Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La fiancée des ténèbres : un film tourné à la Cité de Carcassonne

affiche fiancée.jpg

La fiancée des ténèbres

est un film de Serge de Poligny, tourné dans la Cité de Carcassonne en 1944. Le scénario a été écrit par Gaston Bonheur, un journaliste et écrivain né à Belvianes dans l'Aude.

img932.jpg

Serge de Poligny pendant le tournage

© Gaumont

Argument

Sylvie est convaincue de sa malédiction et mène une vie sans espoir dans la sombre demeure de son adoptif, à Carcassonne. Un jour, elle rencontre Roland, un jeune compositeur de musique, et décide de fuir avec lui. Mais son père, à la recherche du secret des Cathares, la persuade de renoncer au monde pour retrouver, dans les souterrains, le sanctuaire des Albigeois.

fiancée.jpg

La première scène se passe sur le Pont vieux

Distribution

Pierre Richard-Wilm (Roland), Jany Holt (Sylvie), Edouard Delmont (M. Toulzac), Line Noro (Mlle Perdrières), Simone Valère (Dominique Samblanca)...etc.

La fiancée des ténébres 2.jpg

Gaston Bonheur, Jany Holt, Pierre Richard-Wilm

Analyse

Il existe dans l'histoire du cinéma français un film, unanimement considéré aujourd'hui comme le premier et le seul d'inspiration Cathare. Accueilli, lors de sa sortie, par des ricanements dans une incompréhension quasi générale, à cause de la complexité labyrinthique d'un scénario chargé de références culturelles ; admiré pour la perfection formelle de ses images, La fiancée des ténèbres surprend aujourd'hui et fascine les jeunes générations de spectateurs plus informées des problèmes de l'irrationnel et plus sensibles aussi à un discours qui rompt avec les conventions trop littéraires du cinéma des années 30.

(Les cahiers de la cinémathèque / Hiver 1975/ N°16) 

img930.jpg

Interview de Gaston Bonheur

fiancée2.jpg

Pierre Richard-Wilm dans les lices

Le scénario de La fiancée des ténèbres est adapté d'une nouvelle que j'avais publiée en 1943, dans l'édition de Paris-soir Toulouse : La mort ne reçoit que sur rendez-vous. J'avais trente ans, ce qui peut expliquer un peu de ce délire romantico-philosophique et j'avais aussi, depuis longtemps, terminé mes propres études de philosophie à Paris. Il faut, peut-être, préciser pour mieux comprendre les intentions de mon texte, que j'étais monté à Paris comme "investi" d'une mission par mes maîtres Joë Bousquet et Estève, mon professeur de terminale : j'aurais dû devenir philosophe ; je suis devenu homme de lettres et c'est Alquié [Ferdinand Alquié, NDLR] qui a pris ma place.

En arrivant à Paris j'avais  de nombreuses lettres de recommandation auprès de Germaine Dulac, Abel Gance et même Jean Renoir pour qui j'ai même commencé à écrire un scénario sur Le blé et qui aurait dû être tourné à Chartres. C'était une époque où l'on voyait dans le cinéma une forme d'expression qui prolongeait la littérature ; où nous pensions que le fin du fin c'était un cinéma qui tiendrait ses lettres de noblesse de la littérature. Après la défaite de 1940 c'est donc tout naturellement que j'ai participé en zone sud, aux activités cinématographiques de la Côte d'azur avec les frères Prévert et mon ami Marc Allégret, entre autres. De Pâques 1941 à juin 42, j'ai travaillé aux films Impéria.

C'est dans ce climat que j'ai donc pour l'édition toulousaine de Paris-Soir, dont le rédacteur était René Maine, écrit cette courte nouvelle qui devait retenir l'attention du producteur François Chavannes et celui qui allait devenir mon ami, Serge de Poligny. Il y a eu aussi Jean Anouilh, qui a écrit la scène d'amour sur les remparts ; une scène un peu plaquée, mais qui servit surtout à justifier un salaire.

Le film est un peu le résultat de deux groupes, des Méridionnaux qui voulaient faire passer quelque chose ; et des parisiens dont la connaissance des goûts du public permettaient de mettre en images, dans un style qui avait fait ses preuves selon les conventions romanesques du moment.

Pour ce qui est du climat de la vie quotidienne, je m'étais inspiré de faits précis et de personnages réels que je connaissais. C'est ainsi que Charpin représente mon bon maître François-Paul Alibert dans sa faconde joviale. Delmont, immobilisé sur sa voiture d'infirme, recouvert de sa longue cape, représente Joë Bousquet. Avec un peu de Déodat Roché qui, lorsque je l'ai connu en 1930, se prétendait le dernier évêque cathare...

