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  • Quand Talleyrand annonçait la venue de Monsieur (frère de Louis XVI) à Carcassonne en 1777

    Dans une lettre en date du 30 mai 1777, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord alors député du clergé, annonce à Monsieur de Pelletier - major de Carcassonne - la venue prochaine en sa ville de Monsieur, le frère du roi Louis XVI. 

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    © Collection Philippe Maillard

    Avec l'aimable autorisation du site : www.le-prince-de-talleyrand.fr

    Paris, le 30 mai 1777.

    Je vous donne avis, Monsieur, que Monsieur arrivera le 24 du mois prochain à Carcassonne, et crois ne pouvoir mieux faire pour vous mettre à portée de connaître les honneurs militaires qui devront être rendus à ce prince, que de vous envoyer copie de la lettre que M. le comte de Saint-Germain m’a fait l’honneur de m’écrire à cette occasion en vous recommandant de vous y conformer en tout ce qui peut vous y regarder.

    Comte de Périgord.

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    Hôtel Pelletier du Claux, rue Trivalle

    Il s'agit de Jean Anne Crépin de Pelletier (1724-1790), dernier major commandant la Cité.

    (Carcassonne d'hier à aujourd'hui / p.525)

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    Monsieur en 1788

    (futur Louis XVIII)

    Dans une lettre de M. Bertin - supérieur du séminaire de Saint-Charles à Toulouse - en date du 14 juin 1977, il est également annoncé le passage du comte de Provence dans la région.

    "Monsieur arrive à Toulouse vendredi prochain le 20 du courant. Il séjournera le 21 et partira le dimanche 22, après avoir entendu la messe, pour aller coucher chez M. l'évêque de St-Papoul ; le 23, il ira voir le bassin de St-Ferréol et reviendra coucher à St-Papoul. Le 24, il partira sans doute après la messe pour aller à Carcassonne, à moins que, voyageant sur le canal, il ne s'en écarte pas. C'est ce que j'ignore. Si cela est, vous pourriez bien ne pas le voir à Narbonne."

    (Bulletin de la Commission archéologique de Narbonne / 1895)

    En effet, au printemps 1777 le futur Louis XVIII assiste à Toulouse à une séance des Jeux floraux. Une réception en son honneur est même organisée par les parlementaires de cette ville chez le comte Riquet de Caraman. Il embarque ensuite au Pont St-Sauveur et poursuit son périple sur le Canal Royal du Languedoc.

    Après avoir couché à St-Papoul chez Mgr Jean-Antoine de Castellane, il visite le 23 juin l'école de Sorèze. Il veut tout savoir depuis les programmes jusqu'aux menus et donnera au jeune commandant du bataillon, un brevet pour entrer dans sa garde à la fin de ses études. 

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    École royale de Sorèze

    Ces cérémonies terminées le futur page de Monsieur, le jeune Montgaillard se précipita chez ses parents pour leur annoncer l’heureuse nouvelle, ceux-ci se mirent aussitôt à constituer le trousseau, de leur fils, afin qu’il pût être envoyé à Versailles au premier avis. Ils attendirent un mois, deux mois, six mois, un an... Rien ne vint. Ce n'était qu'une « promesse de Monsieur » et Monsieur n'en avait tant répandu le long de sa route que parce qu’il était résolu à n'en tenir aucune...

    (Michel Demelin / Sorèze : au coeur du Languedoc...)

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    © Chroniques de Carcassonne

    Ancien échêvé de Carcassonne

    Monsieur arriva avec son escorte à Carcassonne, le 24 juin 1777. Il alla dîner et coucher à l'évêché (aujourd'hui, préfecture de l'Aude) chez Mgr de Bezons ; dans la même chambre qu'occupera en 1815 son frère Louis de France, duc d'Angoulème.

    "Lorsqu'en 1777, Monsieur, comte de Provence, qui depuis a régné si glorieusement sous le nom de Louis XVIII, passa à Carcassonne, on servit à ce prince des vins de Limoux et de Villemoustaussou : il eut la bonté d'en faire éloge à M. de Bezons ; le vin de Villemoutaussou provenait d'une vigne qui appartenait depuis longtemps à la famille Don, et dont le M. le secrétaire perpétuel de la Société d'Agriculture de l'Aude est actuellement propriétaire. Un habitant de Limoux, que la Révolution dans sa fermentation tumultueuse et dans ses collisions centrifugeuses avait porté à Saint-Pétersbourg, réchauffait les estomacs des habitants de cette capitale du nord avec les vins de son pays et sa blanquette gracieuse."

