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  • Maison de la Gestapo: Témoignage de l'ancienne propriétaire

    Sans vraiment les chercher, les témoignages sur cette demeure ayant abrité la Gestapo pendant la seconde guerre mondiale m'arrivent au fur et à mesure. Ainsi, par exemple, j'ai été contacté cette semaine par un témoin direct de cette époque: il s'agit de l'ancienne propriétaire. Cette personne âgée de 93 ans a vécu à cet endroit pendant 73 ans; c'est donc un témoin capital. Afin de lui éviter une publicité qui pourrait ébranler sa tranquilité, je ne donnerai que l'initiale de son nom: (F).

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    La façade arrière de la maison de l'avenue Roosevelt

    "Mon père était issu d'une famille modeste et avait dû quitter l'école à 14 ans. C'est avec beaucoup de courage et de travail qu'il se lança dans le recyclage des chiffons. Il monta sa propre usine au début de l'allée d'Iéna, là où précisément se trouve actuellement une maison de retraite. Alors comprenez-vous, cette maison qu'il fit construire à la fin du XIXe siècle, c'était la fierté de sa réussite. Une charmante demeure dans le style Art-nouveau à l'orée de Carcassonne. Car, autrefois à cet endroit c'était encore la campagne, et pas comme aujourd'hui. Nous vivions ici heureux, ma famille et moi jusqu'à ce triste jour de mai 1943...

    Deux hommes vêtus d'un pardessus noir se sont présentés au seuil de la maison. L'un d'entre-eux était le chef de la Gestapo de Carcassonne (sûrement Eckfelner, NDLR). Nous venons requisitionner cette maison et vous avez 48 heures pour partir, nous dit-il. (Nous savons que les services de la Gestapo avaient l'habitude de s'installer dans ce type d'habitation, à l'écart de la ville, sans vis-vis et avec un grand terrain à l'arrière. Il n'est pas étonnant que celle-ci fut donc choisie.) Deux jours seulement pour tout déménager, c'est trop court! Non, répond-il, vous devez partir et abandonner tout sur place afin de rendre la maison habitable de suite. Nous avons demandé à loger dans la conciergerie, à quelques mètres. Cela nous a été refusé. Et pour cause... C'est à cet endroit qu'il placèrent leurs prisonniers pendant ou avant les interrogatoires.

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    La conciergerie, juste après le mur de clôture

    Nous avons pu sauver in-extremis, le piano à queue grâce à monsieur Daraud chez qui nous l'avions acheté, rue de la gare. Ce dernier eut l'amabilité d'affirmer qu'il n'était qu'en location et qu'il lui appartenait. C'est le seul meuble que nous pûmes emporter.

    Je me revois quittant la maison avec mon pauvre père qui avait perdu l'usage de la vue. Mon fils dans la poussette, venait juste de naître en septembre 1942. C'est le coeur déchiré qui nous partions vers l'inconnu, à la recherche d'un nouveau logement. Dans un premier temps, la Gestapo voulut nous installer dans la maison Combéléran, face au tribunal (aujourd'hui, la MSA). L'administration d'occupation nous le refusa, arguant qu'une telle demeure était trop belle pour y mettre des français. Finalement, elle fut attribuée à un haut gradé de la Werhmacht. Nous dûmes notre salut à madame Mestre qui préféra nous loger dans la rue Victor Hugo, car elle ne voulait pas d'Allemands chez elle.

    Nous avions été délogé par l'ennemi victorieux à qui, désormais, appartenait notre pays. La Gestapo nous octrayât, grande seigneuresse, un loyer pour la réquisition. Chaque mois, je me rendis à mon ancienne demeure, route de Toulouse, pour réclamer mon dû. Ils avaient électrifié le portail d'entrée. Il s'ouvre et là, de chaque côté se tenaient sur un banc deux soldats verts-de-gris, la mitraillette dirigée vers moi. A chaque fois, il prirent un malin plaisir à me faire longuement attendre avant de me recevoir. Les services de la Gestapo vivaient là, y mangeaient et y dormaient. A leur service, il y avaient des employés (cuisinières, femmes de ménage, domestiques...).

