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Ribaute et Moux : villages martyrs de la Seconde guerre mondiale

Ribaute

Le régime de Vichy avait interdit les bals, mais la jeunesse du pays bravait régulièrement l'interdiction. Le 23 juillet 1944 vers 22H45, alors que celle du village de Ribaute dansait au son d'un pick-up dans la vieille gare désaffectée des tramways de l'Aude, un terrible évènement allait survenir.

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La gare de Ribaute dans les années 1950

Une colonne de soldats Allemands de retour d'une opération contre le maquis à Vignevieille et visiblement excitée stoppa son macabre cortège à hauteur du bal clandestin. Plusieurs rafales de mitraillette sont alors tirées en direction du local et sur la maison d'Henri Maury, maire de Ribaute. La gare et le poids public sont criblés de projectiles. "Rendez-vous ! Haut les mains" La trentaine de jeunes rassemblés dans la gare s'enfuit à travers les vignes, lorsque plusieurs d'entre-eux sont atteints par le feu ennemi. Un véritable tir au pigeon ! Au sol, deux jeunes hommes gisent inanimés. André Beaudouy, né à Ribaute le 18 janvier 1921 est tué sur le coup par une balle explosive en plein cœur. Adrien Bringuier, né le 2 août 1910 à Camplong subit le même sort. A l'arrivée des gendarmes, les corps des victimes avaient été déposés, l'un à la mairie, l'autre chez ses parents. 

Cette furie meurtrière contre un groupe sans défense fera également trois blessés : Jean Boch, Antoine Miron et François Roux. Le jeune Francis Gélis sera embarqué sur l'un des camions des barbares et relâché le lendemain soir. Pour justifier ce crime de guerre contre des civils, l'autorité Allemande prétendra qu'elle venait de tomber dans une embuscade de maquisards F.T.P. Cette information sera bien entendu validée par la préfecture et le gouvernement de Vichy.

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Le lieu du drame, à la sortie de Ribaute

Les témoins

Antoine Miron, 24 ans, cultivateur à Ribaute, né le 8 avril 1920 à Chriribel (Espagne) déclare : Le 23 juillet 1944 vers 22h45 alors que je me trouvais dans le local de la Maison des jeunes (gare de Ribaute), j'ai entendu plusieurs spectateurs qui regardaient danser, dire : "Voilà les Allemands". Ils se sont sauvés. Presqu'aussitôt alors que je me trouvais à l'intérieur, j'ai entendu plusieurs rafales d'une arme automatique. Les balles atteignaient la façade du mur de ce local. Me voyant en danger je suis sorti, mais avant de franchir le seuil de la porte, j'ai été légèrement blessé par deux éclats de balle à la jambe gauche, au-dessus de la cheville. Je me suis sauvé dans une vigne et suis allé me caché près de la rivière Orbieu. Avant mon départ du local, mon camarade Beaudouy avait été tué sur le coup. Je n'ai entendu aucune sommation faite par les Allemands.