    (Journal de la Société d'agriculture de l'Aude / 3e année)

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    Château de Ventenac

    Le comte de Provence repartit de Carcassonne le lendemain où il devait coucher à Ventenac-en -Minervois chez M. de Caraman, avant de rejoindre Narbonne.

    Il est fort regrettable que dans le département de l'Aude, on ne regarde l'histoire de France qu'à partir du 4 septembre 1870 et la proclamation de la République. Faut-il être à ce point sectaire pour ne jamais évoquer dans les livres contemporains, la visite des illustres personnages de l'Ancien de Régime à Carcassonne ? 

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    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2016

  • La belle histoire de l'ancien asile de Bouttes-Gach

    Un enfant est déposé à la porte de l'hospice de Carcassonne, le 20 avril 1818. Sur ces vêtements, un papier est accroché avec l'inscription suivante : "Gaudefroy Lucien, né aujourd'hui 19 avril 1818 marqué au petit doigt de la main gauche, n'est pas baptisé." Ce bébé retrouvera probablement sa mère biologique - Jeanne Marie Louise Gach, née à Floure en 1776 - avec laquelle il vivra à Saint-Couat d'Aude jusqu'à la mort de celle-ci, le 27 août 1859. Nous avançons comme hypothèse que Bouttes soit le nom du père qui ne l'a jamais reconnu. On retrouve ce patronyme dans le Narbonnais...

     Lucien Bouttes-Gach poursuit même des études de droit, selon le recensement de 1836. Il sera élu comme maire de Saint-Couat à deux reprises et sous deux noms différents. Entre 1843 et 1848, sous le nom de Lucien Bouttes-Gach et de 1871 à 1874, sous celui de Gaudefroy Bouttes. Ceci s'explique par le fait qu'il ait choisi de modifier son patronyme par jugement du 26 mars 1862. 

     N'ayant pas d'héritier naturel et ne souhaitant pas que le profit de ses biens fasse l'objet d'un enrichissement, il rédige entre 1847 et 1873 six testaments différents. Le 19 novembre 1873, il institue le département de l'Aude comme son légataire universel. En 1874, Bouttes-Gach met fin à ses jours ; le département devient propriétaire du domaine d'Aussières près de Narbonne - acquis aux enchères par le défunt en 1872, ancienne propriété de M. Mareschal - et du domaine de Saint-Couat, qu'il met en vente aux enchères publiques en mai 1875.

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    © Le figaro

    Domaine d'Aussières (673 ha) : Mise à prix 415.000 francs

    Le domaine d'Aussières près de l'abbaye de Fontfroide a été acquis en 1999 par les Domaines Barons de Rothschild (Lafite). Il aura fallu dix ans pour remettre sur pied la production et sortir les premières cuvées, il y a seulement deux ans.

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    Château de St-Couat (141 ha) : Mise à prix 850.000 francs

    Le premier nommé est adjugé en juillet 1875 à MM. Bousquet et Bergasse pour la somme de 415.000 francs. Le second ne sera vendu qu'après une baisse de prix pour 625.000 francs à Joseph Lignières, propriétaire à Ferrals. Le Conseil général dispose d'un gros héritage.

    La succession

    Le testament spécifie que le département devra s'acquitter de trois legs particuliers dont l'un est ainsi spécifié :

    "Je lègue 100.000 francs à tous mes parents du côté maternels au degré successible."

    Par voie de presse, la préfecture demande aux parents de M. Bouttes-Gach de se faire connaître. Le 12 août 1875, ils sont 68 a revendiquer cette part de l'héritage. Les neveux et nièces vont intenter un procès afin de toucher en supplément, les 20.000 francs qui leur étaient dévolus dans un testament antérieur datant de 1860 ; le département obtient gain de cause en avril 1878. M. Antoine Marty - avocat et propriétaire à Floure - ami du défunt, réclamera l'exécution des deux testaments de 1852 et 1860 dans lesquels M. Bouttes-Gach lui lègue ses meubles, ses voitures, ses chevaux et ses bijoux. Son nom n'apparaissant pas dans le testament de 1873, le département refusera de lui céder cette partie de l'héritage, arguant que l'antériorité n'a plus de validité. Marty va aller en justice et obtenir gain de cause ; la préfecture interjettera appel. Les fabriques des églises de Saint-Vincent et de Saint-Couat vont elles-aussi réclamer leur part. Le 30 août 1879, elles acceptent les bases de la transaction adoptées en avril, au sujet de la délivrance des legs en faveur de ces établissements. 

