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  • Analyse historique du "Donjon dans la tourmente"....

    De nombreuses affaires ont perturbé l’existence de la clinique du Bastion et de leurs propriétaires après la guerre. La libération du docteur Delteil le 19 août 1944 des geôles nazies, a jeté le trouble dans la population et chez certains résistants. Lorsqu’on a appris la fin tragique de Bringer et de Ramond à Baudrigue, le capital patriotique du chirurgien a été mis à mal. Les résistants locaux se sont tus. Au plus haut sommet de la gouvernance des FFI, on a feint de ne pas savoir. A cette époque, on ne pouvait pas remettre en cause la probité de cet homme, sans faire le procès de la Résistance toute entière. Début septembre, il fallait absolument rétablir la République et s’en prendre aux collaborateurs des Allemands. Pendant ce temps, le docteur a tenté par les moyens dont il disposait de travestir la vérité et d’obtenir des attestation de virginité. Ceci est formellement établi par les dépositions en notre possession.

    On peut d’ailleurs s’interroger sur le fait qu’il n’ait participé à aucun Comité de Libération, pas plus qu’à l’administration d’une juridiction d’exception comme la Cour martiale, ni au Comité d’épuration et de sélection de l’Aude. En revanche, on l’a vu très souvent se rendre au bureau de la police politique, ou à la prison pour s’entretenir avec le sinistre Bach. Sans aucun mandat, ni habilitation à le faire. L’agent français Bach, interprète de la Gestapo, aux méthodes brutales. Celui qui a arrêté Jean Bringer, Ramond et le docteur Delteil, mais qui niera étrangement à son procès avoir interpellé ce dernier. A la Maison d’arrêt, le chirurgien s’est aussi entretenu avec Ozouf, agent interprète des Allemands. Ozouf, grand trafiquant de marché noir. Après qu’il en soit sorti, on apprendra que le prisonnier s’est jeté depuis le deuxième étage. Il se serait suicidé, comme plus tard le Dr Cannac. Ce jour-là, le docteur était accompagné par le capitaine Charpentier, alias Noël Blanc. Cinq jours plus tard, le capitaine sera assassiné dans la clinique et retrouvé sous un pont à Palaja. On a brûlé son corps pour empêcher toute identification, mais sa carbonisation n’a été que partielle. Les témoins reconnaîtront tous le capitaine, sauf un seul homme… Le patron de la clinique du Bastion. Thérèse, l’infirmière de la clinique, s’accusera du crime. Elle se récusera, puis associera son geste au malheureux Dr Cannac. L’Otho-Rhino, revenu d’Antibes en novembre 1952 pour répondre la convocation du juge d’instruction, mourra dans la clinique après s’être soi-disant suicidé. Personne n’a jamais compris qu’un homme fasse 600 kilomètres en train et de nuit, pour avaler du Gardenal à 2h30 du matin dans une chambre du Bastion. Mystère…

    Au bout de toutes ses suspicions et faits délictueux annexes sur lesquels nous préférons nous taire, les accusés ont fini par obtenir un non-lieu en 1955. Jugement, appel, cassation… Les affaires alimentèrent la chronique judiciaire nationale, avec disons-le, trop de romance dans le but de vendre du sensationnel. L’historien s’interroge… Pour quelles raisons des gens, qui disent n’avoir rien à se reprocher, ont passé toute leur existence à travestir la vérité ? Toute leur existence à rechercher les honneurs, les médailles ?

    Le non-lieu ne suffisait pas ! Dans le Caqueyrolles de Joe Bousquet, tout finit par se savoir, les langues se délient au coin de la rue. Celle-ci avait rendu son implacable verdict : Coupables ! Il fallait donc une nouvelle fois que les suspects puissent donner leur version. Celle déjà entendue au procès et qui n’avait convaincu personne, mais que la loi leur interdisait à présent de publier. Alors, l’épouse du docteur à l’aide d’un nom d’emprunt se mit à écrire un roman. Avec beaucoup de talent littéraire, Ariane Desnoyer, dissimulait son véritable patronyme pour échapper au bras séculier de la loi. Sous de faux noms, on s’assure de ne pouvoir être attaqué en diffamation. Avec habileté, Ariane Dénoyer alias Stéphanie Dubreuil alias Eugénie, maquille les patronymes des principaux protagonistes des affaires pour lesquelles son mari a été inquiété. Lady Macbeth n’a plus qu’à entrer en scène…

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    Distribution des rôles : 

