À cette époque et malgré la promulgation de la Loi Malraux, des quartiers entiers d'une grande valeur patrimoniale seront quand même rasés en France. Pour exemple, à Limoges les maires Léon Betoulle et Louis Longequeue détruiront l'ensemble des rues du XIV et XVe siècle du centre-ville, l'abbaye de la Règle ainsi que les bâtiments Belle époque comme le cirque théâtre ou le théâtre Berlioz. En lieu et place, on tracera de larges avenues de type soviétique sur lesquelles seront élevées des immeubles en béton armé. C'est cette catastrophe que l'on a évité de justesse à Carcassonne, grâce à la mobilisation d'habitants et d'associations. On ne parlait pas de Bastide Saint-Louis - appellation qui n'apparaîtra qu'en 1995 avec le classement en secteur sauvegardé - mais de Ville basse par opposition à la Cité.
La ville basse en 1960
A la fin des années 1950, les pouvoirs publics se préoccupent du logement et l'extension des nouveaux quartiers en périphérie ne semble pas suffire à leur ambition. On explique que dès 1965, la génération née au lendemain de la Seconde guerre mondiale aura besoin de trouver des logements décents. Or, il est très difficile de trouver à se loger dans un habitat rénové au cœur de la ville. Les municipalités cherchent à anticiper sur ce que seront les centres urbains du futur, avec leurs immeubles à appartements multiples, conditionnés en fonction des nouveaux modes de vie. À Carcassonne, la ville s'est étendue au-delà du centre historique et force est de constater - selon la mairie - qu'il faut y mettre un frein si l'on ne veut pas que cela se fasse au détriment de la vitalité du cœur de ville. Ce cœur bien mal en point et si vétuste qu'il n'attire pas la jeunesse, on songe à le rénover. Considérant qu'il est bien plus aisé de bâtir du neuf que de faire accepter une restauration architecturale totale de l'habitat ancien, on suggère de démolir certains immeubles, voire des quartiers entiers. Citons l'affaire du quartier des Capucins que la municipalité Fil voulait raser entièrement, et qui ne dut son salut qu'à la fronde des habitants.
La municipalité préconisa de créer d'acheter les terrains, acheter les murs qui s'y trouvent, prévoir le relogement des habitants, prévoir le dédommagement des commerçants qui ont pignon sur rue, démolir et reconstruire. Se posa alors la question du financement...
Tout ce pâté de maisons depuis l'école Jeanne d'Arc aurait dû être rasé
Dans ces années-là des entreprises privées de constructions s'organisent en vue de la reconstruction des centres urbains. Les Comités interprofessionnels du logement œuvres en France. A Carcassonne, vient de se créer le 11 août 1959 une de ses filiales : La Société Immobilière Départementale d'Economie Mixte de l'Aude. La municipalité lui donna l'autorisation de procéder à des travaux de rénovation là où cela serait possible. L'un des premiers objectifs de cette société fut la construction d'un vaste building à l'angle des rues Jules Sauzède et Victor Hugo. Tout un pâté de maisons serait rasé afin de laisser place à un immeuble vaste et moderne de quarante appartements, huit magasins, vingt-et-un garages individuels. Les rues l'encadrant seraient également élargies. La SIDEMA avait acquis la majeure partie des maisons du secteur qu'elle se proposait de détruire.
Voici l'immeuble qu'il était prévu de bâtir
Ce bel hôtel particulier avec typique du XVIIIe siècle aurait été détruit
Fort heureusement, les Beaux-arts s'opposèrent à la destruction de ce bâtiment ayant été occupé par des services du domaine et du timbre. Faisant valoir la valeur artistique de la façade, on la considéra comme intouchable. La société immobilière proposa alors aux Beaux-arts de démonter pierre par pierre le vieil édifice et de les entreposer au parc municipal.
"Les Beaux-arts n'ont rien voulu savoir. Il faut conserver au centre de la ville, intacte, cette vieillerie grise, lépreuse et surtout gênante." (L'Indépendant - 1959)
Ceci n'empêcha pas les municipalités entre 1970 et 1997 de donner du grain à moudre aux sociétés immobilières. Dans les années 70, on ne compte plus les édifices religieux rasés durant le mandat d'Antoine Gayraud. Celui de Raymond Chésa, avant l'inscription de la ville basse en secteur sauvegardé, fit la part belle aux logements sociaux réalisés par le Groupe Marcou. Exception à la règle, la réhabilitation de l'ancien hôtel Bernard (rue de Verdun) en Résidence de l'Officialité. Pour les reste, on détruisit des pâtés de maisons sans identité architecturale pour les remplacer par des immeubles. Donnons en exemple, la résidence Saint-Vincent à laquelle s'opposa l'abbé Cazaux en 1991.
En 1986, la ville fit raser ce bel immeuble de style à l'angle du square Gambetta et de la rue des Calquières. Il était occupé autrefois par le service des contributions indirectes. Raymond Esparseil dans ses souvenirs du XIXe siècle, en donne une description :
"Il y avait à l’emplacement actuel de la l’immeuble des contributions indirectes, un mur surélevé qui limitait le couvent des Carmélites, dont l’entrée était rue du Pont vieux.
Le maire Marcou a exigé que l’on construise à l’emplacement de ce mur inesthétique, une construction à façade convenable. C’est pourquoi en bordure du jardin, il a été construit un immeuble de rapport occupé actuellement par les bureaux de Contributions indirectes.
Cette maison est construite de l’épaisseur d’une pièce. Les pièces sont disposées à la suite les unes des autres, dont on fait des chambres habitables le long de la façade, sans ouverture, et isolé du couvent."
En lieu et place, un hôtel a été construit dans un style... Comment dire ?
Avec le rapport Melissinos, la ville basse prit le nom de Bastide Saint-Louis. C'était en 1995 et Carcassonne depuis, possède un cœur de ville classé en secteur sauvegardé. Si celui-ci impose des contraintes un peu trop drastiques au goût des propriétaires, il a empêché la destruction de notre patrimoine historique. En fait, pas tout à fait, si l'on considère les nombreuses faillites ou escroqueries de sociétés immobilières ayant profité de la loi Malraux. Elles ont laissé des hôtels particuliers à moitié rénovés qui se sont transformés en squat : Ancien couvent (rue du pont vieux), Hôtel Castanier-Laporterie (rue de Verdun), Maison Fabre d'Egantine (Cabinet Jassogne - rue de Verdun), Hôtel Franc-Cahuzac (rue Jean Bringer), etc. La plupart d'entre-eux sont toujours en déshérence.
Devant tant d'erreurs, certains appétits sont tentés de profiter de l'aubaine de ces cloaques, pour décréter qu'il serait temps de raser pour bâtir du neuf. Les vautours ne sont-ils pas toujours attirés par les charognes ? Après tout c'est ainsi que l'on a démoli un grand nombre d'anciennes métairies du XVIIIe siècle à Carcassonne : La Reille, Salvaza, St-Jean de Brucafel et bientôt Moureau (Rocadest). Le 2 mars 2017 l'architecte Carcassonnais Michel Galibert, déclarait dans la presse : "Il faut reconstruire la Bastide".
A qui profitera le crime ou plutôt l'aubaine financière ? Je vous mets l'article en lien ci-dessous
http://www.ladepeche.fr/article/2017/03/02/2527503-il-faut-reconstruire-la-bastide.html
_____________________________
© Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2017