En ce début de XXe siècle, le Dr François de Vésian perpétuait en son château de Mireval la tradition initiée par son père Hyacinthe de Vésian - ancien maire de Castelnaudary. Cet dernier - issu d'une famille qui occupa au XVIe et XVIIe siècles de hautes fonctions au Parlement de Toulouse - nourrissait en complément de ses activités d'avocat, une passion débordante pour la musique. Elle l'avait amené à composer plusieurs oeuvres... Ses premières compositions furent une romance sur des paroles de Victor Hugo : "C'est le seigneur, le seigneur Dieu !" édité par Heugel ainsi que trois pièces pour piano, éditées par Lévy. En 1861, Hyacinthe de Vésian se présente au concours de l'Opéra comique présidé par Halévy où il obtient une troisième mention, malgré la présence de plusieurs titulaires du Grand prix de Rome. Un an après, il se retrouve aux commandes de la Société philharmonique de Castelnaudary en remplacement de M. Bouzat de Ricaud. Le 16 février 1865, il dirige son opéra-comique "Sylvia" au théâtre Moncravel de Toulouse. Le succès fut au rendez-vous si l'on en croît la presse de l'époque :
"Le rideau se lève sur un duo charmant entre Mlle Rivenez (Sylvia) et M. Dalis (Geronimo) ; les couplets de Sylvia sont surtout digne de remarque. Le rondo : "A la jeunesse" est très heureusement conçu - l'accompagnement en est écrit de main de maître. Car, c'est une qualité trop rare et que M. de Vésian tient des maîtres allemands, les instruments ne se bornent pas à exécuter des accords, ils chantent aussi eux et se juxtaposent." (La voix de Toulouse / 1865)
Parmi ses autres compositions, on retiendra "La ballade du vieux temps" d'après Sainte-Beuve. Sous le pseudonyme de Karl Goethe, il fait éditer "Les demoiselles de Benoiton" qui fut très longtemps au répertoire de la Garde Républicaine. Son arrangement de la Marseillaise, sublime - d'après la critique - la pensée de Rouget de Lisle.
Août 1902
Les divertissements se faisaient rares autour de Castelnaudary... François de Vésian organisait régulièrement des salons musicaux chez lui au château de Mireval - appelé de nos jours "La bourdette - au cours desquels se retrouvaient des personnes amies de la famille. Il était de coutume d'y rencontrer autour du piano à queue de marque Érard, des musiciens tels que Charles Bordes, Déodat de Séviras ou encore Ricardo Vines... Je connais moi-même assez bien ce type de réunions musicales pour avoir été l'élève de Christiane Sans-Bertrand au domaine de la Rivière à Pexiora, où l'on croisait régulièrement le pianiste Aldo Ciccolini - rien que cela ! Après que chacun a interprété son morceau, tout se terminait par un bon cassoulet servi à la bonne franquette et sans chichis.
© M. Ramière de Fortanier
Une soirée musicale à Mireval
Revenons donc à François de Vésian... Ce jour-là, une jeune pianiste nîmoise - tout juste récompensée de ses sérieuses études auprès du maître Marmontel - avait accompagné sa soeur et son beau-frère au château de Mireval. Cette ravissante personne n'était autre que Marguerite Long ; la future grande pianiste française qui deviendra plus tard l'égérie de Maurice Ravel. Après l'audition d'un quatuor à cordes de Brahms par François de Vésian et ses amis, elle se mit au piano et interpréta les Variations en do mineur de Beethoven et la Polonaise de Listz en mi majeur. C'est alors qu'un jeune officier - Joseph de Marliave - se leva et demanda à la jeune de pianiste de jouer du Fauré. Elle déclina l'offre disant qu'elle n'en avait jamais travaillé. Marguerite Long expliquera plus tard que le compositeur ariégeois était à cette époque peu connu des pianistes, malgré le triomphe de son opéra "Promethée" aux arènes de Béziers, deux ans plus tôt.
L'officier répliqua : "Je ne comprends pas l'enthousiasme de tous pour cette jeune femme. Elle joue très bien, mais elle n'est pas musicienne. Elle ne joue pas une seule ligne de Fauré !" Manifestement embrassée par l'attaque verbale du jeune homme, elle travailla avec son maître Marmontel la "3e valse caprice" de Fauré. Après quoi, elle se rendit chez le compositeur pour lui faire entendre son exécution. Gabriel Fauré eut cette phrase : "Je suis tellement heureux d'entendre ma musique avec de l'accent. On joue toujours avec l'abat-jour comme on croit qu'il ne faut pas avoir de voix pour me chanter." Marguerite Long repartit de chez Fauré après que celui-ci lui mette entre les mains sa "6e Barcarolle". Elle était devenue la pianiste de Fauré, comme elle sera plus tard celle de Ravel.
Le 26 février 1906, la jeune pianiste devenait Mme Marguerite Long-Marliave. Elle venait d'épouser l'officier qui l'avait brocardé en public pour n'avoir pas joué du Fauré chez François de Vésian. Cette romance ne dura pas bien longtemps à cause de la Grande guerre. Joseph de Marliave devait mourir à l'âge de 41 ans aux premiers jours du conflit, au mois d'août 1914. L'officier était critique musical dans plusieurs journaux spécialisés dont "La nouvelle revue". Chaque semaine, il se rendait aux concerts Colonne et Lamoureux à Paris. On lui doit la traduction de l'oeuvre d'Isaac Albéniz "Pepita Jimenez" qui sera joué en 1923 à l'Opéra-comique. Il avait également travaillé sur la version version française de "Goyescas" d'Enrique Granados. La guerre aura frappé en plein coeur ce destin artistique... La "Toccata" et " Le tombeau de Couperin" de Maurice Ravel est dédié à Joseph de Marliave.
Marguerite Long décèdera en 1966 après une carrière musicale bien remplie. Elle portera vers les sommets de l'art musical, un talent incomparable dans l'interprétation de la musique française. Bien sûr, elle rencontra à Carcassonne le compositeur Paul Lacombe qui lui dédiera une de ses pièces. Elle restera toute sa vie fidèle à Maurice Ravel, même aux pires moments, quand la santé de son compositeur déclinait et qu'il ne pouvait plus écrire une seule note de musique.
Sources
Marguerite Long parle / Disque 45 T / 1964
La Cité / 4 juillet 1880
Remerciements
à M. Ramière de Fortanier
(Président de la SESA)
à mon ami Jean-Bernard Cahours d'Aspry
(Biographe de Déodat de Séverac)
________________________
© Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2016