    Dubreuil (Dr Delteil), Sattac ( Dr Cannac), Serrurier ou Pascal Noir (Charpentier alias Noël Blanc), Scarfali (Chiavacci), Damon (Ramond), Théonie (Thérèse Paillet), Nicole (Denise), Flaguières (Maître Noguères), Valon (Lieutenant Talon), Saint-Luc (Dr Saint-Paul), Bastardy (Dr Reverdy), Disjole (Dr Deixonne), Ariel ou Jean Gringer (Myriel ou Jean Bringer), Bonel (Dr Bernard), Malvy (Dr Maury), Delhomme (Dr Bonhomme), Pancrace (Boniface), Chanoine Font (Curé Pierre Pont)

    Catalpa (Palaja), Villebazy (Villebazy), La Bigale (La Trivalle), La sarbacane (La Barbacane), Rodrigue (Baudrigue)

    Analyse

    Ce roman place son action en Amérique-du-sud. Stéphanie Dubreuil se rend en Argentine afin de rendre visite à des amis. Le lieu n’a pas été choisi au hasard, car c’est là que ce sont réfugiés après guerre tous les anciens collaborateurs et criminels nazis. Malheureusement, l’avion qui transporte notre héroïne s’écrase au milieu de la forêt brésilienne. A la suite de péripéties, Stéphanie Dubreuil (Eugénie Delteil) fait la rencontre de Serrurier alias Pascal Noir (Charpentier alias Noel Blanc). Cet homme n’est autre que l’homme dont le corps avait été trouvé carbonisé à Catalpa (Palaja) le 6 septembre 1944. En France, on le croit mort. En fait, il s’est réfugié au Brésil. Toute l’astuce de l’auteur consiste à relater des faits mensongers et des jugements diffamatoires à travers la bouche de ses deux héros. Cette argutie littéraire lui permet ainsi d’échapper à d’éventuelles poursuites, tout en calomniant les victimes et leurs familles. Notre travail s’est évertué à démonter tout l’argumentaire fallacieux. 

    Page 22 : « Elle ne le quitta pas sous la Gestapo, au temps où il échappait à la tuerie de Rodrigue, ni pendant ces dernières années où l’on se plaisait à exhiber entre deux gendarmes, les poignets enchaînés, ce survivant de l’enfer de Verdun, des gaz de combats et geôles allemandes ».

    Le Dr Dubreuil n’a jamais été au front à Verdun. Il était à l’arrière au sein du 13e Régiment d’Artillerie de Campagne au service des automobiles. Il a été évacué le 1er juillet 1916 à cause de problèmes hépatiques et a été réformé.

    Page 46 : « Pour ne pas entacher la mémoire d’un mort, sans hésiter à laisser peser sur des vivants de terribles accusations, Théonie s’est tue. Le cœur à ses raisons… »

    Ariane Dénoyer laisse entendre que Théonie a laissé accuser le Dr Dubreuil de la mort de Serrurier, pour défendre son amant le Dr Sattac. Signalons que ce roman a été publié en 1959. L’épouse du Dr Sattac était encore vivante, ainsi que leur fille. Voilà une assertion digne des ragots de quartier qui porte préjudice l’honneur de la famille du défunt.

    Page 48 : « Pour avoir cru sa situation désespérée, il a fallu que l’oto-rhino perde tout contrôle ; lors de notre dernière entrevue, quatre mois avant son suicide, son moral n’était pas déjà brillant, nous l’avions tous constaté. » 

    L’enquête a révélé que le Dr Sattac n’avait aucun instinct suicidaire. Qu’on n’a jamais retrouvé de Gardénal dans sa valise. Un membre de sa famille nous a dit que le docteur était très heureux à Antibes. Une très vive altercation avec le docteur Pierre S au téléphone la veille de son départ pour Carcassonne.

    Page 49 : « Apparemment, au point de départ, il y a deux femmes résolues à toutes les compromissions pour se procurer de l’argent : Mme Serrurier et Mme Sattac »

    Ces deux veuves n’ont souhaité qu’obtenir la vérité sur la mort de leurs époux. Elles sont portées partie civile. Il n’est point question d’argent. D’ailleurs Maître Noguères, résistant et ami de Serrurier, a voulu laver l’honneur de celui que le Dr Dubreuil accusait de traitrise pour justifier son assassinat.

    Page 60 : « Chargé de visiter les blessés du maquis, il félicita en ma présence le docteur Disjole des soins que, forcé par les circonstances, il nous avait donnés et je me souviens que le chirurgien qui sortait des prisons nazies, se tenait à peine debout. 

