Carcassonne a toujours été une ville de garnison et c’est encore vrai aujourd’hui avec le 3e Régiment Parachutiste d’Infanterie de Marine, en nos murs depuis 1962. A chaque plan de restructuration de l’armée, un branle bas de combat se met en ordre de bataille afin de conserver nos militaires, dernier vivier économique d’une cité désindustrialisée. A l’aube de la Première guerre mondiale, le gouvernement de la République vota l’augmentation du service militaire de deux à trois ans afin de préparer un conflit avec l’Allemagne que l’on considérait comme inévitable. Malgré l’opposition de la S.F.I.O et de Jean Jaurès, la loi fut votée avec l’appui notamment de Georges Clemenceau. Le Ministère de la guerre informa alors la municipalité qu’elle aurait bientôt à loger deux compagnies d’infanterie supplémentaires, en complément des quatre déjà affectées au château comtal dans la cité médiévale et à la caserné Iéna. Cette dernière, bâtie en 1873 sur des terrains pas assez vastes, ne pouvait plus s’agrandir depuis la construction de la manutention militaire en 1903. Pour accueillir les réservistes et les territoriaux convoqués périodiquement pour les manœuvres, à peine les logeait-elle dans l’ancienne prison et le Grand séminaire. Or, la première était promise à la démolition pour le futur groupe scolaire et le second, n’était plus en état. L’an passé, la ville avait du se résoudre à louer l’immeuble Sarraute et l’usine Mingaud. Deux bâtiments de secours que leurs propriétaires souhaitent désormais réserver à un autre usage.
Le Ministère de la guerre mit en demeure la municipalité de trouver rapidement un terrain pour construire des casernements, faute de quoi elle serait contrainte de faire partir l’ensemble de la garnison vers une autre ville. Dans l’histoire récente, cela peut nous rappeler que faute de zone de saut pour nos parachutistes, Carcassonne faillit perdre son régiment pour les villes de Pau ou de Castres. En 1913, on n’avait rien préparé car comme à l’accoutumée, les municipalités s’étaient endormies sur les deniers d’un budget exsangue. La première question qui fut débattue en conseil municipal de cette année-là, s’articula autour du sempiternel « Combien cela va t-il nous coûter ? Avons-nous les moyens ? » Après un vote au cours duquel le maire Faucilhon rappela que les bénéfices de 170 hommes supplémentaires dépassaient largement le coût de la construction d’une caserne dont l’armée ne demandait que l’achat du terrain, le conseil municipal accepta le 16 juin 1913 de répondre favorablement au Ministère de la guerre. A cinq voix près tout de même, celle des Socialistes unifiés farouchement opposés à la loi de trois ans.
Au mois de juin, le maire se rendit à Paris pour obtenir des garanties financières de l’état. Quant au choix des terrains, deux options se présentaient après que le génie a conclu à l’impossibilité de l’agrandissement de Iéna. La première, dans la rue du 24 février à l’ouest du cimetière Saint-Michel, sur l’emprise actuelle du mess du régiment. La seconde, en bordure de la route de Montréal sur les terrains Saint-Jacques au lieu-dit La Justice, propriétés des sieurs Lassale (pépiniériste), Protois, Auriol (notaire) et Louis Ferrand (propriétaire). C’est en effet à cet endroit que la justice de l’Ancien régime suppliciait les condamnés.
Pour une raison de coût, la seconde option fut retenue par l’ensemble des parties et la ville acquit une parcelle de 2 hectares et demi en terres labourables à 4 francs le m2 pour 84106 francs avec les taxes. L’adjudication des travaux fut remportée par l’entreprise Bernard ayant proposé un devis 280 000 francs. Bien entendu, le génie militaire s’occupa de la maîtrise d’œuvre sous la direction de l’officier Dusson. Dans un endroit dépourvu encore d’habitations à cette époque mais où se créera progressivement un nouveau faubourg, la caserne dite « La justice » sortit de terre au printemps 1914. Les compagnies du 15e régiment d’infanterie, promises à Carcassonne n’auront guère le temps d’essuyer les plâtres. Elles seront envoyées au front dès le début du conflit mondial, avant d’être remplacées par la compagnie encasernée au château comtal en 1918 ; au moment où les Monuments historiques prennent définitivement possession de la Cité.
Au début des années 1920, la caserne de la justice tombe en déshérence. La municipalité Tomey compterait bien en faire l’acquisition à l’armée, mais n’ayant pas de projet précis, elle préfère s’abstenir. Le maire propose bien en juillet 1928 d’y installer une école professionnelle supérieure de commerce et d’industrie, mais cette idée n’aura pas de suite. Alors, après en être devenue le propriétaire, elle l’aménage en 1936 en terrain de sport pour les écoles de villes. Jusque-là, les élèves avaient eu pour habitude de courir à l’étroit, autour du terrain de rugby de la Pépinière (Stade A. Domec).
Quand les Allemands envahissent la zone sud en novembre 1942, ils s’installent à Carcassonne. La caserne de la Justice retrouve alors ses fonctions primitives ; elle sert de casernement à la 5e compagnie du Landeschüztenregiment der Luftwaffe Lisieux, tristement connu pour son crime de guerre à Trassanel. Les tetons, au moment de quitter Carcassonne le 19 août 1944, incendient les baraquements dans lesquels étaient entreposés des vivres. Il suffit d’imaginer la population du quartier, affamée par quatre ans de restrictions se précipiter pour éteindre les flammes. Si la barbarie nazie avait fini par abdiquer sous le joug des partisans de la liberté, les témoins jusque-là invisibles de ses crimes reviendraient bientôt de l’horreur des camps. Cette fois, la caserne accueillait les victimes au sein d’un hôpital improvisé en purgatoire. Des jeunes femmes de la Croix rouge se chargeaient de prélever des échantillons d’urine, de les analyser et d’inventorier succinctement l’état de santé de ces gens. Ils étaient descendus quelques minutes plutôt d’un train en provenance de Paris, après des heures passées à l’hôtel Lutecia à retrouver une identité. Triste et terrible époque…
Il faudra attendre le début des années 1950 pour que la municipalité Soum transfère le parc au matériel de la ville, situé à côté de la prison vers l’ancienne caserne de la justice. Aujourd’hui, la Cité Paul Lacombe a fait oublier ce qu’il fut. Si vous passez par la route de Montréal, vous n’aurez plus d’excuse si vous ne vous arrêtez pas devant l’ancienne caserne de la justice.
Sources
Délibérations du Conseil municipal 1913 à 1936
Presse locale ancienne
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