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Musique et patrimoine de Carcassonne - Page 513

  • L'homme qui sauva Joë Bousquet

    L'écrivain audois Joë Bousquet (1897-1950), comme chacun le sait a passé plus de la moitié de sa vie alité, en raison d'une paralysie consécutive à une blessure lors de la grande guerre. Dans sa chambre dont il tenait les volets clos, il reçut les plus grands penseurs et poètes de son temps: André Gide, Louis Aragon, Julien Benda...etc. Sa maison située dans la rue de Verdun abrite aujourd'hui La maison des mémoires; l'on peut visiter sa chambre telle qu'elle fut au moment de son décès.

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    Joë Bousquet

    (1897-1950)

    Ce que l'on dit moins peut-être, mais qui n'est pas sans importance, c'est que Bousquet dut sa vie à un homme. Sans son intervention, le poète ne serait jamais hélas revenu de l'enfer de 14-18.

    Cet homme s'appelait...

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    Alfred Ponsinet

    "Nous sommes dans l'Aisne, sur le plateau de Brenel, dans la nuit du 26 au 27 mai 1918, les divisions allemandes se massent en vue d'une grande offensive, à croire décisive pour eux, et le 27 mai au matin, les observateurs regardent à la jumelle et signalent la présence de cette masse de soldats de toutes les armes, qui attendent l'heure H. C'est la grande ruée sur les troupes françaises de la 39e division, qui tiennent ce secteur. Le capitaine Houdard, commandant de la 3e compagnie du 156e régiment d'infanterie, demande de toute urgence le lieutenant Bousquet qui se présente aussitôt à son supérieur. Celui-ci lui explique la mission qu'il doit remplir. Cette mission très périlleuse, consiste à prendre contact avec l'ennemi. Il faut constituer immédiatement une patrouille. Mais le lieutenant ne veut qu'une poignée d'hommes. Il demande au sergent Sales s'il veut être de la mission, sa réponse est affirmative. Il interroge le caporal Potard, même réponse; il se retourne vers moi et je réponds: "Oui! mon lieutenant." Nous partirons donc avec lui, une confiance et un moral de fer, le lieutenant avec son révolver, le sergent Sales, sa musette bourrée de grenades, ainsi que le caporal Potard, Ponsinet armé de son fusil mitrailleur. Nous partons et nous marchons déjà depuis un long moment, lorsque nous voyons venir dans notre direction une estafette à cheval qui remet un pli au lieutenant lui annonçant que nous devons faire demi-tour. Il dit simplement: "Nous continuons, en avant". Le cavalier repart et nous admirons le courage de notre chef. Quelle cible en plein découvert! Car déjà les obus éclatent, c'est un tir de harcèlement sur nos arrières. Nous marchons plus lentement, nous sentons que les patrouilles d'avant-garde allemandes ne sont pas loin. Disposées de trente en trente mètres d'intervalles, elles progressent, alles aussi, avec prudence.

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    "Encore quelques mètres et nous tombons sur l'une d'elles. Devant nous les ennemis se dressent, mais nous sommes plus prompts qu'eux, une rafale de mon fusil, quelques jets de grenades de mes deux camarades et la patrouille allemande est anéantie. Mais une seconde se lève à trente mètres. Le lieutenant Bousquet me fait signe de tirer dessus. Hélas! Au même instant il me tombe dans les jambes en disant: "Je vais mourir ici, j'ai accompli mon devoir."

    A ce moment, le sergent Sales est aussi tué; il ne reste plus que Potard et moi. Immédiatement, je déroule ma toile de tente que je que porte en bandoulière et avec Potard nous le relevons, l'enveloppons tant bien que mal dans cette toile, nous nous regardons et nous disons: "Nous serons sans doute tués, mais il ne restera pas entre leurs mains". Le lieutenant Bousquet respire encore, il faut absolument faire très vite. Malgré sa terrible blessure, nous sommes obligés de le secouer et d'augmenter ainsi ses souffrances. Notre marche est rendue souvent très pénible, les balles crépitent de tous côtés, les obus éclatent autour de nous, mais nous continuons. Il y va de la vie de notre chef, c'est une question de secondes.