    Le docteur Dubreuil a indiqué n’avoir jamais été maltraité à la prison. Quant au docteur Disjole, comment laisser entendre que ce chef de clinique de Quillan a été forcé de soigner les maquisards. C’était le médecin officiel du maquis de Picaussel. Dubreuil qui convoitait sa clinique, avait demandé à Martimort, chef du maquis d’Aunat d’excuter Disjole. Martimort n’a jamais voulu car Disjole rendait de grands services à Picaussel et n’était pas un traitre.

    Page 61 : « Ce Pascal là (Serrurier) avait dû quitter notre vallée natale (La Lozère) en vitesse, à la suite d’une histoire de marché noir. »

    C’est totalement faux ! Serrurier avait quitté son poste de chef de réseau en Lozère en 1943 car il avait été arrêté par la gendarmerie, s’était échappé et était brûlé. A la suite, il fut envoyé dans l’Aveyron.

    Page 67 : « Le suicide de ce privilégié (Dr Sattac), qui aimait toutes les satisfactions que l’argent procure à ceux qui savent le dépenser, m’a paru inexplicable. Somme toute, peu importe les motifs, c’est le malchanceux Dubreuil qui a supporté les conséquences. »

    Ici, on fait passer le Dr Sattac pour un cupide. Sous entendu, c’est son besoin d’argent qui l’a amené au suicide. 

    Page 104 : « Non, c’est impossible. Serrurier Fut tué le 6 septembre 1944 et son cadavre tout d’abord brûlé à Catalpa dans un fossé, fut autopsié à la morgue de l’hôpital. »

    Serrurier a été assassiné au Donjon dans la nuit du 4 au 5 septembre et retrouvé à Catalpa le 6 septembre. Dubreuil a toujours prétendu que le 5, des employés de la clinique ont aidé Serrurier à pousser sa voiture pour la faire démarrer. Ceci pour justifier qu’il ne pouvait être mort le 4 au soir. Or, ces témoins sont tous revenus sur leurs dépositions en 1950. 

    « Ce n’est pas mon cadavre qui fut grillé à Catalpa et apporté à l’hôpital, mais un mort anonyme que tout le monde a pris pour moi. »

    Ceci est en partie exact. A une différence de taille… Le cadavre de Serrurier a été identifié comme le sien à Palaja par les témoins. Celui qui a été autorisé à l’hôpital n’était pas le sien. On a donc substitué à la morgue un corps par un autre. Il pourrait s’agir du policier André Got, assassiné le même jour à Saint-Martin-de-Vileréglan. Il présentait une plaie identique de 20 cm à l’abdomen à celui autopsié par le docteur Philippe S et figurant dans le rapport. Or, le corps de Serrurier n’avait pas de plaie à Palaja. On aurait carbonisé le cadavre de Got pour le faire passer pour celui de Serrurier. La plaie constituerait une preuve.

    Page 108 : « On enterrait le chef de la Résistance du département, massacré à Rodrigue le 19 août, avec dix-huit de ses camarades. Pendant l’absoute donnée en l’église Cathédrale, je surpris des regards de haine  braqués sur moi (Serrurier). A l’issue de la cérémonie je saisi le geste du docteur Sattac : d’un clin d’œil il me désignait à une personne que je pouvais discerner, mettant en même temps la main à sa poche-révolver dont le renflement permettait de deviner ce qui s’y dissimulait. » 

    Jamais le Dr Sattac n’a cherché à tuer Serrurier lors de l’inhumation de Bringer. En revanche, le Dr Dubreuil a fait courir le bruit que Serrurier était un traitre et qu’il fallait l’arrêter. Ceci est attesté par les dépositions de Gilbert de Chambrun et de Louis Nicol. La déposition de Sacarfali atteste qu’il aurait reçu l’ordre de Dubreuil d’abattre Serrurier, après la cérémonie. 

    Page 114 : « Un samedi de juillet, la police allemande s’emparait dans la rue du chef départemental de la Résistance : Ariel, qui accablé par les documents portés sur lui ne put se défendre. »

    Ariel ne portait pas de documents sur lui pour la bonne raison qu’il a été arrêté dans la clinique. Laisser supposer qu’il avait des documents compromettants cherche à prouver que personne n’a donné son identité aux Allemands. Or, nous sommes persuadés que Ariel a été arrêté le même jour que Dubreuil et Damon. Que tous les trois se sont retrouvés à la Gestapo et interrogés. La Gestapo ne savait absolument pas qui était le chef de la Résistance le jour de l’arrestation. Ceci est attesté par la déposition de René Bach, agent de la Gestapo.