En partant de l'aventure vécue par le héros comme une épreuve pour atteindre la purification, on peut interpréter l'histoire comme la représentation symbolique d'un itinéraire vers la perfection. Le trésir enfoui sous la Cité serait le Saint-Graal... Et la fête à Tournebelle, le Paraclet... J'avais conçu La fiancée des ténèbres comme un opéra, aux implications ésotériques rigoureuses. En ce sens l'apport fondamental a été celui de Manuel Mirouze qui écrit pour le film une partition très élaborée, éditée sous le titre de Symphonie Albigeoise. [L'air de la chanson occitane "Lo Boier" est reprise dans la musique du film. NDLR]

Originaire de Toulouse, Marcel Mirouze qui a ensuite dirigé pendant de longues années l'orchestre de Monte-Carlo était parfaitement au courant de mes intentions.

Aviez-vous connaissance à cette époque, de l'intérêt porté en Allemagne non seulement à la quête du Graal, mais à certaines spéculations qui voyaoent en Montéségur le Fontsalvage de la tradition, et surtout de certaines conceptions ou interprétations wagnériennes, voire nietzchéennes, de la pensée cathare ?

Bien sûr,  nous connaissions les livre d'Otto Rahn (La croisade contre le Graal) ; mais la littérature sur le catharisme était en ce temps-là, assez rare. Les cahiers du sud avaient pourtant réalisé en 1942, un numéro sur l'occitanie et la pensée cathare. René Nelli y avait collaboré ; mais c'est à peu près ce dont on disposait en France. Par contre, j'ai une anecdocte de tournage du film qui va dans le sens de votre question. Au moment de la réalisation, la Cité de Carcassonne était sous contrôle de l'armée d'occupation, et nous étions en rapport constant avec les officiers. Je me souviens fort bien de l'un d'entre-eux  qui avait installé son bureau dans une des grandes salles et qui avait devant lui une statuette de Trencavel dont il prétendait s'attribuer la fière devise : "Mon épée pour la veuve, mon bouclier pour l'orphelin". Il était persuadé que le combat de la Wehrmacht vengeait les victimes de Simon de Montfort... Ceci dit le tournage du film s'est parfois déroulé sous leur contrôle, mais pour des raisons de sécurité uniquement. C'est ainsi par exemple que pour la scène du drame passionnel sur la péniche, c'est un officier allemand qui a tiré le coup de révolver pour l'enregistrement du son.

Nous étions dans un climat intellectuel profondément influencé par le surréalisme, et toutes ces idées d'un romantisme plus contemporain, nous hantaient. Malheureusement, le tournage a été interrompu pendant la Libération et les scènes de la fête à Tournebelle ne sont pas ce qu'elles auraient dû être. Pour moi, elles devaient se dérouler près de Gruissan, au vrai Tournebelle.

Figurants célèbres

fiancée4.jpg

Durant la scène du bal filmée à l'ancienne guinguette "Le Grougnou", près de l'écluse du Fresquel, on remaquera la présence devant la caméra du peintre Jean Camberoque et de son épouse.

En DVD

img931.jpg

Depuis le mois dernier, Gaumont vient de sortir ce film en DVD au prix de 12€90. Vous pouvez vous le procurer chez Leclerc ou chez Cultura à Carcassonne.

Merci à Noël Pagé pour son aide

___________________________

© Tous droits réservés/ Musique et patrimoine/ 2015

Commentaires

  • Ce film est tout à fait remarquable et aussi le reflet d'une époque bien précise. On reconnait bien entendu le milieu: Joë Bousquet et l'environnement suurréaliste autour des spiritualistes s'interressant au catharisme... Je n'ai pas connu Déodat Roché, mais beaucoup de ses proches, le terme de "Pape des cathares" que lui donnait la presse il ne le revendiquait pas. (Evêque non plus sans soute) On reconnait à travers le "Bon Aryen" le célèbre (tristement) Otto Rhan (Nazi de son état) Voir le livre du regretté Bernadac (Le mystère Otto Rhan). reflet d'une époque mais pas du catharisme, heureusement et malheureusement, car les cathares mériteraient un VRAI film avec le souffle, pourquoi pas, que l'on retrouve dans le film :"les camisards" de René Allio sorti en 1972. Je n'ai retrouvé cette fraicheur et rigueur historique qu'au travers de réalisations théâtrales comme celles qui furent réalisées à Villerouge Termenès pendant des années puis à Montaillou par la suite autour de la compagnie "Conduite interieure" de Nîmes de Christian Chessa et "Tric au trac" de Villerouge Termenès.
    En tous cas un joli film cette fiancée des ténèbres même si le bien et le mal se trouvent mythifiés et inversés. Les purs nazis ont perdu. Les ténèbres occitanes étaient plus lumineuses !

  • Merci pour votre article très riche. Je vous signale sur le site Gallica une brochure regroupant toutes les critiques de l'époque sur le film. Elles sont très sévères.
    Je lis avec beaucoup de plaisir votre site. Pour compléter sur le festival de la Cité.
    Sauf erreur de ma part j'ai assisté en juillet 1971 (entre le 16 et le20) à un récital de Elisabeth Schwarzkopf-airs de concert- accompagné au piano par Aldo Ciccolini. Merci pour votre travail.

Écrire un commentaire

Optionnel