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Le couvent des Capucins, massacré par un promoteur immobilier

Voilà bientôt dix années que l'ancien Couvent des frères Capucins a été rayé à jamais de la carte et de l'histoire de Carcassonne, pour servir les intérêts financiers d'une opération immobilière. La constitution d'une association de défense créée par des habitants du quartier pour le sauver, les recours pour faire échec au permis de construire, les 1300 signatures de pétitionnaires... rien n'y à fait car au bout du compte, l'ensemble des bâtiments seront livrés aux bulldozers. Détruire une église et un couvent, ce n'était pas une première dans la préfecture audoise. Le couvent des cordeliers en 1902 (place de Lattre) et l'hôtel Dieu (Dôme) en 1977 ont subi le même sort. Ce qui est inexcusable, c'est l'improvisation et la sauvagerie avec laquelle on allait s'attaquer aux oeuvres d'art picturales et sculpturales.

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Il était donc un couvent, fondé au faubourg Laraignon en 1866 sur un terrain d'un hectare et demi. L'acquisition en avait été faite par J-B Gouttes (Lyon), F. Potton, P. de Galibert (Toulouse), C. de Longueville (Besançon) et F. Arnoux (Paris), tous religieux de l'ordre des Capucins. Celui-ci était présent à Carcassonne depuis 1592. Le 21 février 1867, la première pierre bénite est posée par l'abbé de Niort en présence de Mgr de la Bouillerie (Evêque de l'Aude), de vicaires généraux et du père Dominique (Père provincial des Capucins).

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Cette pierre bénite large de 30 centimètres, haute de 10 est bâtie dans l'angle S-O des fondations de l'église. Une fois les travaux achevés, l'église et le couvent seront bénis le 15 juin 1868. Le décret de Mars 1880, ordonne la fermeture des congrégations et des couvents et les Capucins sont contraints de partir. Ils ne reviendront que dix années plus tard. Ils seront à nouveau expulsés en 1903, en raison de la loi de 1901 les accusant d'appartenir à une congrégation non autorisée. Soutenus par les habitants du quartier, ils se barricaderont dans leur couvent qui lui, sera assiégé par la troupe. Finalement délogés, ils seront amenés manu-militari en prison pour quelques jours. Leur retour au couvent ne se fera qu'après la grande guerre.

"Les Capucins étaient respectés par tous les habitants du quartier. Si certains religieux restaient effacés, marchant dans la rue, le regard lointain, et, égrénant dans leur main leur chapelet pendant à leur ceinture de corde, d'autres étaient plus proches des civils, conversant et plaisantant facilement avec eux. Ah! Ils ne respiraient pas la richesse les pauvres moines; vêtus de leur habit de bure marron, l'hiver, une pèlerine à laquelle s'accrochait un capuchon, complétait leur tenue. Petite calotte sur leur crâne rasé, barbe plus ou moins fournie, pieds nus dans des sandales à lanières de cuir; l'hiver, leurs pauvres orteils étaient rouges, gercés, gonflés d'engelures. Les Capucins avaient instauré, bien avant Coluche, un mini restaurant du coeur; en effet, tous les jours, ils offraient aux déshérités de la vie, aux exclus, un repas chaud dans une pièce du Couvent où les malheureux venaient se restaurer et retrouver un peu de chaleur humaine." (Extrait de Simone Dariscon)

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Le monastère était situé au sud de l'église et avait une longueur de 33 mètres. En son centre, le cloître richement fleuri autour d'une statue de la vierge couronnée avec l'enfant Jésus, vivait hors du temps. Au premier étage, se trouvaient les cellules des moines.

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L'église possédait une voûte en plein cintre de 30 mètres de haut pour 16 de large. Dans le choeur, le père et l'oncle de Jacques Ourtal réaliseront une fresque. Il s'agit d'une peinture sur toile marouflée représentant l'imposition des stigmates à Saint-François d'Assise.

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Première chapelle à droite: Saint-Antoine de Padoue.

Peinture marouflée de Jacques Ourtal (1932)

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La chapelle du "Monument aux morts" de tous les Capucins tombés durant la grande guerre décoré par Jacques Ourtal en 1923. Au dessus, des guirlandes de chrysanthèmes entrelacées d'un ruban tricolore. Ce monument était unique en France !

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La chapelle au moment de la destruction du couvent

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Détail de l'oeuvre du peintre Jacques Ourtal dans la chapelle à droite

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Dans la même chapelle, à gauche

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La sainte face, peinte par Jacques Ourtal

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La peinture sur toile marouflée de J. Ourtal dans le choeur

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Elle sera sauvée in-extremis par des amoureux du patrimoine et mise à l'abri. Sans leur vigilence, elle serait partie dans les gravas du couvent.