    Les voeux du défunt

    Le reste de mes biens, je le lègue au département de l'Aude, pour un hospice sain et élevé. Je souhaite que ma fortune serve à but d'utilité publique et non a assouvir des cupidités particulières.

    Les problèmes d'apurement de la succession Bouttes-Gach durèrent plusieurs années... Le Conseil général chercha néanmoins le meilleur moyen pour faire respecter les voeux de son bienfaiteur. En janvier 1876, Justinien Capmann propose d'affecter la somme provenant de la succession à la création d'une école des arts et métiers dans l'Aude. Cette proposition ne sera pas retenue ; M. le préfet fait étudier par l'architecte départemental M. Desmaret, un projet ayant pour but la création d'un asile où tous les secours que peut réclamer l'humanité dans tous les cas de maladie à tous les âges, seraient donnés gratuitement. 

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    © Polices mobiles

    L'asile en 1942, en bordure de la route de Toulouse

    La construction de l'asile

    Entre le décès de M. Bouttes-Gach et le début des travaux de l'asile, il s'écoulera huit années de procédures, commissions et autres atermoiements. En 1880, plusieurs propriétaires offrent des terrains pour l'édification du futur hospice. Priorité est donnée aux terres de MM. Albarel et Cabrié situées en bordure de la route de Toulouse, si les fouilles dans le sol révèlent l'existence d'une eau suffisante pour les besoins de l'asile. A défaut, ce seront les terres de M. Combes-Gaubert à l'Estagnol ou celles de Mme Riscle à la Gravette qui seront choisies. 

    Le 16 juillet 1881, l'entreprise de maçonnerie de Michel Cau se voit confier la construction des bâtiments pour un montant de 135.000 francs. Le 26 août 1882, la même entreprise doit réaliser la platrerie, la charpente et le dallage pour 16.000 francs. Enfin, les travaux de menuiserie, parquets et serrurerie sont dévolus à M. Falcou pour 30.000 francs. Au total, ce sont 183.000 francs + 2000 francs d'imprévus.

    Deux sociétés ont offert de fournir des appareils pour l'installation du gaz : M. Flander de la Cie Néerlandaise et directeur de l'usine à gaz de Carcassonne ; M. Huguet, appareilleur à Carcassonne. Malgré le devis avantageux de ce dernier, l'offre de M. Flander est retenue car la Cie Néerlandaise réalisera la canalisation extérieure de 400 mètres à ses frais.

    L'acquisition d'une horloge avec cloche en raison de l'éloignement de l'asile avec le centre de la ville est conclue de gré à gré - selon l'usage pratiqué dans les communes de l'Aude - avec le sieur Péghoux, horloger à Carcassonne. Celui-ci sera chargé de la maintenance pour une durée de dix ans.

    Afin d'honorer la mémoire du généreux bienfaiteur, un buste prendra place au milieu du vestibule. On demande à M. Malbret - photographe à Carcassonne - la reproduction d'un cliché de M. Bouttes-Gach. Il est question de rechercher un sculpteur parisien, puis de s'offrir les services de M. Godin, auteur des sculptures ornant le fronton du Palais de justice. En 1883, M. Injalbert de Béziers tient l'affaire.

    Le 12 janvier 1881, les élus du Conseil général se prononcent sur la construction d'une chapelle à l'intérieur de l'asile. Au sein de l'assemblée départementale, l'hostilité des libres-penseurs gagne à une voix de majorité contre ce projet. Ils indiquent que jamais M. Bouttes-Gach n'a évoqué cette résolution dans son testament, qu'il ne devait pas être si croyant pour s'être suicidé et que la création d'une chapelle catholique exclue de fait les mahométans et autres religions. L'économie réalisée sur ce poste de dépense permettra, selon eux, la création de lits supplémentaires. Les défenseurs de la chapelle fendent cet argument en mettant en avant les contradictions budgétaires, avec la création d'une maison du jardinier pour 18.000 francs.