    Mais, Dieu merci, nous voilà au poste de secours de la compagnie. Le capitaine Houdard demande le nom du blessé: "Mon capitaine, c'est le lieutenant Bousquet". Il se penche alors sur lui et l'embrasse. Et ce chef, ce héros, que jamais nous n'avons vu trembler, nous le voyons maintenant qui pleure... Le lendemain il mourra, son revolver à la main, face à l'ennemi. Mon camarade Potard aussi trouvera la mort de la même façon héroïque. Et je resterai miraculeusement seul... avec le lieutenant Bousquet, qui survivra heureusement à ses blessures et qui, jusqu'à la mort, restera mon meilleur, mon plus cher ami... (Alfred Ponsinet)

    Sources:

    L'Indépendant du 11 novembre 1965

    Crédit photos:

    Site web du Centre Joë Bousquet

    L'Indépendant

    Ministère de la défense

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  • Un poignant témoignage... 70 ans après !

    J'avais écrit un article le 15 décembre 2009 avec le peu d'éléments que j'avais alors, sur la plaque apposée sur la façade du n°3 de la rue Bellevue. Elle avait attisé ma curiosité. Quelques mois après, je recevais un courriel d'une lectrice vivant en Angleterre me remerciant de raviver la mémoire de son grand père, mort en déportation. Grâce à la magie d'internet et de ce blog, je suis en mesure aujourd'hui de vous présenter un nouvel article complet avec les photos et les documents inédits qu'elle m'a fournis.

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    Au mois de mai 1940, les troupes allemandes sont entrées en Belgique. Le roi Léopold III ordonne la reddition de ses soldats. Joseph et Andrée Britte quittent alors Bruxelles le 13 mai 1940 avec leurs quatre enfants (Mizette, Pierre, Hélène et Jozette), direction Carcassonne où ils sont attendus par un ami de la famille.

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    Andrée Britte (Née Starck) et Joseph Britte en 1925

    A Carcassonne le 17 mai, Léon Crémer les héberge dans une de ses propriétés du domaine d'Aribaud près de Saissac; ils y resteront jusqu'en septembre.

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    Début septembre, ils s'installent dans l'appartement du second étage de l'immeuble n°3, rue Bellevue à Carcassonne. Joseph Britte fait équiper d'un gazogène une fourgonnette et obtient une autorisation de transport. Il effectue pour le compte d'un tiers, la livraison de produits chimiques destinés à la vigne. Il entre, au cours de ses déplacements avec un certain Paul Cartigny, belge, qui a travaillé pendant la guerre pour le 2e bureau français. Il retrouve à Toulouse un de ses amis Richard Stappers qui y fait fonction de Consul de Belgique. A Limoux, il fera la connaissance du Commandant Van de Vloet et du Capitaine Doyen qui s'occupent de la liquidation des dépôts de matériels qui y sont amenés par l'école Royale Militaire Belge lors du repli des troupes. Ces deux officiers s'efforcent à faire évacuer leurs hommes vers l'Angleterre, via l'Espagne et le Portugal. ils ont créé un embryon de service sous le de Benoît.

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    Ancien Consulat de Belgique, 20 rue des Arts à Toulouse.

    Joseph Britte est contacté par le juge consulaire Georges Van de Velde qui habite à Grenoble, pour assurer la responsabilité du service belge d'assistance aux belges de l'Aude. Il prendra l'intiative de chercher des passeurs vers l'Espagne. Début 1941, Toulouse commence à envoyer des "colis" (entendez, des clandestins) . A cette époque, la famille Britte héberge Edmond Desnerk, agent de renseignement parachuté sur la Belgique dans la nuit du 12 au 13 octobre 1941.