Le récit de Robert Anguille

La journée avait été belle et chaude. La nuit était tombée. Une nuit bien noire, sans lune, sans éclairage public pour cause de black out. Après avoir écouté les informations diffusées en français sur Radio Londres, «  Les français parlent aux français », je m’apprêtais à me rendre à l’ancienne gare du tramway, un petit bâtiment où la jeunesse ribautoise se retrouvait le dimanche au soir pour danser sur la musique d’un vieux pick up et où mon frère marié un mois plus tôt m’avait précédé avec son épouse. Mon père, qui se couchait tôt, sortit de la maison et fit quelques pas avec moi vers la route où il avait l’habitude d’aller ausculter le ciel pour se faire une opinion sur les probabilités météorologiques du lendemain.
Notre maison était celle qui se situe au n° 12 de la Rue Marcellin Albert ; nous avions donc à gravir les deux courtes rampes qui nous séparaient de la route. En arrivant à hauteur de l’impasse aujourd’hui baptisé François Mitterand, une ombre a surgi de la pénombre, nous avons reconnu à la voix notre voisine Emma, dont la maison se situait au n° 1 de l’impasse. Elle nous dit que plusieurs camions venaient d’entrer dans le village et qu’ils étaient stationnés sur la route, moteurs et feux éteints.
«  Je crois que ce sont des allemands », dit-elle. La nuit était si sombre qu’on ne voyait pas les véhicules qui n’étaient pourtant qu’à une vingtaine de mètres, mais on entendait des éclats de voix à l’accent germanique. Et puis, la voix inquiète de madame Marguerite Rouger, épouse de l’instituteur, qui cherchait son fils : « Vous n’avez pas vu Max ? ». A qui s’adressait-elle dans la nuit noire, sur la route où s’était arrêté le convoi ?
Soudain, une forte détonation et, avec le sifflement caractéristique des fusées, précisément une fusée éclairante s’élève, une sorte de serpent éblouissant éclairant pendant quelques instants d’une lumière crue les murs des maisons et les camions à l’arrêt sur la route. Mon père, à qui cette chose rappelait sans doute de sombres souvenirs, me saisit par le bras et nous redescendons précipitamment jusqu’à notre maison tandis que l’on entend le crépitement d’une mitrailleuse du côté de la gare.
La porte refermée à clef, avec mon père, ma mère et ma grand’mère maternelle nous allons vivre dans l’angoisse des heures interminables. Combien de temps les tirs ont-ils duré ? Dix minutes, peut- être davantage, avec de courtes interruptions. Enfin, après un moment de silence, une dernière et brève rafale.
Deux heures après ou peut-être davantage on frappe à la porte ; mon frère et sa femme entrent. Leurs visages reflètent la peur qu’ils ont connue, leurs habits déchirés témoignent d’une fuite précipitée à travers des broussailles et par des endroits ravinés.
Ils racontent : «  Nous dansions dans la gare dont la porte était grande ouverte lorsque des garçons qui prenaient l’air sont entrés et ont dit que des camions étaient là, à moins de quarante mètres. Le temps de s’interroger sur cette présence et c’est la fusée éclairante et le crépitement des armes à feu. C’est l’affolement. Certains sortent et sautent dans la vigne qui se trouve en contrebas ; d’autres restent terrés à l’intérieur après avoir refermé la porte en tôle épaisse. Lorsque les tirs marquent une pause la porte est rouverte et d’autres jeunes gens s’enfuient dans la nuit par la vigne. Ils iront tous se cacher dans le breil, un espace végétal naturel qui borde la rivière « Orbieu », là où débouche le « Rec ( ruisseau ) Torrent » .
Un silence lourd règne maintenant dans Ribaute. Les chiens qui aboyaient se sont tus.
Au petit matin la stupeur se lit sur les visages de celles et ceux qui se retrouvent dans la rue et sur la place pour parler de ce terrible événement.
On apprend qu’il y a eu deux tués, deux ou trois blessés légers et un enlèvement. Louis Beaudouvy, 23 ans, père d’une enfant de trois mois, a reçu une balle explosive en plein cœur. Un nommé Bringuier, homme d’une trentaine d’années qui habitait à Camplong et le jeune Francis Gélis, 16 ans, étaient embarqués de force sur un camion. Bringuier a tenté de s’échapper, on l’a retrouvé mort, criblé de balles, dans la partie haute de la rue de l’Abeille. Francis a été emmené à Carcassonne, obligé, au besoin à coups de crosse, de se tenir accroupi et les mains sur la tête tout au long du voyage. Ses parents réussiront à le faire libérer le lendemain.
Ce dimanche-là, la colonne des militaires allemands était montée à l’assaut d’un groupe de maquisards situé sur le territoire de la commune de Lairière, au bord du plateau de Lacamp. Il y avait eu des tués des deux côtés; les allemands ramenaient leurs morts dans leurs camions. A Durfort, où ils se sont arrêtés, ils ont trouvé du vin dans une cave, ils ont bu tout ce qu’ils ont pu engloutir et sont repartis non sans avoir mis le feu à la seule maison habitable de Durfort, inoccupée ce jour-là .
A Ribaute le mitraillage avait copieusement arrosé l’espace de l’ancienne gare. La porte en tôle épaisse du petit bâtiment a été transpercée à plusieurs endroits par les balles. On a relevé des dégradations de la façade . La maison de Mr Henri Maury, alors maire, a reçu de nombreux impacts. Pour se protéger des tirs, M. Maury et son gendre, Jean Sérasse, avaient plaqué des matelas contre les fenêtres.
Nous apprendrons le lendemain que le village de Moux a connu un pareil drame puisque deux jeunes hommes qui rentraient tranquillement chez eux ont été tués au fusil mitrailleur manié depuis l’un des camions qui ne se sont pas arrêtés.