    A bout de quelques mois, nous avons décidé de ne plus aller chercher le loyer. Pourquoi? Les gens commençaient à nous accuser de collaboration avec les bôches. Faire ça, à mon père! Lui, qui avait été décoré de la Grande guerre.

    A la libération de Carcassonne (20 août 1944), les allemands ont fui. Ils ont tellement fait brûler de papiers dans les cheminées qu'elles ont éclatées. C'est un miracle qu'ils n'aient pas mis le feu à la maison. Lorsque nous sommes rentrés dans l'habitation avec les FFI, il y avait encore leur repas dans les assiettes, que dans la précipitation, ils n'avaient eu le temps de terminer. On nous a dit également, qu'ils avaient miné le parc".

     Que pensez-vous d'un éventuel charnier?

    Quand nous sommes revenus, les rosiers et les arbustes n'avaient pas été touchés. Nous avons pour ainsi dire retrouvé le parc tel quel. Il n'y a qu'un endroit au fond de la parcelle, proche de la voie ferrée, où ils auraient pu enterrer des corps. Pendant les 50 années qui suivirent, nous n'avons jamais travaillé ce coin du parc. Ailleurs, nous avons évité de biner profondément de peur de faire exploser des munitions enfouies, puisqu'on nous avait dit que le parc était miné. Ah! un souvenir me reviens... A la libération, nous avons été pris par une odeur pestidentielle venant du parc. Nous avons retrouvé de la viande en putréfaction. Vous savez, les allemands avaient tant à manger. Nous, nous crevions de faim!

    Conclusion

    Grâce à madame F, nous savons maintenant qu'en plus d'un charnier, sous le parc pourraient être enfouies des munitions. Que les résistants étaient tenus prisonniers dans la conciergerie de la maison. Que des carcassonnais ont travaillé de gré ou de force dans cette maison, au service de la Gestapo. Il doit y avoir, faute de témoins directs encore en vie, des descendants de ces employés qui détiennent des informations capitales sur les activités de la Gestapo dans cette maison. Qu'ils veuillent bien se faire connaître anonyment auprès de moi et me raconter ce qu'ils savent. Leurs noms seront protégés, car nous cherchons la vérité historique. Nous ne serons jamais des justiciers!

     

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  • La salle des fêtes de l'Or-Kina Sabatier vaut-elle de l'or?

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    L'ancien Palais de la Micheline érigé à la fin du XIXe siècle dans le pur style Art-nouveau en bordure de la route de Narbonne, n'a pas encore révélé tous ses secrets. Nous savons qu'il a été construit pour accueillir les bureaux de la distillerie Sabatier et les fêtes données par son propriétaire dans la salle du premier étage. La structure métallique supportant le toit sur le devant de la bâtisse, est constituée par des centaines de rivets tout comme les constructions de Gustave Eiffel.

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    Le Palais de la Micheline au début du XXe siècle

    Le nouveau propriétaire, sur les conseils de l'Architecte des Bâtiments de France, a entrepris de renover à l'identique cette partie. L'anciennne toiture a été déposée; l'artisan qui est en charge de la remise en état semble convaincu qu'elle n'était pas d'origine. Depuis de nombreuses années, la terre et les fientes de pigeons s'étaient accumulées dans les gouttières rendant impossible l'évacuation des eaux pluviales. Il est prévu de la remplacer par une structure en acier, harmonieuse et dans le style de l'époque 1900. Contrairement à ce que j'ai pu entendre comme potins, le propriétaire veut redonner l'éclat d'autrefois à cet ensemble unique de l'Art-nouveau dans Carcassonne.

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    La salle des fêtes du Palais de la Micheline

    Absolument unique à Carcassonne, la salle des fêtes est une merveille des arts décoratifs de la fin du XIXe siècle. Ce qui m'a tout de suite interpellé c'est de connaître le nom du décorateur. Là, tout de suite, Alfons Mucha m'est venu à l'esprit en observant les peintures et le style des statues. Je ne me permettrais pas de l'affirmer, mais il faudrait dépêcher un expert sur place pour authentifier. Il me semble totalement illusoire d'effectuer une recherche aux archives du département.

