire de ma frayeur : j’aurais peur d’être à votre place et non à la mienne.
    Pourquoi dis-tu cela ?
    Parce que, moi, je vais mourir proprement. Mes mains seront nettes et propres. Je vais mourir pour mon pays. Ma conscience ne sera pas troublée comme la vôtre. Je ne suis pas une criminelle, moi.
    Un soldat ne commet pas de crime, il fait ce qu’il a à faire, c’est la loi de la guerre.
    J’étais hors de moi : « Un soldat ! Vous avez di un soldat ? »
    Oui, c’est ce que j’ai dit, je maintiens toujours ce que je dis.
    Vous prenez-vous pour un soldat ?
    Pourquoi pas, petite vipère ?
    Parce que vous n’êtes qu’un vulgaire assassin.
    Quoi ? Répète ce que tu viens de dire, dit-il, en me donnant un coup de pied dans les jambes.
    La douleur me donnait des nausées, je continuai :
    Je n’ai pas besoin de répéter. Vous avez bien compris, votre comportement vient de prouver que j’ai raison ! Vous êtes un monstre !
    Espèce d’ordure tu vas me payer ça.
    Se tournant vers le chef :
    On peut y aller ?

    Le chef répondit en allemand mais la réponse dut être affirmative car, la mitraillette levée, l’homme nous regardait, faisant semblant de viser. Avec des gestes lents, il allait l’un à l’autre. Ma mère pleurait.
    Ne pleurez pas, vous allez mourir pour votre patrie. Je ne sais plus par lequel je vais commencer.
    Nous étions étions toujours alignés sur le trait au sol qu’avait tracé l’Allemand. Moi, je n’écoutais ni regardais plus ce monstre. Je priais avec ferveur.
    Mon Dieu ! Aide-nous à franchir le pas qui va nous emporter vers ton royaume, d’une manière digne.

    Comprenant que l’instant fatal ne tarderait pas, mes parents, défiant Allemands et mitraillettes, nous enlacèrent dans une étreinte désespérée. Dans cette étreinte, ils serraient nos têtes contre leur poitrine, essayant de cacher par ce geste celui de l’Allemand pour nous tuer.
    Nous allons mourir pour la France, mes enfants, dit mon père, mouillant nos visages de larmes brûlantes. C’était l’ultime adieu…

    Un bruit épouvantable nous fit sursauter. J’avoue qu’à cet instant je pensai que les balles de ces monstrueuses armes ne nous avaient pas fait souffrir. Je ne ressentais aucune douleur physique. Mon corps était secoué d’un tremblement nerveux. Je regardais les Allemands fuir se camoufler à l’intérieur de la maison, sans comprendre ce qui se passait. Immobile, sur le trait qui devait recevoir mon corps, j’étais dans un état d’hébétude des plus complets. Mon père n’attendit pas un instant. Profitant de l’affolement des Allemands, il dit :
    Vite, fuyons, occupez-vous de Marcelle.

    martinez

    Vignevieille dans l'Aude

    Il s’adressait à mes frères. Prenant maman par la main, il courut vers la rivière. Je sentis deux bras vigoureux m’entraîner et me soulever pour franchir les obstacles. Aidée par mes frères, j’arrivai au bord de l’eau. Nous entendions le bruit des rafales de mitrailleuses. Ces bruits décuplaient nos forces. Nous avons sauté la rivière transformée en torrent, nos mains rivées les unes aux autres pour mieux lutter contre la force ds éléments. Sortis de l’eau nous avons continué dans la forêt en suivant les sentiers les plus embroussaillés et en faisant très attention de ne plus nous séparer. Un long moment encore, les coups répétés nous faisaient sursauter, puis, plus rien. Le silence nous effrayait avant que le combat lui-même.