    L'administration

    Les sept membres nommés par le Conseil général administrent l'asile. Leurs fonctions sont bénévoles et leur mandat renouvelé par cinquième chaque année. Ils sont rééligibles. Le 14 janvier 1885, M. Jean-Baptiste Progent - Officier d'administration des bureaux de l'intendance, en retraite - est nommé comme directeur. M. Antoine Lauze lui succédera en 1901. Le fonctionnement financier de l'asile est assuré par l'encaissement de 24 bons du trésor pour 240.000 francs et d'un nouvel achat de rente pour 711.000 francs placés à 5% sur l'état. 

    En 1886, l'asile accueille 40 pensionnaires. Les repas coûtent 1,40 francs par pensionnaire ou 400 francs par an. L'excédent de recette se monte à 3.800 francs. Il est observé que le tarif de 0,80 franc pour deux repas est bien faible pour proposer de la qualité. A moins que le jardin n'améliore l'ordinaire, les pensionnaires risquent fort de manger plus souvent des patates que de la viande.

    "C'est l'heure du déjeuner qui a lieu à 11 heures et demi. Nous avons vu défiler devant nous les pensionnaires au moment où ils se rendaient au réfectoire. Ils étaient tous convenablement vêtus et paraissent en général disposés à faire honneur au déjeuner, dont le menu était ainsi composé : soupe au jus, plat de haricots et figues sèches. Ce repas avait été précédé d'un premier déjeuner qui avait eu lieu à huit heures et demi et qui était composé d'une soupe au lait. Le dîner du soir comprenait un plat de pois au jambon et une salade. Telle était la carte de ce jour, et certes elle n'avait pas été dressée pour la circonstance. Les convives ont pris place autour d'une table reluisante de propreté. A côté du couvert chaque pensionnaire avait une large rondelle de pain blanc et frais dont la croûte dorée des plus appétissantes et une bouteille de vin de demi litre.

    Les dortoirs, vastes et aérés, présentaient une double rangée de lits parfaitement alignés et dont la régularité aurait plus au sergent de chambrée le plus exigeant. La lingerie, aux étagères bien garnies et pourvues de casiers numérotés, renferme les objets appartenant à chaque pensionnaire. La cuisine, les magasins pour conserver les provisions font plaisir à voir. Tout indique une surveillance méticuleuse de la part du directeur, un souci très réel de la conservation du matériel et du bien-être des pensionnaires.

    La vérité nous oblige à ajouter que ce n'est pas cependant des témoignages unanimes de satisfaction que l'on recueille de la part des habitants de l'Asile. Ils se plaignent, en général, de ce que la nourriture est moins bonne que les années précédentes. Les plats de viande qui ont été supprimés du programme sont regrettés par ceux qui ayant été habitués à un meilleur régime dans les premiers temps ne peuvent pas s'expliquer la diminution apportée à leur bien-être, ce qui prouve que le bonheur n'est pas de ce monde.

    (La Fraternité de l'Aude / 8 juillet 1887)"

    L'Asile au fil du temps

    En 1884, l'asile de Bouttes-Gach devient pour un temps une annexe de l'hôpital général de Carcassonne afin d'accueillir les malades touchés par le choléra. Ils y sont mis en quarantaine et soignés jusqu'à la fin de l'épidémie. Le 19 octobre 1906, M. Fondi de Niort signale la ruine prochaine de l'asile de Bouttes-Gach. Les réparations étant considérables, il propose de le supprimer et de donner les soins à domicile. On décide finalement de faire les réparations les plus urgentes. Le 23 avril 1909, on propose la transformation en partie de l'asile en une école professionnelle pour les pupilles de l'assistance publique.

    Guerre 14-18

    L'asile de Bouttes-Gach est aménagé en annexe de l'hôpital le 16 novembre 1915 pour les soldats contagieux, jusqu'au 29 septembre 1919. 277 soldats allemands y seront internés.

    Guerre 39-45 

    L'asile est transformé en caserne pour le GMR Minervois qui s'y installe le 16 novembre 1941. Après la création de la Milice Française à Carcassonne en 1943, ce sont les troupes de la Franc-garde agissant contre les maquis qui occupent Bouttes-Gach.

