On estime à près d’un million le nombre de prisonniers de guerre Allemands en France entre 1945 et 1948. Après la capitulation de l’Allemagne nazie, les anciens soldats de l’Axe sont répartis dans différents camps, comme par exemple celui de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) qui servit à interner autrefois les réfugiés espagnols. A Carcassonne, ils sont parqués derrière le stade de la pépinière (Albert Domec) ; il y a même des italiens.
Le bureau des Prisonniers de Guerre de l’Axe se trouve dans la caserne Iéna sous le commandement du capitaine Marchand, chef du bureau de l’Aude. Une commission départementale examine et attribue selon les besoins les candidatures ; elle a également la possibilité de retirer la garde d’un prisonnier à son employeur à cause d’un manquement grave.
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Gincla (4), Villarzel-Cabardès (10), Marseillette (30), Conques-sur-Orbiel (15), Puichéric (10), Laure-Minervois (10), La Redorte (12), Moux (10), Quintillan (20), Rieux-Minervois (20), Villerouge-Termenes (20), Pépieux (10), La Pomarède (10), Montmaur (10, La Nouvelle (40), Carcassonne (68), Ladern-sur-Lauquet (30), Narbonne (67), VInassan (20), Villemoustaussou (8), Lasbordes (10), Cascastel (12), Mas-Sainte-Puelle (8), Balcaire (10), Alet (4), Fitou (6)
Certains prisonniers vont servir de main d’œuvre afin de remettre en état les routes, les ponts, les plages endommagées par quatre années de guerre. Un commando installé à la caserne de la Justice (actuel parc au matériel municipal, avenue Henri Gout) comprend 195 prisonniers dont 175 chargés du comblement des tranchées de la défense passive. Au Quai Riquet ravagé le 20 août 1944 par une horde de barbares teutons, ils sont une vingtaine à déblayer les ruines. Au château de Baudrigues près de Roullens, ces anciens fanatiques déminent le parc à leurs risques et périls. Au square Gambetta, sous la conduite de M. Salette, jardinier de la ville, ils sont huit à faire des travaux de terrassement. Dans l’ensemble du département, on trouve des prisonniers de guerre à Lézignan (30 au comblement des tranchées), Castelnaudary (30 au déblaiement du domaine des Cheminières), Puginier (10 au déblaiement du domaine du Castellet), Puivert (30 à la récupération des matériaux), Narbonne (105 au comblement et déblaiement). Les dépenses avancées pour ses travaux se montent à 1 440 000 francs.
D’autres seront employés dans des propriétés agricoles, des exploitations forestières, des mines, etc. A tout employeur qui en fera la demande pourra être confié un ou plusieurs anciens soldats allemands, à condition de n’avoir pas été condamné par la Chambre civique pour collaboration. Prenons pour exemple, le cas de Pierre Arnaud, propriétaire viticole à Laure-Minervois. Il emploie quatre prisonniers allemands depuis le 27 octobre 1945, en provenance du camp de Rivesaltes : Zapke Walter (2e classe), Zapke Otto (Caporal chef), Setzler Hermann (Sergent) et Wunch Anton (Sergent). Ces hommes touchent chaque mois 125 francs en argent de poche et M. Arnaud s’acquitte en plus des indemnités compensatrices au Ministère du travail, s’élevant à près de 4000 francs trimestriellement.
En août 1947, l’ensemble des prisonniers de guerre allemands peuvent être transformés en travailleurs libres par la Commission départementale. C’est-à-dire qu’ils peuvent faire le choix de rester en France pour y travailler ou repartir chez eux. Sur 1502 prisonniers dont 502 sous-officiers, 352 solliciteront leur transformation, 651 seront rapatriés en Allemagne et 505 resteront prisonniers sous le contrôle de l’autorité militaire. La majorité des prisonniers transformés se sont adaptés à nos mœurs et à nos coutumes. Parmi eux, 22 se sont mariés avec des audoises. En général, les prisonniers transformés, surtout ceux affectés à l’agriculture, qui logent dans des fermes éloignées, vivent et ont peu de relations avec la population française. Le dimanche, ils se rendent au café, assistent aux fêtes locales et mènent une vie calme et régulière. Lorsqu’ils sont plusieurs dans une localité, ils se réunissent et, avec l’assentiment des régisseurs, passent leurs soirées à jouer aux cartes ou à causer. La population, si elle ne leur témoigne aucun élan affectueux, elle observe à leur égard une indifférence polie.