    Nous avons continué à fuir comme des bêtes traquées. Nous écartions les ronces qui barraient les passages avec nos mains. Quand elles résistaient, nous les coupions avec nos dents. Nos visages étaient égratignés et saignaient. Il fallait fuir loin, très loin ces maudits Allemands. Nos chaussures, déjà usées, ne résistèrent pas très longtemps : mouillées, elles se décollèrent plus facilement et quittèrent nos pieds. Aucun d’entre nous n’y fit attention. Qu’importaient les blessures si nous pouvions encore échapper à la mort. Nous avons couru pendant très longtemps, sans nous arrêter un seul instant. Du temps écoulé, nous avions perdu la notion. Notre but, notre pensée : aller loi, très loin de notre point de départ.

    L'intervention des maquisards du Corps Franc Lorraine (Villebazy) sauva la vie de la famille Martinez.

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  • 74 ans après, une nouvelle victime de l'explosion de Baudrigues identifiée

    Le 19 août 1944, les Allemands font sauter le dépôt de munitions du château de Baudrigues près de Roullens. Auparavant, ils avaient transporté sur les lieux depuis la Maison d'arrêt de Carcassonne un certain nombre de personnes et les avaient fusillées. De ses malheureuses victimes, on ne pourra identifier que la main de Jean Bringer grâce à sa chevalière et la nuque frisée d'Aimé Ramond. Jamais il n'a été possible d'établir un chiffre exact des martyrs de ce triste jour, car les morceaux de corps éparpillés sur 300 mètres n'ont jamais pu dire à qui ils appartenaient. Le registre d'écrou de la prison ayant disparu par enchantement depuis 1945, seule une liste visuelle du Dr Delteil permit d'évaluer le nombre en fonction des personnes libérées ce jour-là. Le Dr Delteil sera libéré le 19 août 1944, alors qu'il était prévu qu'il suive le même chemin que Bringer et Ramond. On sait avec certitude qu'il y avait Jean Bringer, Aimé Ramond, Pierre Roquefort, Jacques Bronson, René Avignon, André Gros, Léon Juste, Jean Hiot, André Torrent, Maurice Sévajols, Simon Battle, Gilbert Bertrand. Il y a quelques années, on a rajouté celui de Suzanne Last.

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    Les secouristes après l'explosion

    Avec le travail de recherche que je mène partout en France afin de comprendre les raisons, les causes et les conséquences de cette tragédie, j'ai pu dernièrement identifier une nouvelle victime. Elle n'était pas sur la liste du Dr Delteil et sans l'exhumation de dossiers sensibles, elle serait encore aujourd'hui inconnue. Oh ! Certes, on a retrouvé que peu de choses d'elle mais des détails vestimentaires, prouvent sa présence à Baudrigues. 

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    Martin Marcel Weil

    (1900-1944)

    Martin Weil était né à Dettwiller le 28 septembre 1900 à une époque où l'Alsace faisait partie de l'Allemagne depuis la guerre de 1870. Sur son acte de naissance figure sa religion : Israelitischer. Marié dans un premier temps à Marie Marguerite Meyer, il divorce et se remarie avec Marie Hélène Hortense Mulberg le 29.04.1933. De cette union naîtront trois enfants : Jean-Pierre, Joseph et Hortense. Lorsque les Allemands annexèrent Mulhouse au Reich après la défaite de juin 1940, Martin Weil fut expulsé le 23 juillet 1942 et gagna le sud de la France. Son fils aîné sera déporté dans un camp proche de la Russie et mourra de mauvais traitements. Martin Weil prend alors le pseudonyme de Marcel Martin et s'établit à Béziers en relation avec un réseau de résistance. Le 10 août 1944 lors d'un rafle - nous pensons avec Suzanne Last - il est arrêté par la Gestapo à Béziers. A cette époque, la Maison d'arrêt de Carcassonne sert de Centrale régionale à l'Occupant Allemand depuis le mois de juillet. Il n'est donc pas extraordinaire d'y retrouver des personnes interpellées en dehors du département de l'Aude. Par exemple, des résistants venant de la citadelle de Perpignan. Cratère.jpg

