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Casimir Courtejaire (1795-1887), l'extraordinaire mécène de Carcassonne

Casimir Coutejaire naît à Carcassonne le 5 octobre 1795 dans une famille bourgeoise, enrichie grâce au commerce et à la fabrication des draps. Il est le quatrième garçon d’une fratrie de cinq enfants, qui hélas devra se débrouiller sans leur père décédé trop tôt en 1801. Eduqués sans doute avec les idéaux d’une bourgeoisie Carcassonnaise opportuniste, ayant vu tout le parti qu’elle pourrait tirer d’une révolution populaire en s’imposant au sein des administrations du nouveau régime, la famille Courtejaire suivit le mouvement. Ces marchands fabricants dont la plupart avaient été anoblis grâce à leurs réussites personnelles, se tournèrent du côté de leurs intérêts ; ils conservèrent tout de même ensuite une certaine nostalgie de l’Ancien régime et tentèrent sous la Restauration de concilier Monarchie et Révolution. C’est ainsi que l’on désigna les doctrinaires, dont le jeune Courtejaire fut un des partisans. Nous y reviendrons…

Suivant l’exemple de son grand frère Antoine, sous-lieutenant dans l’armée napoléonienne et blessé le 16 janvier 1809 à Mosquefa (Catalogne) avec le 7e régiment de ligne, Casimir et Charles Théodore s’engagent également dès que l’âge le leur permet. Ce dernier, au sein du 2e bataillon du 3e grenadiers à pied, ne reviendra pas de la campagne de Saxe en 1813. Le lieutenant de gendarmerie de la Garde impériale Casimir Courtejaire sortira sans péril des défaites militaires de l’Empereur, se dissimula comme les autres pendant le retour de la monarchie et ne prendra pas part à l’épisode des Cent jours. Il vécut à Paris avec son jeune frère Constantin qui y mourut le 2 septembre 1878, jusqu’à la fin du règne de Charles X. Quand intervient la Révolution de juillet 1830, Courtejaire se range avec l’armée derrière les émeutiers à Paris. Le moniteur du 3 août 1830, nous apprend que l’épée d’Henri IV qui se trouvait à la bibliothèque, tomba « aux mains d’un jeune défenseur des libertés publiques, M. Courtejaire. Le 30 juillet, il en fit remise à l’Etat-major de la 3e légion. » Après cet épisode qui devait provisoirement faire naître un espoir du côté des partisans d’une monarchie apaisée, Casimir Courtejaire rentra chez lui à Carcassonne. Plusieurs anciens de la Grande armée l’y attendaient, mais pas seulement…

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© Musée des Beaux-arts de Carcassonne

Casimir Courtejaire en 1843

Entre le 6 et le 11 mars, des émeutes populaires éclatent à Carcassonne afin de protester contre l’interdit prononcé par Mgr de Gualy à l’encontre du curé de Saint-Vincent. Une partie des habitants investit l’église et les rues adjacentes. Le préfet se rend sur place et donne l’ordre à la la garnison de faire évacuer l’église. Il requiert le magistrat de la ville afin que celui-ci fasse renforcer l’hôtel de ville par la Garde nationale. Depuis le clocher, on lance des pierres sur la cavalerie, les magistrats sont pris à partie par la foule et la Garde nationale les laisse à la merci des émeutiers. A l’exception des gardes nationaux Casimir Courtejaire et d’Alphonse Gourg de Moure qui couvrirent courageusement les magistrats de leur corps. Malgré cela, l’ancien général et vicomte d’Arnaud fut tué par une pierre.

A la suite de ces évènements, le ministre Casimir Perrier supprima la Garde nationale de Carcassonne et décora le préfet. Ce n’est que l’année suivante qu’elle fut réorganisée ; le 3 juillet 1833, la compagnie des grenadiers jusque-là commandée par Courtejaire, nommait les officiers. Il se porta candidat avec le soutien de Peyrusse, maire de Carcassonne. Les libéraux majoritaires à Carcassonne choisirent Dauré, ancien de la vieille armée. Courtejaire fut ramené au grade de caporal, car tous les candidats libéraux l’emportèrent sur ceux de la doctrine.

