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Musique et patrimoine de Carcassonne

  • La famille Schwarszchild raflée le 24 août 1942 à Caudebronde.

    Homme d'affaire, Richard Schwarzschild menait une existence paisible à Kaiserslautern, entouré de l'affection de son épouse Louise et de ses deux filles, Hannelore et Margot. Marié à une catholique convertie au judaïsme, il animait à l'orgue les offices de sa synagogue. L'arrivée d'Hitler au pouvoir modifia radicalement des conditions de vie qui devinrent de plus en plus insupportables. Dès octobre 1938, la synagogue de Kaiserslautern fut dynamitée. Richard fut déporté à Dachau pour six semaines – la famille dut emménager dans une « maison juive » désignée – et les filles furent renvoyées de l'école, sous les cris de leurs camarades : « Dehors les Juifs ! » Dès lors, Richard Schwarzschild ne put gagner sa vie que comme ouvrier routier. Il s'efforça néanmoins de protéger au mieux les enfants des représailles : chaque dimanche, ils partaient en excursion à la campagne, souvent avec des amis.

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    La synagogue de Kaiserslautern avant et après son dynamitage.

    Expulsés d'Allemagne le 22 octobre 1940, devenus apatrides, Les Schwarschild furent internés trois jours plus tard au camp de Gurs, près d'Oloron-Ste-Marie. Margot se souvient des conditions de leur détention : "C’était épouvantable. Le camp était immergé dans la boue, 60 à 90 personnes étaient parquées dans chaque baraque. Nous souffrions de la faim et nous étions rongés par la vermine. Plongés dans le désespoir, nous avions l’impression d’être le rebut du genre humain." A Gurs, Richard eut la charge des activités sportives d’un groupe de jeunes. Lors de sorties ceux-ci ramenèrent du pain au camp. Richard fut accusé de marché-noir ;  on l'interna à la prison de Pau pendant trois mois. Envoyées le 14 mars 1941 au camp de Rivesaltes, la mère et les deux filles furent séparées une première fois du chef de famille. Celui-ci intégra le 318e Groupement de Travailleurs Etrangers le 1er septembre 1941, comme manoeuvre à la mine de La villanière, près de Salsigne. Son salaire lui permit d'obtenir le retour de sa famille près de lui. Il loua un petit appartement dans Caudebronde. Quatre mois de répit avant ce 24 août 1942 où la gendarmerie française vint les arrêter sur ordre du gouvernement de Vichy.

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    Francis Oustric se souvient : "Il se trouve qu'en 1943 (j'avais six ans), j'ai assisté dans mon village natal de Caudebronde (Aude) à l'arrestation des juifs qui s'étaient réfugiés là. En majorité des hommes qui travaillaient à la mine d'or de Salsigne. Il y en avait onze, qu'ils avaient parqués, en face de ma maison, dans la cour de l'école. L'un d'eux, qui venait souvent passer veillée, était entré pour faire sa toilette. Il se rasait à l'évier familial quand deux gammas sont arrivés et l'ont entrainé, une joue encore pleine de savon, j'ai vu cela et je m'en souviens parfaitement. J'ai entendu ma grand mère dire en patois à l'un des policiers: "C'est du beau travail que tu fais là" 

    Le transport vers Rivesaltes se fit en autobus. À l'intérieur du camp, un commission criblage fut chargée de sélectionner – selon des critères fixés par Vichy – les juifs devant être déportés. Grâce au concours d'une infirmière de la Croix-rouge, Louise Schwarzschild put démontrer qu'elle était catholique tout comme ses enfants. La photographie de sa communion leur sauva la vie.

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    Louise en communiante

    Malheureusement, Richard n'eut pas cette chance. Il n'obtint pas sa libération et partit en train vers Drancy. On imagine le terrible moment de la séparation. Le 4 septembre 1942, Louise et ses filles retournèrent à Caudebronde. Peu de temps après Hannelore et Margot partirent pour la colonie d'enfants de Pringy (Haute-Savoie), Louise alla travailler pour la Croix-rouge Suisse à Cruseilles. Le fin de la guerre les réunit à nouveau. Quant à Richard, les dernières nouvelles furent apportées par son cousin, Simon Salzman. Déporté avec lui à Auschwitz, puis mis au travail forcé pour réaliser des terrassements, il ne le revit vivant qu'en septembre 1943. Au cours l'hiver 1943, Richard Schwarszchild fut sans doute assassiné. 

    Nous avons trouvé le témoignage que sa fille Margot envoya à Yad Vashem en faveur de Friedl Reiter, l'infirmière qui leur sauva la vie. Nous l'avons traduit de l'Allemand.