    Ce cratère matérialise l'ampleur de l'explosion

    En 1945, Madame Weil signala la disparition de son mari. Madame Guiraud, monitrice chef des équipes de la Croix-Rouge, fut avisée par les équipes d'urgence de Carcassonne d'un corps présumé de Béziers. Seul vestige, un pantalon dans la poche révolver duquel on a trouvé un ticket de boulangerie Biterroise. Un jeune homme qui avait été détenu dans la prison de Carcassonne au moment des faits s'est souvenu avoir connu un Martin, fusillé à cette époque. Madame Guiraud se rendit chez le boulanger en question qui lui indiqua que Martin Weil mettait toujours son ticket dans sa poche révolver. Le tissu retrouvé à Baudrigues correspondant au pantalon que portait Martin Weil a été envoyé à la mairie de Mulhouse, mais son épouse ne le reçut jamais. 

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    Le maire de Carcassonne à Baudrigues le 19 août 2018

    Aujourd'hui, je possède toutes les preuves d'archives des enquêteurs. Elles ne sont pas conservées à Carcassonne... Grâce à un travail de généalogie, j'ai réussi à entrer en contact avec les descendants de Martin Weil. J'ai eu le privilège d'apprendre à sa petite-fille qui était son papi et surtout, de lui adresser sa photo. Enfin a t-elle pu mettre un visage sur cet homme que le fanatisme a enlevé à l'amour de sa famille. Avec l'accord de Pascale, je vais entreprendre des démarches auprès des autorités afin que son nom figure désormais sur la plaque des martyrs de Baudrigues.

    "Vous ne pouvez pas imaginer l'émotion qui me submerge en voyant la photo de mon grand père,  je ne l'avais jamais vu, mon papa a toujours été silencieux sur cette période,  je pense très traumatisé et triste d'avoir vu sa maman souffrir et se battre pour son mari. Mon papa a également été militaire et à participé à la guerre d'Indochine. Son frère s'appelait Joseph et parait il a été déportés dans un camp en URSS ou il a trouvé la mort  et ma tante à ma connaissance à toujours été avec sa maman aussi elle s'est occupée de mon père."

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  • La finale du championnat de France de rugby 1925 et les larmes des Carcassonnais

    On s'est souvent amusé à compter les dix finales de l'ASM Clermont-Auvergne perdues, avant que ce club ne finisse par briser la malédiction en 2010. Ne vous a t-on jamais raconté que l'AS Carcassonne avant de battre pavillon treiziste, avait échoué en 1925 à remporter le bouclier de Brennus ? Peut-être est-elle plus malheureuse cette équipe de Carcassonne qui n'a jamais pu depuis renouveler l'exploit de se hisser en finale du championnat de France de Première division, ancêtre de l'actuel Top 14. Tout avait pourtant bien débuté par une victoire en demi-finale contre le Stade Toulousain à Bordeaux, le 5 avril 1925. Imaginerait-on aujourd'hui pareil exploit ? Inutile de rêver, on ne prête qu'aux riches et sans sponsor bien armé en trésorerie, aucune chance sur le plan sportif de se hisser maintenant en haut du tableau. Revenons donc 93 ans en arrière... Mon Dieu ! Que le passe vite.

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    L'équipe de l'AS Carcassonne lors de la finale

    La veille de la finale à Toulouse qui sera rejouée la semaine suivante à Narbonne, en raison du score nul et vierge de la rencontre entre l'AS Carcassonne et l'USA Perpignan, Gilbert Brutus (1887-1944) écrivait :

    "Tout fier de sa victoire sur le Stade Toulousain, Sébédio (dit le Sultan) rêve de nouvelles victoires, il aspire de tout son cœur à être champion de France pour démontrer qu'ils sont dignes d'être comparés aux meilleurs. Le pack de l'ASC est peut-être plus lourd que celui de l'USAP. Si nous mettons Darsans et Carbonne sur le même pied d'égalité, en revanche nous croyons que Pascot est supérieur à l'ouverture. Quant aux trois-quart, la supériorité perpignanaise est à craindre mais les Carcassonnais essaieront d'étouffer dans l'œuf les départs adverses. Andrieu s'annonce supérieur à Cayrol. Le talonnage de Mauran est connus des Catalans. Très ardent et très fougueux, le huit Sébédio est capable d'écœurer ses adversaires." (Le Midi sportif)