    Pourquoi Alfons Mucha?

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    Alfons Maria Mucha (1860-1939), est un affichiste et peintre Tchèque. Dès 1887, il s'établit à Paris et participe à l'Exposition Universelle de 1889. Son style est reconnaissable entre tous. Il réalise vers 1894 des affiches de théâtre pour Sarah Bernhardt, à partir de modèles qu'il croque dans son atelier.

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    Alfons Mucha a décoré en 1901, la bijouterie Fouquet. Démontée, elle est actuellement visible au musée Carnavalet à Paris.

    Quels liens avec Michel Sabatier?

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    Le fondateur de la distillerie était aussi un mécène à l'avant-garde de l'art. Il l'a utilisé pour vanter ses produits sous toutes ses formes: Harmonie de la Micheline, affiches, éventails, partitions de musique, disques en cire... Sabatier a participé aux Expositions universelles et ses liqueurs y ont été plusieurs fois primées. Nous savons également à travers les collections qu'il a fait appel aux meilleurs publicitaires pour réaliser les affiches de ses breuvages. La distillerie de l'Or-Kina était connue jusqu'à Paris et l'on retrouvait ses productions à la terrasse des cafés. Sabatier aurait très bien pu faire appel à Mucha entre 1889 et 1900 pour décorer son palais. Au delà de toutes ses suppositions, c'est la comparaison du style de Mucha avec la décoration de la salle qui doit nous éveiller.

    Comparaisons de styles

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    Mucha dessinait ses affiches à partir de modèles dont il nous a légué des photographies.

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    Affiche Mucha

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    Statue dans la salle des fêtes de l'Or-Kina

    L'orientalisme était à la mode à la fin du XIXe siècle. On le retrouve également en musiquedans divers opéras français comme Les pêcheurs de perles (G. Bizet) ou Lakmé (Léo Delibes), dont l'action se situe à Ceylan. On distingue chez Mucha ces femmes aux positions lassives vêtues de grands drapés, entourées de fleurs plus ou moins exotiques.

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    Eléments décoratifs du style Mucha, ces courbes bien pleines symbolisant les mèches des cheveux de ses modèles.

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    Si ce n'est pas Mucha, le décorateur s'en est fortement inspiré à Carcassonne

    La comparaison mise à mal

    La comparaison s'arrête là car pour le reste de la salle, il n'y a rien d'autre qui puisse nous ramener à Mucha.

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    Le buste de Michel Sabatier. La lyre symbolise sa passion pour la musique à travers l'harmonie qu'il avait créée avec son frère Jacques au sein de son établissement. Ce dernier jouait du violoncelle dans l'orchestre des Concerts symphoniques, dirigés par Michel Mir. Un autre industriel en était le président; il s'agissait de Philippe Lauth, patron d'une brasserie sur le boulevard Omer Sarraut.

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    Sur le piédestal... Ici, la date de la sculpture avec le nom du patron représenté en lion prêt à tout dévorer.

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    Dans un cadre une angelot disperse des pétales de fleurs sous le regard de Michel Sabatier, représenté d'une manière théâtrale. Ceci évoque sûrement les nombreuses oeuvres de mécénat du patron en direction des fêtes culturelles de Carcassonne.

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    Au plafond, 1885 avec les initiales entrelacées de Michel Sabatier pourraient commémorer l'année de fondation de l'entreprise.

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    Dans le recoin d'une pièce annexe, on aperçoit deux angelots tenant Euterpe avec sa lyre. Il s'agit de la muse de la musique. Sur la partie supérieure, Michel Sabatier apparaît sous les traîts d'un masque  de la comedia dell'arte.

    Dans cette salle des fêtes, c'est toute la vie industrielle de Michel Sabatier qui est symbolisée. Une ode à l'art sous toutes ses formes. Un endroit unique qui vaut de l'or et que l'on devrait faire expertiser par des historiens de l'art en vue de son classement à l'inventaire supplémentaire des Monuments historiques. Enfin, si Carcassonne s'y interesse... car je crains qu'une Bodega n'y soit installée pendant la prochaine Féria. Ce ne serait vraiment pas en adéquation avec un tel lieu !

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