    Page 150 : « Pour gagner la partie, Falguière tablait sur ses relations, nombreuses au prétoire et surtout dans les milieux politiciens où il avait été mêlé à pas mal de péripéties : le scandale Philippe Daudet, la mise en accusation du Maréchal Pétain, le litige Radio-Andorre… »

    Maître Louis Noguères (1881-1956), résistant de la première heure, avait refusé comme député de voter les pleins pouvoirs à Pétain en 1940. Membre de la SFIO, il avait été déchu et mis en surveillance par le gouvernement de Vichy. Président de la Haute-Cour de Justice, il jugea Philippe Pétain et les hauts fonctionnaires de Vichy. Quand il mit en oeuvre de défendre la veuve du capitaine assassiné au Bastion, il fut convoqué par le Président de la République Vincent Auriol. Celui-ci lui conseilla d’arrêter les poursuites contre les coupables. Noguères refusa d’obéir. Comment Stéphanie Dubreuil peut-elle mettre en cause la respectabilité d’un homme tel que Noguères ? L’avocat a toujours cru à la culpabilité de Dubreuil.

    Page 150 : « Or ceux qui furent « les résistants » n’étaient pas obligatoirement des êtres d’exception, mais des individus standard qu’un élan avait soulevés au-dessus du médiocre, où il retombèrent vite dès que la clandestinité baissa pavillon. »

    Drôles de propos pour une personne ayant accueilli des maquisards dans sa clinique…. 

    Page 135 : « Vous méconnaissez la toute puissante presse qui dirige les masses, influence les tribunaux, dicte leur verdict aux jurés. « 

    « Les policiers n’ont pas d’amis. Leur rôle consistant à obtenir des aveux de ceux qui tombent sous leur coupe, les procédés employés pour y parvenir ne sont pas toujours dignes d’un pays qui se dit civilisé : Le Guépou et la Gestapo ont fait école. »

    Quand on attaque la liberté de la presse et l’indépendance de la justice, doit-on raisonnablement penser que l’on est républicain ?

    Page 173 : « Il faut faire la part à une jeunesse qui aimait la belle vie, s’excusa Pascal (Noir), les vêtements confortables chèrement achetés au marché noir, les restaurants gastronomiques sans tickets, mais avec coup de barre à l’addition, sans parler des petites amies coûteuses en cadeaux. »

    Voilà la mémoire de Noël Blanc habillée pour l’hiver. On a construit une sale réputation, après son décès, au capitaine Charpentier. Ainsi pouvait-on aisément l’accuser post-mortem d’avoir été malhonnête.

    Page 175 : « Mon père et ma mère (serrurier qui parle) ne sont plus, ma linotte de femme est remariée, elle n’avait pas une nature à supporter le veuvage. Si elle a mis, je l’ai su, les sanglots doubles à l’annonce de ma prétendue mort, c’était pour avoir plus tôt fini. Elle m’a aimé, j’en suis certain, avant qu’elle chérit son actuel époux et, si celui-ci venait à lui manquer, elle mettait ses ardeurs à la disposition d’un troisième. C’est une créature frivole qu’une permanente, un chapeau neuf et un collier de perles de culture consolent des chagrins les plus cuisants."

    L’auteur fait ici parler le capitaine au sujet de sa femme, plaignante au procès contre les assassins de son mari. Madame Blanc s’était remariée après la mort de son époux. Elle est ici présentée comme une femme de peu de vertu.

    Page 190 : « Dubreuil est-il toujours le sosie du Grand Général ? Votre mémoire visuelle est fidèle ; mon époux ayant peu changé a conservé à dix centimètres près l’apparence qu’avait le libérateur en 1944. Il résulte que le chirurgien ressemble maintenant au Général plus que le Général ne ressemble à lui-même. »

    La cerise sur le gâteau.

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  • L'histoire de la clinique du Bastion

    Bâtiment enserré à l’intérieur du bastion Montmorency, l’ancienne clinique du Dr Émile Delteil n’évoquera bientôt plus de souvenirs aux Carcassonnais. Il nous paraissait donc important de tenter de retracer ses origines, malgré les difficultés que nous avons rencontrées pour obtenir des renseignements. Ces écueils sont sans aucun doute relatifs à la personnalité controversée de son propriétaire. Les évènements mystérieux survenus dans la clinique pendant l’Occupation et même après, ne permettront pas de faire tomber les masques. L’implication de plusieurs personnalités Carcassonnaises dans ses affaires a assorti autour de la clinique un espèce d’omerta. Ceux qui ont voulu vendre la mèche en sont mort ; les autres, ont juré de se taire. 

