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Roger Hyvert (1901-1988), l'arpenteur du patrimoine culturel audois

Le texte que nous avons choisi de vous présenter ci-dessous est une autobiographie de Roger Hyvert, écrite à la fin de sa vie et racontant les principales étapes de sa vie intime et professionnelle. Lorsque nous avons rédigé sur ce blog un article sur la société Docor-Grazailles, fondée par son père Georges, nous avons attiré l'attention de son petit-fils. Avec une extrême gentillesse, il nous a confié de précieux documents sur les activités des mines et de l'usine, propriétés de la famille Hyvert dans l'Aude. Sur mes conseils, Pascal Hyvert a fait don de cette masse documentaire aux Archives départementales de l'Aude. Qu'il en soit remercié.

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© SESA

Roger Hyvert

Né à Saint-Junien (Haute-Vienne) le 28 mars 1901, il faillit de ce fait être prénommé Gontran, en l'honneur du saint de ce jour, par une grand-mère abusive qui consentit toutefois à lui laisser les prénoms de son grand-père paternel Pierre et de son père Georges, encadrant celui de Roger, alors à la mode et qui devint son prénom usuel.

Quelques mois plus tard, le jeune Roger, né dans une vieille maison en haut de l'avenue de Limoges, posait la main sur la truelle de la première habitation de granit que le grand père maternel, Germain Faye, faisait édifier sur la même avenue, quelques centaines de mètres plus bas.

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© Pascal Hyvert

L'usine Hyvert avant l'incendie, rue Buffon

Dès lors, la jeunesse de Roger se partagea entre la vieille demeure branlante du Quai Riquet à Carcassonne (où par les nuits de tempête, le vent faisait craquer les poutres) et, pendant les vacances scolaires, dans l'agréable maison de St-Junien, bien chauffée l'hiver par une énorme chaudière, entourée d'un beau jardin, bien planté, entretenu par le vieux jardinier Beaumartin qui aimait rappeler les souvenirs de ses sept ans de service dans les cuirassiers (car il avait tiré le mauvais numéro) et qui, à l'occasion, se coiffait d'une casquette de cuir pour remplir l'office accessoire de cocher, attelant au break familial le vieux cheval "Bonhomme" (qui mourut âgé de 30 ans).

Dans ce décor, la solitude d'un fils unique ne pouvait être pesante, cependant tel n'était pas l'avis de la grand mère Faye qui s'ingéniait à faire venir des enfants du même âge pour jouer avec son Roger. Par exemple, Guy Rougier, petit-fils de Sylverine, soeur de Germain Faye, infortuné enfant d'une famille accablée par la misère et par l'ivrognerie du père et qui du moins, goûtait confortablement ces jours-là. Parfois, c'était le jeune d'Arcambal, d'une famille amie des écrivains Jérôme et Jean Tharaud qui venaient souvent dans ces parages, enfant qui scandalisait ses parents en prétendant avoir la vocation de cocher ; bon camarade de jeux ayant l'avantage supplémentaire de m'inviter parfois, à son tour, dans un splendide rendez-vous de chasse situé près de la route d'Angoulême, avec un des derniers chenil de chasse à coure restant encore dans le pays.

Le jeune Dedareuil venait plus souvent, pour la raison simple qu'il habitait tout près, en période de vacances comme moi, car son père professait, le reste du temps, à la Faculté de droit de Toulouse. C'était un enfant rieur, spirituel, qui apprit rapidement à dissimuler ses qualités pour se composer un visage rigide, car il devint juge d'instruction et procureur de la République. Quant au cousin Marc Bouneau, si j'ai beaucoup regretté qu'il fut victime de la guerre en 1915, mes jeux avec lui manquaient d'entrain, car il était plus âgé que moi de trois ans et l'éducation rigide de sa mère n'en avait pas fait un boute-en-train.

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© Pascal Hyvert

Roger Hyvert au lycée de Carcassonne en 1912, assis à l'extrême droite

Bachelier à 17 ans, on m'envoya à Louis-le-Grand en octobre 1918 pour préparer Centrale. Mon père tenait à effacer le souvenir de son échec au diplôme de sortie. J'y fus donc reçu, y passai deux ans et en sortis le 22 février 1922, âgé de 20 ans et quelques mois. Sursitaire, j'avais encore du temps devant moi et entrepris avec un camarade en voyage d'études en Alsace et en Rhénanie, pour penser ensuite à mon incorporation, retardée par une bénigne opération de hernie .