    « Notre famille a été déportée de Kaiserslautern vers la France le 22 octobre 1940 avec les juifs de Rhénanie-Palatinat. Mon père, ma mère, ma soeur Hannelore et moi-même sommes arrivés au camp de Gurs le 25 octobre 1940 après plusieurs jours de voyage vers l’inconnu. Là, nous avons été internés dans des conditions épouvantables jusqu’à notre transfert au camp de Rivesaltes le 14 mars 1941. Nous sommes restés à Rivesaltes jusqu’au 17 novembre 1941, date à la laquelle la Croix-Rouge Suisse nous a transférés dans un orphelinat à Pringy. Nous étions tous deux gravement malnutris, et je souffrais d’une plaie ouverte tenace au genou, ce qui explique peut-être pourquoi nous avons eu la chance d’être parmi les enfants libérés du camp. Nos parents ont dû rester. Ma mère a cherché du travail à la barque de la Croix-Rouge, où elle aidait au programme d’alimentation des enfants ; Friedl Reiter (Bohny) y travaillait. Mon père, quant à lui, a trouvé du travail dans la mine de la Villanière. La mine extrayait diverses substances dont l’arsenic, un poison très toxique. Ce travail dangereux employait principalement des étrangers, il était difficile de recruter des locaux. Fin 1941, il a pu louer un petit appartement et faire venir ma mère, puis nous. Pendant quelques mois, nous avons été heureux de nous retrouver et avons profité de la vie de famille tant manquée. Mais le bonheur dans le petit village de Caudebronde près de Carcassonne fut de courte durée. En aout 1942, nous avons été de nouveau arrêtés très tôt le matin par la Milice Française et ramené à Rivesaltes avec trois autres familles juives.

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    Richard Schwarszchild, son épouse et ses filles

    A Rivesaltes, des convois de juifs, qui vivaient désormais « en liberté », convergèrent à nouveau. On ne nous en expliqua évidement pas la raison, mais pressentions le pire. Tous les juifs furent rassemblés dans le grand camp et appelés par le nom pour la déportation (vers l’Est, comme on le découvrit plus tard). Freidl Reiter qui connaissait ma mère pour avoir travaillé dans les baraquements de la Croix-Rouge et savait qu’elle n’était pas juive, s’empressa de contacter le Commissaire de criblage afin d’obtenir la libération de notre famille. Elle fit valoir que nous, les enfants, avions déjà été baptisés (ce qui, soit dit en passant, était aussi le souhait de mon père). Après de longues et insistantes discussions, le Commissaire de criblage s’exclama avec colère : « Eh bien, prenez la femme et les enfants et cachez-les jusque’à la fin de la guerre. Mais l’homme doit venir avec nous… » C’était comme une condamnation à mort pour mon père. Ce fut un coup terrible pour lui, mais malgré tout, il était heureux de savoir que nous serions en sécurité. Nous avions prévu de nous revoir après la guerre par l’intermédiaire de la Croix-Rouge à Berne. En vain. Notre père a dû périr à Auschwitz dès septembre 1943, d’après le témoignage d’un cousin revenu, mais qui est lui-même décédé depuis des suites des mauvais traitements qu’il a subis. »

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    © Marius Schären

    Margot Wicki-Scwarszchild (1931-2020) témoigna toute sa vie en rappelant les dangers du nationalisme, du racisme. Le 24 août 1942 dans un petit village de la Montagne noire, à quelques kilomètres de Carcassonne, des Audois l'ont enlevé à l'affection de son père. Au moment où ces idéologies refont surface en Allemagne et en France, il est indispensable d'évoquer le souvenir de la famille Schwarzschild. Hier, c'était les juifs. Et demain ?...

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    © Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2025

  • Walter Fraenkel (1879-1943) s'était réfugié à Montréal d'Aude.

    Expulsés d'une Autriche xénophobe, annexée par les nazis, et contraints d'abandonner leur atelier à Vienne, un couple d'artistes peintres trouva refuge à Paris en 1938. Walter Fraenkel et son épouse, Louis Fraenkel-Hahn, posèrent leur chevalets au numéro 25 de la rue de Longchamp dans le XVIe arrondissement de la capitale. Le 24 décembre de l'année suivante, la célèbre artiste autrichienne décède laissant son époux, veuf et sans enfants. Walter avait fui son pays d'origine pensant trouver refuge en France. Aussi, lorsque l'armée Allemande entra dans Paris, il comprit très vite qu'il devait à nouveau se mettre à l'abri du danger. L'artiste autrichien passa en zone libre, se fit arrêter par la police et, à l'instar de tous les juifs étrangers, fut interné au camp de Gurs. Une fois libéré, Walter Fraenkel s'installa dans le village de Montréal d'Aude, rue de la grande fontaine. 