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    A La Libération, la Résistance prend possession des lieux avant que le 1er juillet 1945, la CRS 163 n'en fasse sa caserne.

    La fin de Bouttes-Gach

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    L'incendie de l'asile de Bouttes-Gach

    En 1976, un violent incendie détruit l'ancien asile de Bouttes-Gach. La CRS s'installe dans de nouveaux locaux, route de Narbonne. Le 15 septembre 1980, le département cède à la ville, suivant estimation des Domaines, un terrain de 1980 m2 sur lesquels se trouvent les anciens ateliers de l'ex-caserne de CRS. Dans ces bâtiments ont envisageait de loger le Foyer du Méridien. Finalement, les bâtiments ruinés seront rasés et on construira sur leur emplacement la résidence du Méridien. Aujourd'hui, on a oublié qu'un enfant abandonné aux portes de l'hospice en 1818 a ensuite légué une immense fortune pour le bien-être des vieillards les plus démunis. Plus rien sur ce site n'indique la mémoire de Lucien Bouttes-Gach, bienfaiteur du département de l'Aude.

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    © Google maps

    La résidence Méridien sur l'ancien asile Bouttes-Gach, en 2016

    Sources

    Cet article a nécessité deux jours de travail de recherche et de synthèse. Il a été rendu possible grâce à la consultation des délibérations du Conseil général de l'Aude entre 1875 et 1883, des journaux locaux, de l'état civil et du recensement sur le site en ligne des archives de l'Aude. C'est donc comme presqu'à chaque fois, un travail de fourmi auquel l'auteur s'est livré. Il vous est demandé - si vous deviez vous servir de ces informations - de le citer. Nous comptons sur l'honnêteté morale des lecteurs.

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  • L'arrestation d'André Coste par la Milice Française

    Le policier André Coste - natif de Fanjeaux - était un agent P2 des S.S.D.N (Services Spéciaux de la Défense Nationale) pendant la Seconde guerre mondiale. Après avoir rendu ses services au sein de la Résistance à Paris, il arrive à Carcassonne en octobre 1942 afin d'y remplir plusieurs missions. Elles consistent notamment à recueillir des renseignements de personnes jugées dangereuses pour l'Armée secrète : Miliciens, membres du P.P.F (Parti Populaire Français), agents de la Gestapo, etc... Son appartement situé dans la rue de l'aigle d'or, lui permet d'observer les mouvements dans le Grand café Not de la place Carnot. C'est le siège du P.P.F et le lieu de rendez-vous des miliciens.

    Dans le livre "La Résistance audoise" de Lucien Maury paru en 1980, André Coste raconte son arrestation par la Milice Française en mai 1944. Dans les détails, il explique comment et grâce à qui il a pu finalement échapper au triste sort qui l'attendait. Nous avons trouvé par hasard dans les archives de l'Aude, un document dactylographié de septembre 1944. Il s'agit de l'interrogatoire de l'un des collabos qui l'a fait arrêter ; il nous a paru très intéressant de confronter les deux versions. 

    Le récit d'André Coste

    Le 20 mai 1944, j'avais rendez-vous avec Müller sous-officier d'aviation du groupe Testa. Il avait une chambre dans l'immeuble de la droguerie Arnal, face à la gare, près du café Continental. Notre rendez-vous était fixé à 13 heures dans cette chambre, au deuxième étage, où on accédait par un immense escalier. Nous échangeâmes divers renseignements puis nous décidâmes de ne pas quitter la chambre en même temps. Il partit donc le premier. Quant à moi, je restai trois-quarts d'heures environ avant de partir. Descendu au premier étage, qu'elle ne fut pas ma surprise de me trouver en face de trois miliciens , qui, révolver au point, s'approchèrent, me fouillèrent ; parmi eux un résistant authentique, l'officier de paix Aimé Ramond, du Commissariat de police !...