Le service militaire de 18 mois se divisa pour moi en trois périodes : six mois à la caserne Pelleport de Bordeaux, comme canonnier de 2e classe (car il n'y avait pas alors de loi sur la préparation militaire pour les grandes écoles), six mois à l'école d'E.O.R de Poitiers, après concours. Enfin, six mois comme lieutenant au 6e d'artillerie de Valence.

Après cet intermède obligatoire, il était temps de chercher une situation, même problème pour moi que pour mes camarades de promotion, à peu près insoluble malheureusement en raison de la crise économique et aussi pour que la promotion de rattrapage des étudiants qui avaient été mobilisés, avaient saturé le marché de l'emploi. Je me résignai donc à rester après de mes parents (qui ne demandaient pas mieux) et à aider mon père à la vente - de plus en plus difficile - de ses produits arsenicaux.

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Usine Docor, vue depuis la route de Villemoutaussou

Lors de mon mariage, en 1926, il parut cependant utile de trouver d'autres débouchés et la création d'un atelier de cannetilles perlières parut opportune, d'autant qu'elle convenait pour utiliser un grand local disponible au 2e étage, rue Buffon. Mais la mode évolua en défaveur de ce type de produit ; la concurrence en devint que plus vive, abaissant les prix de vente au niveau du prix de revient. Aussi fallut-il abandonner, et si le matériel eût pu être vendu, ce ne fut qu'après la guerre de 1945 lorsqu'une offre parvint, mais tout avait été détruit dans l'incendie de 1944 (NDLR, incendie du Quai Riquet).

Ayant peu de goût pour des activités commerciales, qu'il n'exerçait que dans les stricte mesure nécessaire pour l'entretien vital, Roger souhaitait se consacrer à d'autres sortes de travaux, mais fut peu encouragé dans cette voie. Par exemple, s'étant inscrit à la Faculté des Sciences de Toulouse pour préparer le diplôme d'ingénieur-docteur, il ne peut obtenir de son père les autorisations nécessaires pour préparer une thèse sur les métaux-carbonyles, sous prétexte que ces composés chimiques étaient toxiques et dangereux. Or, on sait que cette voie était fructueuse, puisque quelques années plus tard on en fit l'application aux composés de plomb antidétonants  - en voie d'abandon en 1971, précisément pour les dangers de pollution, mais après plus de 40 années d'emploi intensif.

Un travail, également d'ordre chimique, fut déposé à l'Académie des Sciences et publié par la Société d'etres Scientifiques de l'Aude, portant sur certains composés où la molécule organique est formée d'homologues du benzène (1924).

Ce n'est que bien plus tard que Roger commença de s'intéresser à l'archéologie, publiant vers 1928 une étude sur St-Bertrand de Comminges, puis sur d'autres moins poussées, sur Minerve et d'autres sites et monuments de la région.

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© Pascal Hyvert

Roger Hyvert sur le plateau de Grazailles

Après 1940, l'arrêt quasi-total de la production commerciale lui laissant de longs loisirs, Roger fréquenta assidument les archives départementales de l'Aude, dressant un répertoire des documents non classés de la série C, trouvés par lui dans un effroyable désordre, consécutif aux déménagements subis par suite de la reconstruction des locaux. Constatant l'intérêt des compoix (NDLR, plans cadastraux) terriers pour l'étude de l'histoire économique et agricole, il dépouilla spécialement la collection de compoix de Lavalette, dont la suite remarquable permet de reconstituer complètement l'évolution des cultures et du morcellement des propriétés du XVIe au XVIIe siècle.

Un travail plus étendu premit ensuite d'établir un bilan des diverses mesures utilisées dans l'Aude. Cette synthèse parut en deux fois dans le bulletin de la Société d'Etudes Scientifiques de l'Aude, mais les circonstances du moment ne permirent pas l'exécution de tirages à part.

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Entrée de La Boussole en 1936

(Bonnet, Roger Hyvert, Esparseil)

Vers le même temps, Roger écrivit le chapitre "Corbières" du guide touristique Privat. Sur le plan minier, il écrivit une étude stratigraphique sur le gisement de "La Boussole-Maisons", portant notamment sur la structure et la disposition des failles et diabases, expliquant ou tâchant d'expliquer l'origine spéciale et complexe de cet ensemble de gîtes minéraux.