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    L'habitation des époux Delteil dans le parc du Bastion

    Après avoir été la propriété de Coste-Reboulh, le bastion est acquis par M. Parlange à la fin du XIXe siècle. Cet homme possède une bonne fortune qu’il fait fructifier dans le commerce du vin. Ses entrepôts se trouvent sur le boulevard Marcou, à proximité du couvent des Sœurs Marie-Auxilliaitrice. Le docteur Delteil, originaire du Lot, va faire bientôt l’acquisition du bastion et en transformer une partie en clinique. Qui est donc Emile Pierre Delteil ?

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    © Généanet

    Emile Delteil

    Né à Le Roc dans le département du Lot le 19 août 1893, Émile Pierre Delteil est le fils d’un riche propriétaire de Lamothe-Fénelon. Il poursuit des études de médecine à Toulouse lorsque la Grande guerre éclate. Mobilisé au 7e régiment d’infanterie le 19 décembre 1914, il passe rapidement au Service auxiliaire de l’armée et est réformé temporairement pour « Varices et gastrites » en juin 1915. Il bénéficie d’un sursis d’incorporation pour « continuation des études ». Affecté ensuite au service automobile du 13e régiment d’artillerie de campagne, on l’envoie à Verdun à l’arrière du front sur la Voie sacrée. Emile Delteil n’y reste que peu de temps, car en raison de ses troubles hépatiques, on procède à son évacuation le 1er juillet 1916. Il est à nouveau réformé, puis également en 1920 pour « Reliquat de congestion du foie avec crises fréquentes de coliques hépatiques. Etat général médiocre. » A ce titre, le Dr Delteil bénéficiera d’une pension en 1965 pour les mêmes raisons médicales. Il prétendra que ce se sont les mauvais traitement liés à son arrestation par la Gestapo qui ont généré ses troubles hépatiques. Nous voyons qu’ils avaient été déjà signalés durant la Grande guerre, où semble t-il, le docteur avait été mis à l’arrière des combats pour des motifs non liés à ceux-ci. Il deviendra le Vice-président des Anciens combattants et mutilés de guerre de l’Aude.

    En 1919, l’étudiant en médecine vit à Toulouse, 7 rue de Rémusat. Une loi lui permet d’obtenir son diplôme de médecine sans avoir à achever ses années d’études. L’après guerre manque cruellement de chirurgiens. Il vient s’établir comme docteur à Carcassonne et devient chirurgien des hôpitaux de Castelnaudary et de Lézignan. C’est à cette époque, au début des années 1920, qu’Emile Delteil rencontre sa future épouse Eugénie Ormières. C’est la fille de Jean Ormières, riche propriétaire et maire de Leuc. Avec l’argent de la dot, le couple Delteil fait l’acquisition du Bastion à M. Parlange. C’est ainsi que naquit dans Carcassonne, la première et unique clinique privée. Elle est située en face de l’hôpital général, ancien Hôtel Dieu. Le docteur Emile Delteil devient rapidement un notable de la ville. Depuis 1935, il a même pris la succession de son beau-père à la mairie de Leuc sous la bannière Radicale-Socialiste. Il y restera sans interruption jusqu’en 1953.

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    Habitation des époux Delteil dans le parc du Bastion

    La clinique fonctionne en 1931 sur trois étages (Médecine, Chirurgie, Maternité) avec quatre religieuses faisant office d’infirmières. Ce sont des sœurs de charité françaises, italiennes et espagnoles. Au rez-de-chaussée, donnant sur la rue Voltaire, l’entrée des bains-douches avec le Dr Maury comme Pédicure-podologue. Le Dr Delteil accueille également des docteurs d’origine slave comme Marie Sivickaïte, née en Ukraine, ou Salomé Gyzycki (1922-1998), née en Pologne. On les appelle Russes blancs, ayant fui le régime communiste car tsaristes. Outre le personnel médical, la clinique a un chauffeur, un concierge, un cuisinier et des femmes de ménage. A la Villa-Roy, Emile Delteil fait cultiver des légumes pour alimenter la cuisine de la clinique. 