    Gilbert Brutus (1887-1944) fut joueur, dirigeant et arbitre. Engagé dans la Résistance auprès du général Delestraint, il sera plusieurs fois dénoncé. Arrêté et torturé par la Gestapo et la Milice, il mourra le 7 mars 1944 dans la citadelle de Perpignan. Le stade dans lequel évolue les Dragons Catalans XIII porte son nom.

    AS Carcassonne

    Andrieu, Albert Domec, Miquel, Jean Roux, Gleyzes, Marty, Darsans, Séguier, Jean Sébédio, Raynaud I, Cadenat, Germain Raynaud, Casterot, Mauran, Aguado

    USA Perpignan

    Sayroux, Delort, Montade, Henric, Rière, Ribère, Camo, Sicard, Pascot, Carbonne, Darne, Ramis, Baillette, Tabès, Cayrol.

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    Ce 3 mai 1925, la finale du championnat de France est rejouée à Maraussan (Narbonne), actuel stade Cassayet. A l'arbitrage, Robert Vigné qui avait déjà officié la semaine d'avant à Toulouse. On reprend donc les mêmes acteurs avec l'espoir qu'ils se départageront à la fin du temps réglementaire. Si le temps à Toulouse avait été très humide, à Narbonne il fait en ce début de mois de mai, une chaleur saharienne. Ceci n'a pas découragé les 21 000 spectateurs présents dans le stade, mais également sur les toits des tribunes et des maisons voisines. Le prix des places à une époque où un franc valait 20 sous avait été fixé à 5 frs (Populaires), 15,25 frs (Enceintes tribunes), 24,24 frs (Chaises numérotées en touche), 30,25 (Tribunes numérotées). Pour mémoire, un ouvrier en bas de l'échelle gagnait 600 francs mensuels. La recette atteint tout de même près de 120 000 francs.

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    Jean Sébédio de l'AS Carcassonne

    La partie débute par la mise en jeu de Carcassonne, reçue par Camo, qui arrête de volée. La touche qui suit permet aux Catalans de porter les hostilités chez les "jaune et noir" qui se défendent vigoureusement, empêchant ainsi un beau départ de Montade et Rière. Les mêlées donnent la balle à Perpignan mais l'énervement compréhensible de plusieurs joueurs fait manquer plusieurs départs des lignes arrières. Toutefois, Carcassonne, grâce à sa troisième ligne, amorce un long dribbling, auquel riposte une belle attaque de Pascot. Baillette manque la passe alors que l'essai était imparable. L'action catalane se faisant pressante, Carcassonne doit toucher dans ses buts. Sur renvoi, Carbone se fait boucler. Ramis peut tout de me^me trouver la touche et Carcassonne continue sa défense méthodique, ce qui n'empêche pas Raynaud I et Séguier d'amorcer un dribblent effectif.

    Coup franc aux 'sang et or" pour obstruction, aux 22 Carcassonnais. Les joueurs réagissent. Roux, Miquel, interceptent une passe de Baillette et envahissent le camp Catalan. La partie se poursuit à une folle allure. c'est une bataille âpre, violente et sans répit ; elle donne lieu à quelques incidents, mais tout rentre dans l'ordre lorsque les trois-quarts audois font une charge réussie, que Gleizes termine par une touche et de laquelle Castérot part. A nouveau Cayrol sauve son camp en renvoyant vers le centre du terrain. Darne oblige Andrieu à toucher dans ses buts. carcassonne faisant montre d'une certaine confiance, ouvre. cela lui vaut de voir Ramis l'obliger à revenir à sa défense première, après avoir bouclé Andrieu. Le jeu est remonté vers le centre. D'un cafouillage, Ramis ramasse, part dans son style particulier, arrive devant Andrieu d'un crochet, le laisse littéralement sur place et après une course de 60 mètres va marquer un très bel essai, qu'il transforme.