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    Plaque sur la maison, 3 rue Bellevue

    Le 3 octobre 1941 débarque dans cette maison, deux agents parachutés en zone libre: Le major Pierre Bouriez dit "Sabot"(chef de mission), Le lieutenant Albert Deweer dit "Speed" (radio) et un officier polonais du nom de Detko (radio). Sabot repartira le jour même pour se fixer à Montpellier au 21 bis rue de la Garenne, et à Carnon plage à la villa "Sam Suffit". Les deux autres radios resteront là et commenceront à émettre. Detko rejoindra Limoux au bout d'un mois et sera évacué sur Londres le 13 mars 1942. Speed restera chez Britte jusqu'au début de 1942, car dès février des colis vont succéder de plus en plus. En moyenne, deux équipes de cinq hommes par semaine. Du 25 février 1942 au 16 juin 1942, 125 hommes passeront par le 3, rue Bellevue. Le 3 février 1943, Joseph Britte est arrêté à Montpellier au 21 bis, rue de la Garenne. Il restait deux colis à Carcassonne que l'abbé Gau se chargera d'évacuer.

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    21 bis, rue de la Garenne à Montpellier (à droite)

    Ce réseau avait une activité sur toute la France et vers la Belgique.

    Ses missions étaient de:

    Centraliser tous les services de renseignements belges en France

    Reprendre en main toutes les filières d'évasion

    Organiser la fourniture de faux passeports

    Assurer l'hébergement des colis

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    Pierre Bouriez (1906-1964) alias Sabot

    (Photo: françaislibres.net)

    Liste des membres du réseau arrêtés, le 2 février 1943:

    Pierre Bouriez, Georges Oreel, Max Lacomblez, J. Dopchie, Joseph Britte, M. Flamandturck, Jules Wolf, Pierre de Stexhe, Kermarec, Chahay

    Albert Deweer (Speed) sera arrêté le 5 décembre 1942 à Narbonne par la police de Vichy et transféré au camp de Vernet. Il s'évadera avec la complicité de deux gardiens du camp et sera aidé par madame Montagné de Limoux et Andrée Britte qui l'hébergera.

    Que sont-ils devenus?

    Albert Deweer, rejoindra l'Angleterre sain et sauf. Pierre Bouriez (Sabot) reviendra de déportation gravement malade, il mourra en 1964. J. Dopchie, Max Lacomblez et Joseph Britte ne reviendront pas des camps de la mort.

    Dénoncés par qui?

    Le réseau Sabot a été donné à la Gestapo, début 1943, par une taupe qui s'y était introduite. Il s'agit d'un belge nommé Manet, alias Adolphe Toulouse. Il sera arrêté à la libération. Condamné à mort par le conseil de guerre, il ne sera pas exécuté et sera libéré vers 1980.

    Note de Pierre Britte, fils de Joseph Britte:

    Il est à noter que malgré l'environnement de la rue Bellevue (un milicien à l'étage en dessous de nous, un milicien au N°1, des miliciens dans la rue des châlets), nous n'avons jamais été dénoncés par le voisinage. Nous avons même été aidés par les locataires du rez-de-chaussée de notre immeuble, monsieur et madame Caulet qui hébergèrent souvent des colis, quand on manquait de place. Un voisin, militaire à la Force aérienne française, M. Djan nous a également aidé. Monsieur et madame Roques, voisin du n°1, aussi comme madame Léger qui nous approvisionnait en poisson.

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    Portait de Joseph Britte réalisé à la prison de Fresnes, juste avant sa déportation à Bergen-Belsen.

    Epilogue

    Andrée Britte, son épouse, a été arrêtée à Carcassonne par la Gestapo avec son fils aîné et sa fille. Ils ont été relâchés, mais elle a continué à recevoir des agents de la résistance dans la rue Bellevue. Une fois la guerre terminée, elle est retournée en Belgique avec ses enfants. Les bagages qui les suivaient furent volés, leur maison qu'ils louaient à Bruxelles avait été pillée. Celle qui leur appartenait dans les Ardennes avait été vendue sans leur consentement. Andrée Britte avait déjà à Carcassonne vendu tout ses bijoux pour survivre. Elle avait 51 ans. Un document de volontaire datant de la première guerre, lui permit de travailler comme infirmière. Le Gouvernement provisoire de Bruxelles lui laissa la jouissance d'un appartement réquisitionné à un collaborateur. Elle continua, malgré l'absence d'un mari qui ne revint pas de déportation, d'élever ses enfants. Sa fille a aujourd'hui 83 ans. dans sa cuisine pend une vue de la cité de Carcassonne et le dernier portrait de son père.

