© Cinq colonnes à la une / 1963 / Ina.fr
Après les accords d'Evian en 1962, la France va faire face à une énorme flot de réfugiés en provenance de l'ancien département d'Algérie. Ces familles algériennes qui s'étaient battues aux côtés de l'armée française contre le Front de Libération Nationale favorable à l'indépendance, fuient leur territoire. Elles n'ont pas d'autre choix pour échapper à la mort que d'abandonner l'existence qu'elles menaient là-bas. Considérées comme des traitres aux yeux du nouveau régime, elles arrivent dans une France dépassée par les évènements. Les conditions de rapatriement et d'accueil sont misérables et beaucoup les considèrent aujourd'hui comme indignes du service rendu à la patrie. Ces milliers d'algériens nommés harkis sont parqués dans des camps comme celui de Rivesaltes, où déjà le gouvernement français avait installé les "indésirables étrangers" en 1938. C'est-à-dire les Républicains espagnols fuyant le régime franquiste. Le 2 février 1939, le ministre de l'intérieur Radical-socialiste Albert Sarraut emploie pour la première fois le terme de "Camp de concentration". « Ce ne sera pas un lieu pénitentiaire : un camp de concentration, ce n’est pas la même chose » affirme-t-il. En 1942, le gouvernement de Vichy y mettra dans des conditions sanitaires pitoyables, les juifs livrés ensuite aux Allemands pour leur extermination dans le camp d'Auschwitz.
Le camp de réfugiés de Rivesaltes en 1939
Dans ce camp gardé par des militaires, les harkis reçoivent une somme d'argent qu'ils utilisent pour acquérir des denrées alimentaires, vêtements. Un juge leur demande s'ils souhaitent garder la nationalité française, avant d'apposer leur signature en bas d'un formulaire. Aux hommes, on fait suivre des cours de préformation professionnelle :bâtiment et métaux, et aussi, des classes d’IVM, Initiation à la vie métropolitaine. Aux femmes, on fait suivre des cours de travaux ménagers. Il faut apprendre à se servir d’un fer électrique, d’une machine à coudre. Il faut aussi apprendre à parler et à lire en français.
Après leur internement dans ce camp, les familles de harkis totalement déracinées sont conduites dans des villages abandonnés. Il s'agit de domaines forestiers qui font penser au djebel algérien. Dans l'Aude à Pujol-de-Bosc, au-dessus de Villeneuve-Minervois, là où il n'y a qu'un seul berger vont s'entasser 190 personnes pendant plusieurs années. Les familles vivront à 8 ou 10 dans des pièces de vieilles maisons rurales. Les hommes sont employés par l'Office national des forêts et replaceront la main-d'œuvre espagnole pour les travaux viticoles. Il n'y a pas l'eau courante, mais l'électricité. Les sanitaires sont dans des baraques à l'extérieur. On accède à cet endroit par une route étroite sans revêtement. Deux fois par semaine, les commerçants de Villeneuve y montent. Il s'agit du boulanger, du boucher. L'épicière du village s'y rend une fois dans la semaine. 28 villages accueilleront les harkis en France, puis 70 fin septembre 1963. Les préjugés ont la dent dure, lorsque la télévision interroge Charles Huc, le maire de Villeneuve-Minervois en 1963 :
"Dites-moi, c’est une expérience un peu particulière pour un maire de France d’avoir à administrer des musulmans, non ?" "Oui, au début, c’était un petit peu… ça m’a un peu gêné, parce que ce sont des gens en somme qui sont d’une autre… d’une autre forme, quoi, d’une autre civilisation que nous, peut-être. D’une autre mentalité. Alors, au début… Je m'y suis très bien habitué. Ce sont des gens très sympathiques."
Le Pujol-du-Bosc aujourd'hui
45 familles soit 400 personnes resteront dans ce hameau jusqu'en 1978, avant d'aller s'installer progressivement dans les villages voisins. Pendant un bon bout de temps, l'administration tint les harkis à l'écart du reste de la population Villeneuvoise. Ceci n'empêcha pas les naissances et les premiers prénoms français firent leur apparition. Parmi les trois enfants du couple Mazouni, il y aura Jacques et Gisèle. Les premiers à naître à Pujol-du-Bosc. Ces citoyens français de l'ancien département d'Algérie, anciens combattants de la France, n'obtiendront jamais les mêmes gratifications que leurs homologues métropolitains. Une blessure bien difficile a cicatriser encore aujourd'hui...
Une stèle et une plaque en l'honneur des harkis à Pujol-de-Bosc
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