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© Domainedegondal

Le domaine de Gondal

On ne sait trop de qui Casimir Courtejaire tint une fortune aussi considérable, car si l’on raconte qu’il reprit ses activités industrielles à son retour à Carcassonne, aucune preuve ne peut en témoigner. En 1834, il fait l’acquisition du domaine de Gondal situé sur la commune de Palaja, transforme les terres stériles en une oasis de fraîcheur par un système d’irrigation innovant alimenté depuis un petit barrage d’un hectare de superficie sur 7 mètres de profondeur. Le domaine bénéficie ainsi d’un magnifique jardin d’agrément de 12 000 arbres plantés, avec de l’eau qui circule librement et qui ensuite sert à l’arrosage des prairies. Dix ans plus tard, Casimir Courtejaire achète le 30 septembre 1843 à M. Hertz, l’ancien couvent des Jacobins transformé en salle de spectacle après la Révolution.

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Le cloître des Jacobins rasé vers 1930

Il louera les locaux à la ville de Carcassonne et fait certainement en même temps l’acquisition du bel immeuble qui est contiguë, 6 rue des orfèvres (rue Aimé Ramond). Sur ce dernier point nous n’avons pas de preuves, mais sa mère était décédée le 7 avril 1837 au n°6 de la rue de la mairie. Cela pourrait être un début d’explication.

De sa fortune considérable, Casimir Courtejaire compte bien en tirer le meilleur pour assouvir sa passion pour la peinture. Entre 1841 et 1845, il se rend à Rome où il acquiert une grande partie de la collection de tableaux du cardinal Fesch (1763-1839), oncle maternel de Napoléon 1er.

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© Musée des Beaux-arts de Carcassonne

David en prière obtient la cessation de la peste / Guiseppe Sacchi (XVIIe)

(Don Courtejaire / Collection du cardinal Fesch)

Cet homme avisé dans ses placements d’argent sera à la tête de plusieurs conseil d’administration financier, comme celui de la Caisse d’Epargne qu’il contribue à fonder, le Comptoir d’Escompte, la Banque de France. Ce que l’on doit surtout retenir et que l’on a oublié, c’est son projet de canal maritime entre l’Océan et la Méditerranée. En 1861, il présente un mémoire en ce sens au Ministre des travaux publics ; nous y reviendrons dans un prochain article. Président de la Société centrale d’agriculture de l’Aude en 1863, Courtejaire institue les Comices agricoles de l’Aude qui ne dureront que peu de temps après la fin de sa présidence. 

L’homme d’affaire ne se mêla pas de politique où du moins de tenta pas de se faire élire. Toutefois, il fréquente le cercle royaliste dans lequel on retrouve son collègue Castel (de la Reille) de la chambre d’agriculture. Il reçoit même chez lui en 1862, le comte de Mérode-Westerloo, membre royaliste de la chambre des représentants de Belgique, et le duc de Levis-Mirepoix, son beau-frère, lors de leur visite de la cité médiévale.

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© domainedegondal

Anciennes colonnes du couvent des Jacobins

A l’âge de 79 ans, Casimir Courtejaire qui rédige depuis longtemps déjà ses vœux testamentaires, songe au devenir de sa fortune. Célibataire et sans enfants, il prend la résolution en 1874 de léguer à la ville de Carcassonne une grande partie de ses biens de son vivant et jusqu’à son décès. Le 13 octobre, le conseil municipal entérine la donation de la salle de spectacle (couvent des Jacobins) à la commune, à la condition qu’elle en conserve la destination. Cette dernière décide que le buste du bienfaiteur sculpté par Henry Marie Maurette (1834-1898) serait placé dans le foyer de la dite salle.

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© Musée des Beaux-arts de Carcassonne

Courtejaire fait également don en 1876 de son immeuble de la rue des orfèvres attenant au théâtre pour construire le futur hôtel de ville après sa mort. Sous condition de restaurer le cloître pour servir de promenoir au public et de payer une rente viagère à deux parents de 3000 et 1500 francs. Outre l’ensemble de ses tableaux provenant de la collection du cardinal Fesch, le mécène offre la somme de 30 000 francs pour que la ville achète des œuvres d’art pour le musée (Acte chez Me Mouton). Isidore Nelli, Andrieu, Roumens et Geneste sont mandatés par la commission d’achat pour effectuer cette transaction à Paris. Le conseil municipal votera le 21 avril 1883 une somme de 2395,80 francs pour l’aménagement d’une salle destinée à recevoir les tableaux de la donation Courtejaire. Un an plus tard, la ville reçoit 80 000 francs supplémentaires dont 60 000 pour l’achat de tableaux et 20 000 afin qu’elle construise une nouvelle galerie dans la cour pour relier le musée à la bibliothèque. Elle devra compter dix arches dans le même genre que le cloître de l’ancien couvent des Jacobins.