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    Roger Ramis, auteur de l'essai 

    Cet essai surprend Carcassonne, qui ne donne plus l'impression du début. Il faut une attaque de Montade et Rière pour réveiller une énergie endormie. Par Raynaud, Mauran, et surtout Sébédio, les hostilités reprennent vigoureuses. La mi-temps est sifflée au centre du terrain.

    AS Carcassonne 0 USA Perpignan 5

    Le jeu reprend sur un coup de pied de Carcassonne. Andrieu trouve une touche dans le camp catalan. Darsans, servi sur une touche, lance ses partenaires qui ne peuvent passer devant la défense adverse et perdent le bénéfice de l'essai par manque d'homogénéité. L'obstruction de Perpignan lui vaut un coup franc tapé par Sébédio. Le jeu se reporte dans le camp catalan. Sur un long coup de pied, Cayrol touche dans ses buts. cette reprise de mi-temps ressemble maintenant au jeu pratiqué dimanche dernier à Toulouse ; c'est une ardente prise des deux lignes d'avants, dont l'une bénéficie de l'avance et l'autre ne peut desserrer l'étreinte qui s'abat sur elle. Ajoutons à cela l'affolement qu'on peut facilement s'expliquer et on aura la raison pour laquelle des attaques comme ces de Sicard, Rière n'aboutissement pas. 

    Carcassonne, un moment acculé sur ses buts s'en dégage sur un court dribblant de Raynaud I. De violents incidents surviennent de nouveau entre joueurs. M. Vigné fait appel à la sportivité des équipiers et du public. Il faut avouer que ce spectacle n'a rien d'interessant. Les Catalans attaquent de nouveau ; Ramis essaie le drop et le manque. L'ardeur des adversaires n'a pas diminué. ramis tente une échappée heureusement arpentée par Roux et Gleizes.

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    Caricature de Ramis, l'homme du match

    La mêlée donnant la balle à Darsans, celui-ci fonce et sert Marty ; la ligne s'ébranle mais Domec est arrêté par Darné. Le pack "sang et or" regagne le terrain qu'il avait perdu et c'est la lutte qui recommence au centre du terrain. Les forwards catalans ont repris le contrôle des opérations et se montrent supérieurs dans leurs attaques ; aussi Ramis, Baillette sont particulièrement dangereux pour les buts Carcassonnais. Perpignan  domine manifestement dans toutes les lignes. Il faut la défense supérieure des hommes de Sébédio pour que le score ne soit pas plus fort au profit des Catalans. Près des buts audois, une bataille se poursuit, de laquelle un coup franc dégage Carcassonne. Les deux équipes remontent au centre du terrain. Camp, Rivière, Sicard amorcent un dribblling, et c'est la fin sifflée sur les buts Carcassonnais.

    (Le Petit méridional - 4 mai 1925)

    Les faits de match

    Un essai marqué par Sébédio pour les Carcassonnais en début de première période, après un long coup de pied à suivre et une course de plusieurs mètres. Hélas ! L'arbitre le refusa et à cette époque, on ne pouvait pas faire appel à la vidéo. Y avait-il une raison pour ne pas accorder l'essai ? 

    "Les Catalans ont joué plus vite que nous, mais battu pour battu, j'aurais préféré que l'arbitre nous accordât l'essai".

    (Jean Sébédio)

    Albert Domec rate une pénalité des 25 mètres

    De nombreux tampons et distributions de châtaignes en seconde mi-temps. 

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    Voilà comment l'unique finale de Carcassonne en championnat de France fut perdue ! l'US Quillan en joua trois entre 1928 et 1930 et en gagna une. Une performance qui n'est sans doute pas près de se renouveler...

    Sources

    Le petit méridional

    L'express du midi

    Le courrier de la Cité

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