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    Emile Delteil et Joaquin Trias en 1942

    Dès 1936, le Dr Emile Delteil accueille des médecins réfugiés espagnols. C’est d’abord le cas du Dr Joan Puig Segura, qui a fui la République espagnole (Frente Popular), puis de celui du Dr Joaquin Trias Pujol (1887-1964). Cet éminent chirurgien catalan arrive à Carcassonne en 1939 avec toute sa famille dont neuf enfants. Commandant-médecin des troupes républicaines de l’Est, il a échappé aux griffes de Franco. Ancien président du Rotary-Club de Barcelone, on suppose que les relais entre médecins lui ont trouvé une place chez Delteil. Notons que ce dernier facilite grandement l’accueil des réfugiés en provenance d’Espagne. Dans son domaine du Majou à Montréal d’Aude, il permet aux guérilleros de faire de la carbonisation pour les voitures roulant au gazogène. Cette source de revenus permet aux réfugiés communistes espagnols de survivre et, plus tard, de s’impliquer dans la Résistance.

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    La famille Trias et ses neuf enfants chez le Dr Delteil

    Emile Delteil va proposer l’asile à la famille Trias. En échange, le chirurgien catalan, pratiquera des opérations pour le compte de la clinique. Tout en faisant une bonne œuvre, le Dr Delteil s’assure les compétences de l’un des meilleurs médecins de Barcelone. Diplômé en médecine et pharmacie en 1910, Joaquin Trias a participé à la guerre du Rif et jouit d’une excellente réputation. La famille Trias restera à Carcassonne jusqu’à l’arrivée des Allemands en novembre 1942. Après quoi, le chirurgien ira fonder une clinique en Andorre et poursuivra l’œuvre de résistance à Franco.

    Emile Delteil ne prend t-il pas Trias pour modèle, lorsqu’il est approché par Piccolo et ses amis pour mettre à disposition sa clinique pour des réunions de Résistants ? A partir de 1943, le Bastion devient le lieu de planque des réfugiés, des réfractaires et des maquisards. Il emploie aussi un radiologue juif, le Dr Bernard. A plusieurs reprises, faisant jouer ses relations, il est prévenu des futures arrestations d’israélites. C’est le seul radiologue de sa clinique.

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    Dans cette auberge espagnole, se tiennent des assemblées secrètes avec des personnalités régionales de l’Armée des ombres. Les réunions ont lieu à l’abri dans une ancienne cave, ayant servi au XIXe siècle de loge maçonnique : La loge Napoléon. Ce qui fait la sécurité d’un établissement médical, c’est qu’on y croise toutes les sensibilités ; collaborateurs, miliciens, Allemands… Rien ne doit éveiller les soupçons sur les activités clandestines. Le Dr Delteil a, depuis avant-guerre, des amitiés avec familles qui collaborent avec les Allemands. Il essaie d’en tirer partie, de récolter des renseignements pour les maquis, tout en laissant paraître qu’il partage leurs opinions. Sa clinique soigne les soldats allemands, mais aussi les maquisards. Bénéficiant d’un laisser-passer, son ambulance a la possibilité d’aller chercher des malades, de jour comme de nuit. Il est clair que le Dr Delteil joue le double-jeu. La résistance le croit très résistante, quand son ami le chef de la LVF, le croit très collabo. En jouant sur les deux tableaux - si nous pouvons dire à propos d’un grand amateur de peinture - le Dr Delteil pourra le moment venu se protéger.

    Le 30 juillet 1944, la Gestapo fait une descente à la clinique et embarque Emile Delteil. Il a été dénoncé par un agent de liaison répondant au nom de Chiavacci. Son crime ? Avoir soigné des maquisards. Le Dr Henri Gout dirige la clinique en son absence. Eugénie Delteil fait immédiatement intervenir le Dr Jean Girou, président de l’Ordre des médecins de l’Aude ainsi que la Croix-Rouge. Elle s’active auprès du cabinet du préfet ; met en éveil toutes ses relations. La gestapo garde Delteil en prison ; il est fortement suspecté d’avoir entretenu un réseau de renseignements au profit de la Résistance. Le chef de la Gestapo juge son cas comme extrêmement grave. A la prison, il doit passer devant une cour martiale allemande. Ses amis Jean Bringer et Aimé Ramond, arrêtés et internés avec lui, n’en reviendront pas vivants. Le 19 août 1944, ils sont fusillés à Baudrigue. Le même jour, Emile Delteil est libéré par Oskar Schiffner, sous-chef de la Gestapo : "Il n'y avait plus de place dans le camion vers Baudrigue, dira le docteur. Emile Delteil ira témoigner en faveur de Schiffner à son procès à Bordeaux en 1953.