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Courant 2001 on apprit que le Couvent, propriété du clergé lyonnais, venait d'être vendu à un promoteur immobilier toulousain pour la construction de 152 logements et 174 places de parking. L'ensemble des bâtiments seraient donc détruits. Aussitôt, une association "les amis des capucins" se constitua pour protester contre le projet. Menée par Bernard Martin, elle obtint que l'on sauva l'église pour la transformer en maison de quartier. Il s'agit d'un leurre et d'un peu d'enfumage. La mairie qui souhaite voir l'aboutissement du projet, leur promet bientôt une maison de quartier sur les anciens terrains Delteil (dix ans après, elle n'est pas sortie de terre). L'utilité de l'église est à nouveau menacée et l'association va tenter de faire annuler le permis de construire, puis de faire classer le Couvent. Selon les Monuments historiques ces bâtiments n'ont pas de valeur patrimoniale notable et il n'y pas lieu de les conserver. Les Bâtiments de France mettront un avis favorable au permis. Pourtant:

"L'insertion du projet dans son environnement n'est pas réalisée", que sa "monumentalité est totalement hors d'échelle par rapport aux maisons qui font l'identité du quartier. Il est consternant de voir que malgré mes indications, aucune correction n'a été apportée au dossier initial en ce qui concerne les prestations", et notamment sur les volets roulants "interdits pour tous les abords de monuments historiques". (M. Melon, Architecte en chef des ABF/ L'Indépendant 30/09/02).

Nous voyons ici qu'il s'agit d'une histoire de gros sous sur un projet immobilier défiscalisé (Loi de Robien). Le pot de terre contre le pot de fer. D'un autre côté, les motivations de l'association étaient-elles pour la sauvegarde de l'église, ou pour préserver le calme que 200 nouveaux véhicules viendraient ébranler dans la rue du 24 février ? A ce propos, nous allons voir que ce n'est qu'in-extremis que l'on se souvint de la richesse des oeuvres picturales de l'église. Ceci, grâce à une commission extra municipale.

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Voilà où en était la destruction quand avec émoi, on entendit: "Il faut tout arrêter, ils vont détruire les toiles de Jacques Ourtal". Ne pouvaient-ils pas s'en soucier plus tôt? Il paraît qu'on avait oublié le grand peintre qu'était Ourtal... Bon, on dépêcha sur place les services de la DRAC qui ordonnèrent la sécurisation des oeuvres du peintre, marouflées sur les murs que la chute des pierres avaient rendus poussiéreux. La mairie imposa au promoteur qui n'avait cure de ces objets d'art et qui, sans elle, les aurait passé au pilon, de financer le sauvetage. C'est dans des conditions précaires et dangereuses que Andrezej Mielniczek (restaurateur agréé par les Monum), Corinne Calvet et M-C Ferriol ont sorti les toiles posées contre les murs des chapelles et du choeur. Ils ont travaillés sur un échaffaudage municipal inadapté, en risquant de prendre des pierres sur la tête à tous moments. Là, où il leur aurait fallu 15 jours, on leur en donna seulement quatre. Malgré cela, les toiles furent mises en lieu sûr. L'essentiel était sauf...

Que sont devenues après dix ans, les oeuvres d'Ourtal? Le promoteur les a donné (par la force des choses) à l'association diocésaine. La Sainte face a été vendue pour l'euro symbolique a la ville de Carcassonne, qui l'a déposée à l'église St-Vincent. La grande peinture représentant St-François d'Assise est enroulée dans un dépôt, en attendant de lui trouver un point de chute. Les anges et la grande fresque ont été protégés par la commission départementale des objets mobiliers, il y a environ deux ans. Il a été décidé cette année que le monument aux morts serait déplacé dans la chapelle du cimetière St-Michel. Les tableaux sur toile sont à Notre-Dame de l'Abbaye. Quant aux statues, elles ont été données à d'autres congrégations religieuses. C'est selon Corinne Calvet, ce qui a permis de redécouvrir le talent Jacques Ourtal.

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L'église éventrée par les pelleteuses

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Le cloître

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Le samedi 12 octobre 2002, une vision de guerre semble avoir atteint le Couvent. Un siècle et demi d'histoire religieuse locale venait d'être transformé en gravats.

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Voici ce que l'on a bâti en lieu et place dans la rue du 24 février:

"Le clos des Capucins"

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Sources et photos:

Quartier des Capucins / Simone Dariscon

L'indépendant, La dépêche, Le Midi-Libre

Tous mes remerciements à Suzanne Bezombes, Corinne Calvet et Marie Marty

NB: La porte fracturée lors du siège du fort du mail en 1903 a été également sauvée!

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