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L’étude récente des archives de l’Hérault, nous permet aujourd’hui de refermer le douloureux chapitre des évènements du 29 novembre 1943 à Belcaire. Soixante-seize ans après, les familles éplorées par la perte d’un père, d’un oncle, d’un frère ou d’un époux vont enfin connaître la vérité. Le nom de ce jeune homme soupçonné d’avoir dénoncé aux Allemands les activités clandestines des passeurs vers l’Espagne et des réfractaires de Camurac et Belcaire. Celui-là même qui ne sera jamais poursuivi et qui, peut-être, grâce à quelques protections réussira à ne jamais être inquiété. Nous sommes des historiens, pas des juges ; ne comptez pas sur nous pour faire le procès qui n’a pas eu lieu. Vis-à-vis de la justice de notre pays, il restera innocent. Son récent décès ne permettra plus de l’interroger. Toutefois, il nous paraît indispensable de rappeler que dans cette affaire, huit hommes seront envoyés en déportation et que cinq n’en sont jamais revenus.
Hôtel Bayle à Belcaire, lieu des arrestations
Le 29 novembre 1943, les services de la police allemande se sont rendus à Belcaire et à Camurac. Pendant qu’un groupe de 30 hommes placés sous le commandant de l’adjudant-chef du 71e régiment der Landeschützenregiment der Luftwaffe Lisieux cernait la localité de Belcaire, un autre groupe sous le commandement d’un adjudant de la même unité cernait Camurac. René Bach, agent interprète du SD de Carcassonne se trouvait pendant l’opération à Belcaire avec Oskar Schiffner, chef de la Gestapo. Janeke, lui, était à Camurac. Si Bach n’était pas d’abord à Camurac, il y est venu ensuite avec l’agent Kromer au début de l’après-midi. Ces nazis ne seraient jamais descendus à Belcaire sans la collaboration de membres de la Milice et surtout du Parti Populaire Français, traqueur de réfractaires au Service du Travail Obligatoire. Les hommes de Belcaire et de Camurac n’auraient pas été roués de coups, torturés et déportés dans les camps de la mort. Si l’agent de la Gestapo René Bach paiera pour ses crimes, si Joseph Kromer sera exécuté par la Résistance quelques mois après, celui que nos documents d'archives soupçonnent de délation vécut une existence tranquille dans l’honneur et la respectabilité de ses hautes fonctions. Pourtant, le 18 avril 1944, une rapport émanant d’un résistant fut transmise au Haut Commandement Français, certifiée conforme avec le tampon à la croix de Lorraine. Ce même document figure au Service Historique de la Défense à Vincennes, dans le dossier du réseau de renseignements AJAX.
« En octobre 1943 ayant été obligé, avec tous mes camarades de quitter le camp de RAD à cause du mauvais temps (neige et froid), et de la prise de cinq de mes camarades qui effectuaient des passages en Espagne, nous nous sommes réfugiés dans la cabane de Mazuby (Aude) située à 3 ou 4 kilomètres du village portant le même nom, et qui appartenait au vacher. Trois ou quatre jours après notre installation, une jeune fille accompagnée de son fiancé, est venue nous avertir que le lendemain matin, des miliciens et des gardes mobiles viendraient nous arrêter.
A ce moment-là, comme trois de mes camarades sur cinq que nous étions, étaient partis accomplir un stage dans un camp d’instruction, et de plus, n’ayant pour toutes armes qu’un fusil de chasse et un colt, nous avons jugé qu’il était impossible de nous défendre, et avons été obligés de nous réfugier dans un village des environs. Par suite, j’ai appris de sûre que la Milice et les gardes mobiles étaient effectivement montés le lendemain matin, un lundi pour voir si nous étions encore là. Cette opération de police a été effectuée à la suite d’une dénonciation qu’à fait Julien Coudy, habitant à Carcassonne, Bd du Commandant Roumens, maison Cazals. Un habitant de Mazuby, où le dénommé Coudy va passer les vacances chez un oncle Cazals, l’ayant rencontré, Julien Coudy lui dit qu’il était sûr que des réfractaires se trouvaient dans la cabane de Mazuby, et qu’il allait s’occuper d’eux. Cet individu, qui ne vient à Carcassonne que pour passer ses vacances, habite à Paris, 9, avenue Emile Deschanel.
De Julien Coudy est le Franc-Garde dont nous n’avions pu retrouver la trace das l’affaire de Belcaire, où en décembre dernier, il y a eu un mort, un blessé, mort des suites de ses blessures, et cinq déportés en Allemagne, à l’issue d’une descente de police allemande dans ce village. C’est ce Coudy, alors qu’il était en vacances à Mazuby, qui s’est rendu compte qu’il y avait des réfractaires dans les environs de Belcaire. Il vint à Carcassonne en avertir la Milice, retourna à Belcaire avec le nommé Robert Joseph, employé chez Cathala, marchand de graines à Carcassonne.