    Concernant la famille carcassonnaise Roques, évoquée plus haut, qui a aidé les Britte. Ils avaient une fille nommée Josette qui doit avoir 80 ans et vivrait à Carcassonne. Son époux avait une entreprise de peinture. Voilà un appel lancée par la petite fille de Joseph Britte (Andrée d'Ambrumenil) qui aimerait bien avoir de leur nouvelles et qui pourrait nous apprendre bien de choses.

    Un grand merci à madame Andrée d'Ambrumenil pour ce témoignage inédit

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  • Henri Daraud, facteur de pianos

    La récente fermeture du magasin "Piano Porchez" dans la rue A. Tomey, a sonné le glas du métier de facteur-accordeur de piano dans notre ville. A la fin du XIXe siècle, ils étaient trois à Carcassonne (Gillon, Cauvet et Barbot). Au milieu du XXe, ce fut Henri Daraud (rue Courtejaire) puis Jean-Jacques Trinques (Pianos Porchez) et dans une moindre mesure Claude Serrano (Claude musique, Bd Omer Sarraut), M. Reta (SOS musique, Allée d'Iéna). Il ne s'agit pas de vendre seulement des instruments, faut-il encore avoir été formé pour les réparer et les accorder sans l'aide d'un diapason numérique comme beaucoup aujourd'hui. Un vrai accordeur dispose uniquement d'une clé et de son oreille pour ajuster les cordes du piano à la bonne fréquence. C'est ce qui s'appelle avoir l'oreille absolue; ce qui permet de chanter par exemple un la, sans avoir eu aucune référence harmonique auparavant. Il faut 1h à 1h30 à un accordeur pour équilibrer harmoniquement un piano (75 euros en moyenne) et 3h à un bricoleur qui vous prendra bien plus cher. Ne faites pas accorder vos pianos en cadre bois, cela ne sert à rien! Il y avait autrefois des écoles comme des pianos Pleyel ou Erard qui formaient en 10 ans des facteurs-accordeurs, mais ce temps est révolu... Aujourd'hui la dernière manufacture de pianos se trouve à Alès (Gard), ce sont les pianos Rameau, mais pour combien de temps? Rameau possède l'ancienne marque française Pleyel. Sachez donc que si vous achetez Rameau ou Pleyel, vous faciliterez la production française sérieusement concurrencée par les pianos chinois ou coréens.

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    Henri Daraud s'installe comme facteur-accordeur de piano dans la rue A. Ramond (en face Stanislas) où il a son atelier. Le magasin de vente ouvert en 1955, se trouvait à l'angle des rues Ramond et Courtejaire. On y trouvait des partitions et divers autres instruments de musique. Henri Daraud qui était diplômé de chez Erard et Gaveau, était très demandé par tous les artistes qui se produisaient dans le sud de la France. Il est décédé en 1989 et sa fille a repris à sa suite le magasin, pour assurer la vente de disques jusqu'en 2000.

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    Une séance de dédicaces chez Daraud, où sont passés de nombreux artistes. Jean-François Daraud est ainsi tombé tout petit dans ce milieu artistique qui fait de lui, le carcassonnais détenteur du plus beau carnet d'adresse d'artistes. C'est lui et J-J Trinques qui ont fondé le musée du piano à Limoux, que la ville de Carcassonne n'a pas souhaité accueuillir à l'époque. Une exposition d'anciens instruments, unique en Europe.
     
    A lire:
     
    Le piano Pleyel d'un millénaire à l'autre (J-J Trinques / Editions L'Harmattan / 2003)
     
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