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Galerie dans la cour du musée des Beaux-arts

Si la dépense venait à dépasser la somme offerte, Courtejaire s’engagerait à en régler la différence. C’est sans doute cette proposition qui poussera la ville à s’exécuter, car Casimir Courtejaire avait regretté que la commune ne réalisât pas la fontaine monumentale au rond-point du portail des Jacobins, malgré la somme de 50 000 francs qu’il se proposait d’offrir.

A toutes ces libéralités au profit de la ville de Carcassonne, il convient d’ajouter les legs à l’Hospice et aux Petites sœurs des pauvres pour créer des lits pour les vieillards dans ces deux établissements. Un mois avant sa mort, Casimir Courtejaire laissa 6000 francs à la cathédrale pour la construction du chaire à prêcher.

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© Ministère de la culture

La chaire à prêcher dans la cathédrale Saint-Michel

Cette homme extraordinaire qui méritait un tel travail de recherche et de synthèse fut décoré de la médaille de Sainte-Hélène, puis de la Légion d’honneur le 23 août 1876. Si nous avons actuellement un musée d’une telle richesse c’est grâce à sa générosité. Ne l’oublions pas ! Le jour de son enterrement le 2 avril 1887, une foule immense de Carcassonnais avait salué sa dépouille mortelle sur son passage, malgré la pluie. Cette même foule qu’une rumeur avait fait rassembler devant la mairie quelques années plus tôt, pensant qu’on distribuait l’argent de ses dons. A Carcassonne, la culture est toujours passée au troisième plan des priorités municipales. Il bon de rappeler que l’héritage que nous possédons provient en grande majorité de bienfaiteurs et d’amoureux des arts, membres de la Société des Arts et des Sciences de la ville. En retour, Carcassonne mit 55 ans à construire le nouveau théâtre et la nouvelle mairie. Malgré une rue qui porte son nom, les Carcassonnais ignorent la vie du personnage qui lui est rattachée.

Sources

Le moniteur / Le droit / Le courrier de l'Aude

Fichier des soldats de l'Empire / S.H.D

www.stehelene.org / Médaillés de Ste-Hélène

Cartulaire de Mahul / Vol. 6 (1ère partie)

Délibérations Conseil municipal / ADA 11

Etat-Civil / ADA 11

Base léonore / Légion d'honneur

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Commentaires

  • Mr Andrieu, merci beaucoup sur ce bel article de Casimir COURTEJAIRE....Je suis très fière de ce qu’il a fait pour Carcassonne, de son parcours personnel et professionnel . J’habite Vichy mais je connais votre ville, le rue piétonnière COURTEJAIRE et ses remparts. CARCASSONNE est une belle ville remplie de soleil.. Merci encore.

  • Un grand merci pour vos recherches et ce récit .
    En effet je me souviens de la rue Courtejaire mais je ne connaissais pas l’histoire.

  • Une partie de la rue de la Gare, pour les Carcassonnais. La rue Courtejaire
    me rappelle à mes bons souvenirs professionnels.
    Amicalement,
    Pierre-Baptiste

  • Merci pour ce récit passionnant sur cette personnalité hors du commun et bienfaiteur de notre ville.
    Je penserai au lui lors de mes visites au musée

  • Merci beaucoup pour cet article qui m'en apprend plus sur cette personnalité emblématique de Carcassonne. Et ce récit tombe à point nommé puisque je m'installe dans la rue Courtejaire d'ici peu de temps !

  • Merci, pour ce très bel article sur Casimir Courtejaire qui est un ascendant de ma belle mère.
    J'ai eu par, elle même, beaucoup du riche passé de son aïeul et, celui-ci est richement complété par vos informations.
    Cordialement.

  • Bonjour Monsieur
    Je suis arrière-petit-fils de Louis EMBRY (1842.1902), qui fut exécuteur testamentaire de Courtejaire. Je possède 4 ou 5 liasses concernant les donations dont il est question dans votre article. Elles pourraient peut-être enrichir les archives du Musée de la ville. Restant à votre disposition.
    Meilleurs sentiments
    Renaud Guibal

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