L’abbé Jean Cazaux nous a quittés samedi matin. Je m’incline devant la mémoire d’un grand Carcassonnais. Oserai-je dire le dernier ? Si j’ai connu physiquement ce grand érudit sur le tard, sa personne m’était familière depuis l’année où il entreprit une grève de la faim. C’est-à-dire, je pense, au début des années 1990. Opposé au maire de l’époque sur la construction de logements en face du porche de l’église Saint-Vincent, les pires calomnies avaient été alors proférées à l’encontre du curé. À Carcassonne, les médisants par bonté s’en donnaient à choeur joie poussés par les édiles. La réputation de l’abbé, ébranlée par de petits esprits vertueux devant le rosé du matin, avait été qualifiée de gauchiste. Pensez-donc, on ne peut être curé et cultiver des amitiés avec le communiste Henry Garino ou Mgr Gaillot. Les incultes oubliaient sans doute que l’abbé Cazaux descendait d’une vieille famille aristocrate. Qu’il entretenait une relation épistolaire avec l’académicien Jean d’Ormesson. À Carcassonne, l’étroitesse de l’esprit de certains ressemble à celle des rues de la Bastide Saint-Louis.
On promettait d’aller se plaindre à Mgr Jacques Despierre. Afin de faire cesser céans l’embarras de cette privation de nourriture, le maire diffusait que le gréviste dînait en cachette la nuit dans sa sacristie. C’était ici la moindre des accusations. La rumeur publique répandait que le curé desservant Saint-Vincent, exposait ses attributs génitaux sur une plage de la Méditerranée. Cazaux au bûcher ! Il fallait le frapper d’hérésie.
Ainsi que je l’ai exposé en préambule, je n’ai eu le privilège de rencontrer l’abbé Cazaux que sur le tard. C’était précisément il y a quatre ans. Nos conversations furent d’abord téléphoniques. Elles durèrent parfois plus de deux heures, durant lesquelles j’appris énormément de choses touchant à l’histoire de Carcassonne. Jean Cazaux faisait partie de ces instruits qui jamais ne vous donnent l’impression d’en savoir moins qu’eux. Et pourtant, quelle science ! En venant vers moi, l’ancien curé de Saint-Vincent nourrissait deux espoirs. Le premier, c’est que l’on dépose une plaque sur la façade où avait séjourné Louis Aragon, en compagnie d’Elsa Triolet à Carcassonne en été 1940. Je lui promis de lui fournir tous les renseignements pour cela. « Ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas », était la philosophie de Jean Cazaux. Le second, que je publie sur mon blog le testament de Joë Bousquet qu’il détenait. Il voulait que l’on puisse tordre le cou aux rumeurs. J’ai donc diffusé ici le testament de son aïeul dont j’ai conservé une copie. Au sujet de Joe Bousquet, peut-être me faudra t-il noter désormais tout ce que l’abbé me confia. Vous connaissez l’histoire de la Maison des mémoires, me dit-il ? Pas précisément, lui répondis-je. Eh ! Bien, c’est Courrière qui l’a acquise pour le compte du Conseil général car Chésa n’en voulait pas. Quand avec Madame Patau, la soeur de Joë Bousquet, nous sommes allés la lui proposer, il a eu cette réponse : « Cent cinquante mille francs pour une chambre, c’est bien cher. »
Lorsque je vins chez lui à Saint-Roch près de Villemoustaussou, je ne repartis pas les mains vides. L’abbé m’avait conservé les archives, mémoires manuscrites du chanoine Gabriel Sarraute. Là encore, un grand érudit Carcassonnais en histoire de l’art. Il souhaitait que ce moi qui en soit le dépositaire. « A qui voulez-vous que je les donne ? Ça n’intéresse personne à Carcassonne. » Je lui promis de les lire et de les copier — ce que je fis — avant de les déposer aux Archives départementales de l’Aude. Ce fut fait auprès de M. Claude-Marie Robion en insistant pour que le nom de Jean Cazaux soit enregistré comme le dépositaire. Je pourrais également évoquer nos nombreux échanges sur l’église de Villalbe dont il alla, sur mes conseils, visiter les tableaux de Roumens et de Jalabert. Je pourrais relater ses souvenirs sur la Seconde guerre mondiale. Une anecdote qui me marqua ; celle d’une famille juive errante que se parents recueillirent à Saint-Roch. L’abbé n’avait à cette époque qu’une dizaine d’année. Il se souvenait que l’évêché de Carcassonne était maréchaliste, sous le ministère de Jean Pays.
L’abbé Jean Cazaux détestait ce qu’était devenu Carcassonne du point de vue culturel. Autant dire qu’il se montrait très critique envers les édiles de la ville depuis Raymond Chésa jusqu’à aujourd’hui. Nous savons que beaucoup parmi eux prendront des postures ou verseront même une larme en sa mémoire. Or, de son vivant, il se plaignait fortement de ne pas être entendu. Il s’inquiétait de ce que deviendrait son patrimoine intellectuel sachant que les Carcassonnais n’en avaient que faire. Ou, plutôt, n’en aurait que savoir en faire.
La parole la plus forte que j’ai entendu de ce curé est celle-ci. « Je suis ami avec Garino, vous le savez. Je ne suis pas communiste pour autant. Quand je m’interroge, je vois ce qu’ils font pour venir en aide aux indigents, aux migrants. Je me dis que ce serait bien incapable de le faire, car peut-être trop bourgeois pour ça. Finalement, la parole de l’évangile ce sont eux qui l’ont alors que la plupart disent ne pas croire en Dieu. »
Voilà l’abbé Cazaux tel que je l’ai connu. Homme d’une forte personnalité, il n’était absolument pas dupe vis-à-vis de ceux qui l’entouraient. Certains avec un intérêt trop pressant, en recherche d’une caution morale ou intellectuelle. Malgré la maladie, il demeura éclairé jusqu’au dernier souffle : « Je ne sais toujours pas si Dieu existe. » Maintenant, il le sait. Nous, nous l’ignorons encore.
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