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  • L'histoire inédite de la fonderie Carcassonnaise Bléchemit

    Sur le territoire d’Hayange dans l’actuel département de Moselle, existait au Moyen-âge une forge Blechschmidt ou nouvelle forge construite par un hayangeois en compagnie d’un forgeron de Moyeuvre. On notera que la plupart des dénominations de ces forges sont de forme germanique. En allemand, Blech signifie feuille et Smit, frapper ; ceci nous renvoie bien à l’image du forgeron. Si nous ajoutons également qu’un blechsmiede n’est autre qu’un ferblantier, alors il ne fait plus aucun doute sur l’origine de la famille Blechschmidt, venue de Montcenis près du Creusot (Saône-et-Loire) pour créer une fonderie à Carcassonne. Le père Jean Blechschmid n’était-il pas lui-même mouleur à la fonderie royale du Creusot ? Ses fils, Nicolas (1782-1848) et Pierre (1792-1853) avaient semble t-il quitté Montcenis pour s’établir dans le sud de la France. A Bruniquel (Tarn-et-Garonne), Pierre devait épouser le 31 octobre 1810 Marthe Roussoulières (1776-1815) qui donnera naissance à Pierre Bléchemit (Bruniquel 1811-Béziers 1891). Nous formons l’hypothèse que le nom germanique de Blechschmidt fut abandonné aux portes du Languedoc au moment de la naissance de leurs enfants et de l’enregistrement sur le registre de l’état-civil. Nous imaginons fort bien qu’au pays de l’accent qui chante, on ait entendu Blechemit.

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    © CUCM, document Écomusée, reproduction D. Busseuil.

    Fonderie royale du Creusot

    Il semble que la famille a établi une fonderie à Toulouse, car en 1833 on retrouve sur l’annuaire de Sébastien Bottin, la fonderie Bléchemit. Le journal des Pyrénées-Orientales nous apprend qu’au mois de janvier 1835, le sieur Bléchemit aîné, fondeur en fer et en cuivre, établit à Carcassonne une fonderie dans laquelle se confectionneront les pièces nécessaires pour mécaniques, les rampes d’escalier, les balustrades de balcon, les marteaux de forge. L’usine est située hors la ville, vis-à-vis le Calvaire. La famille Bléchemit dépose donc ses bagages dans la capitale audoise au n°48 de la rue du marché. Il y a là le patriarche de Montcenis qui mourra en 1853 à Carcassonne, son fils Pierre (né à Bruniquel) et son épouse Marthe, mais également l’oncle Nicolas.

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    Les bâtiments de l’usine se trouvent 14, Faubourg l’Araignon, le long de la promenade Saint-Michel. Ils communiquent par l’arrière à la rue des Amidonniers et par l’entrée principale sur l’actuel n°55 du boulevard Barbès. Thérèse Fonquergne († à Carcassonne, le 27 septembre 1856), épouse du patron de la fonderie, mettra au monde sept enfants. Aucun des garçons n’atteindra l’âge adulte, sauf Pierre (Quillan 1841- Carcassonne 1875) qui épousera Clara Célina Andrieu. Il s’associe avec son père le 22 janvier 1866 pour former la société Bléchemit père et fils, chez Maître Fabre, notaire à Castelnaudary.

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    Au mois de novembre 1870, le gouvernement républicain en guerre contre la Prusse lance un appel à l’industrie privée. Les mécaniciens et les fondeurs, dont les anciens députés avaient si dédaigneusement rejeté le concours, collaborent activement à la défense nationale. La fonderie Marsal de Carcassonne fabrique un grand nombre d’articles en cuivre ou fer forgé pour la cavalerie. A la fonderie Bléchemit, l’ouvrier mouleur Maurin a imaginé un nouveau système de canon à aiguille se chargeant par la culasse. Un modèle en bois de cette arme a été fait et soumis à l’examen du Comité de défense siégeant à Tours. Pendant ce temps, tous les ouvriers de chez Blechemit sont mobilisés à la fabrication des éperons, boucles et autres articles pour la cavalerie. Le journal Le bon sens note que  M. Béchemit, malgré l’insuffisance de son outillage, est arrivé à pouvoir livrer 50 paires d’éperons par semaine et plus de 200 garnitures complètes de fourniment au même prix que la maison Godillot de Paris, qui avait eu jusqu’ici le monopole de ces fournitures. En 1871, la fonderie fournit à l’armée des roues pour affût, avant-train pour l’artillerie.