    Presse de questions, je leur dis que je venais de la chambre au-dessus qu'un ami m'avait prêtée où j'avais rendez-vous avec une fille qui n'était pas venue. Il m'obligèrent à remonter dans la chambre où ils perquisitionnèrent sans aucune autorisation, ne trouvèrent rien de compromettant, sauf des tenues de sous-officier d'aviation qui appartenaient à Müller. Ces tenues les inquiétaient. Ils me demandèrent le nom de mon ami, son adresse, que je donnai. Quelqu'un fut envoyé prendre Müller qu'on trouva fort heureusement. Ce dernier confirma aux miliciens ce que je leur avais dit quant à ma présence dans sa chambre. C'est d'ailleurs "l'alibi" que nous nous étions donné en cas de "coup dur". Mais les miliciens n'en étaient pas tellement convaincus, ils voulurent savoir le nom et l'adresse de cette jeune fille. Je leur dit que je la connaissais à peine depuis trois jours, qu'elle n'agitait pas en ville, mais du côté de Lézignan, qu'elle ne m'avait donné aucune précision sur son domicile et qu'elle s'appelait "Josiane", c'est tout ce que je savais.

    Ce qui m'inquiétait surtout, et me rassurait à la fois, c'était la présence de Ramond avec les miliciens, Ramond qui faisait semblant de ne pas me reconnaître et qui ne m'adressa pas une seule fois la parole. Les idées les plus "moches" me passèrent par la tête. Müller ou Ramond était-il un agent double ? Comment Ramond savait-il que j'étais là ? Tout cela ne me paraissait pas possible. Après un interrogatoire sommaire et une perquisition de la chambre de Müller, qui ne fut pas arrêté, nous quittions cette chambre ; d'autres miliciens étaient en faction au rez-de-chaussée et dans la rue. Je fus conduis au siège de la Milice, Place Carnot, de là, toujours avec Ramond et deux miliciens, au domicile de ma femme, rue de l'Aigle d'or, menottes aux mains. Encore une fois, cette pauvre femme me vit arriver encadré de miliciens pour perquisitionner ; elle fut, elle aussi, interrogée, menacée, en présence de notre petite fille qui n'arrêtait pas de pleurer.

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    Le siège de la Milice à Carcassonne

    Pendant que les miliciens perquisitionnaient dans une pièce qui se trouvait sur le palier de l'appartement, à gauche au premier étage, Ramond et moi, nous nous trouvâmes seuls dans une des deux pièces qui donnaient sur la rue. Raymond qui ne m'avait jusque-là jamais adressé la parole, me dit spontanément :

    - Surtout ne bouge pas, je te sortirai de là, mais-moi faire. Tu n'as rien de compromettant ici ? Sur ma réponse négative, il me fit un petit signe de tête qui voulait die "ça va". Ce furent ses seules paroles.

    Ma femme fut interrogée pendant les deux jours que je restai place Carnot et gardée à vue. Je fus ensuite transféré au lieu-dit "Bouttes-Gach", un ancien asile où étaient stationnés les miliciens de choc qui participaient aux opérations de police, patrouilles et attaques de maquis.

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    L'ancien asile de Bouttes Gach a été rasé, route de Toulouse.

    Un jour, Ramond vint me voir (nous étions seuls) et m'expliqua comment j'avais été arrêté. J'avais été aperçu dans la rue par deux membres du Comité d'Action P.P.F de Carcassonne, Fontvieille et Lamouret, ces deux-là devaient me connaître ou avaient quelques renseignements sur moi. Je les connaissais parfaitement puisque j'avais fait leur fiche, en septembre 1943, et celle de tous les gros bonnets de ce mouvement à Carcassonne, qui avait son siège rue de l'Aigle d'or, même rue que celle de mon domicile. Or, suivi par les deux cités ci-dessous, je ne m'étais pas aperçu que j'étais "filé" ; ça peut arriver même à un ancien policier ! L'un deux avait dû rester sur place et l'autre était allé à la Milice, place Carnot où se trouvait le chef de centaine très connu pour son activité débordante à Carcassonne et dans les environ. F... se rendit avec un autre chef milicien trouver le commissaire de police Fra auquel ils expliquèrent qu'ils allaient procéder à l'arrestation d'un Français et demandèrent l'assistance d'un responsable de la police française. Ce fut Ramond qui fut désigné par le commissaire. La Milice prenait soin lorsqu'elle procédait à des arrestations de Français, d'être accompagnée d'un policier Français, de façon que l'arrestation soit officielle.