    Après la Libération, l’auberge espagnole si humaniste devient l’auberge rouge. Affaires de l’assassinat de Charpentier et du « suicide » du Dr Cannac, inutile d’y revenir. Le Dr Delteil reçoit la Légion d’honneur en 1949 - l’avis du préfet n’était pas requis pour des faits de résistance :

    « Ancien combattant de la guerre de 14-18 adjoint au médecin, commandant des FFI de l’Aude, chirurgien-chef a été un des premiers membres du corps médical du département, à se mettre volontairement au service de la Résistance audoise et à organiser le service médical pour les soins aux combattants FFI blessé au combat. Malgré les dangers de l’époque, il mit sa clinique à la disposition de la Résistance et de l’armée secrète et y soigné de nombreux FFI Blessé. Arrêté par la Gestapo le 30.7.1944 et malgré de longues tortures, n’a jamais parlé, ni donné le moindre renseignement susceptible de renseigner l’ennemi. A eu une conduite exemplaire jusque’à sa libération de prison quelques instants à peine après la débâcle allemande. Vivant exemple de courage et d’abnégation tout au service de la France. Belle figure de résistant patriote. Croix de guerre avec palme ».

    Juste après sa décoration, le trouble passé de la clinique ressurgit. Le docteur a des ennuis avec ses comptes et la Sécurité sociale, puis l’affaire Cannac fait rebondir l’affaire Charpentier. Interdiction pour le chirurgien d’exercer la médecine pendant plusieurs années… Entre temps d’autres cliniques se sont crées dans Carcassonne : Brun et Héran. La concurrence arrive au moment où les déboires s’accumulent.

    L’administration de la clinique - propriété de Madame Delteil - passera entre d’autres mains à partir de 1974. L’établissement remonte la pente et compte jusqu’à 80 salariés. Le Dr Delteil meurt le 25 février 1982. Son épouse lui survivra quatorze ans. Tous les deux sont inhumés à Leuc. La clinique ferme ses portes définitivement en 2000. C’est aujourd’hui une maison de retraite.

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  • La grande évasion de Jean Cahen Salvador

    Jean Cahen Salvador naît le 25 décembre 1908 à Paris (VIIIe) et exerce avant la Seconde guerre mondiale de hautes fonctions au sein du Conseil d’État. Dès la constitution du gouvernement Pétain, il est suspendu et mis à la retraite d’office en 1940, en raison de ses origines juives. La promulgation des lois sur le statut des juifs l’amène à fuir Paris, situé en zone occupée par les nazis. Il trouve refuge à Carcassonne, certainement aidé dans sa démarche par son ancien confrère au Conseil d’État, Paul Henri Mouton (1873-1962), lui-même suspendu par Vichy. Il y épouse, Simone, la fille de ce dernier le 6 août 1940. De cette union naissent respectivement à Carcassonne, les 4 octobre 1941 et 19 août 1943, Gilles et Anne-Marie Cahen Salvador. Le beau-père, Paul Henri Mouton, inventeur de la loterie nationale, fait partie d’un réseau de résistance qui tient des réunions clandestines au domaine de la Jasso, près du bord de l’Aude. Le couple Cahen Salvador et ses enfants, vivent au n°13 de la rue de la République.

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    Le lieu de résidence des époux Cahen Salvador à Carcassonne 

    Arrêté à Carcassonne le 2 septembre 1943 en raison de sa religion juive, Jean Cahen Salvador est envoyé au camp de Drancy. Son beau-père, malgré ses réseaux, n'a rien pu faire. A partir du 15 septembre, une poignée d'internés va organiser le creusement d'un tunnel clandestin à partir des caves de Drancy. Jean Cahen Salvador participe à cette périlleuse aventure pour recouvrir la liberté. Aidés dans leur tâche par le colonel Blum, chargé d'administrer le camp par les SS, les prisonniers font des prouesses avec une simple pioche. Deux mois plus tard, le tunnel fait 35 mètres de long, soit deux mètres avant les limites du camp. L'évasion est prévue pour le 11 novembre 1943, jour où l'appel doit se faire une heure plus tard. Hélas, le 9 novembre, cette entreprise a été dénoncée aux allemands. Les SS fouillent les caves et finissent par découvrir le tunnel. Henri Swarz est passé à tabac et finit par donner le noms de quelques complices parmi les plus gaillards à ne rien avouer. 

    jean cahen salvador

    Camp de Drancy en 1943 gardés par la police française

    La gestapo de la rue Lauriston doit venir sur place pour faire sauter le tunnel avec des grenades, mais celui-ci résiste.  Les internés vont être obligés de boucher l'entrée avec des briques et du mortier. "Pour des juifs vous avez très bien travaillé. On a besoin de gens comme vous en Allemagne", leur dit Aloïs Brunner. Ils vont être déportés vers Auschwitz par le convoi n°62, non sans avoir réussi à dissimuler des outils.