Moux

Vers 23h30 ce même 23 juillet 1944, les mêmes criminels Allemands traversent le village de Moux. A la hauteur du café Rigaud, ils stoppent leurs camions lorsque plusieurs jeunes sortent de l'établissement. Il est tard et la loi proscrit l'ouverture des estaminets à cette heure avancée de la soirée. Le maire, M. Huc, avait déjà averti le patron qui n'en tint pas compte. Farail René et son frère Roger, Souquet Joseph et Raynaud Marcel font face aux soldats d'Hitler. 

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L'ancien café Rigaud, avenue Henri Bataille

"Les Allemands nous ont lancé un appel que j'ai pris pour une sommation. Je me suis arrêté et j'ai levé les deux mains en l'air. Immédiatement une rafale de mitraillette a crépité et m'a blessé à la main droite. Me voyant blessé, je me suis enfui. Une deuxième rafale m'a touché aux jambes, ainsi qu'au côté gauche. Je suis tombé par terre, et comme je commençais à perdre connaissance j'ai aperçu des soldats qui me fouillaient. Je suis resté évanoui je ne sais combien de temps et quand j'ai repris mes sens, j'ai appelé au secours. Ce sont des employés de la gare allemande de permanence à la dite station qui m'ont relevé et porté chez des voisins, Madame Noguès. J'ai parlé à mon camarade Souquet qui m'a répondu : "Je suis touché au bas ventre", tandis que l'autre ne m'a pas répondu. J'ai su après qu'il s'agissait de Raynaud.' (Farail Roger)

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La rue de la Bade, où Marcel Raynaud a été tué

A 2h15, le jeune Souquet, né à Moux le 19 Juillet 1926, succombait à ses blessures dans l'ambulance de la clinique Delteil. Elle n'atteindra Moux qu'à 3h30 du matin avec un officier de paix, le Dr Delteil et le gardien Laffont. Le jeune Raynaud Marcel, né à Moux le 31 janvier 1925, ne sera retrouvé que le lendemain matin dans la rue Bade, couché dans une mare de sang.

Hier, 23 courant à 23h30, j'ai quitté le café Rigaud, avec trois de mes camarades et mon frère Roger. Avant nous, cinq ou six soldats Allemands qui prennent la garde de la voie étaient sortis du café et se dirigeaient lentement vers l'avenue de la gare. Comme ces militaires étaient légèrement pris de boisson et craignant qu'ils nous cherchaient dispute, nous nous sommes arrêtés sur le trottoir pour leur laisser prendre de l'avance. A ce moment, un convoi automobile venant de la direction de Narbonne, marchant très lentement est arrivé à notre hauteur. Craignant une rafle, j'ai dit  :"Planquons nous" et nous avons longé le mur à droite du café en direction de Narbonne. Nous nous sommes engagés dans une rue transversale, seul Raymond Sieras a rejoint son domicile situé à 20 mètres du café dans le sens opposé. Ayant entendu crier "Halt", j'ai supposé que c'était le signal d'arrêt du convoi et j'ai continué à m'enfuir. Mon frère, Joseph Souquet et Marcel Raynaud, ont levé les bras et se sont arrêtés. N'en tenant aucun compte, les occupants du convoi ont tiré sur eux une rafale de coups de feu." (Farail René)

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Une plaque rappelle ce crime de guerre

Nous allons parler des coupables ! Il s'agit du 71e régiment de l'air de Carcassonne dit "de Lisieux" commandé par le capitaine Hermann Nordstern en relation avec la Gestapo de Carcassonne dirigée par le Unterscharführer-SS Hermann Eckfellner. Cette colonne Allemande descendait de Lairière où elle s'était attaquée au maquis de Villebazy. Plusieurs fermes avaient été brûlées... Ceci sur la dénonciation de l'emplacement du maquis par le milicien Brun.

Sources

ADA 11

Témoignage Robert Anguille

Archives militaires

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Commentaires

  • merci pour ces pages d'histoire , récits documentés et très passionnant
    sur notre histoire recente

  • Un grand merci pour cette enquête. Mes grands-parents, aujourd'hui décédés, faisaient partie des jeunes danseurs à Ribaute (ils avaient 18 et 20 ans) qui se sont enfuis par les vignes et le Rec Tourrent. Mon grand-père était d'ailleurs le fils d'Emma, qui avait prévenu les Anguille.

    C'est important de garder cette mémoire, et personnellement je ne connaissais pas l'existence d'un deuxième mort à Ribaute, il est bien dommage que la plaque commémorative n'en signale qu'un (André Beaudouvy, la plaque est toujours présente).

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