Un inventaire sommaire des documents d'archives concernant les guerres religieuses du XVIe siècle dans l'Aude, occupa les loisirs résiduels, interrompus par le sinistre d'août 1944 qui, supprimant les ressources des loyers, fit rechercher d'urgence une activité rémunératrice. Il s'en présenta deux, chacune d'elles insuffisante pour vivre, mais y convenant simultanément, du fait qu'elles laissaient beaucoup de temps de libre. L'une était l'inspection, au sein du service des examens du permis de conduire, travail rémunéré (faiblement alors) à la vacation, représentant environ 8 à 10 jours effectifs par mois. L'autre activité, celle de délégué au recensement des monuments anciens, présentait beaucoup plus d'attrait, mais pour une mensualité dérisoire, exigeant cependant - en principe - 200 heures de travail par mois. En bonne forme physique, Roger put cumuler l'une et l'autre tout en satisfaisant chaud de ses employeurs, non sans y passer de longues veillées, surtout en fin de mois à l'époque des rapports ou comptes-rendus périodiques.

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Après l'incendie de 1944, des appartements ont été reconstruits sur l'usine

Cela cependant ne pouvait durer, surtout après que des attributions sans alourdies eussent rendu ce cumul absolument intolérable ; ce point de rupture fut atteint en 1964 et, déclinant alors les offres faites par les Monuments historiques pour une amélioration de sa situation, Roger abandonna pour se consacrer à la situation de Contrôleur général du service des examens, signifiant sa présence permanente à Paris, d'où son déménagement dans le XVe arrondissement.

Au sein de cet organisme, il eut à s'occuper - indépendamment de ses attributions habituelles - du secrétariat de la commission internationale des examens automobiles (CIECA), rédigeant tous les comptes-rendus des séances tenues à Paris, Cologne, Munich, La Haye, Ostende, Londres, Naples, Séville, Montreux ; tout en ayant à se poser, sur la plan technique, la position du service français et à élaborer les projets d'amélioration des examens.

Sur le plan littéraire, Roger avait trouvé le temps de rédiger en 1964, plusieurs certains articles qui lui avaient été demandés par Robert Laffon pour le tome Languedoc du dictionnaire des églises de France (offert plus tard à la bibliothèque Vaticane), et vers la même époque quelques articles pour la Revue des Monuments historiques Français : "Ephémérides lapidaires" et surtout "Métrologie des églises romanes du Languedoc" ; travail très poussé sur les mesures de ces monuments, exprimés en unités locales anciennes et permettant d'y reconnaître des affinités, jusque-là inaperçues. Une étude sur la "dissémination de l'art flamboyant en Languedoc" avait d'autre part été publié par le bulletin Monumental.

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Surmené par son travail de Contrôleur général, Roger ne put s'adonner à une nouvelle oeuvre qu'en mai 1971 (alors qu'il était en retraite depuis 14 mois), éditant à ses frais un recueil de documents sur le siège de Paris (lettres par ballon monté), l'affaire de Buzenval (dépêches échangées pendant la bataille du 19 janvier 1871) et la commune, plaquette qui revint peut-être cher pour une vente incertaine, mais que son auteur considérait comme un devoir de publier à la mémoire de son grand-père. Indiquons ici, ce qui ne l'a pas été dans cette plaquette, que l'auteur de la lettre racontant en quatre pages serrées la bataille de Buzenval, était Louis Laylavoix, descendant d'une soeur de Pierre Hyvert. Les Laylavoix étant une famille notable de Rochechouart (H-V).

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La tombe de Roger Hyvert au cimetière St-Vincent

Là, s'arrête le récit autobiographique de celui qui fut le Président de la Société d'Etudes Scientifiques de l'Aude. Chevalier de la légion d'honneur, chevalier du mérite agricole, Officier des Palmes académiques et Croix des Services militaires volontaires. Inutile de préciser - cela va de soit - qu'aucune rue de Carcassonne ne porte son nom.

Mon article sur l'usine Docor

http://musiqueetpatrimoinedecarcassonne.blogspirit.com/archive/2016/02/24/la-societe-de-produits-chimiques-docor-grazaille-fondee-par-217672.html

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