Robert retourna ensuite avec Kromer à Belcaire ; ils se firent passer pour des gens qui désiraient prendre le maquis. Kromer dirigea l’expédition allemande. Il est à remarquer que ce nommé Coudy, qui passa ses vacances dans la région occupait son temps. Pendant les dernières vacances de Pâques, il est entré en relations avec une jeune fille étudiante, dont les parents sympathisants avec la Résistance, recevaient chez eux des membres de cette organisation.
Il a passé tout son temps avec elle ; il a effectué en sa compagnie de nombreuses promenades. Tout laisse supposer qu’au cours de conversations adroites, et par certaines questions assez précises, il a pu obtenir des renseignements assez sûrs pour diriger une nouvelle opération. Individu particulièrement ambitieux, étudiant en droit, vise à devenir ambassadeur. Il est toujours armé. Il y aurait grand intérêt qu’il disparaisse au plus tôt, avant qu’il n’y ait un incident plus grave à regretter. »
Un seul témoignage ne pouvant à lui seul constituer une preuve, nous avons retrouvé celui du milicien Sarda, passé en jugement et interrogé après la Libération :
« Sans pouvoir préciser la date, courant août 1943, en qualité de milicien, j’avais pour mission d’effectuer une enquête concernant le sieur Vacquié, de Camurac. cet ordre m’avait été donné verbalement par le milicien Coudy Julien, qui fréquentait Mazuby et en particulier, la famille Cazals Louis. Cette enquête avait pour but de démontrer les agissements et les relations qu’avait Vacquié, vis à vis de la Résistance. En possession de ce renseignement, j’ai cru faire mon devoir de prévenir Vacquié, et me rappelle très bien lui avoir dit que pour mon compte, il ne serait pas inquiété.
C’est en qualité de milicien, que le nommé Coudy s’était confié à moi, puisque la veille, j’avais adhéré à la milice, sur les conseils du sus-nommé. Il s’agissait de savoir s’il était de notoriété publique, que Monsieur Vacquié, ravitaillait et hébergeait des réfractaires, et s’il était l’agent de renseignements pour livrer passage aux résistants qui voulaient se rendre en Espagne. En ce qui concerne les recherches du nommé Coudy, je ne puis vous donner de précisions. »
Au cours de la déclaration que le Dr Martre, maire de Belcaire, fit le 6 mars 1945 devant le Commissaire de la police à la surveillance du territoire, il déclara :
Au cours de vos déclarations, vous nous citez le nommé Coudy. Quel a été son activité à Belcaire ?
- A Belcaire son activité a été nulle, car le président de la Légion le sieur C, n’a pas accepté les propositions faites par Coudy, pour le recrutement de la Milice. L’activité de Coudy a surtout été effective à Camurac, où il a réussi à créer un mouvement milicien, qui comptait trois adhérents, les nommés G. Alfred, G. Benjamin et M.
Etes-vous au courant de l’opération effectuée par la Gestapo à la cabane de Mazuby située à trois ou quatre kilomètres du village du même nom ?
- J’ignore tout de l’opération effectuée par la Gestapo au lieu indiqué, cependant je dois vous déclarer qu’étant allé aviser le maquis de Campagne de Sault, de ce que la police devait les cerner, les membres de ce maquis m’ont dit que cette opération devait être due à une dénonciation faite par Coudy. j’ignore si Robert a joué un rôle dans cette affaire là, toutefois cela n’est pas impossible.
Bilan du 29 novembre 1943
© belcaire-pyrénées.com
René Bayle, né le 28 décembre 1908. † 3 janvier 1945 à Dora
Arnaud Baptiste, né le 22 novembre 1919. † 23 mars 1944 à Dora
Jacques Vacquié, né le 10 novembre 1898. † 10 mars 1944 à Dora
Raymond De Marchi, né le 24 juillet 1919 à Leiden (P-B). † 5 avril 1955 à Buchenwald
René Fournet, né le 10 avril 1903 à Bordeaux. † 7 février 1944 à Lublin
Julien Toustou, né le 7 février 1902. Rentré
Joseph Dieuzère, né le 10 mai 1903. Rentré
Henri Tournier, né le 24 février 1920 à Olonzac. Rentré le 22 avril 1945 de Sachsenhausen
Léon Maugard, Etienne Auriol, Jean Martre, Roger Malet, Raymond Tournier, Roland Vanmuysen, Baptiste Clergue, Pierre Vacquié et Marcel Sutra avaient été relâchés non sans avoir reçus des coups.
Sources
S.H.D Vincennes / Réseau AJAX
Archives de l'Hérault / Dossier Robert
Archives de Justice militaire
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