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    Ancienne gare de Bobigny, départ pour Auschwitz

    Le 20 novembre 1943 à 5h du matin, les tunneliers de Drancy montent dans un autobus en direction de la gare de Bobigny. Jean Cahen Salvador raconte : "Au départ de l'autobus, on a chanté la Marseillaise ce jour froid de novembre". Les gardes mobiles français se sont même mis au garde-à-vous. Arrivés à Bobigny, les gens du tunnel n'ont pas été séparés et ont été mis dans le même wagon à bestiaux. Un wagon uniquement composé d'hommes. Après les recommandations d'usage d'un SS sur les tentatives d'évasion, le train s'ébranle en direction de l'Est de la France. Les hommes savent que le convoi arrivera vers 6h à Bar-le-Duc, puis à la côte de Lérouville où le train sera obligé de ralentir. C'est là qu'il faudra sauter. Au préalable, il faut faire sauter les barreaux de la lucarne du wagon pour s'échapper. Eugène Handschuk et Serge Bouder sortent leurs tourne-vis, mais rien n'y fait. Tout est bien solidement scellé et la nuit arrive. Alors, les frères Roger et Georges Gerschel se mettent à l'ouvrage. Ils tirent avec leurs deux mains sur les barreaux en s'appuyant de leur pied sur la cloison de bois. Leur force est herculéenne. Ils parviennent finalement à faire sauter les barreaux. 

    jean cahen salvador

    C'est par ce trou de souris que vont s'échapper les frères Gerschel, Oscar Handschuk et ses deux fils, Serge Bouder, Maurice Kalifat, Jean Cahen Salvador. Au total, douze des quatorze tunneliers plus sept autres n'ayant pas participé au creusement. Henri Swarz et Robert Dreyfus resteront dans le convoi et n'en reviendront pas. Tout comme le colonel Blum, entassé dans un autre wagon.

    Ces hommes seront recueillis et trouveront refuge chez des agriculteurs et des cheminots de la région de Bar-le-Duc. On les change de vêtements, on leur donne à manger et même de l'argent pour prendre le train. Marcel et Odette Ménard seront reconnus "Juste parmi les nations". Les évadés atteignent la gare de Bar-le-Duc, puis repartent en direction de Paris avec de faux papiers. Jean Cahen Salvador arrivera à Gex (Ain) en provenance de Paris en passant par Lyon et Bellegarde. Sa femme Simone et ses enfants le rejoignent. De là, ils gagnent Versonnex, puis à pied les bois de Villars Dame. Grâce à Charles Pomaret, ils trouvent refuge en Suisse jusqu'à la fin de la guerre.

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    En 1980, le tunnel est redécouvert lors de la construction d'un gymnase

    C'est ainsi que Jean Cahen Salvador échappa à la mort. Deux autres juifs arrêtés à Carcassonne et faisant partie du convoi n°62 n'ont pas eu cette chance. Il s'agit de Charles Lévy qui travaillait à Saint-Denis (Aude) comme comptable et d'Albert Médioni qui résidait à Leuc chez un propriétaire.

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    © Alain Pignon

    Madame Cahen Salvador lors d'une assemblée générale de l'Association des Amis de la Ville et de la Cité en 1980

    Après la guerre, Jean Cahen Salvador retrouvera son poste au Conseil d'État et mourra en 1995. Son épouse, Simone Cahen Salvador (1913-2003) née Mouton, officiera longtemps comme présidente de l'Association des Amis de la Ville et de la Cité. Quant à leur petite fille Sidonie, c'est actuellement la directrice de la Société de films Gaumont.

    Sources

    Documentaire "Les évadés de Drancy" / Nicolas Lévy-Beff/ 2016

    Blog "Musique et patrimoine" / 2015

    "Passages clandestins des juifs en Suisse" / Ain.fr

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