    Un jour, au début de l'après-midi, la Milice, comme d'habitude, me descendit au siège place Carnot. Pendant que je l'attendais, sous la surveillance de deux miliciens, je pouvais voir Ramond qui discutait avec un chef de la Milice, celui qui a été fusillé à la Libération. Je fus introduit dans le bureau, Ramond me dit dit à ce moment-là :

    - On va vous amener au Commissariat de police, nous avons quelques questions à vous poser.

    Il passa un coup de fil et bientôt arriva une voiture avec un gardien de la paix. rond monta derrière avec moi, je n'avais pas de menottes, elles m'avaient été retirées dès mon arrivée à la Milice et non remises par Ramond. dans la voiture, il me remit un papier sur lequel était écrit :

    "Arrivés devant la porte du Commissariat, tu me bousculeras et partiras en courant, prends la première rue à droite et rue Voltaire, presque en face de la clinique Delteil au N°X... au premier étage, une porte en face l'escalier, tu entres et tu attends, il n'y aura personne. Tu t'enfermes à clé et ne réponds que si tu entends frapper deux fois à la porte. Tu me rends ce papier." Ce que je fis.

    Arrivés devant le Commissariat dont la porte d'entrée était dans le rue du Crédit agricole Mutuel, j'appliquai les consignes données : bousculade, Ramond fit semblant de tomber et de me poursuivre jusque dans la petite rue qui donne rue Voltaire. Je ne devais jamais plus le revoir. Arrêté avec Myriel le 29 juillet 1944, il périt sur le dépôt de munitions de Baudrigues le 19 août 1944. Grâce à lui qui avait tout prévu, mon évasion réussit sans grand mérite pour moi.

    Je n'oublierai jamais ses dernières paroles lorsque, dans la voiture qui nous ramenait au Commissariat de police, je lui dis qu'il ferait bien de partir avec moi. Il me répondit : "Je ne peux pas, mon travail n'est pas fini."

    Aimé Ramond était employé dans la Résistance au "Noyautage des administrations", au sein même du Commissariat de Carcassonne. Avec certains de ses collègues résistants et au milieu de la majorité des autres, Vichystes, il s'employa à recueillir des informations et à sauver des patriotes. Il mena un exercice périlleux afin de ne pas se faire repérer ; c'est aussi pour cela que l'on retrouve sa signature sur le registre de condoléances de Philippe Henriot, exécuté par la Résistance en juillet 1944 à Paris.

     L'interrogatoire de Fontvieille

    J'appartiens en qualité de membre du P.P.F de la section de Carcassonne, depuis 1932. J'ai fait partie de la Légion Française des Combattants, depuis sa fondation, mais je n'ai pas adhéré au S.O.L ni à la Milice.

    Dès le début de mon entrée dans le P.P.F, j'ai été chargé de faire des adhésions. C'est le nommé J... qui m'a fait entrer dans ce parti, et m'avait plus particulièrement chargé de faire des abonnés au journal "L'émancipation nationale". Je n'ai réussi dans cette dernière opération qu'à faire trois abonnés.

    J'ai adhéré au groupe Collaboration de Carcassonne dès sa première réunion et j'ai été inscrit par un nommé De F, demeurant actuellement à Saint-Papoul. Je n'ai assisté qu'à deux réunions organisées par le groupe Collaboration et la Milice, à savoir : la conférence de Dr Grimm et celle de Henriot. En revanche, j'assistais régulièrement à toutes les réunions et conférences organisées par le P.P.F. Celles-ci avaient lieu en caractère privé et n'étaient qu'ouvertes aux membres du parti.

    Dans quelles circonstances, avez-vous fait arrêter le nommé Coste de la Résistance par la Milice de Carcassonne ? Je vous demande de me répondre en toute franchise.

    Il y a environ quatre mois, j'ai aperçu la présence au café Not du nommé Gayraud et d'un moniteur que j'ai appris par la suite qu'il s'appelait Coste, et qui consommaient à une table voisine de la mienne. Je me trouvais à ce moment-là en compagnie de membres P.P.F ; les nommés C..., I... et Lamouret. Comme je doutais que le nommé Gayraud appartenait à un groupe de la Résistance, nous avons défiguré l'invité de Monsieur Gayraud avec qui il discutait à voix basse et nous avons compris que nous avions affaire à un individu suspect. Lorsque cet individu s'est levé, mon camarade C... est sorti pour voir la direction qu'il prenait. Quelques instants après il est revenu nous joindre nous déclarant qu'il n'avait pas pu se rendre compte où il était passé. Au cours de la discussion qui s'en suivit, le nommé Lamouret nous demanda de faire notre possible pour établir l'identité de cet individu et de son domicile. Bien qu'intrigué par la présence de cet individu à Carcassonne, je ne me suis jamais livré à aucune surveillance sur lui. Je n'ai jamais cherché à savoir ce qu'il faisait et son identité. J'ai toujours cherché à l'éviter, craignant cet individu et le prenant pour un "terroriste".