Il y a néanmoins des exceptions pour lesquelles certains prisonniers se sont fait remarquer défavorablement. Zapke Otto, né le 6 octobre 1906 et employé chez Pierre Arnaud à Laure-Minervois, a donné deux coups de poings au fils du propriétaire. Au square Gambetta, Berthold Binder s’en est pris au jardinier Salette. Les relations intimes que d’autres peuvent avoir avec les filles de leurs employeurs s’avèrent compliquées… A Ventenac-Cabardès, Knopp Otto, né le 18 mars 1924 à Wollin, pris de boisson, s’est disputé avec les jeunes du village à l’occasion de la fête locale. Une bagarre a fait intervenir la gendarmerie d’Alzonne.
Peu se livrent à une activité politique ou syndicale, toutefois relevons qu’à Pezens, Witte Henri, né le 12 août 1912 à Leipzig, ouvrier agricole chez Arnal, a adhéré avec trois compatriotes au syndicat agricole local. Idem, pour Zapke Otto et Räder Otto, tous deux mêlés aux grèves de novembre 1947.
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Josef Braun (au centre) avec ses amis Terrolais
Si nous terminions sur une note positive, symbole de l’amitié Franco-Allemande née avec le traité de l’Elysée, signé entre le général de Gaulle et le Chancelier Konrad Adenauer ? Nous parlerions de Josef Braun qui fut envoyé dans l’exploitation forestière de Maître Pallot à Terroles (Aude), comme prisonnier de guerre. En provenance du camp de Rivesaltes, il était chargé du reboisement de la forêt de la Courbatière avec neuf autres compatriotes. Josef alias Zep s’était fait beaucoup d’amis au village et revint chaque année depuis 1962 pour les retrouver. En 2016, à l’âge de 95 ans ce papy figurait encore sur la photographie au milieu des 17 habitants de cette commune. Une belle preuve de réconciliation dans une Europe en paix.
Sources
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Archives personnelles / Martial Andrieu
La dépêche / 2016
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Commentaires
Bonjour, il serait intéressant de savoir ce que sont devenus les 22 prisonniers qui sont restés dans l'Aude. Naturalisés français ou pas, quelle descendance ou quelle trace ont-ils laissé ?
Bonjour,
C'est avec intérêt que j'ai vu qu'il est fait état dans votre article entre autres aussi du camp de Rieunette à Ladern s/Lauquet.
L’existence de ce camp n'est pas oublié mais non seulement il est quasi impossible d'obtenir des renseignements le concernant dans les villages alentour, c'est surtout que chercher à se renseigner à ce sujet semblerait faire naître un certain malaise.
Je suis allemande d'origine et habite à quelques kilomètres de là. Je souhaiterais vraiment sauver cet épisode de l'histoire de l'oubli, mais j'ignore où et comment obtenir des renseignements complémentaires. Sauriez-vous me conseiller?
Je trouve que des lieux chargés d'histoire méritent notre souvenir, à la limite je verrais bien un jour une petite plaque sur le bord de la route (l'emplacement n'est aujourd'hui plus libre d'accès)...
Ma belle-mère à vécu petite fille avec sa famille au domaine à côté (ses parents y étaient gardiens) tout de suite après et se souviens encore des emplacements des baraques et d'un petit train en bois (rails inclus!) que les prisonniers avaient construit afin de faciliter le débardage du bois.
Dans tous les cas je souhaite surtout vous remercier de bien vouloir partager avec une régularité agréable votre passion pour l'histoire et les histoires locale(s) avec nous.