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Petite histoire de la vie ordinaire...

 Une petite histoire de la vie ordinaire...

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Nous sommes à la fin des années 1920. Ma grand-mère et son époux Joachim fuient l'Espagne dirigée alors par le dictateur Primo de Rivera. Ils sont de Figueras en Catalogne et le régime persécute les catalans dans leur culture. Il leur est interdit de parler leur langue, de l'enseigner à l'école et de chanter leur hymne. Les autonomistes sont mis en prison, torturés ou encore exécutés. Joachim et Carmen arrivent en France et après un séjour en Normandie, puis à Paris, il migrent vers Carcassonne. Ils s'y installent dans un petit logement situé route de Montréal avec leurs deux enfants (Pilar et Claudio) nés en Espagne. Ils vivent chichement des revenus de Joachim, qui a trouvé une place de coiffeur dans un salon situé à l'angle de la rue de la mairie. Dans ce Carcassonne qui leur est étranger, ils ont deux amis: Bosc et Gambineau. Pilar et Claudio sont scolarisés à l'école Victor Hugo et à celle de Jean Jaurès.

En août 1931, Joachim décide de partir avec sa moto à Rosas afin de participer à un concours de sardanes. A l'arrière, il transporte un ami qui l'accompagne. Sur le chemin du retour, alors qu'ils abordent le carrefour du Hameau du Lac à Sigean, une voiture qui sortait du château du comte de Larenty-Tolosan, leur coupe la route. Sans regarder, la comtesse au volant de sa belle voiture, les percute alors qu'ils sont à pleine vitesse. Le passager est tué sur le coup et Joachim gît sur le bord de la route, agonisant. La comtesse a pousuivi son chemin sans même s'arrêter. Il faudra un bon bout de temps avant que assistance ne soit portée aux blessés. Joachim décèdera peu de temps après son admission à l'hôpital.

Entre temps, deux autres enfants sont nés (Isabelle et Pierre) en France. Voilà donc ma grand-mère veuve avec quatre enfants dans un pays d'accueil dont elle ne maîtrise pas la langue. "Soyez courageuse !", lui diront les gendarmes. Conseillée par ses amis, elle intente un procès au comte de Larenty. On tente de l'escroquer en lui faisant signer des papiers en français dont elle ne sait pas bien la teneur. Les assurances lui proposent un minable arrangement financier inférieur à ce à quoi elle peut prétendre. Finalement, un ami lui indique de faire appel du jugement et elle obtient un peu plus, mais bien moins que ce que l'on aurait donné à un français.

Avec cette somme et l'assurance vie de son mari, elle achète une maison et s'installe rue de la Digue. Pour survivre, elle deviendra l'une des plus remarquables couturières de la ville. Elle nourrit ainsi ses enfants, sans allocations familiales, sans allocation logement, sans Revenu de Solidarité Active, sans Sécurité sociale. Le voisinage est très peu amical vis-à-vis de cette étrangère et lui fait remarquer sa différence. Seule, au bout de la rue, elle trouvera une amitié avec une personne ayant les mêmes origines.

Les enfants vont à l'école. Pilar (Paulette) née à Figueras, travaille très bien. Ses résultats la placent Première du canton et l'Académie va lui décerner un prix. C'était sans compter avec la jalousie de bonnes familles carcassonnaises... Ces dernières protestent auprès de l'institution: "On ne peut pas donner le premier prix du canton à une espagnole!" Paulette sera déclassée.

Pendant la guerre, la famille a souffert de la faim. On coupait des tranches de pain très très fines que je partageais avec les enfants. Ils lêchaient leur doigts pour attraper les miettes qui tombaient sur la table. Heureusement, Pierre à 12 ans a appris le métier de boulanger. Un jour, alors qu'il était apprenti chez Tournié, rue Victor Hugo, il déroba des Bretzel destinés à l'armée allemande. Repéré, un bôche voulut l'envoyer en Allemagne. Il dut son salut au patron, farouche collaborateur, qui obtint son maintien dans la boulangerie. Tellement, les gens avaient faim pendant que d'autres carcassonnais se sont enrichis avec le marché noir. Aujourd'hui, ils ont des domaines, de villas à la mer et même pour certains de belles décorations. En plus, ils veulent nous donner des leçons de justice sociale !

Isabelle a appris le piano chez Mlle Saulnier, le professeur le plus en vue de cette époque. Là, où toute la bourgeoisie carcasonnaise prenait des cours. Mlle Saulnier sachant les revenus de Carmen, ne faisait pas payer pour sa fille. Jamais, ma tante n'a pu rejoindre le clan de ces jeunes et jolies bourgeoises. Toutefois, elle a ouvert une école de piano bien après... Dans laquelle, leurs enfants sont venus prendre des cours.

Claudio a monté son entreprise avec beaucoup de réussite et en partant de rien. Son frère, Pierre a fait de même avec autant de succès.

Ma grand-mère est décédée à l'âge de 100 ans le 12 juin 2005. C'était la plus formidable, la plus courageuse, la plus volontaire des personnes.

Je lui décerne l'Ordre National du Mérite

Savoir d'où l'on vient permet de savoir où l'on ne veut pas aller!