    Fraenkel

    Contraint par la loi du 2 juin 1941, il dut se signaler comme juif et déclarer ses biens à la préfecture de l'Aude : "En regard de la loi du 2 juin 1941 je suis regardé comme juif, ayant des grands-parents juifs. » Il prétend ne pas posséder de biens immobiliers, ni mobiliers sauf quelques objets d’art de petite valeur. Il affirme détenir 6000 francs en argent comptant et vivre des subsides envoyés par des parents vivant aux Etats-Unis, en Suède et au Brésil. 

    Fraenkel

    Les trois Nornes. Huile sur toile.

    À Montréal d'Aude, Walter Fraenkel est autorisé à résider car, selon la préfecture, il possède suffisamment de ressources pour ne pas être dirigé sur un camp de Travailleurs Etrangers. L'artiste va passer ses journées à écrire des poèmes et à réaliser des dessins au pastel. 

    Fraenkel

    www.artnet.com

    Annonciation, 1918.

    Le 20 février 1943, il sera arrêté par la gendarmerie française sur ordre de Vichy à Montréal d'Aude. Conduit au camp de Gurs (Basses-Pyrénées), puis à Drancy, Walter Fraenkel est livré aux nazis. Le 6 mars 1943, il part dans un wagon à bestiaux en direction du camp de Majdanek (Sobibor) où il arrivera cinq jours plus tard. Il n'en est jamais revenu.

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  • André Morelli (1875-1945), un procureur républicain victime du gouvernement de Vichy

    André Erasme Morelli naît à Bastia le 5 juin 1875. Après des études de droits à Paris, il exerce pour un temps la profession d’avocat avant d’être nommé juge suppléant à Bastia à partir du 10 novembre 1906. Le juge magistrat occupe quelques mois ces fonctions. Le 19 octobre 1909, c’est à Gray en Haute-Saône qu’il pose ses valises en qualité de substitut du procureur du tribunal de cette ville. Inscrit au tableau d’avancement de la magistrature, André Morelli bénéficie dès le 10 avril 1913 d’une promotion. Le voilà désormais procureur de la République à Narbonne. D’un point de vue plus personnel, il se marie dans la sous-préfecture audoise avec Odette Guiornaud qu’il avait rencontrée à Gray.

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    Son arrivée au tribunal de 1ère instance de Carcassonne remonte au 30 mars 1925. Le couple Morelli habite 3, boulevard du canal ; actuellement, boulevard de Varsovie. Durant les quinze années où il représente le ministère public dans notre ville, il se montre un ardent défenseur des valeurs républicaines. Sa notoriété dépasse les frontières du Palais de justice. Homme droit et respecté, André Morelli fréquente les francs-maçons carcassonnais ; ce sera l’une des causes de ses futurs ennuis avec les collaborateurs et autres partisans du gouvernement de Vichy. Après la défaite de juin 1940, le procureur fait valoir ses droits à la retraite ; il est alors âgé de 65 ans. Son activité de magistrat cesse définitivement en novembre 1940, soit quelques mois après l’arrivée au pouvoir de Pétain. Sa retraite lui permet de ne pas avoir à se soumettre au serment d’obéissance au chef de l’Etat ; serment qu’il aurait sans doute refusé de prêter en faveur d’un régime anti-républicain et autocrate. Cela ne lui évite pas pour autant d’être frappé par l’arrêté du préfet de l’Aude, condamnant les opposants politiques de Vichy. Après le succès de la manifestation républicaine du 14 juillet 1942 devant la statue de Barbès, interdite par Vichy, la répression allait s’abattre contre ceux qui y avaient participé : le député Henri Gout, le sénateur Michel Bruguier ou encore le syndicaliste Albert Picolo. André Morelli est d’abord mis en résidence surveillée à Axat le 26 octobre 1942. Le préfet Marc Freund-Valade, bras armé d’un régime d’extrême droite, alourdit la sanction envers un homme âgé à la santé fragile. Il prononce son internement administratif le 1er décembre 1942 au camp de Saint-Sulpice-la-pointe, dans le Tarn. Si Morelli parvient à obtenir sa libération en janvier 1943, les sanctions prises à son encontre éveillent l’attention des Allemands. La divulgation de ses idées gaullistes et de son appartenance à la franc-maçonnerie par M. Quitte, commissaire aux questions juives de Carcassonne, ont fait les échos du journal antisémite « Je suis partout ». Sur ordre du KDS de Montpellier, la police allemande se saisit d’André Morelli chez lui, le 8 septembre 1943. Détenu à la caserne de la Lauwe à Montpellier, il est expédié au camp de Compiègne. Le 20 juin 1944, il fait partie du convoi de déportés en direction du camp de concentration de Dachau en Allemagne. Il n’en reviendra pas. Touché par l’épidémie de Typhus, il meurt le 17 février 1945 à l’intérieur du block 30, chambre 4. Il est incinéré le même jour. Le jardin sur le devant du Palais de justice de Carcassonne porte le nom de Square André Erasme Morelli.

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