    Ne revoyant plus cet individu avec mon camarade Lamouret, nous en avons conclu qu'il avait dû quitter la ville. Un mois environ après, j'ai rencontré cet individu au moment où il rentrait dans l'immeuble Arnal qui fait corps avec mon bureau. Comme je sortais de celui-ci, je suis revenu sur mes pas et je suis allé dire à Monsieur Lamouret, mon associé, que cet individu était là. A ce moment-là, il m'a dit : "Je vais prévenir la Milice, faites le guet et regardez qu'il ne ressorte pas." Immédiatement un groupe de miliciens conduit par C de la Reille, s'est rendu sur les lieux et a attendu que cet inconnu sorte de l'immeuble pour l'appréhender. Dès l'arrivée de la Milice, j'avais quitté les lieux sans attendre le résultat de l'opération. C'est à 14 heures 30 seulement que j'ai connu que cet individu avait été arrêté et que la Milice s'apprêtait à la relâcher, n'ayant rien trouvé de suspect sur sa personne et au cours d'une perquisition effectuée à son domicile. C'est mon collègue Lamouret qui m'a mis au courant de cela.

    Par la suite, mon camarade Lamouret devait faire une réflexion suivante : "Il a dû aller rejoindre son ami Gayraud et on n'aurait pas dû le relâcher, car vous le reverrez revenir à Carcassonne avec une mitraillette à la main !" Lamouret a prononcé des paroles par suite de l'absence de cet individu à Carcassonne pendant une période de trois mois environ.

    Je n'ai jamais appartenu ni fourni aucun renseignement aux service de Police allemande. Je sais qu'au sein du P.P.F existait les Comités d'Action chargés de pourchasser pour le compte du Bureau de Placement allemand et ensuite pour le compte de la Gestapo, les réfractaires au S.T.O. Parmi les individus travaillant pour ces organismes, le seul individu que je connaisse et habitant Carcassonne est un nommé M... qui demeure rue Barbès, sur le côté gauche en se dirigeant vers la Place Carnot, sous un porche, et à proximité d'un marchand de primeurs. Je puis vous fournir quelques précisions sur le sus-nommé : C'est le nommé C... qui l'a enrôlé à Carcassonne et l'a présenté à Lamouret.

    M... est allé faire un stage de trois semaines à un mois. Ce stage a eu lieu, si je m'en souviens, vers la fin juillet commencement d'août 1944. En plus du nommé M..., il y avait aussi le nommé B..., réfugié de Toulon demeurant à Axat, et le nommé F... de Castelnaudary.

    J'ai rendu des services notamment aux nommés S..., tripier à la Trivalle et M..., coiffeur domicilié à la Barbacane, et j'ai empêché ceux-ci d'être affectés à l'usine de tuilerie de Limoux. C'est en qualité d'ami Monsieur F... que j'ai obtenu satisfaction.

    Si j'ai agi ainsi vis-à-vis du nommé Coste, c'est que j'ai cru être menacé par celui-ci. Je croyais avoir affaire à un terroriste et être visé par celui-ci en tant que membre du P.P.F. J'affirme que c'est surtout sous la pression des nommés C..., I... et Lamouret que j'ai agi ainsi.

    "Fonfon" a été condamné aux Travaux forcés à perpétuité par jugement de la Cour Martiale, en date du 10 septembre 1944.

    Le nommé Gayraud alias Marty, était un membre important de la Résistance. Nous avons caché volontairement certains noms divulgués dans cet interrogatoire quand nous n'avons pas pu vérifier leur authenticité. Seuls Fontvieille et Lamouret étant cités dans le livre "La Résistance audoise".

    Sources

    ADA 11

    La Résistance audoise / L. Maury / 1980

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