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Commentaires

  • Déjà touché par l 'autre chronique " hongrois...." je suis très ému par celle ci. C 'est d'une certaine façon l'histoire de nombre d'entre nous ou plutôt de nos anciens qui ont souffert et se sont privé toute leur vie.
    Ma mère me racontait aussi les histoires de ces enrichis du marché noir qui avait (qui ont encore) pignon sur rue et qui paradent en ville

  • Magnifique histoire vraie qui m'a donné envie de pleurer, car je fais un peu le parallèle avec le sort que l'on nous a réservé lors de notre entrée en France, mon père au camp d'Argeles puis Bram et nous ma mère mon frère aîne et mes soeurs, dont l'une est née au camp,nous nous sommes retrouvés à Poitiers dans la Vienne, à l'autre bout du pays de France, étant réfugiés Espagnols, pendant la guerre civile.
    Avec le recul on peut comprendre certaines choses, mais pas cette espèce d'intolérence d'une minorité de personnes qui martyrisent par leurs comportements des enfants et des gens honnêtes qui n'ont jamais fait de mal à personne! Heureusement qu'il y en a d'autres qui nous ont aidé d'une façon ou d'une autre, en particulier des instituteurs et institutrices qui nous ont permis en nous faisant travailler sérieusement de rattraper le niveau des autres élèves. Je les en remercie encore!

  • bonjour. j'aime bien la "morale" de fin: Savoir d'où l'on vient permet de savoir où l'on ne veut pas aller! Beau moment de philosophie; Je la replacerai !

  • une belle histoire émouvante oui les espagnols ont du combattre pour se faire une place en France avec beaucoup de mal pour certains c'est l'histoire de ma grand mère aussi mais nous les catalans nous sommes forts et résistants rien ne nous arrete ....les grands parents de mes enfants ont passé la montagne noire dans la neige pour finir dans des camps français dont ils avaient de très mauvais souvenirs ils ont fuit Franco le dictateur
    merci nos origines sont la qui font que la vie nous est plus précieuse grace a nos ascendants .......il n'y a pas très longtemps je suis allée a la recherche de mes racines espagnoles et j'ai pleuré en voyant mes grands parents sur les registres de la mairie ......et de l'état civil ......merci Martial ................

  • Merci de ce témoignage qui me touche particulièrement: mon grand oncle, Carlos Nadal, anarchiste catalan s'est réfugié en France en 1939. Interné à Rivesaltes, il s'enfuit à la nage de la plage!! et se réfugia en Belgique où il devint architecte. Il participa à l'exposition universelle de 1958...
    A sa retraite il reprit sa passion: la peinture et devint un peintre naïf très connu et très côté
    Mais il continua de rester jusqu'à sa mort un homme libre qui ne soucia que très peu des convenances et me transmit un peu de cet irrespect de ces convenances qui autorisent souvent les pires crimes!

  • @Antonia Reynes : je retrouve toute l'histoire de mes grands -parents maternels, exactement le même parcours. Sur leur route malgré tout, des rencontres avec des personnes humaines.

    Ils ont toujours respecté leur pays d'accueil tout en gardant leur nationalité.

    Il en a été de même pour mes grands-parents paternels qui ont fui la dictature italienne.

    Ils ont également toujours respecté leur pays d'accueil tout en gardant leur nationalité.

    La faim, la souffrance, ils les ont bien connues.

    Ils ont tout reconstruit sans aucune aide.

    Belle leçon "d'intégration" nommerait-on ces parcours aujourd'hui.........(je dirai plutôt que c'est inné en soi)!

    J'ai "pleuré", je l'avoue en lisant votre article et celui de Mr ANDRIEU.
    Quelquefois, il vaut mieux "rentrer" dans les détails, tout en préservant une certaine intimité (par pudeur pour nos anciens) que de "coucher sa souffrance" sur le blog car tout le monde ne peut comprendre et certains mots (quand on n'a personne dans sa famille qui a vécu cette "misère") donnent lieu à des retours verbaux sont "violents".

  • C'est très touchant et très joli cette évocation
    personnelle de vos origines et de la dureté de
    l'exil, de l'acclimatation à ce pays , à ses mœurs et à cette
    langue difficile à apprendre pour des adultes obligés
    à l'expatriation pour la sauvegarde de sa liberté et d'un idéal républicain.

    C'était l'histoire de mon grand père maternel poursuivi par
    les phalangistes, qui a fui dans les montagnes car la politique et sa liberté de penser allait au delà de tout.

    L'histoire de Joachim est très émouvante et révélatrice d'une société quasi féodale et toutes ces petites humiliations qu'a enduré votre grand- mère comme si le veuvage n'avait pas suffit à son malheur au quotidien.
    C'est très bien de rappeler ce parcours et la magnifique et courageuse et orgueilleuse intégration de vos grands parents et leurs enfants au modèle républicain et pourtant si imparfaite de la société française.

  • 'Otto de Habsbourg a écrit :

    " Celui qui ne sait pas d’où il vient ne peut savoir où il va car il ne sait pas où il est. En ce sens, le passé est la rampe de lancement vers l’avenir »

  • Cette histoire faite de courage et de travail est très émouvante. Je suppose que la petite Isabelle est mademoiselle Alay où mes enfants ont appris le piano. Vous nous aviez promis de nous parler d'elle, cela serait une suite logique à ce récit. D'autan que mademoiselle Alay est très connu des carcassonnais. Sa gentillesse et son talent sont unanimement reconnus.

  • IL EST FACILE DE SALIR LES GENS AVEC DE SOIT DISANTS COLLABO... MARCHE NOIR ETC DONNEZ PREUVE ET NOMS SINON TAISEZ VOUS

  • ma fille Marie a été élève de Melle Alay, comme beaucoup de petits carcassonnais. je revois son atelier de musique où les pianos, les chats persans et les élèves cohabitaient dans une joyeuse cacophonie et Melle Alay régentait tout ce petit monde avec bonhomie et fermeté. à mon grand regret, ma fille n'avait pas une âme de musicienne, moi qui aurait tant voulu apprendre le piano....

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