    Nous n’avons pas trouvé précisément le nombre de personnes travaillant à la fonderie Bléchemit, mais le rapport sur l’incendie survenu au mois d’août 1873 nous apprend que sans l’intervention des pompiers et des hussards, 40 ouvriers se seraient retrouvés au chômage. Le sinistre fera un mort ; le hussard Prou s’est brisé le crâne à cause de la chute d’une volige depuis le toit. 

    Deux ans plus tard, Pierre Bléchemit père, cède à son fils la totalité de ses parts de la fonderie. La société est dissoute le 17 octobre 1873 ; Pierre Bléchemit fils devient le seul propriétaire, mais pas pour longtemps. Il décède au mois de mai 1875 à l’âge de 33 ans, laissant sa veuve pour seule héritière. Faute de repreneur, celle-ci n’a pas d’autre choix que de se dessaisir de la fonderie. Dans un premier temps, elle vend à François Placard en 1877 l’ensemble des machines et des outils ainsi que 625 m2 de terrain sur l’allée d’Iéna. C’est là que Plancard fera édifier les bâtiments de son entreprise, repris ensuite par les matériaux Geynes avant d’être transformés en station service.

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    © Collection J. Blanco

    Le patronage de l'Œuvre au début du XXe siècle

    L’ancienne fonderie Bléchemit devient la propriété des Frères des écoles chrétiennes qui comptent y installer l’une des deux écoles libres de garçons qu’ils projettent  de créer en ville. Le 2 juillet 1879, le patronage de l’Œuvre est créé 2, rue Neuve du Mail (Marceau Perrutel) sous l’impulsion de l’abbé Combes. Si la loi républicaine n’interdit pas les écoles libres à la condition qu’elles respectent la laïcité, les frères n’obtiendront pas immédiatement de la mairie le droit d’ouvrir leur établissement. Les bâtiments de l’usine considérés comme impropres à accueillir des enfants doivent faire l’objet d’une réhabilitation. L’abbé Combes raconte dans son ouvrage que nous avons pu consulter grâce aux bonnes grâces de Jacques Blanco, qu’au commencement les familles rechignèrent à envoyer leurs enfants. Avec un peu de publicité, leur nombre augmenta. A tel point qu’il fallut envisager d’agrandir à peu de frais. Alors, tous les apprentis bénévoles de tous les métiers se réunirent pour démolir et reconstruire. Cela ne fut pas suffisant, mais grâce à de généreuses subventions on parvint à tout rebâtir. En fait, le patronage organisait chaque année un grand concert avec le concours bénévoles des compositeurs et musiciens de la ville (Baichère, Scheurer, Barbot…) afin de récolter des fonds au profit des écoles chrétiennes. Le 21 décembre 1884, Mgr Billard bénit la chapelle de l’Œuvre et inaugura le nouvel immeuble. C’est de nos jours le lycée privé Saint-François.

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    Vue sur l'emplacement de l'ancienne fonderie

    Lorsqu’on se projète sur la structure des bâtiments de ce lycée, on se rend compte effectivement qu’il n’est que le fruit d’un assemblage hétéroclite. Dans la rue Marceau Perrutel, deux corps de bâtiment de l’ancienne usine laissent penser qu’ils ont subsisté à la démolition, tout comme la façade donnant sur le boulevard Barbès. Nous pensons que sa grande ouverture qui devait éclairer les ateliers de l’usine, ressemble en tous points à l’architecture industrielle des fonderies observée le plus souvent en France au XIXe siècle. Ce serait ici l’unique vestige de l’ancienne fonderie Bléchemit dont nous venons de retracer l’histoire d’une manière tout à fait inédite.

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    © patrimoine.blog.lepelerin.com

    Quand nous comparons l'ouverture sur le Boulevard Barbès avec celles de la fonderie d'Ecurey dans la Meuse ci-dessus, on peut rapprocher nos hypothèses.

    Sources

    Histoire d'Hayange / Pierre Xavier Nicolay / Tome 1 - 1937

    Le bon sens, le Courrier de l'Aude

    Livre de l'abbé Combes

    Etat-Civil / ADA 11

    Annuaires Didot Bottin

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